Entre la culture de l’écoute et celle du savoir parler

La conversation est un art

La communication entre gens qui se respectent doit se dérouler selon des normes établies pour que l’échange soit fructueux. Tout d’abord, il faut des conditions au préalable pour que les participants qui discutent, aboutissent à des résultats concluants à force d’arguments.

La conversation est un art dans la mesure où les différents intervenants doivent faire preuve de qualités essentielles : respect des autres, niveau culturel acceptable, esprit de courtoisie. La conversation est une école où on apprend à se mesurer avec les autres et où on acquiert des idées, des formes d’expression qu’on ne connaissait pas auparavant. C’est aussi une école de volonté où chacun fait l’effort d’écouter celui qui nous parle compte tenu du fait que certains ont des difficultés d’expression. C’est aussi une école de tolérance, qualité nécessaire dans toute discussion où chacun apprend à supporter différents états d’esprit, c’est la différence de caractère qui caractérise tous les débatteurs et que chacun ne doit pas perdre de vue comme caractéristique naturelle qu’il faut accepter. Pour celui qui cherche à connaître un point de vue, la principale qualité à avoir avant toute chose, c’est la patience ; certains ont des défauts dans leur manière de dire ce qu’ils pensent de telle ou telle idée émanant de quelqu’un, d’autres sont naturellement secondaires, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas cette capacité de réagir immédiatement à quelques propos trouvés inappropriés à des esprits sensés. En tant qu’art, la conversation est à mener avec dextérité, il faut comparer chaque participant à un artisan qui façonne un objet en cherchant à lui donner une forme particulière qui impressionne les observateurs. Ce doigté est une des qualités maîtresse de l’artisan du langage qui fait le maximum d’effort pour ménager toutes les sensibilités. Il faut éviter une situation d’échange où les gens susceptibles se surveillent et ne disent pas tout de peur de ne pas plaire. Ceci est courant chez ceux qui souffrent de timidité maladive ; à ceux-là, il faut penser imaginer une stratégie qui leur permettrait de se libérer de leur complexe.

Une conversation fondée sur le respect de la différence
Cela est primordial, si on ne veut pas voir la conversation tourner à l’anarchie et rien de positif ne peut se concrétiser dans une ambiance de désinvolture. Toute conversation qui se veut intéressante doit être menée avec beaucoup de talent de manière à rendre possible la participation de chaque partenaire. Cela peut s’avérer possible si au départ on s’est mis d’accord sur un sujet commun. Le problème, c’est d’arriver à faire parler chacun en mettant tout le monde à l’aise. Une fois les meilleures conditions réunies, il faut que les membres du groupe apprennent à ne pas monopoliser la parole, en donnant l’impression que ceux qui parlent sont les seuls habilités à avoir le droit de parler et que les autres ne sont là que pour écouter. Triste situation qui a tendance à se répéter lorsque les parleurs, profitant de la passivité des autres, n’hésitent pas à intervenir fréquemment, mais beaucoup plus pour se mettre en valeur que pour apporter de l’eau au moulin. L’idéal est que chacun intervienne, pas pour parler mais pour apporter des suggestions. Souvenons du proverbe qui dit : «Avant de parler, assure toi que le silence est bien meilleur que la parole», son équivalent en arabe est : «Si ce que tu vas dire n’est pas plus beau que le silence, alors tais-toi». Ces proverbes au même contenu montrent combien il est parfois préférable de se taire que de dire n’importe quoi qui ridiculise la personne qui a dit. Ceci nous amène à dire qu’il y a une diversité de participants. Il y a ceux qui se taisent parce qu’ils n’ont rien à dire, d’autres qui ont beaucoup de choses intéressantes à dire mais qui se taisent par timidité ou pour une autre raison, une autre catégorie de gens qui aiment intervenir pour le plaisir de se faire entendre, mais pour dire des âneries, il faut appeler les choses par leur nom. Les meilleurs de tous sont ceux qui interviennent pour avancer des arguments intéressants et qui font avancer la conversation. Savoir parler est un art qui n’est pas donné à tout le monde, il s’acquiert et quelquefois, c’est inné ; ceux qui en ont le don, ont le savoir faire à la naissance. Par ailleurs, on peut apprendre à bien parler à force de fréquenter les assemblées et très tôt, on acquiert la culture du savoir parler pendant que d’autres dorment sous les lauriers en évitant de s’associer à des groupes d’échanges enrichissants.

Les djemaâ, une école d’apprentissage de la parole
Tout le monde est supposé connaître la djemaâ comme espace de rencontre et d’expression dans la tradition. C’est aussi un lieu de réunion dans les agglomérations qui n’ont pas d’autres lieux où se regrouper pour régler des litiges entre familles et l’ensemble des problèmes concernant tous les habitants. Le mot djemaâ désigne aussi l’assemblée des responsables élus à l’initiative des habitants pour régler des problèmes intéressant la communauté. On les choisit parmi les plus sages pour leur savoir et leur savoir-faire. On s’initie aux côtés des chevronnés à l’art de la conversation. En leur présence, on apprend l’art d’argumenter pour convaincre. Dans la djemaâ on apprend aussi à connaître ce qu’on appelle la diversité des individus et on découvre le vrai visage de la société faite de différences. Parmi eux, il y a ceux qui pensent pouvoir s’imposer par la force de la voix, d’autres plus malins agissent insidieusement pour avoir le dessus et ils finissent par être démasqués. Heureusement qu’il existe des personnes sincères qui, à force d’argumentation arrivent à surmonter les embûches dressées par les individus mal intentionnés. Un vieil homme ayant une longue expérience des djemaâ nous a assuré qu’il y a une grande différence de connaissances, d’expérience et de comportement entre celui qui fréquente les djemaâ et celui qui ne les fréquente pas. La djemaâ est une école d’ouverture sur le monde dans toute sa variété et une école d’apprentissage de la langue ainsi que du code social. On y apprend d’abord toutes les formules rituelles de politesse pour prendre la parole et pour mettre fin à son intervention. On y améliore son niveau de vocabulaire général et celui de la courtoisie au jour le jour, à condition d’être assidu.
Boumedien Abed