Ou l’art d’un point de vue sociologique

Le comique et l’ironie

Les deux genres sont le propre de l’homme en société. Ce qui explique leur prédominance, depuis la nuit des temps, comme procédés littéraires et traits de caractère dans la diversité sociale.

On apprend à être comique ou ironique, quand on ne l’est pas à la naissance. Il y a des écoles, comme celle des arts dramatiques, qui apprennent à devenir comédien ou maître de l’ironie. D’autres au contraire ont réussi à jouer merveilleusement bien dans les deux genres sans avoir eu à suivre des études. Ils sont d’excellents acteurs de théâtre ou de cinéma, à l’exemple de Fellag, l’inspecteur Tahar, Hilmi et beaucoup d’autres qui ont produit des spectacles inoubliables.

On est comédien ou comique de naissance, sinon on le devient à la faveur d’une formation
Le comique ou le comédien procure du plaisir ou de la détente pour un public de spectateurs ou des partenaires sociaux. Les spectateurs viennent voir le comédien pour rire, se détendre. Ce qui a fait dire à Boileau : «Le comique ennemi des soupirs et des pleurs». Le comique ou le comédien est quelqu’un dont le rôle est déterminant dans la société, il apporte aux autres, stressés ou tendus, de quoi se détendre, rire, reprendre espoir, rendre optimiste, remettre en forme. Le comique est ainsi une thérapie. Il arrive que l’on n’ait pas besoin d’aller à la recherche du comique, il peut venir fortuitement à vous. Cela se passe dans les espaces de rencontre ou d’expression, la rue, une salle d’attente pouvant offrir des occasions qui prêtent à de grands éclats de rire. On a tendance à rire beaucoup lorsqu’on est face à un accoutrement bizarre, aux discours d’un pitre, à une chute malencontreuse.
Une fois, c’était un tarbouche rouge comme la chéchia tunisienne qui était tombé de la tête d’un notable de village et qui avait roulé à terre sur un chemin en pente raide ; l’homme qui la portait s’était trop penché pour se congratuler avec un vieillard plus petit que lui de taille, provoquant ainsi un tollé général sur une place publique se trouvant en contrebas du chemin et pleine de monde qui s’était bien défoulé ce jour-là. Dans le domaine littéraire, particulièrement chez les dramaturges spécialisés dans l’élaboration de comédies destinées à faire rire, les connaisseurs parlent de comique haut et de comique bas, le comique grossier et le comique de finesse. Ces formes existent chez Molière.
«Les Fourberies de Scapin» donne à voir un personnage dupé au point de se laisser enfermé dans un sac. Cette scène relève du comique grossier, comme les coups de bâton ou les grimaces. Par comique fin, il faut comprendre non pas une qualité supérieure du comique grossier, mais de formes littéraires différentes. Le comique fin est un comique entièrement littéraire, alors que le comique grossier fait appel à des traits extra-littéraires comme les gestes grossiers ou les grimaces, ce qui rappelle ceux de Louis de Funès.

Dans l’ancien temps, il y avait beaucoup plus de genres littéraires conçus pour faire rire comme les fabliaux, la farce. Nous avons pensé aux comédies et farces de Rabelais qui s’inspirait beaucoup du patrimoine populaire pour construire des histoires qui font beaucoup rire. Rabelais a produit une œuvre monumentale et incomparable. On y trouve une histoire comique très succulente. Il s’agit d’un métayer qui venait de payer au propriétaire de la terre qu’il travaillait, le loyer annuel. Comme avec tous les métayers et conformément à une vieille tradition, le maître des lieux a d’abord offert un repas copieux à celui qui était venu apporter un dû. Le paiement devait se faire après le repas.
Aussi, le métayer, sitôt qu’il avait bien mangé, compte sur la table la somme à remettre. Bien, lui répondit le propriétaire, mais il reste à me donner quelque chose d’autre plus important que l’argent : la moitié d’un pet. Le métayer lui péta, mais trop fort lui dit son créancier, c’est à refaire car je t’ai demandé la moitié de ce pet. Il lui péta encore, mais c’est trop faible et ça ne vaut pas la moitié demandée. «Il se fait tard maintenant, tu peux partir chez toi», dit le patron au locataire malheureux. «N’oublie pas de revenir demain pour payer ce reste important», lui ajoute-t-il.
Ce qu’il fit le lendemain mais accompagné de sa femme qui était venue proposer au propriétaire de remplacer son mari en lui promettant de lui faire avoir ce qu’il attendait. Après avoir bien mangé, la dame demanda un couteau qu’elle plaça entre ses deux fesses. Elle péta normalement et dit au patron : «Prends une moitié». «Bien, lui répondit le drôle de créancier, vous pouvez repartir, vous vous êtes acquittés de la dette». Et que de similitudes avec l’ironie ! La principale des similitudes est le comique que l’on cherche au détriment des autres. Dans le comique, on cherche à faire rire aux dépens de ceux dont on veut se moquer.

Les dramaturges ayant la vocation de composer des comédies, exploitent toutes les situations sociales qui suscitent de grands rires. Ils savent que le public a un besoin naturel de rire et tous ceux qui, par don de comédien ou de comique, font tout pour le faire rire. On n’a qu’à se rappeler les scènes de l’Avare ou du Misanthrope de Molière. Il faut citer aussi les sketches de Hilmi, de cheikh Noureddine, ou les films de Hassan El Hassani, de l’Apprenti, d’Aliouet, et d’autres bien plus nombreux qui auraient pu écrire d’excellentes pièces théâtrales s’ils avaient fait des études. Et à la différence de la comédie, l’ironie a pour but de ridiculiser quelqu’un ou un groupe sinon des décideurs en leur faisant croire que ce qu’ils font est digne d’admiration. En fait, l’ironie consiste à dire le contraire de ce qu’on pense.
On fait croire à autrui moyennant une bonne argumentation qu’il est le modèle même de la beauté, de l’éloquence, du courage, de la beauté physique, alors qu’on pense exactement le contraire de lui. Les flatteurs usent beaucoup de l’ironie pour tromper afin d’obtenir ce qu’ils désirent des autres. Les écrivains à la belle plume, font des œuvres magnifiques en recourant à la ce procédé littéraire. Le livre qui nous revient à l’esprit est l’Esprit des loi de Montesquieu qui, pour échapper à la censure, dit exactement le contraire de ce qu’il pense sur le système d’exploitation des rois d’Europe de son temps, en parlant de l’esclavage moyennant une argumentation à caractère politique, économique, racial, religieux.
Il a osé affirmer que les rois ont raison de mettre en esclavage les nègres parce qu’ils ne sont pas des humains, que les rois ont aussi raison de les déraciner pour les envoyer comme des outils de travail gratuits en Amérique nouvellement découverte. Même Dieu ne les a pas créés comme les Blancs ; ils n’ont pas d’âme et une peau blanche. Le sucre aurait coûté plus cher si on n’avait pas mis en esclavage ces Africains. Donc les rois ont raison de signer des accords sur le développement de cette exploitation pour le bien de l’Europe. Quand on lit on a l’impression que Montesquieu était pour l’esclavage, alors qu’il parlait par ironie.
Abed Boumediene