Ne m’en voulez pas, le rêve est gratuit

Culture

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

Quant à la structure de la pièce, elle est toute simple. Elle se divise en trois actes. Le premier, traite de la période venant de la profonde Histoire, depuis les valeureux Berbères, jusqu’au recouvrement de notre souveraineté nationale. Là, j’énumère toutes les étapes, je les mets en exergue et j’explique aux jeunes les vicissitudes de notre pays qui a été longtemps soumis aux nombreuses invasions ainsi que la lutte implacable de notre peuple vaillant qui, de tout temps, a toujours refusé l’hégémonie des envahisseurs et des colonisateurs. Dans cet acte, il est fait mention, clairement, de la culture des ancêtres, de leurs valeurs, de leurs constantes. Ainsi, je confirme, à travers le texte – un responsable, l’ayant dit avant moi – que le combat, pour la liberté et la dignité d’un peuple, est aussi une forme de culture. Le deuxième, prend en charge cette période allant de l’indépendance nationale jusqu’au fameux « Octobre 1988 », et même au-delà, c’est-à-dire pendant et après cette difficile étape de l’apprentissage de la démocratie, de l’instauration du pluralisme « d’apparat », malheureusement, sans réelle profondeur sociale. Car à partir de ce fameux Octobre, commence, tout simplement, une nouvelle ère à partir de laquelle notre pays est rentré dans une phase de déliquescence et de décadence après la perte de contrôle sur les institutions et les hommes, ainsi que dans une spirale de souffrance sous les atrocités du terrorisme.
Cette période est une succession de faits et d’événements, comme je l’explique longuement. Elle présente plusieurs étapes, différentes les unes des autres. De l’indépendance au coup d’État militaire, de la période Boumediène jusqu’à sa mort, de celle de Chadli jusqu’à Octobre et la « démission ? » de ce dernier, un Président élu…, enfin, de cette autre période, pénible, où se sont succédés, à un rythme effréné, et les chefs d’État, et les Gouvernements, et où se sont accumulés tous les graves problèmes dans un pays qui ne pouvait plus supporter leur poids, leur dangerosité et leur diversité. Dans ce deuxième acte, qui ne ressemble aucunement au premier sur le plan du style, j’invite le lecteur à prendre conscience de la pénible situation du pays, dans l’insécurité totale, la frustration sociale et le dénuement économique auxquels nous sommes arrivés. En somme, un plaidoyer au profit de la société contre le profond délabrement dans lequel on lit la négation du droit, la démobilisation générale, et où l’on récolte la culture de l’émeute et de la violence, parce que l’on a semé les graines de la désespérance. Je raconte également la réalité de la rue…, cette rue qui est un vaste théâtre et qui appartient aux voleurs, aux corrompus, aux mafieux, comme elle appartient aux chômeurs, aux désœuvrés, aux « laissés-pour-compte » qui sont prêts à tout, parce qu’ils n’ont rien à perdre, où à des marginaux, qui ont été fabriqués consciemment ou inconsciemment, pour jouer et gagner en faisant entendre leurs voix et leurs revendications par la manière la plus radicale, voire la plus violente. Enfin, je termine cet acte par un constat, pas tellement brillant; et la réalité est là pour m’interpeller si je me trompe ou si je fais dans l’exagération.
Le troisième acte, par contre, est plus optimiste sur le plan de l’ambition et des aspirations pour l’avenir, non sans être, lui aussi, plus direct et par trop percutant sur plusieurs tableaux. Ainsi, le veut l’architecture de cette pièce de théâtre, que j’appelle constamment le rêve. Pourquoi plus optimiste ? Parce qu’il concerne les jeunes, tout simplement…, ces jeunes qui incarnent l’avenir et qui, eux-mêmes, sont l’espoir de notre pays. Au large les bouseux, les ploucs, les corrompus, les pourris, les tarés, et les maquignons, au sens péjoratif, évidemment et toujours ! Le lecteur remarquera qu’il s’opère une prise de conscience à la fin du rêve ou de la pièce. Et là, le dernier intervenant, parmi le groupe de jeunes, se démarque de l’assistance et, dans un splendide aparté, procède à un fougueux réquisitoire contre les forces du mal et trace un programme de mobilisation, à la mesure des aspirations de la jeunesse. Se démarque-t-il de l’assistance parce qu’il était dans ce groupe qui demandait constamment des explications et qui n’arrivait pas à comprendre pourquoi un si beau pays, qui a enfanté des héros, vaincu tous les envahisseurs et les colonialismes et créé sa propre culture, n’a pu retrouver la paix et la prospérité, malgré ses moyens remarquables et ses riches potentialités ? Oui, la réponse peut être dans la question même.
En tout cas, à travers ce jeune, c’est l’avenir qui s’exprime, c’est l’espoir qui pénètre les cœurs de ces enfants innocents qui assureront la relève. Ainsi est le message de ce rêve ou de cette modeste pièce de théâtre…, appelez-la, comme vous voulez… Je ne terminerai pas ce préambule, sans remercier vivement de grands, que dis-je d’éminents journalistes, la plupart des amis, à qui j’emprunte de larges extraits que j’ai pris des « Quotidiens », où ils collaborent, et que j’insère, en bonne place, dans cet écrit. Leur contribution, en fait leur inestimable concours, avant même de les avoir consultés – je m’en excuse très fraternellement –, m’a été d’un grand apport. Je n’ai pas besoin de les nommer, ils sont nombreux, et ils se reconnaîtront d’eux-mêmes, à travers leur style, leurs belles tournures, les magnifiques idées, les précieuses informations, qu’ils concèdent aux lecteurs et les plus chatoyantes et courageuses analyses par lesquelles ils démontrent continuellement, en dépit quelquefois des intimations dont ils font l’objet, leur attachement à la vérité, à la justice. Je remercie également quelques organismes publics, auxquels j’ai emprunté aussi des informations, en relation directe avec la jeunesse. Enfin, pour mes amis les journalistes – je reviens à eux –, ceux qui se battent au quotidien, pour une Algérie plurielle et belle, je leur dis, parce que je suis convaincu : vous faites merveille ! Toute ma gratitude pour votre participation concrète et surtout gratuite. Merci.

Ne m’en voulez pas, le rêve est gratuit
Le rêve est gratuit. En effet, il est gratuit sauf pour les psychanalystes et les psychiatres, parce qu’ils en vivent. Naturellement, les gens rêvent beaucoup. Ils rêvent différemment. Il y a ceux qui rêvent, tout en étant éveillés. Il y a ceux qui rêvent, pendant leur sommeil. Il y a les autres, ceux qui n’ont aucun problème avec ces spécialistes du psychique, mais qui rêvent, qui rêvent constamment… Ceux-là sont enviés par ceux dont le subconscient est avare et ne leur donnent même pas ce plaisir de laisser flâner leur imagination. Ceux-là, rêvent chaque fois qu’ils ferment les yeux…, ils rêvent à satiété. Il ne leur reste en fait que ce « privilège », gracieux et indifférent. Il ne nous reste tous que ce privilège…, heureusement pour nous qui sommes agressés de partout, dans cet environnement hostile où il nous est difficile de retrouver nos repères et d’imaginer un plus pour notre futur, à cause de tant de contradictions et de mésententes qui nous bousculent. Heureusement que nous avons cette chance de pouvoir nous extérioriser, en fait de pouvoir nous débarrasser du surplus de pression qui nous assaille et nous charge de mille et une avanies. Bien sûr, tout individu peut se permettre ce luxe de laisser son esprit vagabonder au gré de son imagination. Ainsi, il peut s’abandonner à ses lubies et se construire un empire qu’il ne peut espérer dans la réalité quotidienne, une réalité faite de pesanteur, de gravité quelquefois, mais souvent de difficulté et de besoin.
Mais à part le rêve qui est gratuit, que nous reste-t-il qui ne soit pas payant ? Tout est marchandé au prix très fort, le plus souvent au détriment de l’éthique, de la morale et de la dignité. Plus encore, toute autre matière, y compris l’air que nous respirons et l’environnement dans lequel nous évoluons, sont soigneusement consignés dans les tablettes de ceux qui nous régentent pour nous être présentés comme étant des faveurs qui nous sont octroyées par condescendance. C’est dire que le rêve, qui est un exutoire indispensable pour notre équilibre et qui, généralement, prend la forme de l’illusion, reste un des expédients que nous pouvons avoir à bon marché, plutôt naturellement, pour se révéler, ou mieux encore pour voyager loin, très loin, dans le monde des chimères où tout est peint de couleurs vives et vêtu d’élégance et de splendeur. Nous finissons alors par nous créer un espace où se côtoient les leurres et les apparences. En réalité, c’est un espace qui est serti d’aspirations souvent démesurées, parce qu’on ne peut arrêter le vol furibond de notre esprit qui, lassé par tant d’échecs et de déceptions, décide de nous mettre plein la vue en nous abandonnant à nos plaisirs et à nos fantaisies…, bref, en nous confiant à notre imagination fertile et généreuse.
Le rêve devient donc ce miroir qui réfléchit, sagement ou brutalement, ce dont le subconscient a enregistré positivement ou négativement, et ce dont il a eu envie de réaliser, mais qu’il n’a pu accomplir, faute de moyen ou de témérité. Une échappatoire et une soupape de décompression, en quelque sorte, mieux encore, un moyen de relaxation et de décontraction, diraient d’aucuns qui ahanent le jour pour rendre leur vie à peu près meilleure et en faire une occasion de rendement sain et de bon profit. Ainsi, il fut un temps, nos rêves étaient lénifiants du fait que nous vivions des moments paisibles et tranquilles, sans trop de peines et d’abattements, malgré le poids des charges quotidiennes que nous supportions avec calme et résignation. Qui parmi nous n’a pas vécu des moments agréables dans ses rêves ? Qui parmi nous n’a pas atteint le comble du plaisir et de l’allégresse ? Qui parmi nous n’a pas fait ces voyages dans le monde fabuleux de l’inconnu où se côtoient le bonheur et le bien-être à tant d’autres agréments ? Quant à moi, j’ai vécu des rêves d’une autre facture, franchement, et je sentais ces moments de repos et de sérénité m’entraîner vers plus de contribution et d’efficacité dans tout ce que j’entreprenais.
Je les ai vécus à l’image de tous les jeunes de ma génération qui implorent le Seigneur pour ne pas avoir à connaître ces sentiments de dégoûts et de rancœur, ces sentiments que nous éprouvons maintenant, dans ce règne de l’incompétence, de l’interdit et de l’irrationnel. Je vivais alors des moments pleins de bonheur, et je remplissais ma tête de tant de bonnes et agréables images qui m’étaient réfléchies, le soir quand, dans les bras d’Orphée, je visionnais le film de mes journées. En ce temps, mon subconscient n’était pas avare, il me renvoyait tout, absolument tout, avec une extraordinaire fidélité, notamment les précieux moments où nous travaillions d’arrache-pied pour connaître des satisfactions, ces moments où nous célébrions nos mérites, où nous opposions nos points de vue respectifs en des confrontations dures mais qui s’efforçaient toujours d’être respectueuses et sincères, enfin ces moments où nous solutionnions nos problèmes avec la sagesse, l’intelligence et la lucidité qui nous étaient connues. A mon tour de ne pas l’être. C’est-à-dire de ne pas être avare en gardant mes rêves, pour moi, seulement. En effet, je rêvais de belles choses. En tout cas de choses dont rêvaient tous les jeunes de mon âge qui vivaient dans la quiétude, le bien-être et la retenue. Je rêvais de voyages, de longs voyages à travers les plus belles contrées du monde. Cela expliquait, à l’évidence, cet esprit de liberté qui nous poussait à aller toujours plus loin pour chercher plus de savoir et, par delà, nous enrichir et nous permettre d’apporter quelques recettes à nos encombres. Je m’attardais, pendant ces voyages, à contempler les beaux restes de nos ancêtres, ceux qui possédaient l’esprit et la sensibilité.
Je me délectais en visitant les somptueux palais qui, encore debout, témoignent de toute la magnificence, la générosité et la richesse de cette culture arabo-islamique qui a marqué son temps et nous a placé à ce rang majestueux de l’époque. Là, se libérait mon imagination et je commençais à décrire ces décors infiniment beaux, infiniment célestes, avec un talent de poète, dans un style élégant et plein de charme. Oui, j’ai visité des palais, j’ai déambulé à travers leurs innombrables et interminables galeries, j’ai apprécié la splendeur de leurs luxuriants jardins et, quand fatigué après avoir longtemps flâné dans ces arpents de paradis, je m’asseyais dans un coin de leurs moucharabiehs ou de leurs mezzanines, joliment décorées, pour goûter un peu de repos. De là, je savourais les senteurs des parterres fleuris et plus particulièrement celles persistantes du jasmin que je respirais à pleins poumons. Je suivais aussi, avec un certain envoûtement le gazouillis qui me venait d’en bas, qui se mêlait au chant des oiseaux et ajoutait du charme à cette mélodie captivante que produisait l’eau qui jaillissait, claire et limpide, et retombait en dessinant des formes fascinantes dans ces patios faits d’onyx et d’albâtre du Maghreb. En fait, je voyais des choses extraordinaires dans mes rêves. De même que j’ai eu le plaisir de connaître et de scruter les plus beaux paysages du monde. Oui, les plus beaux, sans conteste.
Les énumérer maintenant pourrait être fastidieux pour vous qui me lisez et trop difficile pour moi, car j’en oublierai certainement plus d’un, peut-être même les plus attrayants qui m’ont fait vibrer de plaisir et comblé de joie. En effet, il serait pénible d’en oublier quelques uns. Mais restons dans le rêve et contentons-nous de penser, à haute voix. N’est-il pas comme l’imagination, cette fantaisie « qui vous peint de verts coteaux, tous rayonnants du bruit des forêts et des eaux, où s’éteint un beau soir sur les chaumières blondes », comme disait le poète ? Oui, j’ai vu dans mes rêves tout cela. J’étais alors affable, heureux, épanoui, souriant, enjoué, radieux par la joie et le bonheur qui m’envahissaient. Je donnais libre cours à mes sentiments, à mes pulsions. Je les exprimais avec plaisir, avec honneur, avec fierté et admiration. Je disais que je ne suis pas avare, comme certains, peut-être même comme plusieurs. De cela, vous devez être convaincus. Ainsi, je vais essayer de faire ressurgir des abîmes de mes souvenirs un de mes meilleurs rêves pour vous le conter, peut-être qu’il pourrait vous rappeler une certaine période de notre Histoire ou, à tout le moins, vous donner quelques repères devant vous servir pour faire des comparaisons et vous arrêter sur une opinion que vous partagerez avec moi, certainement, pour sa logique et son utilité. J’ai rêvé une fois, par une belle nuit d’été, que j’étais le héros d’une glorieuse épopée.
Franchement, je ne m’imaginais jamais être parmi ces grands et je ne me suis jamais préparé à cette mission. Ne riez surtout pas, et ne vous moquez pas de moi, je vous prie. Vous devez reconnaître ma simplicité et mon humilité lorsque je vous raconte mon rêve. Et puis, tant pis, même si vous riez ou vous vous moquez de moi, je ne dis rien parce que ce n’est qu’un rêve, et le rêve est gratuit. Ainsi, je fus le prince d’un important pays, dans ce rêve qui n’a duré qu’une partie de la nuit, ou quelques minutes seulement, parce que les rêves ne durent pas longtemps, même si nous avons l’impression qu’ils restent une éternité. Je disais donc, que j’étais le commandeur des croyants, et je dirigeais mon pays avec la clairvoyance et la sagacité qui m’étaient connues. Ne m’en veuillez pas si je vous raconte mon rêve avec cette simplicité et cette candeur, et de plus, je pense qu’il n’y a pas de quoi se formaliser car les aspirations démesurées n’ont jamais étouffé personne. D’ailleurs, je ne fais que répéter ce que j’ai vécu dans l’irréel. Et puis encore, n’est-il pas permis à un ministre ou, tout simplement, à un simple citoyen, à un vendeur de merguez, par exemple, d’espérer arriver à cette haute responsabilité de grand dignitaire du pays ? N’a-t-on pas vu, dans nos contrées, et dans la réalité surtout, des «moins que rien» ou des malingres, stupides et idiots, s’installer sur ces trônes ? Je reviens donc à mon rêve. Ainsi, je dirigeais toutes les affaires d’État avec célérité et justice. J’étais au fait de toute l’actualité.
Les affaires marchaient très bien. Le pays ne souffrait d’aucun manque. Le peuple vivait l’aisance et l’opulence. L’équité, la droiture, la justice et la confiance régnaient partout. Rien ne venait troubler cette agréable ambiance, tellement souhaitée ailleurs, dans d’autres régions où les souverains s’érigeaient quelquefois et, n’ayant pas peur, pour dire souvent, en dominateurs oppresseurs et en despotes tyranniques. J’étais celui qui comprenait tout le monde. N’étais-je pas le guide de la Révolution, pardon de cette marche inexorable vers le progrès ? Des mots pompeux, qui allaient avec notre riche vocabulaire ! N’étais-je pas un guide aimable, cordial, affectueux, clément, compatissant et plein de sollicitude ? Je rencontrais mon peuple, je lui parlais, je débattais avec lui de tous les problèmes, dans la clarté et dans le style le plus simple, le style qu’il pouvait comprendre. J’accordais correctement le sujet et le complément d’objet direct, je conjuguais le passé et le présent conformément à la règle des terminaisons de peur que Sibaweih ne se retourne dans sa tombe. Je ne me comportais pas comme certains chefs qui ne faisaient pas attention à la grammaire et qui se bousculaient, par rapport aux fautes de syntaxe et de désinences, pour occuper la bonne place dans le Guinness des records. Je le comblais de belles phrases et de scintillantes tournures. Je lui parlais la langue qu’il sentait, et j’appliquais ce qui convenait à tous, dans la clarté et la droiture. Pas de disparité dans mon pays. Pas d’arbitraire.
Chacun avait la chance de travailler, de progresser, de réussir, de s’élever encore plus haut…et de vivre heureux, dans une atmosphère de compétition et d’émulation. Mon pays produisait beaucoup de belles choses. Nous ne manquions de rien. Des bras solides et des cerveaux purs et lumineux, fructifiaient ce que la nature nous réclamait constamment, avec insistance. Des zones de production et de vastes étendues verdoyantes nous donnaient tout ce que pouvait espérer le peuple qui redoublait d’effort en s’engageant encore davantage pour assurer et améliorer son avenir. Nos périmètres de production se situaient dans ces beaux endroits où les socles des charrues allaient profondément dans la terre, dans ces surfaces prospères qui retentissaient du bruit des machines et des chants des travailleurs. Ils se situaient là où la brise du matin faisait ondoyer les épis lourds de bonnes graines, là où les arbres embaumaient l’atmosphère de leurs fruits délicieux et là où les hauts-fourneaux pointaient leurs tours vers le ciel, en signe de repentance, pour avoir quelquefois agressé ce pur et clair environnement.
Tous mangeaient à leur faim. Tendre la main aux passants, comme nous le voyons aujourd’hui, chez nous, à l’heure de la mondialisation, est un spectacle que nous ne connaissions pas. Le vol ? C’est une expression que nous ne pouvions jamais prononcer, tellement elle nous rebutait. La corruption ? Nous ne l’avons jamais pratiquée, et donc, nous ne savions comment elle se dessinait. La loi ? Parlons-en. Elle s’appliquait à tout le monde, sans exception, sans dépassement et sans favoritisme. Je tenais à ce qu’elle ne soit pas bafouée car un peuple vivant dans l’injustice, est un peuple qui ne vit pas sa liberté. C’est un peuple qui demeure encore colonisé et subit l’oppression de ses responsables, leur iniquité, leur avanie et, plus dramatique encore, leur tyrannie. Notre Seigneur ne nous a-t-il pas recommandé d’être justes ? N’a-t-il pas insisté auprès des gouvernants, ces juges souverains pour qu’ils soient les plus corrects dans leur comportement et surtout dans leurs verdicts ? N’a-t-il pas placé les défaillants parmi ceux-là dans la catégorie des grands pécheurs ? Mostapha Lotfi El Manfalouti, un poète du siècle passé, n’a-t-il pas dit dans un vers remarquablement composé : « On ne peut jamais appeler un juge, un juge, s’il n’applique pas pour les autres ce qu’il applique pour lui-même ? ».
Dans mon pays, il n’y avait pas de peur. Et, d’ailleurs, il n’y avait pas de quoi avoir peur. Le calme, la tranquillité, la quiétude ainsi que l’honnêteté et la sincérité régnaient partout, chez les jeunes, chez les moins jeunes, chez les vieux, chez les responsables. La sécurité était le maître mot dans notre espace. Personne ne prenait le bien d’autrui et personne ne s’aventurait pour attaquer les autres dans le but de leur faire du mal. Au fait, le mal n’existait pas dans mon pays. C’est une autre expression que la nouvelle génération n’appréhendait pas. A la place régnaient la bonté, la générosité, la mansuétude et la solidarité. Tout le monde travaillait dans mon pays. Il n’y avait de place pour les fainéants et les traînards. Tous s’appliquaient à faire quelque chose et à contribuer à relever le niveau de production. Ainsi donc, le respect était partout. Le monde entier nous regardait avec engouement et avec une grande considération. Notre voix était entendue, nos discours suivis, nos positions saluées et honorées et nos passeports visés avec le sourire dans toutes les frontières. Notre document de voyage était le produit d’un pays qui gagnait et d’un peuple fier et noble qui symbolisait une révolution en marche, une révolution qui restait l’exemple d’un combat opiniâtre contre l’avilissement et l’asservissement, depuis la nuit des temps.
(A suivre)
par Kamel Bouchama