Ne m’en voulez pas, le rêve est gratuit

Culture

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

En effet, on a l’impression qu’on ne veut pas que notre monde soit éclairé sur tous les événements qui le concernent. Est-ce parce qu’au niveau des citoyens instruits « cela crée des exigences fortes et c’est aussi un gage qu’ils ne seront pas menés comme des moutons ? » Ou parce que lorsqu’on a affaire à « des citoyens analphabètes, c’est l’assurance d’une fausse stabilité et la menace permanente d’une résurgence des archaïsmes et des menées rétrogrades ? » Et donc, on se satisfait dans cette situation où le silence fait sa loi et ne permet à personne d’aller « profaner les sépultures » de nos héros pour exhumer des secrets ensevelis et gardés, avec eux, sous bonne veille. En tous les cas, c’est bien dans l’école que ces choses se passent, une école bien moins sensible aux effets du temps et qui persiste à vivre dans l’indifférence et l’abandon. Quelqu’un de plus agacé et tourmenté dirait, dans son langage des grands jours, un langage dénué de « tripotage », que notre école ne sert à rien.., pratiquement à rien. Elle ne sert qu’à former des analphabètes et des candidats potentiels au chômage. Un indicateur très fort de la régression, hélas non « féconde », mais de cette régression tout court, celle qui nous affaiblit, qui nous diminue et, malheureusement, qui nous humilie devant des mouvements qualitatifs entrepris par d’autres que nous, qui ont décidé de mener leur bateau vers des destinations sérieuses et rentables. Oui, finalement, on peut évoquer beaucoup de choses. On peut penser aux meilleures et aux pires. On peut aller au-delà de ce qu’on peut imaginer…, nous avons tous les droits. Ne sommes-nous pas dans un rêve ? Et le rêve ne nous permet-il pas de réfléchir tout haut, de dire courageusement ce que nous taisons dans notre état de veille, sans craindre d’être critiqué ou réprimandé ? Ainsi, préparez-vous à entendre des choses et des choses. Préparez-vous à entendre ce que vous n’entendrez jamais ailleurs, à cause de ceux qui ont troqué leur courage et leur dignité contre la peur et la mesquinerie. L’artiste lève les bras, comme s’il veut donner le signal à une longue intervention, ou tout simplement, il fait comme tous ses compères qui se donnent le ton pour lutter contre le trac qui est « l’ami » de tous les gens du spectacle. Il commence ainsi : – Nos ancêtres les Berbères, un peuple de combattants, d’une noble descendance, aimant la liberté et fiers d’appartenir à cette race ethniquement pure et acceptant difficilement le mélange, ont toujours lutté pour leur souveraineté et combattu pour leur indépendance…Nos ancêtres les Berbères, d’une forte personnalité, ont enseigné la vaillance et la résolution à tous ceux qui venaient avec l’intention de nous envahir. Et ce n’est pas les bourreaux de Rome et par la suite, ces redoutables vandales, venus du Nord, qui ont pu atténuer cette tendance de notre peuple et de notre jeunesse au permanent : leur refus du colonialisme. Nos ancêtres les Berbères, Mesdames et Messieurs… Un jeune alerte et semblant pressé, l’interrompt. Et, n’ayant pu retenir ses larmes pour le peu qu’il vient d’entendre, le supplie de continuer, de dire davantage sur ces ancêtres que la culture de l’amnésie a souvent vexés et relégués au rang de l’oubli. On sent son impatience. Il veut tout savoir, de suite, pour combler cet impardonnable déficit et rattraper le temps perdu… – Je vous en supplie, racontez-nous encore nos ancêtres, leurs constantes, leur culture, leur bravoure, leurs exploits ! Dites-nous que nous ne sommes pas dépourvus d’Histoire, que nos racines sont profondes dans cette terre de sacrifice et de dévouement. Dites-nous la vérité que nous n’avons sue auparavant et criez fort que nous avons de quoi être fiers… L’artiste reprend son souffle. Il comprend fort bien ce que veut le jeune et s’élance dans l’explication, en empruntant les méandres de l’Histoire, pareillement à cet instituteur qui conte, avec une extraordinaire connaissance de son métier, les chroniques du temps passé… – Oui vous avez de quoi être fiers, effectivement ! Nos ancêtres, qui n’étaient pas ce qu’ont voulu inculquer les colonialistes à nos jeunes écoliers, c’est-à-dire ces grands « Blonds », venus de la mer du nord où le froid sévit presque toute l’année, ou de je ne sais quel autre continent, à l’aridité prononcée, sont ces dignes Berbères qui ont érigé la noblesse au rang de la foi et de la ferveur. Nos ancêtres n’ont jamais été des sauvages, ils n’ont jamais été rébarbatifs et incultes et notre pays, notre vaste et beau pays, n’a jamais été une terre revêche, invivable et inhospitalière. Nos ancêtres n’étaient pas également ces hommes ombrageux, méfiants et farouches, comme les décrivaient certains tenants du colonialisme. Ils n’étaient pas ces barbares qui ne connaissaient que la violence. Cependant, nos ancêtres et parmi eux les chefs, des héros légendaires et emblématiques, ont été souvent malmenés par le temps et par les hommes qui n’ont pas su transmettre leur message et raconter leur courage, leur amour pour la liberté, leur profonde connaissance dans la gestion du pays, en fait qui n’ont pas su dire combien leur nationalisme était débordant. A travers ces héros et d’autres, non moins illustres, des constantes, dont le goût de l’indépendance et de l’unité, la volonté de protéger notre identité et l’avidité de justice sociale, ont rythmé notre Histoire. Un grand historien ne disait-il pas de l’un d’eux, le plus illustre, Massinissa : « Il fut, en un frappant raccourci, le plus grand entre les plus grands souverains de la Berbérie…Il étendit des États de la Mauritanie à la Cyrénaïque…Il propagea l’agriculture et développa la vie urbaine. Grecs et Romains reconnurent en lui un vrai monarque» ? Mais la convoitise des envahisseurs, de ceux-là mêmes qui sont devenus par la suite des colonisateurs, a été permanente, depuis l’avènement des temps, à l’égard de notre pays qui ne s’est jamais lassé de combattre et de proclamer son refus à toute invasion hégémonique. Ainsi, les envahisseurs n’ont pu entamer l’ardeur et la foi de notre jeunesse intelligente et habile à utiliser sa fougue et son courage dans cette immensité du territoire, comme une influence souvent décisive. Effectivement, quand bien même les nouveaux arrivants ont eu à exhiber leur force et leurs talents d’oppresseurs, ils n’ont pu entamer son ardeur et sa volonté d’aller jusqu’au bout de ses forces. C’est alors que Rome qui redoutait la formation d’un puissant État berbère, brisa la suprême ambition du Chef Massinissa. Les Romains pensaient avoir gagné la partie après avoir anéanti la puissance carthaginoise et celle des Berbères, en s’installant librement en territoire conquis sans la moindre inquiétude de la part des populations. Jugurtha, petit-fils de Massinissa, reprendra le flambeau et mènera la guerre qui prendra tous les aspects d’une lutte de résistance et de libération populaire. Longtemps après, ayant montré ses véritables capacités de guerrier et de grand chef, il fut emprisonné par traîtrise, enchaîné et transporté à Rome où il mourut étranglé au Tullianum, cette effroyable prison où l’on excellait dans la liquidation des grands et valeureux chefs. Après Massinissa et Jugurtha, vinrent d’autres « Aguellids » – on les appelait ainsi en expression berbère –, Takfarinas et Mazippa qui, pétris d’une audace singulière, menèrent notre pays, comme leurs aînés, vers de grands succès guerriers même s’ils furent contraints, eux aussi, à connaître malheureusement la défaite et, bien entendu, d’assister à la chute de l’Empire berbère, après une multitude d’expéditions hégémoniques et de visées expansionnistes, menées au pas de charge par des ennemis qui connaissaient fort bien l’intérêt qu’ils avaient à s’installer dans notre pays.
Mais malgré ces dures épreuves, nos ancêtres restèrent profondément berbères et amazighs, dans les sens nobles des deux termes. Imbus de leur personnalité et ne respectant que leurs traditions et leurs coutumes, ils parlaient leur langue : le lybique et le punique, même si Rome n’admettait aucune autre forme d’expression que le latin. Saint Augustin, ce berbère de Taghaste, une région bien de chez nous, dénonçait déjà cette forme d’oppression, en se soulevant contre le fait que l’État romain avait imposé aux peuples colonisés, non seulement son joug mais aussi sa langue. Mais cette force a-t-elle changé quelque chose dans notre pays malgré la domination romaine de presque quatre siècles ? Rien, absolument rien puisque, quand l’armature romaine craqua sous le poids des insurrections répétées, il est apparu au colonisateur «combien la romanisation était superficielle et que les Berbères, même romanisés, ne furent plus que des sujets qui aspirèrent à secouer la tutelle du maître». Tous reconnaissaient cette forte personnalité de nos ancêtres. Et ce n’est pas les bourreaux qui nous ont envahis, et qui n’ont eu des sentiments d’amertume et de regrets qu’une fois devant la chute de l’Empire romain, quand ils avaient compris que les grandes civilisations pouvaient connaître le même sort, qui n’allaient pas confesser leurs difficultés et leurs misères devant l’obstination de notre peuple. Ce peuple qui leur a montré sa ténacité et sa détermination face à toutes formes d’expressions oppressives et avilissantes. Même Genséric, le vandale, ce redoutable guerrier venu du Nord, n’a pu venir à bout de notre peuple, malgré les actes de sauvagerie et de barbarie qu’il a commis. Il fut relayé par son fils Hunéric, un autre féroce tyran, qui s’en est donné à cœur joie avec les gens de l’Église qui ont eu à souffrir de ces méthodes répressives et expéditives. Mais nos ancêtres les Berbères, entraînés dans la tourmente de la résistance, n’ont jamais abdiqué devant ces « potentats repus et infâmes », de même qu’ils n’ont jamais accepté l’autorité sur les tribus qui n’était pas la leur. Le prolétariat berbère de Numidie, affirmait un historien, finit par se trouver organisé en grandes tribus sédentaires sous des Princes puissants qui furent, au siècle suivant, de rudes adversaires pour les généraux de Byzance. Ces tribus ont mené la guerre aux Byzantins, une guerre où Berbères sédentaires et nomades se sont regroupés et unis, pour asséner des coups sérieux aux ennemis dans la plupart des contrées où ces derniers montraient des velléités belliqueuses. Il n’y a pas eu de passage à vide dans notre Histoire, il n’y a pas eu de répit. Chaque siècle a eu sa part d’événements et chaque époque ses hommes et leur panache. Comment après cela ne pas être fiers ? Notre peuple a été de tout temps « fier de ses qualités en guerre, de par son courage, son abnégation, son don de soi, sa solidarité, sa compassion, son intelligence devant l’ennemi, son inventivité dans le combat, sa générosité, sa tolérance et son attachement aux causes justes ». D’ailleurs, tout au long de ces périodes, toutes les expéditions d’armées et de légions, ainsi que toutes les décisions de dépossessions de terres au profit des envahisseurs se heurtèrent à de farouches résistances dirigées par de jeunes guerriers qui n’ont jamais admis ce qu’on appelle, aujourd’hui, par euphémisme colonial : la pacification du pays. Ainsi, en décrivant avec plus de détails et de précisions les différentes étapes de notre lutte, nous sauverons de l’oubli les vestiges encore debout qui témoignent de la grandeur et de la magnificence de ces hommes et expriment toute leur reconnaissance par des événements, à bien des égards, fortement marqués par l’affirmation d’un peuple qui voulait, depuis la profonde Berbérie, réaliser l’ébauche d’une nation libre de développer sa civilisation autonome. Dans leur idiome, les gens du nord parlaient injustement de « péril berbère ». Oui, ce péril berbère – nous en sommes fiers – s’amplifiait chaque fois qu’il y eut des visées expansionnistes à l’encontre de notre pays et, à chaque fois, de jeunes chefs, nous revenons à eux, portèrent l’offensive jusqu’à la victoire. Oui, notre Histoire, à travers les siècles, fut une perpétuelle riposte contre l’hégémonie étrangère. Un autre jeune, à l’allure fière, comme celle de ses ancêtres les Berbères, se lève brusquement de son siège et, en deux mots, simplement en deux mots, entraîne l’artiste vers d’autres arcanes de notre Histoire. Il ne va pas par des chemins sinueux, il va droit au but, sachant exactement ce qu’il veut entendre. Et, quoique seront les réponses, « je ne serai ni choqué, ni déçu», dit-il calmement à l’artiste. – Vous nous avez parlé d’hégémonie étrangère… Cela, nous l’avons compris car nous savons que notre pays a tout le temps fait l’objet de grandes convoitises. Mais les Arabes ? Comment les considérez-vous ? Sont-ils venus en conquérants dominateurs, sont-ils venus en pacificateurs, comme on nous le répète souvent lorsque nous voulons en savoir plus, sont-ils venus uniquement en porteurs de message divin et civilisateur ? Les jeunes doivent savoir tout cela, dans les détails. Car, aujourd’hui, à l’ombre d’un climat difficile, voire délétère, où la démocratie n’a pu se frayer un passage pour prendre possession de sa place et de ses droits, tout le monde s’ingénie à raconter sa version, en fonction de ce qui peut l’arranger. Et là, les extrémismes des uns et les obligeances des autres, doublées d’empressement de certains farfelus des deux camps, nous mènent droit vers des paradoxes que nous n’aurions jamais souhaités connaître. L’artiste esquisse un large sourire. Il comprend la profondeur et la force du jeune, il sait que son niveau est appréciable et qu’il ne doit pas s’aventurer dans des réponses simplistes, évasives, sinon démagogiques. Il doit aller droit au but. C’est là évidemment les aléas du « direct » ! Mais au fait, il n’y a aucun danger puisque nous sommes dans un rêve, et dans le rêve tout est permis…, tout est gratuit !.. Ainsi, calmement, il reprend la parole comme s’il ouvre un dossier aussi fondamental qu’important. Fondamental pour son exégèse et sa vulgarisation au niveau des jeunes et, important, pour convaincre ceux-là mêmes qui croient toujours, sans en démordre, à cette conquête belliqueuse de l’Islam et des Arabes. L’artiste est parfaitement au courant que certains en ont fait un point de fixation au niveau de cette question qui n’a pas eu toutes ses explications. Il sait qu’il y a eu ceux qui en ont fait un registre de commerce, en plastronnant dans leurs discours démagogiques, et on ne peut mieux inaudibles, ces liens organiques, voire génétiques, entre notre berbérité et le panarabisme qui, en fait est un mouvement politique qui vise à rassembler les pays qui ont un idiome commun, c’est-à-dire de langue et de culture arabes. Il sait qu’il y a d’autres, par contre, extrémistes à leur manière, qui vont jusqu’à dénier cette relation qui, elle, existe effectivement, entre notre berbérité et notre arabité, et maudire le jour où les Arabes – les envahisseurs – comme ils les appellent, ont «usurpé» notre pays. – Oui, les Arabes sont venus chez nous. Nous leur avons dit « bienvenue », calmement, pacifiquement, parce qu’ils étaient porteurs de salut. Ils n’ont pas ramené « dans leurs valises » la mort et la désolation, comme ceux qui les ont précédés, mais une culture qui poussait de tous côtés ses vigoureuses racines. Ils ont ramené des ingrédients pour façonner une société nouvelle. Ils ont ramené avec eux l’Islam, un acquis extraordinaire et une révolution perpétuelle. De là, cette nouvelle religion, a pénétré notre région, non sans petites réticences, bien sûr, mais en tout cas, plus rapidement et sans grand heurt que ne l’a fait le Christianisme. Cette réticence dont je fais allusion, ne signifie pas un refus systématique de l’Islam de la part de nos ancêtres, comme ils se sont farouchement opposés au colonialisme – il faut le préciser –, mais une affirmation d’amour-propre, d’autres disent d’égoïsme de chefs berbères qui ne voulaient abdiquer devant d’autres chefs arabes, indélicats, et non respectueux des traditions du pays. Je peux illustrer cette déclaration par l’exemple hélas saisissant du Commandant Okba Ibn Nafaï avec le Chef Koceïla. Nos populations berbères ont découvert en cette nouvelle religion monothéiste des réponses à leurs interrogations sur Dieu et la foi. L’Islam venait pour rectifier plusieurs situations et instaurer l’égalité et la liberté que nos populations rêvaient d’appliquer depuis des siècles dans notre pays « qui a été longtemps soumis à l’influence et parfois au destin de civilisations qui lui étaient extérieures ». Contrairement à l’église, la conquête musulmane n’était pas une invasion qui s’imposait par les armes. L’Islam n’a pas dépêché de monarques aux idées hégémoniques. Il s’est adressé aux puissantes tribus berbères de Sanhadja, Koutama, Masmouda, Nafoussa et Zenata par le biais de chefs pieux qui ont lancé des campagnes de conviction, dans un langage bienveillant et fraternel. C’est alors qu’au cours de la prédication, dans notre pays, nos populations « avaient franchi la cloison, étanche pourtant ailleurs, qui sépare l’Occident de l’Orient». Avec ce bel Islam, s’est constitué le grand Maghreb des États et des Royaumes avec des populations qui ont sauvegardé une indépendance franche parce que le pays est moins accessible que d’autres à cause de son relief fortement accidenté. À travers ce bref rappel, il faut dire à notre jeunesse que le premier État berbère de cette grande région musulmane s’est constitué du temps de ces Royaumes et de ses Dynasties qui ont marqué de leur sceau une civilisation importante au niveau du pays, une civilisation qui nous sert de référence et, ainsi, des esprits incertains ou sceptiques sur leur appartenance à cette culture arabo-islamique pourront trouver un minimum de réponses. Il faut dire à notre jeunesse, que se sont ces Berbères qui ont embrassé l’Islam très naturellement, et qui, malgré les difficultés qui ont souvent bouleversé leurs structures et leur règne, se sont distingués d’une façon particulière pour créer l’unité politique de l’ensemble de la région d’une manière effective et permettre ainsi à l’Islam d’être pratiqué dans son contexte de sérénité, loin des conflits spirituels que provoquaient d’autres idées, dont l’essence n’était autre que la course vers le pouvoir temporel. Le jeune n’en démord pas. Il pose encore d’autres questions, ingénument, dans un style on ne peut plus clair. – D’accord l’Islam et les Arabes ont été pratiquement notre salut, après les dures périodes que nous avons passées avec les Byzantins, mais pourquoi sommes-nous devenus des Arabes, aussi facilement, comme cela, par décret du pouvoir temporel, pour reprendre vos expressions ? Pourquoi n’avons-nous pas choisi notre « destination » simplement, librement ? Et, puisque nous sommes « obligatoirement » des Arabes, ne sommes-nous plus des Berbères, et ne devrions-nous plus revendiquer notre appartenance à nos ancêtres ? Enfin, pourquoi donc les Kabyles demeurent cette minorité, quelquefois refoulée et complexée, et autour de laquelle s’articulent certaines pressions, se conjuguent des politiques et se créent des inquiétudes ? Le printemps kabyle ? La révolte de la région des genets ? Ne sont-ils pas des mouvements que nous devons contenir avec le maximum de sagesse, en même temps que de fermeté et d’autorité, pour la quiétude de la région et l’unité du pays ? L’artiste sourit de plus belle…Là, il comprend que le jeune s’exprime fortement, mais surtout innocemment. Il comprend qu’il parle au nom de tous les jeunes qui ne comprennent rien aux « sarcasmes » des adultes. Il comprend surtout qu’il veut connaître amplement cette rivalité sournoise qui se répand sous notre barbe. Il faut donc aller au fond des choses et crever l’abcès, une fois pour toutes, se dit-il en son for intérieur. – Écoute mon petit, tu viens de soulever un problème très important et très profond. Ton propos est très pertinent. En fait, c’est toute la problématique de nos origines et de nos appartenances que tu remets sur le tapis. C’est bien de me donner l’occasion pour m’exprimer ouvertement sur un sujet brûlant, mais combien simple pour celui qui veut se donner la peine de le suivre afin de mieux le comprendre. Je n’ai aucune gêne à raconter ce problème latent qui, en fait, n’en est pas un. D’ailleurs ce sujet est ans le programme, il est dans ma pièce… – Je voudrais tout simplement revenir un peu en arrière et dire qu’on aurait pu ne pas en arriver là, avec nos « crises » et nos « revendications sournoises », avec nos inexplicables réfutations et nos mésententes persistantes qui s’éternisent de par le temps, au moment où le dialogue et surtout la persuasion ont perdu de leur valeur. Tout cela – nous le constatons, encore une fois –, est une conséquence de cette absence de démocratie qui nous jette forcément dans les bras d’un césarisme qui nous oblige à réfléchir dans le moule d’une « typologie » absolutiste, dominatrice, qui nous force à reconnaître d’autres aïeuls, chez les gens du Moyen-Orient qui, eux n’ont jamais, ou très peu, soulevé le problème d’ethnie les concernant, tant ils sont convaincus de leurs origines profondes dans l’Histoire. C’est pour cela que nous disons, à qui veut bien nous entendre que nous sommes bel et bien des Berbères amazighs ! Nous sommes bel et bien de noble descendance ! Nous sommes bel et bien ces « Baranes » et ces « Botr », deux principales branches des fils de « Maghdis », c’est-à-dire de la famille amazighe. Nous sommes bel et bien les descendants de ces « patriciens » qui « savaient accueillir les hôtes, frapper avec le sabre et brider les rois, comme on bride les chevaux ». Nous sommes bel et bien les descendants de ceux qui « ne tenaient compte de personne, si ce n’était de l’obéissance à Dieu…De ceux qui, quand venait l’heure du combat, combattaient pour la religion de Dieu, afin de la faire triompher ». Quand à cette histoire de Kabyles et de minorité, laisse-moi m’esclaffer ou, pourquoi pas, pleurer à chaudes larmes, à cause de notre ignorance et notre manque de discernement. Le colonialisme nous a mené en bateau. Il a bien fait son travail en nous divisant « astucieusement » quand il nous martelait que la Kabylie est beaucoup plus une « région » qui s’inscrit au registre ethnique qu’au registre géographique. En d’autres termes, il nous laissait entendre que les Berbères, les vrais, les purs, n’existent que dans cette région. Les autres régions du pays ont été envahies par les Arabes, lors de la « conquête islamique », qui se sont confortablement installés, après avoir spolié les terres qui, aujourd’hui, leur appartiennent, tout simplement. Non ! Non ! Mille fois non ! Ce n’est pas la vérité!
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)