Ne m’en voulez pas, le rêve est gratuit

Culture

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

Ainsi, nous avons cru en cet artifice colonialiste… du moins la majeure partie de ceux qui n’ont rien fait pour distinguer entre le vrai et le faux. Nous avons suivi ce raisonnement démoniaque qui nous a mené vers l’effritement de nos valeurs, vers la création de cet esprit régionaliste, de cet esprit malsain et pernicieux. Franchement, pourquoi parler de minorité dans un pays naturellement uni par l’identité ethnique, par l’Histoire, les traditions, la culture et les valeurs ancestrales de combat et de sacrifice ? Le problème chez nous n’est pas un problème de minorité ou de majorité. Notre problème se situe dans les esprits qui n’ont pas encore compris qu’il n’existe ni l’une ni l’autre. Il n’y a qu’un seul peuple dans notre pays, de l’Est à l’Ouest et du Nord au Sud, un peuple qui a ses origines profondes dans la Berbérie et qui, après avoir dignement embrassé l’Islam et consenti à apprendre sa langue, a trouvé les portes du progrès ouvertes devant lui et a construit la civilisation islamique et témoigné de sa grandeur. Les Arabes qui sont venus, lors de la campagne pour propager l’Islam, n’étaient qu’une poignée de Chefs qui n’avaient qu’une mission : celle de servir d’émissaires pour expliquer et faire admettre, par des moyens pacifiques, les bienfaits de la nouvelle religion.
Ainsi, les concernant, on ne peut même pas parler d’une entité qui est venue pour peupler notre région, comme font généralement les dominateurs. Ceux-là ne pouvaient pas, de par leur nombre, prétendre représenter une minorité – dans le sens que veulent inculquer les anciens colonisateurs, aux habitants de la Kabylie – par rapport aux autochtones, nos ancêtres les Berbères. Pourquoi donc ce complexe qui nous poursuit ? Allons-nous refaire l’Histoire pour l’adapter selon la conception des uns et des autres, pour satisfaire le désir de ces «uns» et de ces «autres» ? Il faut expliquer à nos jeunes que la Kabylie n’est qu’une région du pays, comme les autres régions berbères… le M’zab, par exemple, l’Oranie, les Aures et les Nememchas ou bled Chaouias, le Dahra, le Chenoua, El Hodna, les Zibans, le Souf, Bled Chaâmbas, bled Touaregs, le Hoggar, le Touat, et j’en passe… Ou comme les autres régions berbères, dans l’ensemble du Maghreb, le Rif et le Tafilalet au Maroc, Djerdjis, Djerba en Tunisie, Nafoussa en Lybie et d’autres régions célèbres en Mauritanie et au Sahara occidental. Il faut leur expliquer que la Kabylie ne peut s’approprier à elle seule cette exclusivité de la berbérité et de l’amazighité, même si elle demeure la plus attachée à la culture de nos ancêtres et qu’elle garde fidèlement, voire même jalousement, jusqu’à maintenant, les plus belles et les plus authentiques traditions de ce peuple, plusieurs fois millénaire.
Oui, la Kabylie ne doit signifier pour nous qu’une partie de notre géographie, une belle et valeureuse partie de notre territoire national, dont nous sommes fiers de la célébrer en toutes circonstances et principalement pour ses éblouissants sacrifices lors des différentes résistances contre les nombreuses invasions que notre pays a connues, depuis la nuit des temps. Elle doit être comprise ainsi… une partie intégrante de ce vaste terroir où vit une population trop attachée à sa culture, à ses us et à ses coutumes… pas plus. En somme – et de cela, tout le monde en est convaincu –, le territoire de la Berbérie, toute la Berbérie où l’aire des idiomes berbères, se situe entre l’Oasis de Siwa, en Egypte, et les Iles Canaries, en Océan atlantique. C’est dire l’importance de notre famille berbère et l’étendue de notre influence dans ce vaste pays des aïeuls ! Que veux-tu de plus, mon petit ? Que je te dise, que nous sommes absolument et… uniquement des Arabes et non des Berbères ? Je m’abuserai si je tenais un langage pareil, et de plus, peut-on aujourd’hui taire notre véritable origine pour plaire à je ne sais qui ? Il faut avoir ce courage pour préciser aux jeunes, et aux moins jeunes, que si notre arabité est strictement culturelle, – nous sommes fiers de cet héritage –, notre berbérité est essentiellement ethnique, spécifiquement ethnique ; et là aussi, nous assumons avec révérence la noblesse de notre origine et la constance de notre race.

C’est là l’important. C’est-à-dire, lorsqu’on s’exprime en clair, nous devons être convaincus que nous sommes tous des Berbères, et que nous devons être fiers de nos aïeux, comme le sont nos frères du Moyen-Orient qui n’oublient jamais les leurs, les Assyriens, les Araméens, les Chaldéens, les Sumériens, les Babyloniens, les Hittites ou les Pharaoniques et autres… Phéniciens, Nabatéens, Séleucides ou Ptolémaïques. Ainsi, notre arabité qui, encore une fois, est culturelle ne doit en aucun cas nous faire oublier nos origines, nos véritables origines. Et personne ne peut et ne doit les oublier. Nos grands érudits, ces hommes pieux, d’une trempe exceptionnelle, qui ont marqué leur temps, en relevant les défis et en travaillant efficacement au profit de la civilisation arabo-islamique, ont-ils oublié leurs origines berbères et amazighes ? Non ! Mon petit ! «Quand nos populations amazighes ont embrassé l’Islam et consentis à apprendre sa langue, elles ont trouvé les portes du progrès ouvertes devant elles. Elles se sont confrontées aux Arabes dans le domaine des sciences et de la culture, elles se sont alliées par les liens du mariage et enfin elles se sont partagées le pouvoir.
Ensemble, Berbères amazighs et Arabes ont construit la civilisation islamique, témoigné de sa grandeur et déployé son étendard au moyen d’une seule langue, la langue arabe». Peut-il y voir des doutes, mon petit, après ce que je viens de t’expliquer ? C’est d’ailleurs la conviction de Ben Badis, un Érudit de chez nous, un pur Berbère sanhadji qui disait les mêmes termes quand certains voulaient diviser, voire déchirer, notre peuple. La vérité est que ce problème de berbérité ne pouvait, hier, et ne peut être, aujourd’hui, un facteur de discordance entre nous, tant il est clair que tout a été réglé par l’Histoire, il y a quatorze siècles, quand les Amazighs, les authentiques enfants de ce pays, ont choisi leur camp, leur religion et leur culture, tout en sauvegardant leurs valeurs morales dont les plus importantes : la liberté et la dignité qui, du reste, sont parmi les fondements sur lesquels repose l’Islam. La vérité, mon petit, il ne faut pas l’occulter.
Ce problème qui nous a été soigneusement concocté par les tenants du colonialisme, je le répète, n’a pas trouvé véritablement son écho favorable au sein de notre peuple qui a toujours refusé de soutenir un tel «projet» destiné à le diviser. Ces colonialistes disaient, dans cet esprit de clivage, «les Berbères ou plutôt les Kabaïles, c’est ainsi que nous les désignerons désormais, forment sous le rapport ethnographique une race entièrement distincte de celle des Arabes… Leur langue particulière, divisée en autant de dialectes que de peuplades, la différence de leur physionomie, tout, jusqu’à l’étrangeté de leurs costumes et de leurs mœurs, concourt à en faire une race à part». Ainsi, des traditions orales très riches ont été victimes des politiques de division menées par le colonialisme. La réplique, mon petit, nous l’avons de cet autre Berbère, un grand historien du début du 11e siècle, Abou Zakariya El Ouargalani, qui soutenait fermement que nos ancêtres avaient de bonnes relations avec les Arabes, qu’ils ont bel et bien guerroyé pour la propagation de l’Islam sous les ordres de Amr Ibn El’Aç, compagnon du Prophète, et qu’ils étaient placés en tête dans son armée. Ils demeurèrent avec ce valeureux commandant jusqu’à la mort de Othman Ibn Affane, le troisième Calife.
De ce même historien, nous apprenons que Ali Ibn Abi Taleb disait : «O gens de la Mekke, ô gens de Médine, je vous recommande de bien vous conduire envers Dieu et envers les Berbères, car ils vous apporteront du Maghreb la religion de Dieu après que vous l’aurez laissé perdre. Ce sont eux qui ne tiendront compte de personne, si ce n’est de l’obéissance à Dieu». Revisitons encore l’Histoire, la nôtre, pour savoir ce que nous étions, quand ces questions ne se posaient même pas dans notre société qui n’avait jamais senti une quelconque différence en son sein. L’affirmation : est que nous ne pouvons qu’être fiers de notre apport considérable car nous avons participé réellement et assidûment à son écriture, dans cette partie du monde qui fut le théâtre de tant d’événements, à bien des égards, importants. Là, intervient un autre jeune, suivi d’un petit groupe d’amis, pour dire d’une même voix, ensemble, comme dans une chorale : – Vous avez parlé de guerres et d’invasions, vous avez raconté le courage de nos ancêtres les Berbères, mais ceux-là n’ont-ils pas laissé des traces dans le domaine de la culture ? N’ont-ils pas enfanté cette lignée d’érudits et d’hommes de sciences qui devaient perpétuer leurs noms et leur savoir et symboliser la vaillance d’un peuple aux nobles sentiments ? Cette intrusion presque inattendue vient comme pour interpeller l’artiste, lui rappeler cet oubli et lui confier cette autre tâche : celle d’aller dans les détails pour relater la face cachée de nos ancêtres, une face que d’aucuns ne connaissaient parce qu’elle n’a jamais été enseignée.

Une face, bien brillante, où nous lisons toute la majesté de notre peuple qui, malgré les vicissitudes du temps, – nous l’avons dit – a su marquer de son sceau une civilisation importante au niveau du Maghreb. Les autres jeunes s’excitent joyeusement dans le théâtre en entendant ces propos de leurs amis. Ils sont contents parce qu’ils allaient certainement se présenter avec la même requête, autour des mêmes questions. Ils ont cette envie de savoir encore davantage sur leurs aïeuls. Ils veulent savoir ce qu’ils étaient sur le plan de la culture, oui de la culture, une arme efficace et redoutable qui fait les grandes nations… Ne pouvons-nous pas, disent-ils, après avoir connu nos origines, prétendre à ce noble rang qui nous fait l’honneur d’appartenir à ces grandes nations ? Et l’artiste de naviguer, à travers un déluge de belles et lumineuses tournures, dans un domaine qu’il semble maîtriser plus que tout autre : – Je commencerai d’abord par dire que Massinissa a été le précurseur d’un édifice majestueux qu’il avait bâti avec un profond sentiment d’unité pour en faire un «Empire révélé apte à de grandes choses». Que veut dire cela ? Que veulent dire les grandes choses ? Tout simplement que cet Empire des Berbères était comme tous les autres Empires, importants bien sûr, ceux qui ont marqué de leurs empreintes l’Histoire de l’Humanité.
En d’autres termes, le nôtre était une grande région et une grande nation au niveau de cette partie du monde qui appréciait la profonde culture, qui gardait jalousement ses us et coutumes et qui savait accompagner les mutations d’alors et marcher de pair avec leur évolution pour améliorer les conditions de vie de ses populations. Dans notre Empire des Berbères, il y avait ceux qui, comme dans les autres civilisations de la Méditerranée, savaient également manier le verbe et la rhétorique. Juba II, ce roi berbère amazigh, le mari de Cléopâtre Séléné fille d’Antoine et de la grande Cléopâtre d’Égypte, n’a-t-il pas été un souverain d’une grande culture, un remarquable savant et un excellent philhellène ? N’a-t-il pas été, en plus de son expertise dans les affaires militaires, un urbaniste de talent ? N’a-t-il pas été ce roi qui a construit une importante université pour les sciences, les lettres et les arts qui devint un pôle de rayonnement pour tout l’Occident ? Et n’a-t-il pas institué une grande bibliothèque et n’a-t-il pas été le premier souverain qui eut l’honneur de mettre au point la géographie de cette grande région qui définit aujourd’hui le monde arabe? Plus tard, après la conquête de l’Islam, Tihert des Berbères connaît, sous le régime de l’Etat rostomide, «une vie culturelle prospère et accueille, en tant que capitale scientifique de l’école kharédjite, tous les adeptes de l’Empire qui fuyaient l’oppression».
Béjaïa des Hammadites, qui constituèrent le premier Etat berbère de l’Afrique musulmane, était un centre névralgique de civilisation. S’agissant de l’enseignement et de la culture générale, l’exemple de Tlemcen était «considéré comme un miracle permanent», selon un historien étranger. D’autres Berbères, les Fatimides de Koutama ont construit Le Caire et El Azhar qui demeure «l’un des fleurons qui témoigne de ce grand dynamisme culturel et religieux de cette période». Ainsi, l’Algérie, cœur battant du Maghreb, affrontait des préoccupations identiques à celles de ses voisins. Nos rapports avec eux étaient très étroits et il semblait, pour tous, notamment pour les voyageurs et ceux qui y venaient avec cette soif d’apprendre les sciences, que les frontières se confondaient à défaut de n’avoir jamais existé. Un même peuple, des traditions identiques, à quelques exceptions près, une culture ancestrale nourrie par les mêmes valeurs spirituelles et morales, disposant de nombreuses ramifications dans les trois pays et même au-delà, de la Cyrénaïque jusqu’au Fezzan, faisaient du Maghreb une même entité que des invasions étrangères et des divisions internes, pour le pouvoir temporel, allaient sérieusement ébranler.

Oui, elle a été ébranlée pour en faire une région fragilisée, soumise aux aléas des mutations politiques qui lui seront imposées, au fil du temps, par les différentes dynasties décadentes qui allaient se succéder. Les savants algériens se déplaçaient facilement de Béjaïa à Kairouan, à Marrakech, à El Mardj (Barqa en Tripolitaine), au Caire, à Damas et à Bagdad, comme s’ils allaient d’Alger à Tlemcen. Tous étaient mus par la nécessité de se rendre utile à la communauté et, par voie de conséquence, d’agir selon le précepte qui recommande de «prendre et donner» pour être fidèle aux enseignements de l’Islam, en constante relation et en parfaite harmonie avec les gens de sciences, dans leurs études et leurs découvertes. ! Continuons notre récit. Je dois vous dire ce qu’étaient les grands chefs berbères Abderrahmane Ibn Rustom, Bologhine Ibn Ziri Ibn Menad, Abdallah Ibn Yacine, Yùsuf Ibn Tachefine, El Mahdi Ibn Tùmert et autres Abdelmoumen Ibn Ali El Koumi et Yaghmoracen Ibn Ziane qui ont été mus par la nécessité de se rendre utile à la communauté et d’agir selon le précepte qui recommande de «prendre et donner» pour être fidèle aux enseignements de l’Islam. Ceux-là ont fait de la science la jumelle de la religion. D’autres, plus connus dans le monde entier, pour ce qu’ils ont laissé en matière de recherches et de découvertes, nous font savoir que nos savants ont toujours chéri l’idée de progrès et de richesse d’esprit. Faisons parler les étrangers. L’un dit : «Décadence ? Convenons d’abord que, pour une culture prétendument exsangue et mourante, celle-ci à l’Ouest du moins, se porte bien… Mais revenons au chevet de cette même moribonde : au XIVe siècle, elle enfante encore deux géants, Ibn Khaldùn, dont la réflexion sur l’Histoire relève du patrimoine universel, et Ibn Battùta, dont le journal de voyage retrace l’exil ininterrompu, étalé sur quelque trente ans et cent vingt mille kilomètres».
L’autre renchérit : «Que de dettes avons-nous envers la culture arabe… La science prit pour la première fois un caractère international dans les Universités islamiques du Moyen Age». Pour comprendre cette dernière assertion il faut demander à Béjaïa, combien d’étrangers avait-elle accueillis, séduits, instruits et combien ont-ils été élevés au rang de «docteur» avant de rejoindre leurs pays pour y enseigner les sciences apprises dans ce centre de rayonnement de la culture, cette ville cosmopolite de l’époque. De ce fait, la culture chez nos ancêtres, était bâtie sur un socle d’airain. C’est dire qu’ils lui réservaient une grande place et lui accordaient de l’importance, beaucoup d’importance. En effet, leur longue présence en péninsule ibérique, chez les Andalous, a fait d’eux d’éminents bâtisseurs et les plus grands tolérants de l’époque. N’ont-ils pas édifié les plus beaux châteaux dans de magnifiques cités, de somptueuses mosquées et de splendides cathédrales ? Cela, pour ce qui est de leurs réalisations dans le domaine architectural et urbanistique. Mais sur le plan de la tolérance, qui est une autre forme de culture, n’ont-ils pas choisi dans leurs gouvernements des ministres chrétiens et juifs au même titre que des ministres musulmans ? «Dans les villes où ils étaient les maîtres, disait un grand historien espagnol, ils acceptaient l’église du Chrétien et la synagogue du Juif». Oui, notre culture est ancestrale.
Elle est nourrie par les valeurs spirituelles et morales. Ainsi donc, plusieurs villes de notre pays étaient renommées à travers leur culture et se distinguaient par le nombre de leurs savants, de leurs écoles, de leurs bibliothèques et par leur importante vie économique. Ces villes qui devenaient des centres de rayonnement dans toute la région du Maghreb, s’imposaient comme pôles où foisonnaient les idées de progrès et où les recherches, dans les domaines de la jurisprudence, de la littérature, de la philosophie, des sciences humaines, de l’astronomie et de la médecine, alors en gestation en Europe, mobilisaient les doctes et les étudiants avec autant de volonté que de désir de bien faire. Oui, il faut le répéter notre culture est ancestrale. Cependant, ni les calamités, ni l’arbitraire, ni la violence que notre peuple a connus pendant et après ces siècles de fastes, n’ont atteint à aucun moment une telle ampleur le disputant aux grossières superstitions de l’Occident et à sa culture obscurantiste et en majeure partie cléricale. Mais les colonialistes ont la peau dure. Ils ont eu contre nous des réactions malveillantes, inspirées par leur «idéologie» toutes les fois que notre peuple a pris ses responsabilités afin de célébrer le présent et le passé de son pays et démontrer son attachement au combat et au patrimoine culturel national.

Cependant, il y a quelques âmes «charitables ?», parmi ces hordes d’envahisseurs qui ont été contraintes d’admettre, non sans amertume et sans honte, que la réalité concernant notre peuple et notre culture était tout autre. Les sinistres généraux de la colonisation n’écrivaient-ils pas dans leurs rapports que «les barbares que nous sommes venus civiliser sont plus en avance que nous sur le plan de la culture»? Bien avant la venue de ces colonisateurs, nos ancêtres s’étaient fait remarquer par des productions inédites dont en ont profité les peuples de la région. Ils avaient déployé une activité des plus intenses marquée par une production intellectuelle qui rivalisait avec les autres capitales et grands centres du Maghreb et du Moyen-Orient. Que ce soit à travers les sciences religieuses ou à travers la scolastique, la philosophie, l’histoire et la géographie, l’astronomie, l’astrologie et les mathématiques. «A la même époque, il était aisé d’y relever l’existence d’actions dynamiques et continues pour se délivrer de l’obscurantisme, tout en recourant à l’arbitrage de la raison et de la logique, de l’indépendance d’esprit, et en recourant également à la sagesse, à l’approfondissement de la réflexion sur les enseignements divins révélés et la transformation d’une société saine.
Ainsi, donc, la recherche du savoir utile et l’incitation à l’appliquer dans l’édification de cette société saine, a été l’une des caractéristiques de nos hommes de culture qui ont œuvré pour instaurer un climat favorable marqué de vertus morales et spirituelles». Du temps de nos ancêtres, la religion marchait de pair avec les sciences. Ainsi, «les Hammadites avaient un comportement exemplaire avec les hommes de sciences», répétait notre grand savant El Ghobrini, un digne berbère amazigh de la grande tribu des Aït Ghobri d’Azazga qui a été un fervent historien et un diplomate émérite, puisqu’il fut pendant longtemps Ambassadeur auprès du Sultan de Tunis Mohamed El Watheq Abi Obeïda. Déjà, au 12e siècle, Abdelmoumen El Koumi, un digne Berbère de la tribu des Koumia, et fondateur de la dynastie des Almohades, encourageait les hommes de science. Et c’était lui qui a décrété, sous peine de grandes sanctions pour les contrevenants, que l’enseignement est obligatoire pour les enfants en âge d’être scolarisés, y compris les jeunes filles. Il était également un fervent poète. Abou Bekr Ali Es-Sanhadji, plus connu sous le nom d’El Beydhaq était un grand historien. El Idrissi Es-Sebti se distinguait par ses synthèses après ses longs voyages à travers le Moyen-Orient et l’Europe.
Géographe et ethnologue émérite, sa renommée, à l’instar des autres savants en la matière, le fit admettre à la cour du roi normand qui gouvernait la Sicile. Il y eut un autre Berbère, peut-être le plus célèbre, Ibrahim Ibn El Kacem Abou Ishak, connu sous le nom d’Erraqiq, qui fut le secrétaire du palais de Bologhine Ibn Ziri Ibn Menad. Il fut auteur également de la source la plus célèbre de l’Histoire sanhadji, en 10 volumes. Ibn Khaldoun ne disait-il pas de lui : «Erraqiq a été l’historien de l’Ifriqya et des Etats qui se sont succédés à Kairouan. Il n’y eut après lui que des imitateurs» ? Il y a eu également dans ce contexte Yacoute avec son chef-d’œuvre (Le Dictionnaire des pays et des capitales), dans lequel il raconte que Grenade, à sa fondation, portait un nom berbère «Agharnate». C’est une thèse très plausible puisque «elle a été construite et fortifiée par Habous Es-Sanhadji, puis achevée par son fils Badis», confirmait Ibn Hadia El Korachi, homme de lettres et Premier ministre auprès des rois zianides de Tlemcen.
Des érudits, des savants et des grands maîtres, notre pays en a produit des quantités. Il nous est pratiquement impossible de les citer tous, tellement leur nombre est élogieux. Je me contenterai de clôturer cette liste attirante, et non moins apologique, par quelques uns dont les noms brillent encore de toute leur splendeur dans le ciel du progrès et de l’élévation. Abou Yahia Tamime Ibn El Mùiz Ibn Badis Ibn Mançur Es-Sanhadjia été l’un des sultans de la dynastie des Zirides. Il a combattu les Banù Hillal et ramené le calme dans le royaume. Il fut également contraint de combattre les incursions de Français et d’Italiens. Les vicissitudes du pouvoir et les travaux guerriers n’ont pas atténué ses dons de grand poète. Il nous laisse, lui aussi, une œuvre remarquable composée d’excellentes poésies qui ont été sélectionnées et groupées par Imad El Isphahani dans un livre intitulé : «Le journal du palais»
(A suivre) 
Par Kamel Bouchama (auteur)