Le rêve est gratuit

Ne m’en voulez pas,

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

Abou Abdallah Charaf Ed-Dine Mohamed Ibn Saïd Ibn Hamad Ibn Abdallah Es-Sanhadji, plus connu sous le nom d’El Boçaïri, était originaire de Dellys, dit-on, et a vécu à Qalât Beni Hamad. Il nous laisse un riche répertoire poétique dont ce fameux panégyrique de 162 vers, sur le Prophète Mohamed (QSSSL), intitulé «El Borda». Oui, qui ne connaît ce riche poème dans toute l’étendue du monde musulman ? Mais qui sait que le poète est un Berbère, bien de chez nous ? Ils ne sont pas tellement nombreux, ceux qui connaissent les origines de ce poète émérite, à commencer par nos compatriotes ! Abou Abdallah Mohamed Ibn Mohamed Ibn Daoud Ibn Adjeroum (en langue berbère Adjeroum veut dire le pauvre et le mystique). Il est originaire de la région de Lakhdaria, de la commune de Guerrouma, plus exactement. Il a été un grand savant en matière de grammaire surtout et en littérature. Le traité de grammaire, qui porte son nom, a été rédigé dit-on au pied de la Kaâba. Abou Abdallah Chems Ed-Dine Mohamed Ibn Mohamed Ibn Merzouq Et-Tilimçani El Adjissi, un enfant de la grande tribu berbère amazigh des Adjissa qui a donné d’illustres personnages à la culture et à la politique dans tout le Maghreb. Ibn Merzouq, tous l’appelaient ainsi, a été l’un des pôles de la jurisprudence malékite et un littéraire de renom, en plus de ses compétences dans les autres sciences. Il a écrit plus de 17 ouvrages concernant la théologie, les consultations juridiques, l’exégèse, le Hadith, l’Histoire, l’astrologie, la littérature et enfin, la poésie.
Abou El Hassen Yahia Ibn Abdel Mo’ti Ibn Abdenour Ez-Zouaoui, le poète et le grammairien, qui a laissé des œuvres remarquables, n’a-t-il pas subjugué par son intelligence et ses riches connaissances Le Caire et Damas où il a longtemps vécu et enseigné ? Abou Errouh Aïssa El Melkaoui Ezzouaoui, ne fut-il pas maître de la «Fetwa» à El Azhar, ensuite grand Cadi de Naplouse et de Damas ? Ces postes de responsabilité, pour ceux qui veulent connaître leur majesté, ne se donnaient qu’aux grandes éminences de leur temps. Abou Errouh passait pour être un excellent maître dans le métier de la jurisprudence, dans tout le Moyen-Orient. Abou Ishaq Ibrahim Ibn Abi El Feth Ibn Abdallah El Houari, plus connu sous le nom d’Ibn Khefadja El Andaloussi, le plus grand poète de tous les temps, le créateur des «Mouachahate» et dont les meilleures complaintes sont chantées, aujourd’hui, par les plus grands maîtres du genre «andalou», n’était-il pas fier d’appartenir à cette tribu berbère amazighe des Ourigha, et dont sont issus les Houari de la région d’Oran ? Qui, dans tous les pays arabes, et même musulmans, la Turquie par exemple et l’Iran, ne connaissent Ibn Khefadja, ce faiseur de charmes, dont la métrique ensorcelante et par trop fascinante ne cesse de subjuguer, jusqu’à l’heure, des millions de mélomanes qui s’attachent à la beauté et à la perfection ? Il n’y a que les analphabètes qui ne connaissent les mérites de cet enfant de l’Ouest algérien ! Intervenant pendant que l’artiste se lance dans cette splendide allocution où il fait un remarquable exposé sur les hommes de science et de culture, le jeune s’avance avec ses amis. Ensemble, ils s’installent en plein milieu de la scène et disent d’une voix grave, comme pour susciter encore d’autres commentaires de la part des spectateurs.
– Chantez-nous encore les louanges de ces ancêtres…
Racontez à notre jeunesse cette bonne cuvée qui a produit des lignées et des lignées de savants. Racontez-lui, racontez-nous, racontez à tout le monde ces ancêtres qui brillaient d’un bel éclat et dont les écoles rivalisaient, disait-on, avec celles bien connues de Cordoue, de Kairouan, de Marrakech, du Caire, de Damas et de Bagdad. Un autre jeune, plus discret, ayant le teint de ce disciple des écoles libres qu’on appelait les Médersas, se libère doucement d’un autre groupe de spectateurs et, d’une voix douce, exhalant la timidité d’un enfant bien né, amorce un petit discours avec cette tendre sensation de ne vouloir heurter personne. Il ne laisse même pas le temps à l’acteur principal de répondre, tellement il est pressé de connaître cette suite élogieuse de bonnes informations concernant ses ancêtres. – C’est une mine d’or que vous nous présentez là. C’est une fierté pour nous, les jeunes, de savoir que notre passé a été marqué par une aussi prestigieuse armada de savants qui ont donné au savoir ce que Dieu, Tout- Puissant, nous demande avec insistance : «Enseignez la science, car l’enseigner c’est glorifier Dieu». Cela doit nous être reproduit fidèlement dans nos écoles. Nous avons le droit de savoir ce qu’étaient nos ancêtres dans leur combat pour la science et l’essor de l’Humanité.
Mais j’aimerai, cependant, que vous continuiez à nous instruire sur cet autre combat, ce combat légitime que nous avons mené, à travers les siècles, et qui nous a permis de vaincre les différentes invasions et nous libérer des nombreuses occupations. N’est-ce pas que le combat, pour la liberté et la dignité d’un peuple, est une forme de culture, comme l’affirmait un de nos responsables, au sortir de notre guerre pour l’indépendance ? Il faut nous parler encore des exploits de nos ancêtres… Il faut nous rappeler ces glorieux moments où ils se sont soulevés contre les velléités expansionnistes et ont repoussé toutes les offensives étrangères. Un homme d’un certain âge, la cinquantaine peut-être, tout autant pressé que celui qui vient d’intervenir, lance péremptoirement au milieu des jeunes qui répètent, fidèlement, comme l’écho qui vient de la vallée : – Oui, il faut encore parler des exploits de nos ancêtres…
Les jeunes ont soif d’apprendre et de connaître les épopées glorieuses que notre pays a vécues. Il faut raconter tout cela, dans les détails, parce qu’on nous a fait croire que nous venons du néant, et que cette nation, longtemps chantée par des «nationalistes» excités, n’a jamais eu une entité clairement reconnue ni même un peuple uni par de solides liens ethniques. Il faut dire haut et fort que depuis le combat de Massinissa jusqu’à Tarek Ibn Zyad, ce Berbère aux élans de héros, à l’Emir Abdelkader Ibn Mohieddine El Hassini El Djazaïri, le chevalier de la foi et l’héroïque défenseur de son peuple, à Cheikh El Haddad, à Fatma N’Soumer, cette héroïne d’Icherridène, à Bouamama ce héros du sud, à Ben Badis, ce sanhadji réformiste, à Mohamed El Haffaf, à Abdelkader Ziar, à Ben M’Hidi, à Ben Boulaid, à Lotfi, à Zabana, à Hassiba Ben Bouali, notre pays n’a pas cessé de militer pour les nobles causes : la liberté et le progrès. L’artiste se donne à cœur joie. Et, comme entraîné par ces encourageantes sollicitations du public, surtout de ces jeunes qui le harcèlent de questions, il enchaîne dans un style envoûtant et plus percutant. – Je connais vos préoccupations. Je sens la flamme qui vous brûle. C’est pour cela que je dois tout vous dire ce que je connais de l’Histoire, pardon de la glorieuse Histoire, de notre pays. Tarek Ibn Zyad – et celui qui vient d’intervenir a bien fait de le rappeler à notre bon souvenir – fut un homme exceptionnel et l’expression ici n’est pas de trop. «La mer est devant vous et l’ennemi est derrière vous !», s’était-il écrié dans le détroit, face à la péninsule ibérique. En d’autres termes, vous êtes obligés de combattre, en traversant la mer pour porter très loin le message de l’Islam, ou, si vous n’êtes pas dignes de cette mission, vous capitulerez et vous vous trouverez face à votre destin, c’est-à-dire, face à l’ennemi qui sera sans pitié avec vous. Quel stratège, un commandant pareil !

Le reste, nous savons ce qu’ont fait nos ancêtres en Andalousie. Ils ont été à l’origine de belles réalisations, tant sur le plan de l’urbanisme et de l’infrastructure architecturale que sur le plan politique, social et culturel, des réalisations d’une très grande facture qu’ils ont léguées à ce peuple. Les foules de Tarek Ibn Zyad, dans ce pays conquis, ces Berbères constructeurs, ne se sont pas imposés avec l’idée de «régenter» un peuple ni de l’oppresser, mais avec le noble sentiment d’édifier un monde où domine la culture, le progrès, la modernité et le bien-être. C’est ce qui a été réalisé par nos ancêtres, contrairement à certaines «invasions» des temps modernes – appelées pacifications par un terme consacré de la colonisation –, qui prennent en otage des pays et leurs peuples, et qui font dans la destruction, la désolation et la dilapidation des biens. Les exemples sont nombreux. Le nôtre, particulièrement, lorsqu’un certain «Juillet de 1830 des hordes de barbares – le qualificatif leur sied mieux que tout autre – ont envahi notre pays pour le pacifier et le civiliser, disaient-ils, cyniquement. Encore un autre, plus récent, celui du peuple du berceau de la grande Mésopotamie qui vit les affres d’une occupation illégale, imposée à lui par ces gendarmes du monde qui régentent tout et qui gèrent tout, selon leur bon vouloir.
Nos ancêtres les Berbères étaient autrement plus fiers en même temps que plus justes. Fiers, parce qu’ils n’acceptaient aucune domination, justes, parce qu’ils ont combattu loyalement pour sauvegarder une indépendance franche et entière sur l’étendue de leur territoire. Même après la chute de Grenade, ils se sont lancés dans une résistance contre le nouvel occupant sans se soucier des visées expansionnistes et de l’aide, ô combien «pernicieuse», de ceux qui ont brillé en secourant les musulmans d’Andalousie. C’est ainsi que les Turcs sont arrivés dans notre pays… Oui, c’est ainsi, qu’ils sont arrivés dans notre pays ! Un autre spectateur, un peu âgé lui aussi, qui n’a rien à voir avec ces bedonnants, ces nouveaux riches et ces assoiffés d’argent qui ne s’intéressent pas du tout à l’Histoire, se lève difficilement de son fauteuil où il est confortablement collé et il avance tout près de la scène, comme pour se montrer à tout le monde. Il veut être sous les feux de la rampe. Les autres le regardent indifféremment, ceux qui ne s’intéressent à rien en fait, sauf aux affaires scabreuses, mais qui sont là, parce qu’il faut être là où il y a la foule, là où il y a un spectacle qui draine un monde hétérogène. Ils sont là, comme hier ils étaient de toutes les «chaînes», lorsque les pénuries nous abaissaient à la hauteur de notre ventre.
Oui, ils étaient dans les chaînes, ne sachant quoi acheter, mais leur seule raison était de ne rien rater qui puisse leur apporter de quoi spéculer et, bien sûr, augmenter le volume de leur «matelas». Revenons à nos moutons… L’homme paraît coriace, j’allais dire balèze en Histoire car, de but en blanc, il pose une question pertinente, que n’aurait poser personne dans le théâtre, certainement. Ainsi, le vieil homme a dit ce que d’aucuns n’y ont pensé, comme pour implorer l’artiste d’aller plus loin, en racontant cette période quelque peu controversée de l’occupation de notre pays par les Ottomans :
– Les Turcs ont-ils été nos alliés ou carrément des indus occupants qui se sont éternisés dans notre pays ? De plus, ont-ils été corrects quand nous avons fait l’objet de cette sauvage agression, et se sont-ils solidarisés avec nous contre les soudards de l’armée française ? Racontez-nous cette période tristement vécue par notre peuple qui pensait bien faire en faisant appel aux Turcs, sans se soucier de l’intérêt qu’avaient ces derniers à se comporter en dominateurs. L’artiste reprend son souffle et ses esprits. Il est vraiment sonné par cette intervention. Mais il dit calmement, en précisant qu’il allait en parler longuement et clairement de cette période :
– De statut d’alliés au départ, pour soutenir le combat de notre peuple qui repoussait les incursions étrangères, les Turcs devinrent les maîtres d’Alger et de la plupart des villes du littoral. Et, pour mieux asseoir leur pouvoir, ils installèrent une Régence à Alger et donnèrent à notre Etat «une organisation à base militaire qui ne subit pas de profonds changements jusqu’à la conquête française». Après la mort de Arroudj, l’un des frères Barberousse, Kheir Eddine lia le sort de notre pays à l’Empire Ottoman. Cela s’est passé du temps du Sultan Ier qui le nomma Beylerbey à Alger. Ainsi, il agissait en véritable roi et gouvernait la Régence directement ou par l’entremise de ses lieutenants, appelés Khalifs. Mais sachez que l’Histoire est un éternel recommencement. La Régence était loin de Constantinople et les différentes formes de gestion du pouvoir, après la période des Beylerbeys, c’est-à-dire celle des Pachas, des Aghas et des Deys, n’ont pas satisfait nos populations qui se sentaient oppressées par le poids des impôts et contrariées par le favoritisme imposé par les Turcs.
Il y avait aussi autre chose… il y avait des raisons qui ont fait que plusieurs soulèvements populaires eurent lieu. Elles résident dans le fait que les représentants du régime se sont ligués avec les commerçants juifs et européens dans le but de s’imposer au niveau de l’économie de notre pays. Sur le plan de la culture, les Ottomans n’ont pas encouragé l’ouverture d’écoles spécialisées, comme celles de la médecine, et encore moins les recherches dans ce domaine. Mais cela n’a pas empêché nos savants de faire, de leur côté, des efforts au niveau de cet aspect vital pour prendre en charge les problèmes de santé des citoyens. Je cite cela à titre d’exemple. Revenons à leurs pratiques qui n’étaient pas non plus de nature à faire aimer leur pouvoir aux Algériens. Les Ottomans étaient livrés à leurs impulsions, leurs factions se disputaient chacune de son côté pour imposer son hégémonie sur les affaires publiques. De plus, ces occupants n’ont pas jeté de profondes racines dans notre pays et pour causes. Nos mœurs et nos coutumes différaient, sous trop de rapports, des mœurs et des coutumes turques, pour qu’on pût espérer d’en voir sortir un tout homogène. Eux avaient d’autres prétentions qui n’étaient pas en parfaite identité avec les nôtres.
«Passons-leur également leurs turpitudes, comme la trahison, la concussion et le refus de combattre pour protéger un pays qu’ils exploitèrent plus de trois siècles sans rien lui donner en échange». Enfin, passons sur cet aspect qui sera pris convenablement en charge par les historiens qui écrirons des vérités et diront tout ce qu’il y a de plus répressif dans les pouvoirs des «Oudjak», pouvoirs qui n’arrangeaient en aucune façon nos populations et qui les rabaissaient au stade qu’elles n’espéraient jamais atteindre… elles qui pensaient bien faire en acceptant l’aide et la protection des Turcs. Le même sexagénaire insiste et déclare avec l’assurance de l’ancien instituteur, pour se situer dans cet ensemble hétéroclite… Nous le saurons par la suite, qu’il le fut effectivement, c’est-à-dire, l’instituteur modèle, ayant fait la classe à plusieurs postérités : – C’est bien de nous avoir expliqué cette période. D’aucuns pensaient, parce qu’ils sont des musulmans comme nous, que les Ottomans ont fait beaucoup de bien à notre pays. Oh que non ! Ils étaient là pour leurs intérêts, ils étaient là parce qu’il fallait occuper cette partie opulente de l’Afrique du nord pour agrandir leur Empire et lui donner plus de moyens. Ils ont profité de nos richesses, ils ont saigné notre pays et, en dernier ressort, ils se sont ligués avec des commerçants juifs et européens, comme vous l’avez si bien rappelé, dans votre intervention, pour mieux contrôler notre économie. Un autre vieux intervient. Très bien dans sa peau. Correctement habillé, plus à l’ancienne mode qu’à la nouvelle. Costume bien mis, bien ajusté, cravate bien nouée, pas comme ce péquenot qui vous a été présenté et qui traîne derrière lui, malgré ses milliards et ses autres biens, les marques indélébiles d’un passé dépourvu de culture et de savoir-vivre.
Le vieux veut parler, il veut dire certaines vérités. On le sent. C’est un débat propre devant des jeunes qui attendent des informations, qui ont soif d’apprendre, qui veulent connaître leur Histoire. – En effet, les Ottomans ne nous ont pas fait que du bien… Et nos populations qui, de révolte en révolte et de guerre en guerre contre les tenants de ce régime, ont fini par consolider leur union… cette union salutaire entre les différentes tribus berbères. C’est alors que l’autorité des Deys ne s’étendit qu’au sixième de notre pays actuel. Les régions de Kabylie, les tribus nomades des Hauts-Plateaux et du Sud, de même que les principautés guerrières et maraboutiques, comme celles de Touggourt et Aïn Madhi vécurent entièrement indépendantes. Ainsi, le gouvernement turc quelle que fut son habileté, ne réussit jamais à tenir le pays. Oui, il n’a jamais pu le tenir entièrement et convenablement… L’artiste enchaîne sur les paroles du vieil homme et se lance, dans un nouveau débat, en expliquant d’autres périodes douloureuses qu’a connues notre pays.
– L’Algérie a toujours refusé cette forme de colonisation, comme elle refusait cette autre, plus abjecte, qui nous venait par la force. Je veux vous parler de cette attaque sauvage de Charles Quint qui a été repoussée héroïquement par nos soldats. Ce dernier, qui s’enorgueillit de son blason, y laissa des plumes dans notre pays. En effet, 37 000 soldats et marins, à la tête d’une armada de 516 bateaux, aidés par les redoutables Chevaliers de Malte, ont dû se souvenir de ce fameux 3 octobre 1541 où nos enfants, ces dignes berbères, plus aguerris que jamais, ont donné une leçon de résistance et de courage à celui qui pensait prendre Alger des Beni Mezghenna, aussi facilement. Ensuite, il y a eu les attaques de l’escadre anglaise de Lord Exmouth et celle de l’Amiral Van Cappelen qui pénétra dans le port d’Alger, en 1816, en jetant 34 000 projectiles. Également celle de l’Amiral Neal, quelques années plus tard. Toutes ces attaques ont été repoussées magistralement. Car le port d’Alger est «devenu la raison d’être de la ville, il sera jusqu’à la fin le port de l’audace, le fléau et la terreur des ennemis, la base qui a enlevé à l’Espagne la plupart de ses places fortes et qui a consacré la faillite de sa politique africaine». Le préjugé anti-musulman était très répandu à l’époque. C’était les croisades qui se perpétuaient, surtout que les victoires musulmanes sur terre et sur mer, avaient dressé le monde de la Croix contre le monde du Crissant, particulièrement notre pays dont sa marine était mieux structurée et très forte. Les hostilités nous venaient de la Maison d’Autriche qui avait sous sa coupe plusieurs pays dont l’Espagne, la Sicile, le Royaume de Naples, les Flandres et une partie de l’Europe centrale. Elle regroupait un monde hostile qui représentait «une chrétienté militante et active» et qui voulait, selon elle, «extirper le péril mahométan», en multipliant les heurts avec notre pays. Les Espagnols, après avoir conquis Mers El Kebir, en 1505, ambitionnaient l’occupation de tout le littoral maghrébin afin de mettre fin à la suprématie musulmane.
Et ils sont partis vers des ambitions politico-économiques afin de créer cette «route impériale», adossée à la côte africaine. En somme, un duel de trois siècles où se sont mêlés l’Église, les Monarques et les ordres religieux. Mais la plus difficile des colonisations et la plus autoritaire a été celle de la France après qu’elle eut trahi les accords qu’elle avait pris avec les Beys d’Oran et de Tunis et fomenté les complots contre le Bey de Constantine. Oui, la France a mené une guerre continue contre nous bien qu’en 1534, il y eut ce moment de répit quand François Ier, affaibli par la guerre contre les Espagnols, fit appel à notre aide pour sauver sa couronne. Ce pacte fut appelé «l’alliance du Lys et du Croissant». Mais sa stratégie était d’occuper rapidement les régions qu’il lui était difficile de maîtriser. «Bonaparte voulait, par ce biais, résoudre certains problèmes intérieurs : occuper l’armée, se débarrasser de généraux rivaux, de chefs turbulents et entraîner l’obéissance immédiate d’un territoire égal au quart de l’Europe…». Ainsi, le 9 février 1830, de Bourmont, devait jeter son escadre belliqueuse sur la côte d’Alger. 40 000 hommes avec un immense matériel du corps expéditionnaire devaient débarquer à Sidi Fredj non sans souffrir d’une héroïque résistance de nos soldats. Alger est prise par les Français le 5 juillet de la même année au moment où les Turcs abandonnèrent le pays dans le silence et l’humiliation. Cheikh Mohieddine, le chef de la Zaouia El Kadiriya, proclame la guerre sainte dans l’Oranie. Mais il est vieux et la guerre exige beaucoup d’ardeur. Son fils Abdelkader, un jeune fougueux, plein de savoir, est choisi pour diriger la résistance.
Il est proclamé Émir, accepte le pouvoir «pour avoir le droit de marcher le premier et de conduire les fidèles dans les combats de Dieu», disait-il à ses compagnons. Les premiers combats ont été durs pour l’Emir et ses troupes, mais la foi triomphait toujours malgré l’impressionnante force de l’ennemi. Pendant ce temps, l’Émir rassemble les hommes en fondant son espoir sur les masses populaires qu’il savait attachées à la foi et à la terre. Il organise les régions, leur donne des chefs, choisit ses collaborateurs, réunit l’armement nécessaire pour accentuer le djihad, fixe les impôts que doivent payer les tribus et enfin assure l’unité de la nation autour d’un État moderne. Ensuite vinrent d’autres combats, plus rudes, où il y eut des pertes de deux côtés, plus encore du côté de l’ennemi. L’Émir était le vainqueur, mais les envahisseurs redoublaient de barbarie en multipliant l’envoi de troupes et de sinistres généraux qui, une fois sur place, ont commis les pires massacres au niveau des populations démunies de moyens et de défense. Conscient de tout cela, l’Émir amplifia la lutte et ne se plaça toujours que dans des positions supérieures.
D’ailleurs les traités qu’il signa et les nombreuses correspondances qu’il envoya à ses adversaires prouvent aisément la supériorité de l’Homme, celui qui, en l’espace de quelques années, devint le véritable souverain de presque la totalité du pays. Le général Damrémont ne disait-il pas que «le Traité de la Tafna rendait l’Émir plus puissant qu’une victoire éclatante et que les Français étaient placés dans une position précaire sans garantie» ? Ce n’était pas l’avis des autres… ces autres Saint-Arnaud, Bugeaud, Trézel et Pélissier qui claironnaient la supériorité de leurs troupes et redoublaient de sauvagerie contre notre peuple. N’est-ce pas eux qui ont inventé les enfumages et les massacres de populations, considérés aujourd’hui comme des crimes de l’humanité ?
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)