Urgence d’une nouvelle politique énergétique et d’un nouveau management stratégique de Sonatrach

Face à la baisse des cours des hydrocarbures

Le cours du pétrole a été coté à 10h GMT le 29 avril 2020 à 21,30 dollars, le Brent (19,59 euros) et le Wit 14,09 dollars (12,96 euros) du fait d’une décroissance de l’économie mondiale, d’un stockage sans précédent et d’une demande mondiale en baisse entre 40-50%.

La loi de finances complémentaire 2020 devra tenir compte de cette baisse drastique influant sur les recettes de Sonatrach, baisse de plus de 50% par rapport à 2019, nécessitant pour le gouvernement, un arbitrage douloureux pour ses équilibres budgétaires et à l’avenir, un arbitrage entre la consommation intérieure et les exportations qui procurent avec les dérivées actuellement environ 98% des recettes en devises et par ricochet pour honorer ses engagements internationaux. Il ne faut pas être utopique, les hydrocarbures constitueront encore pour longtemps la principale entrée de devises, devant préparer dès maintenant de profondes réformes politiques, sociales et économiques solidaires et surtout une révolution culturelle des responsables habitués à dépenser sans compter au lieu de gérer afin d’asseoir une économie hors hydrocarbures concurrentielle.
Face donc à la baisse des cours des hydrocarbures (pétrole et gaz-33% des recettes de Sonatrach) qui sera de longue durée tant pour des raisons géostratégiques que des nouvelles mutations énergétiques, le monde tirant les leçons de l’épidémie du coronavirus, s’orientant vers la nécessaire transition énergétique, l’Algérie devra réorienter son modèle de consommation énergétique et Sonatrach, devant penser un nouveau management stratégique. Car toute entreprise doit prendre des décisions en temps réel, en ce monde en perpétuel mouvement, avec une concurrence acerbe notamment dans le domaine énergétique. Cette présente contribution est la synthèse de mes quatre interventions à Alger, la première à l’invitation du ministère de la Défense nationale IMPED le 27 mars 2018 sur la sécurité et le trafic des frontières, la seconde sur la sécurité alimentaire, de l’eau et la sécurité énergique à la salle des conventions, la troisième lors des 11es Journées Scientifiques et Techniques (JST) de Sonatrach du 16-19 avril 2018, la quatrième devant les officiers supérieurs à l’Ecole Supérieure de Guerre ESG le 4 mars 2019, l’impact de la baisse du cours des hydrocarbures sur l’économie nationale, un problème de sécurité nationale. Actuellement deux institutions stratégiques sont garantes de la sécurisé nationale, la majorité des acteurs politiques, économiques et sociaux étant tétanisés par cette épidémie, l’ANP et toutes les forces de sécurité et Sonatrach, qui en économie, c’est l’Algérie et l’Algérie c’est Sonatrach.

1- Un rappel sommaire de la situation actuelle de Sonatrach
Dans une déclaration reprise par l’APS le 26 avril 2020, le ministre de l’Energie, supposant un débat serein et objectif, a déclaré en date du que les réserves prouvées de l’Algérie en matière de pétrole sont de 1 340 millions de tonnes, soit 10 milliards de barils et à ce rythme actuel, nous avons encore 27 années de production, que les réserves de gaz naturel qui sont de 2 368 milliards de mètres cubes, auxquels s’ajoutent 260 millions de tonnes de condensat, soit l’équivalent de 4,1 milliards de tonnes de pétrole (Tep). Les experts calculent les réserves rentables, non en statique mais en dynamique, fonction de l’évolution de la consommation intérieure, des exportations, du coût et l’évolution du prix international influencé par les énergies substituables, et de l’évolution du modèle de consommation énergétique mondial, pouvant avoir des importantes réserves mais non rentables économiquement. Selon le rapport de Sonatrach 2018, la production primaire de pétrole brut a été de 48,5 millions de tonnes (contre 49,3 millions de tonnes en 2017), dont 20,7 millions de tonnes ont été réalisées en association avec des compagnies étrangères. La production primaire de condensat a pour sa part atteint 8,9 millions de tonnes (contre 9 millions de tonnes en 2017), dont 2,1 millions de tonnes produites en association avec des compagnies étrangères.
La production de gaz de pétrole liquéfié (GPL) est, quant à elle, restée quasiment stable à 7,9 millions de tonnes (contre 8 millions de tonnes en 2017), dont 2,1 millions de tonnes en association avec des partenaires étrangers. Concernant le gaz naturel dont la production n’est soumise à aucune politique de quotas, la production primaire de gaz naturel s’est établie à 132 milliards de m3 standard (Sm 3) en 2018 (contre 135 milliards Sm3 en 2017), dont 24,2 milliards Sm3 produits en association. Si l’on ajoute les quantités destinées au marché national (52,5 millions TEP), les volumes d’hydrocarbures liquides et gazeux commercialisés en 2018 ont affiché une baisse de 6% à 151,4 millions de TEP contre 161,2 millions de TEP en 2017. Ainsi, globalement, la production primaire totale du groupe Sonatrach s’est élevée à 192,3 millions de TEP en 2018, dont 48,4 millions de TEP en association avec des compagnies étrangères. Elle s’inscrit en recul de 2,1% par rapport à 2017 (196,5 millions de TEP produits. L’actuel ministre de l’Energie avait annoncé fin 2019, à l’APN qu’environ 60% des réserves d’hydrocarbures de l’Algérie ont été épuisées lors de l’adoption du nouveau projet de loi des hydrocarbures. Et que les Algériens ont consommé en 2019 environ 15 640 mégawatts d’électricité et 43,4 milliards de mètres cubes de gaz.
Lors de son discours à la réunion gouvernement-wali , au Palais des nations, le ministre de l’Energie a déclaré que l’utilisation de l’énergie sous toutes ses formes a battu des records en 2019, où les statistiques indiquent la consommation de 15 mille 640 mégawatts d’électricité atteignant, dont 1 400 mégawatts dans le sud, tandis que le gaz a été consommé 43,4 milliards de mètres cubes localement et 20 milliards de mètres cubes pour les centrales électriques, sur 1 000 milliards de mètres cubes ont été produits, cette consommation locale étant destinée aux ménages essentiellement avec 81% contre 19% pour le tissu industriel. Quant au volume de consommation de produits pétroliers, il a enregistré 15,30 millions de tonnes en 2019, divisé en essence avec un volume de 4 millions de tonnes et en fioul de 10,5 millions de tonnes et 860 000 tonnes de pétrole liquéfié. Le programme indicatif pour l’approvisionnement du marché national en gaz 2019-2028, élaboré par la CREG donne une consommation moyenne en gaz à 67 milliards de mètres cubes gazeux horizon 2029/2030 avec une croissance annuelle de 4,5%, l’évolution de la consommation locale en gaz étant tirée principalement par l’industrie, dont la consommation en gaz passerait de 10 milliards de m3 en 2019 à 17 milliards de m 3 en 2028, avec un taux de croissance annuel moyen de 5,9% avec l’apparition de nouveaux projets budgétivores posant la problématique des subventions généralisées et non ciblées ayant que cela pose le problème de la gestion interne de Sonatrach étant pour l’instant du fait que les activités à l’aval sont mineures (pétrochimie notamment) peut être considéré comme une banque comme source de financement.
Or, le Groupe est aussi le premier employeur public avec 120 000 personnes, la masse salariale de Sonatrach ayant été d’environ 155 milliards de dinars en 2018 contre 140 en 2017 selon le rapport Sonatrach 2018, soit au cours actuel de 128 dinars un dollar 1,21 milliard de dollars. Des compagnies internationales, pour un chiffre d’affaire similaire fonctionne avec environ 500/600 millions de dollars posant l’urgence d’un nouveau management de Sonatrach devant éviter la dispersion et orienter ses activités vers ses métiers de base. Quant à la déclaration du ministre de l’Energie que le coût moyen du pétrole algérien est de 14 dollars avec 5 dollar pour Hassi Messaoud, reprenant le rapport Sonatrach 2020, étant un sujet très sensible qui engage la sécurité nationale, Sonatrach devrait répondre aux questions suivantes : Quel est le coût d’extraction au puits, c’est-à-dire que le coût de ce gisement se rapprochant du coût de l’Arabie Saoudite alors que selon la majorité des experts ayant travaillé sur ce champs, ce dernier nécessite de forts investissements, afin d’éviter l’épuisement, afin d’accroître sa productivité ? Est-ce le coût arrivé au port d’Arzew ou de Skikda, tenant compte des coûts de canalisation, c’est-à-dire du transport ? Combien représente dans la production le gisement d’Hassi Messoud par rapport au total ? Si l’on prend les données du ministre et si l’on prend l’hypothèse que la production d’Hassi Messaoud représente 50%, en référence à 14 dollars, cela suppose que les 50% des autres gisements dont l’amortissement n’est pas encore arrivé à terme, le coût approche 24/25 dollars. Selon le site international spécialisé en Energie (IEA, Rystad energy de 2018, le coût par baril en Algérie varie entre 20,40 et 23,50 dollars le baril selon les gisements, la Norvège 36,10 dollars le baril, les USA 36,10, l’Angola 35,40, le Nigeria 31,60, le Mexique 29,10, la Libye 23,80, la Russie 17,20, l’Iran 12,60, les Emirats 12,30, l’Arabie Saoudite 9,90, le Koweït 8,50, l’Irak 10,70, la Chine, souvent oubliée sur une consommation totale d’environ 14/15 millions de barils/j avant la crise, qui produit environ trois à quatre millions de barils/j 29,90 dollars.
Quant à l’autre déclaration, qu’au rythme actuel de la production, «nous avons encore 27 années de production» et s’agissant des réserves en gaz naturel de l’Algérie, elles s’élèvent à 2 368 milliards de mètres cubes, le condensat de gaz naturel, les réserves à 260 millions de tonnes, cela a mérité tout un débat avec les experts de l’énergie en rappelant que le montant des réserves est fonction du coût, du vecteur prix international et de la concurrence des énergies substituables, pouvant avoir un niveau important de réserves mais non rentables économiquement. C’est avec la baisse de son quota décidée lors de la dernière réunion OPEP (40% de la production mondiale commercialisée avec 33% pour l’Arabie Saoudite et hors OPEP -60% de la production mondiale commercialisée), avec la dominance de trois grands producteurs, l’Arabie Saoudite, la Russie et les Etats-Unis d’Amérique plus de 10 millions de barils/j chacun, entre 145 000 /240 000 barils jour, avec un manque à gagner en moyenne annuelle entre 3/4 milliards de dollars pour 2020, dans cette conjoncture de récession économique mondiale, les prévisions de recettes de Sonatrach de 35 milliards de dollars pour 2020 ainsi que d’un montant des réserves de change de 51,6 milliards de dollars fin 2020 ne seront pas atteint. N’oublions pas les exportations de gaz (26%GNL et 74% GN via Medgaz et Transmed Via Europe) qui a vu le cours s’effondrer de plus de 60%, étant coté depuis une année entre 1,5 et 2 dollars le MBTU représentant 33% des recettes de Sonatrach. Les recettes devant être au moins divisées par plus de deux par rapport à 2019 dont les recettes ont été de 34 milliards de dollars, montant auquel il faudra soustraire les coûts d’exploitation et la réduction du quota décidée en avril 2020, l’Algérie produisant moins de 1 million barils/j, avant la réduction du quota avec une nette baisse en volume physique depuis 2007/2008. A 66 dollars en moyenne annuelle pour 2019, les recettes de Sonatrach ont été en moyenne de 34 milliards de dollars. Sous réserve d’une production hydrocarbures en volume physique identique à celle de 2019, ce qui n’est pas évident puisque le principal marché est l’Europe en crise, nous aurons les résultats suivants entre 60 et 20 dollars le baril.
(A suivre)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul