le rêve est gratuit

Ne m’en voulez pas,

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

Enfin, nous avons eu notre indépendance, au prix de tant de sacrifices… Le monde entier célèbre notre combat et reconnaît notre bravoure et notre détermination. Mais l’Histoire, elle, celle qui témoignera à travers les siècles et l’éternité, devra-t-elle occulter cet épisode douloureux où un peuple a été réduit, pendant très longtemps, au triste sort de l’esclavage et de l’oppression ? Non ! L’Histoire accable les bourreaux ! C’est cela, la réalité. Personne ne peut échapper à son jugement. Là, des applaudissements nourris retentissent dans la salle. Les spectateurs, comme comblés par les importantes informations qu’ils viennent de recevoir, saluent l’artiste et son entourage, le vieil instituteur et les quelques jeunes qui ont eu l’audace d’intervenir. Debout comme un seul homme, dans cet espace où la magie des mots et leur singularité viennent d’ajouter cette touche particulière au spectacle, les présents dans la salle applaudissent toujours. Enfin, le rideau descend. Il descend lentement, sur une scène qui, en s’éteignant, semble absorber tant et tant d’événements, pour les faire disparaître en les déposant, soigneusement, dans les archives de la mémoire collective. Le lecteur remarquera cette particularité dans l’exécution d’une pièce de théâtre qui se traduit par un jeu collectif pour pouvoir lancer un message ô combien positif. Pourquoi la participation des spectateurs, se demanderont certains, perplexes et désorientés, en suivant le déroulement de cet acte, et des autres ? Et pourquoi avoir parlé uniquement du passé, des ancêtres, de la culture et de la lutte pour la liberté et l’émancipation du peuple ? Ma réponse est toute simple : parce que j’ai tenu à faire participer activement les spectateurs et surtout les jeunes qui incarnent «l’avenir», pour connaître leur «passé», un passé qui exprime lui aussi une Histoire qui a été chahutée, occultée et qui, de surcroît, leur a été subtilisée par l’inconscience de leurs aînés et par la bêtise qui les laissait s’obstiner constamment à agir avec ce manque de considération vis-à-vis du citoyen. Ainsi, les jeunes, en possédant parfaitement leur passé – glorieux à plus d’un titre – peuvent s’acheminer allègrement vers un avenir certainement radieux, où abonderaient les réussites et les satisfactions. En effet, notre passé, c’est-à-dire le leur, est glorieux ! Il est même extraordinaire si on le compare avec ceux des autres qui n’ont que quelques modestes chroniques à raconter à leur progéniture… Cet acte a été rédigé dans ce style pour dire la richesse du passé de notre pays, sa grandeur en matière de lutte pour les causes justes, son attachement à la liberté et à la justice, sa fécondité en matière de culture et son engagement pour le progrès et l’élévation. En effet, cet acte célèbre un peuple en mouvement, à travers les siècles, avec son dévouement et ses sacrifices, pour créer sa propre Histoire… Ainsi, le lecteur comprendra de lui-même, en comparant cet acte et le suivant, qu’il s’agit de deux tableaux différents…, j’allais dire de deux situations diamétralement opposées…de deux périodes où abondent des événements riches en couleurs, mais totalement opposés les uns aux autres car se situant dans des époques distinctes, très éloignées dans le temps. Enfin, le but de cet acte est, bien sûr, comme expliqué auparavant, l’exégèse de l’Histoire de nos glorieux ancêtres, leurs capacités, leurs propensions, leurs réussites et, d’une pierre deux coups, une occasion des plus propices pour essayer d’éclaircir certaines zones d’ombre jusque là obscures.

Acte II De la Révolution socialiste à « Octobre »
Dans ce deuxième acte, l’artiste et les autres intervenants veulent que ceux qui suivent la pièce comprennent pourquoi, un même peuple, ayant ses origines dans les profondeurs des siècles et pourvu des mêmes aspirations, n’est pas arrivé, malgré ses grands moyens, à sortir de la crise et dépasser les difficultés qui le poursuivent constamment. À vrai dire, cette différence dans le rendement, dans l’efficience et dans les rapports, qui n’étonne plus malheureusement, le laisse quand même quelque peu perplexe et le soumet à un questionnement, d’autant plus rude que gênant. Ainsi, se dit-il : est-ce le changement des hommes, de leur comportement et leur manque de détermination qui ont fait que les résultats ne sont pas ce qu’ils devaient être, s’il compare ceux d’avant avec ceux d’aujourd’hui ? Est-ce le manque d’initiatives et d’inspiration, qui fait que les hommes sont inactifs aujourd’hui, plus qu’ils ne l’étaient hier ? Est-ce la malchance qui les talonne de près, faisant de lui un peuple devant vivre de tourments parce que soumis aux aléas de l’adversité et de la fatalité ? Un ami rencontré fortuitement, pendant la rédaction de cet essai théâtral, et avec lequel l’artiste l’a entretenu sur le résultat auquel il voulait arriver, lui disait tout de go, impassiblement : « C’est bien de terminer sur une note d’espoir, après avoir fait le constat d’une situation anarchique. Mais vois-tu, si nos ancêtres ont réussi mieux que nous dans tous les domaines qu’ils ont investis, c’est parce qu’ils ne connaissaient pas cette p… de bureaucratie, ni même ces pratiques dégradantes, comme la corruption et la décrépitude qui nous font courber l’échine et nous détournent de notre véritable vocation.
Ils n’avaient pas également de tabous, comme nous les collectionnons aujourd’hui ! ». Il a esquissé un sourire, comme pour l’approuver. Et il se disait qu’il avait raison, parce qu’il est, comme tout le peuple, exacerbé par ces maux qui deviennent effectivement de plus en plus dangereux aujourd’hui, et qui n’existaient pas hier à cause de la simplicité de la vie que menaient leurs ancêtres. Enfin, pour ce qui est des autres questions déjà posées et afin d’y répondre consciemment, correctement et, on ne peut plus honnêtement, l’artiste reprends les affirmations de cet homme averti, probe, qui fait dans le bon sens et la meilleure estimation, qui est lucide et sincère dans le propos. Il lui confirmera que leur problème, est un problème d’hommes. Et de continuer sur sa lancée…. « En effet, on ne peut parler de programmes nous menant vers des horizons plus larges et plus heureux si on ne prend pas en considération l’état de nos « troupes ». Celles-ci restent le gage de toute réussite. Avez-vous vu des armées gagner des batailles sans engager des troupes solides, aguerries et habituées aux risques des affrontements? » Oui, le problème dans notre pays, c’est l’homme, le vrai…
Ainsi, pendant toute cette pièce, nous allons constater, qu’effectivement, cette « espèce » fait défaut dans notre environnement et, quand elle existe, en petite quantité bien sûr, elle n’est pas au devant de la scène, mais « recalée », marginalisée, vivant les souffrances de l’exclusion, supportant difficilement cette effroyable culture de l’amnésie, pendant qu’une autre faune, celle par qui « le scandale arrive » se pavane ostensiblement dans des postes de responsabilité qui nous donnent ces résultats en deçà de nos espérances. Un coup de destin ? Non ! C’est notre stupidité, cette bêtise humaine, qui fait de nous des ingrats, des oublieux, des égoïstes, des jaloux qui ne pensent qu’à se repaître dans des « pâturages » qu’ils pensent n’appartenir qu’à eux… C’est notre régionalisme – nous en reparlerons souvent dans ce deuxième acte – qui nous fait endurer des épreuves que d’aucuns au monde, ceux qui apprécient la valeur humaine, ne peuvent comprendre, tellement la compétence, les aptitudes, l’expérience et la détermination demeurent pour eux les seuls critères de choix et de sélection aux postes de commande. Mon cousin et ma cousine, mon ami, mon voisin, l’enfant de mon village…
sont des termes qu’ils ne connaissent pas dans le jargon du travail et de la responsabilité. Ils jugent d’après la productivité, la qualité, le rendement, l’efficacité, les résultats, les bénéfices… Autant de mots qui devaient nous mobiliser et que nous avons perdus au cours de notre marche « inexorable » vers la démagogie, le laisser-aller et le délabrement… Ce n’est pas un constat impitoyable ! Loin s’en faut ! C’est la réalité sur le terrain…, une réalité soutenue malheureusement par des faits dont « l’indélébilité » nous daube et nous renvoie à ces pratiques moyenâgeuses que nous n’avons pu nous en départir, faute de courage de notre part et par manque de confiance en nous-mêmes et en nos capacités. Sinon, pourquoi stagnons-nous dans ces marécages au lieu d’aller sur d’autres terrains, plus consistants ? Le progrès, affirme-t-on, naturellement, est la résultante de l’addition de quelques facteurs, à savoir, l’énergie produite par l’homme qu’on appelle le travail, les moyens qui lui sont réservés et qu’on appelle les conditions matérielles de réussite ainsi que les meilleurs aboutissements qu’on appelle les bénéfices. Quant à nous, nous avons les moyens, beaucoup de moyens, nous avons les hommes, beaucoup d’hommes valables et compétents, qui ne demandent qu’à servir, nous avons enfin de grandes dispositions pour réussir et, comme nous ne nous sommes jamais comportés en responsables sérieux, car nous avons privilégié des choix en dépit du bon sens, il demeure que nos résultats ne reflètent en aucun cas la richesse de notre pays et de ses potentialités.
Le secret n’est pas ailleurs ! Le rideau se lève. La scène s’illumine. L’artiste est au milieu, assis à califourchon sur une chaise ordinaire, faite d’un bois quelconque. On le voit mal à l’aise, il se tient à peine en équilibre. Est-ce une prémonition pour ce qui va suivre, cette chaise et cette allure quelque peu délibérée ? Que va-t-il encore dire à ces gens, principalement à ces jeunes qui l’intéressent et qui attendent d’autres révélations…, peut-être ? Va-t-il leur faire l’aveu de ses préoccupations, voire de ses récurrentes désillusions après tant d’événements forts qui ont marqué le pays, et après ce dynamisme de ses ancêtres, en de grands moments de notre Histoire… ? Ne se murant d’aucune réserve et ne se préservant d’aucun danger, l’artiste rentre de plain-pied dans un autre spectacle, en des circonvolutions jamais entendues dans les théâtres de nos pays. N’est-il pas dans un rêve ? Il faut le rappeler de temps à autre. Car dans le rêve, on peut tout dire, du fait qu’on n’a pas peur et qu’on se sent libre. Heureusement encore une fois ! Il n’y a pas ce gendarme derrière le rideau qui vous attend à la sortie, pour vous mener là où les plus solides abdiquent et « déposent leurs armes » ou ce serpent qui vous guette – toujours derrière le rideau – pour vous lancer son venin mortel, comme c’est le cas dans la liquidation des grands. Il raconte l’autre Algérie. Celle d’après l’indépendance.
Eh, vlan ! Le décor est planté. Il réfléchit à haute voix, il parle clair, il parle fort, il parle juste. Il va droit au but. Il ne se donne même pas le temps de s’échauffer ou de préparer la salle. Il est déjà brûlant d’envie de tout dire…, pardon de tout cracher. La salle doit comprendre cela. Elle doit le suivre. D’emblée, il dit des choses crûment. Il emploie des expressions nues, sans fard et sans artifice. Ses phrases sont concises, précises, mais surtout incisives et aigues. Un langage tranchant, comme pour expliquer le cours tragique des événements. Un langage de haute facture qui le sépare d’une « nouvelle société » devenue impertinente et incivile et qui le fait fuir des malheurs du genre humain. Le rêve est ainsi conçu. Suivez-le, vous en tirerez le meilleur enseignement. – Encore une fois, je suis heureux de me trouver ce soir avec vous…, lança-t-il, sereinement. Je suis heureux, après vous avoir raconté l’Histoire de nos ancêtres, de pouvoir vous parler librement, vous entretenir sur des sujets d’actualité qui me tiennent à cœur, vous communiquer mes passions, mes satisfactions – parce qu’il m’arrive d’en avoir –, mes angoisses, mes déceptions et aussi mes ressentiments. Je suis heureux, en effet, de me présenter devant vous, comme devant un tribunal où tout se dit clairement, sans fausse pudeur, et sans intermédiaire.
Je suis heureux de vous dire la vérité, toute la vérité…, de la dire, hautement, à vous qui représentez cette société où pullulent les voyous, aux côtés de peu d’hommes honnêtes, où croissent les bandits, où se multiplient et foisonnent les truands, les malfrats et j’en passe pour les « nobles fonctions » qui sont les leurs et dont ils sont superbement « travestis » et qualifiés. Là, on entend comme un brouhaha dans la salle. Des mécontents ? Oui, certainement ! Des spectateurs manifestent quelques réactions. En somme, des répliques à cette entrée fracassante du deuxième acte. « Ne généralisez pas ! », crient certains, comme effarouchés par cette attaque qui a tout l’air d’une sérieuse provocation…, pardon d’une offense, en règle. L’artiste, encaisse cette riposte et, sans vouloir s’attarder sur ce qu’il considère comme étant une réaction normale d’un public hétéroclite – nous l’avons dit –, continue son monologue, calmement, impassiblement. – Enfin, je suis heureux de communiquer avec vous…, en fait avec les représentants de cette nouvelle société où les gens honnêtes, et ils ne sont pas nombreux – là, l’artiste remue le couteau dans la plaie –, se meuvent difficilement pour subsister et assurer l’éducation de leurs enfants…où les gens loyaux et sérieux, ils ne sont pas légion également, remplissent péniblement leur tâche pour nous défendre, pour assurer notre subsistance et permettre à notre pays de rester debout.
Vous me permettrez d’être un peu dur avec vous, tout en étant sincère, car je dois jouer mon rôle dans cette pièce qui n’est autre qu’une poignante rétrospective, sous forme de réquisitoire, je l’avoue, et qui raconte une société malade, atrophiée, étiolée par tant de conflits et déclinée par tant de problèmes. Effectivement, c’est dans ce style que je peux dire ce que j’ai envie de dire, sans risquer d’être blâmé ou peut-être «coffré» par de solides gaillards qui, d’habitude, attendent gentiment la fin du spectacle pour vous cueillir, comme un fruit mûr. N’est-ce pas donc, dans un rêve comme celui que l’on peut s’extérioriser en crachant le surplus d’énergie, que dis-je de colère et d’amertume et en s’attaquant à un milieux pourri, à un milieu qui aurait pu être, pour notre bonheur, autrement plus clair, plus sain, plus noble, plus honnête et plus encourageant ? Ensuite, l’artiste se dresse comme un félin, secouant les épaules pour se donner plus de contenance et, par une expression exaltée du visage, relance le débat : -Souvenez-vous de cette période des premières années de l’indépendance, lorsque nous étions encore unis, lorsque nous faisions le serment de ne pas désemparer devant les vicissitudes du temps et les dangers du développement. Souvenez-vous de cette ambiance où le courage et l’espoir nous animaient pour ne pas faillir à la mission que nous ordonnait la continuité de la révolution. Souvenez-vous de cette ferveur qui nous commandait d’aller toujours de l’avant pour montrer que nous n’étions pas faits uniquement pour combattre les envahisseurs, pour sauvegarder notre unité, enfin pour résister constamment afin de préserver notre souveraineté, mais également pour construire notre pays et assurer notre avenir dans le progrès, la prospérité et dans la plénitude de la paix retrouvée. Souvenez-vous lorsque nous avions pris en main notre destin, lorsque nous nous sommes décidés de travailler dur pour rattraper le retard et rentrer de plain-pied dans le développement que nous exigeait la situation catastrophique que nous a léguée le colonialisme.
En effet, les caisses étaient vides et le délabrement était à son paroxysme du fait de la dévastation du pays, de ses structures et de ses infrastructures de base… Souvenez-vous de ces agréables moments où la solidarité n’était pas une denrée rare et un vain mot. Elle était effective, concrète. Elle était sincère et fraternelle. J’allais dire que ce n’était pas un « calcul » que de se solidariser avec son voisin, un membre de sa famille, avec les institutions de l’État, par exemple, pour entreprendre une campagne d’utilité publique. Nous nous réjouissions alors de participer activement, vigoureusement, à un plan de charge qui nous intéressait au plus haut point. Il y avait du palpable en bout de piste. Effectivement, notre pays, malgré des « empoignades », dues aux « sautes d’humeur » de quelques assoiffés de pouvoir parmi nos dirigeants, n’a pas sombré dans l’anarchie qui nous a été prédestinée par ceux qui l’ont quitté à jamais, non sans laisser leurs dignes représentants parmi les « francophiles » nostalgiques et les « collabos » patentés. Nous avons tenu le coup, nous nous sommes « chamaillés », « bagarrés », nous nous sommes même « cognés », comme tous les fraîchement sortis d’une longue nuit coloniale, mais nous sommes revenus à de bons sentiments pour reprendre notre situation en main et vaquer à d’autres occupations, autrement plus consistantes et plus concrètes. Oui, nous avons tenu le coup, mais pour combien de temps, disaient les plus avertis et ceux qui, après tant d’années de haut et de bas, ont compris qu’un « cahier des charges » a été laissé par ceux qui ont juré notre perte après notre indépendance ? Parce que ceux qui analysent savaient que les représentants de la colonisation étaient toujours là, chez nous, et bien introduits. Mais avec tout cela nous avons décidé de travailler durement, malgré notre inexpérience dans la gestion d’un État, malgré le manque de cadres et surtout de moyens… En effet, le manque de cadres, parlons-en.
Ils étaient combien, quand tous les colons ont quitté l’administration algérienne ? Combien y avait-il d’enseignants, pour ne citer que ce secteur important, à plus d’un titre ? D’aucuns, dans d’autres pays, n’auraient osé relever le pari comme nous l’avons fait. Dans chaque ville, les enseignants, se comptaient sur les doigts d’une main ! Ce n’était pas une mince affaire que de décider une aventure aussi délicate que celle-là. Mais le génie de notre peuple a fait que les écoles ont été toutes ouvertes, sinon la plupart, en cette première rentrée scolaire de l’Algérie indépendante. L’Université a été aussi rouverte et les quelques professeurs ont fait des prouesses pour être à la hauteur de leur tâche en encadrant le maximum d’étudiants. C’était le grand combat…, c’était le grand défi. Encore une fois, ce n’était pas du tout facile d’engager les programmes qu’exigeait de nous la continuité de la révolution. Pour cela, un Homme – que l’Histoire a loué et a écrit avec une majuscule –, a été investi à la tête de l’État. Les gens le voyaient ainsi, même s’ils savaient que cet avis n’était pas partagé par tous. Mais il faudrait bien qu’il y ait des gens qui le disent publiquement, pour rendre hommage à celui qui a tant souffert, en subissant cet affreux régime carcéral qui lui a été imposé par des « frères » de combat, en pleine renaissance de l’Algérie indépendante.
En ce temps-là, le système nouvellement créé a hérité des réflexes des frères du Moyen-Orient qui excellaient dans l’organisation des coups d’État. Nos responsables ont fait comme eux, pour être à la page et se glorifier de ce panarabisme aux relents de sous-développement. En tout cas, le peuple aimait beaucoup son Président parce qu’il l’a adopté, bien avant la fin de la lutte de libération. Militant de longue date, populaire et ayant une aura bien soignée à l’extérieur et une très bonne audience à l’intérieur, il prenait le départ d’une certaine Villa Joly, avec la fougue du combattant, sans se soucier des complications et des tourments qui allaient naître dans le feu de l’action. En effet, quelques drames ont eu lieu en ces débuts de gouvernance difficile et il était tout à fait normal que pareilles circonstances apparaissent dans une jeune république. Il était aussi attendu que les contradictions du passé surgissent pour mettre dans l’embarras un pays qui n’en avait vraiment pas besoin de gérer encore d’autres épreuves pénibles. C’est le sort de toutes les révolutions populaires qui germent au milieu de foyers de tensions…, et qui, de surcroît, naissent dans l’oppression et l’injustice, en somme qui déplacent un lourd héritage. Le nôtre est fait de toutes ces difficultés, de ces besoins, de ces aspirations, de ces rêves qu’a engendrés notre lutte de libération, depuis des siècles.
Le nôtre procède aussi du fait que « chacun de nous avait son chemin, ses bagages, le poids de son parcours et la façon de gérer l’objectif une fois atteint. Mais tous, nous étions portés par le même désir de vivre dans un pays aussi vrai, aussi vivant que celui de l’occupant…Jusqu’à présent, n’est-il pas de coutume de dire : là-bas, par exemple…, pour comparer des situations comparables toujours à notre détriment ? N’est-il pas commun d’entendre le fameux « hadi bled hadi ? », sorti de la bouche de nos jeunes comme une douleur qu’ils souhaiteraient éliminer, pour améliorer leur quotidien ? » C’est pour cela aussi que le décollage a été très laborieux. Ces contradictions ont eu des effets néfastes et la jeune république, sous l’autorité du premier Président, ne pouvait tenir plus que ce temps. Elle était confrontée à ces problèmes de démarrage, à une situation en constante décomposition qui s’empêtrait de plus en plus dans des embarras. Cela nous plongeait dans le négativisme. Par ailleurs, dans l’environnement immédiat du « Chef » de l’époque, plusieurs rejetaient, par égoïsme peut-être mais par malveillance certainement, les meilleures formes de rapprochement des idées et des hommes et, par voie de conséquence, l’implication de toutes les forces vives dans l’amélioration du climat qui aurait permis un décollage sérieux vers une authentique reconversion des mentalités, pour lutter réellement contre les anachronismes et les retards hérités de la longue nuit coloniale. C’est l’Histoire qui se répète et ce sont toujours les hommes, ces « faiseurs de problèmes » qui concourent à la détérioration des climats politiques par égocentrisme quelquefois, mais souvent pour des intérêts personnels.
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)