Le polar nordique orphelin

Décès de l’écriaine Maj Sjöwall

On disait (si l’on était capable de le prononcer) Sjöwall-Wahlöö comme on disait Boileau-Narcejac ou Holmes & Watson. Un couple dans la vie et dans l’écriture, qui ne faisait plus qu’une entité, travaillant à quatre mains, indissociables. Après Per Wahlöö, décédé en 1975, Maj Sjöwall, a disparu ce 29 avril à l’âge de 84 ans. Ils travaillaient ensemble, sur une même table, le soir après avoir couché les enfants. Un bel exemple de parité conjugalo-professionnelle. Mais faut-il s’en étonner dans la précurseure Suède ?

Née le 25 septembre 1935 à Stockholm, Maj Sjöwall étudie le graphisme et le journalisme. D’abord traductrice, directrice artistique et journaliste, elle unit rapidement son sort à Per Wahlöö. Leur légende veut qu’ils écrivent, chaque soir tard dans la nuit, un chapitre chacun. Comment tout a commencé ? Par le meurtre d’une femme, comme il se doit dans bien des polars qui se respectent… Le couple fait une excursion sur les canaux entre Stockholm et Göteborg, quand Maj a une idée : «Il y avait une Américaine sur le bateau, belle, aux cheveux noirs, toujours seule. J’ai attrapé Per en la regardant. ‘Pourquoi ne commençons-nous pas le livre en tuant cette femme ?’». Lui, né en août 1926, était un journaliste travaillant pour différentes parutions et cultivant l’éclectisme : sport, cinéma, infos générales dont, bien sûr, les enquêtes criminelles… On le retrouve dans les années 1950 en Espagne, d’où il sera expulsé en 57 par le régime franquiste : trop critique selon le régime.
Per Wahlöö en tirera un roman Le camion, paru en Suède 1962. Un roman et une morale. Willi Möhr, un peintre marginal, fuyant l’Allemagne de l’Est, s’est installé dans un village de pêcheurs. Il y cohabite avec un couple d’artistes scandinaves. Lorsque ces derniers ne reviennent pas d’une partie de pêche, Möhr, persuadé qu’ils ont été assassinés, sort de sa passivité morale pour mener l’enquête. Le camion marque à la fois la naissance de la conscience morale comme signature de Wahlöö et l’acte de naissance du polar politique à la suédoise. D’aucuns parleront même de «polars marxiste». Dès 1961, Per Wahlöö se conjugue au féminin, pluriel. Il a rencontré Maj Sjöwall, collaboratrice dans une maison d’édition. A eux deux, ils vont donner naissance à deux fils et à Martin Beck, commissaire de police à Stockholm. Une série de 10 enquêtes, sous-titrée «Roman d’un crime», est publiée entre 1965 et 1975. Le succès est au rendez-vous : leurs romans sont traduits en 40 langues et adaptés dans des douzaines de films.
Ce qu’en disait Maj Sjöwall ? «La série Becks a caractérisé ma vie – pour le meilleur et pour le pire. Depuis, je suis définie comme écrivaine et traductrice de romans policiers. Ma vie d’écrivaine aurait pu être différente», explique-t-elle.​ Ann-Marie Skarp, directrice des éditions Piratforlaget et éditrice de leurs romans voit dans le couple bien plus que de simples auteurs de polars : «Ces dix romans avec pour héros Martin Beck sont désormais des classiques. Ils ont inspiré, j’ose le dire, tous les auteurs de romans policiers vivants. En incorporant les descriptions sociales et le travail policier authentique dans le scénario, May et Per ont changé tout un genre.» Les éditions Rivages, qui ont réédité à partir de 2008 les dix romans mettant en scène Beck ont eu une jolie idée.
Ils ont demandé à autant d’auteurs de préfacer chaque roman. Le premier à le faire est un autre suédois, Henning Mankell, qui préface Roseanna, premier opus de la série. Selon l’éditeur, avec son commissaire Wallander, il s’inscrit dans la continuité de Sjöwall et Wahlöö. Benjamin Guérif qui a supervisé la réédition de la série chez Rivages : «On peut dire qu’avec ces préfaces, les auteurs choisis payent leurs dettes envers Sjöwall et Wahlöö. Tous, qu’ils soient anglo-saxons ou scandinaves, reconnaissent qu’ils ont été influencés par leurs romans policiers.»
I. S.