Le rêve est gratuit

Ne m’en voulez pas

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

Voici nos problèmes. Nous voulons les cacher, mais ils nous reviennent à la surface, comme pour nous rappeler que nous avons failli à notre mission… que nous n’avons pas été justes avec nous-mêmes, que nous avons oublié le serment que nous avons fait à nos martyrs. Mais surtout, surtout, pour rappeler à la plupart parmi nous, que nous avons été égoïstes au point de ne travailler que pour nous-mêmes, pour nos familles et nos amis, ceux avec qui nous partageons des profits. Non satisfait, par cette intervention de l’artiste, le jeune reprend la parole. Il pose des questions. Il voudrait savoir plus. Il voudrait comprendre cette cocasserie chez les cadres qui, en principe, devaient être les meilleurs représentants d’un État, d’une nation, d’une révolution comme la nôtre, au lieu d’être les bouffons du roi ou les faiseurs de problèmes. Les jeunes ne peuvent saisir ces délires, surtout lorsqu’ils émanent de gens supposés être respectueux et attentifs aux problèmes des autres. – Est-ce possible que des fourbes de cet acabit soient désignés à de grandes responsabilités ? Est-ce possible que des dirigeants aillent jusque-là, montrant toute leur faiblesse ou leur complaisance devant des situations étranges, comme celle que j’ai déjà racontée, celle du ministre, ou comme celle que nous venons de connaître ? Et le sérieux dans tout cela, où est-il ? Ne nous ont-ils pas martelé que les meilleurs cadres et responsables sont aux postes de commande ? Si je comprends bien, ces cadres et ces responsables ressemblaient donc à des coopérants ? Ainsi, nous ne devons pas nous étonner de rencontrer des comportements pareils et, par conséquent, d’avoir des résultats en deçà de nos espérances.

L’artiste répond, plus convaincu que jamais :
– Oui, ils ressemblaient à des coopérants, «au passé simple», et ils ressemblent, «au présent de l’indicatif», tout simplement et toujours à des coopérants. En fait, certains sont bel et bien des coopérants. C’est une race qui a juré ne pas vouloir nous quitter, pour les meilleures «prédispositions» que nous lui offrons, tant sur le plan de l’hospitalité que sur le plan des avantages. Tenez, par exemple, ce sont des nationaux et ils ne résident pas chez nous, dans le pays. Ils sont hébergés dans une Résidence luxueuse, parce qu’ils sont considérés comme étant en mission, dans leur pays. Leurs enfants, leurs familles, sont ailleurs, vivant à l’étranger. Il fut un temps où certains, parmi cette faune de nouveaux responsables, «assistaient» notre pays pendant trois jours seulement et se déplaçaient chez leurs familles, pour le restant des jours de la semaine. Jeudi, vendredi, samedi, dimanche, ils se trouvaient dans leurs pavillons, quelque part, dans la banlieue parisienne. Ils ne revenaient que le lundi matin, pour justifier leur salaire et leur présence sur le sol natal. N’est-ce pas magnifique des jobs pareils ? Ceux-là, quand ils parlent en aparté, avec des amis, déversent leur fiel sur tout ce qui se fait dans le pays. Ils ne sont jamais satisfaits. En réalité, ils n’aiment pas l’Algérie et, si ce n’était pour «arracher» le maximum de profit, ils ne resteraient pas dans ce pays qu’ils abhorrent. Ils ont trop d’attaches ailleurs et beaucoup de moyens pour ne pas penser vivre indéfiniment dans le pays qui les a vu naître et grandir. Pardon, si je divague en vous lançant ces vérités, ne m’écoutez pas ou faites semblant de n’avoir pas compris ce que je dis. De toute façon, je n’ai pas l’intention de gêner qui que ce soit. C’est le rêve qui m’y oblige… Donc, je continue, puisque je me sens à l’aise, étant immunisé par cette «impunité» dont me gratifie le rêve, en fait qui gratifie tous les gens comme moi qui veulent aller au fond des choses. Allez, suivez-moi, et surtout ne m’en veuillez pas, le rêve est gratuit. Je continue donc… Ainsi, quand vous discutez avec ces «coopérants» sur des sujets sérieux, ils vous répondent que votre avenir n’est pas dans ce pays.
Ils vous persuadent que vous avez intérêt à chercher d’autres cieux pour vivre heureux, et terminent, péremptoirement, «n’hésitez pas à choisir là-bas, plutôt qu’ici !». De grandes «leçons de militantisme» que vous donnent ces messieurs, les «résistants» de la nouvelle époque ! Mais au fait, y a-t-il que cela qui nous dérange, dans ce climat nocif, j’allais dire dans ce climat de merde ? Non ! Il y a plus que cela. Il y a plus haut qui dérange. Il ne faut pas s’arrêter à ce boulanger qui ne fait pas du bon pain, à ce mécanicien qui ne répare pas bien la voiture, à ce maçon qui ne construit pas bien la maison, à ce professeur qui ne fait pas bien sa classe, mais à ce haut responsable qui ne sait pas diriger son institution. Parce que cela veut dire que rien ne marche et que rien n’est sérieux. Donc, pourquoi aller fouiller ailleurs, dans d’autres compartiments de l’État, même s’ils sont très importants, pour trouver des insuffisances et établir un bilan négatif ? Il faut voir le train, en entier, pour conclure que rien ne marche selon notre volonté. Tenez, par exemple, essayons de voir le discours politique dans notre pays. Prenons, comme référence, une campagne donnée, sans dire quel genre de campagne. Le reste ne nous intéresse pas tellement. Nous tombons à la renverse, tellement il y a de l’hypocrisie et des contradictions qui n’engendrent que des inquiétudes et des peurs chez les citoyens que nous sommes. «Ainsi, toutes les appréhensions apparues dans la société, ne sont pas dissipées», affirmait un journaliste, parlant d’une certaine campagne. Et de continuer, son analyse, très objective d’ailleurs : «Les discours politiques développés au cours des différents meetings ont contribué à créer une véritable confusion dans les esprits. Les citoyens sont carrément déroutés par la non-visibilité politique qui transparaît des différents discours…
On a tout vu, au cours de cette campagne, des chefs se planter des banderilles dans le dos, se démentir au détour de chaque meeting, s’autoriser des lectures partisanes, voire mieux : anticiper sur l’avenir, allant jusqu’à annoncer des décisions qui sont du ressort du chef de l’État…». Même ce dernier n’a pas été épargné, dans cette analyse du journaliste : «Le président de la République s’est, lui aussi, laissé aller à ce jeu politique qui sacrifie le devoir de vérité et le parler vrai au peuple à la recherche des faux consensus et des solutions faciles et fragiles. Il ne suffit pas d’être un éminent spécialiste en communication pour déceler derrière une apparente unicité dans le discours des idées qui se bousculent confusément, s’entrechoquent, se contredisent jusqu’à rendre le message véhiculé inintelligible, peu cohérent, déroutant, donnant lieu à des lectures politiques tous azimuts et parvenant dans une forme chahutée à l’opinion publique…» Je répète, encore une fois, que ces propos ne sont qu’un exemple de cette ambiance dégradée qui sévit dans les hauteurs du pouvoir.
Un autre journaliste va dans le sens d’un autre constat : plus acerbe, plus direct et plus amer. Il explique, en quelques mots, le climat de flatterie qui existe dans nos pays où les responsables ne vont pas vers l’essentiel. Il nous rappelle l’ambiance de ces fameux et somptueux «diwawine» où tout s’accomplissait au moyen de panégyriques, bien composés, dans le style qui devait plaire au monarque : «Il est un don du ciel», haranguait un griot de ministre. «Il est d’une inspiration divine», surenchérit un responsable de parti par la grâce d’un putsch (…) Les oracles multiplient les augures et les flagorneurs de tous poils en font déjà l’annonce… Franchement, on n’est plus dans une République qui se respecte – comme si elle n’a de qui tenir – mais on est dans une «République de singes» ! Excusez-moi l’expression ! D’ailleurs le rêve me donne cette latitude de me mesurer aux grands qui, je l’espère, comprendront mon amertume après ce constat d’échec.
Du fond de la salle, l’homme sage, lance des propos acerbes, d’une voix chaude et grave, en haussant le ton. Est-ce la traduction de cette perception des gens qui est commentée par cette intervention ? En quelques mots, il résume leurs complaintes, comme s’il lisait dans les cœurs : – Pleure ô mon pays bien-aimé, pleure sur ton destin, pleure ton infortune, pleure sur l’adversité qui te poursuit, pleure sur les détresses qui te tourmentent, pleure sur tes hommes qui ne veulent changer ton étoile, pleure ta vie, pleure ton passé, pleure ton présent, pleure ton avenir… ! Une grisaille silencieuse règne dans l’assistance, comme si ces premières verves de l’artiste et les harangues de l’homme sage, pareilles à celles d’un coryphée dans le théâtre antique, sont venues comme des assailles pour rappeler l’ambiance insupportable qui domine dans un pays qui a perdu ses belles couleurs. Ahuris, les spectateurs ne savent comment réagir, ne savent quoi penser devant des propos étranges et insolites, dans un théâtre où se mélange un univers hétérogène à un spectacle inhabituel. Franchement, cette attaque de front vient les éclabousser et les provoquer, comme pour les réveiller après un long sommeil. Une douche froide, en quelque sorte. Jamais, ils n’ont entendu pareils propos, jamais ils n’ont été secoués de cette manière. Avant on n’osait pas dire les choses clairement.
C’est-à-dire, franchement et simplement, dans la langue que comprend tout le monde. On n’osait même pas les tempérer dans un style qui pouvait passer sans grande consternation. Cela prêterait à confusion et attirerait l’attention de ceux qui aimaient lire dans les lèvres. On disait uniquement les choses qui plaisaient, on les disait avec beaucoup de complaisance et d’obligeance. Il fallait trouver les mots gentils, les phrases qui sonnaient bien et les tournures qui comblaient de bonheur ces messieurs du pouvoir à la susceptibilité à fleur de peau… des mots qui ne titillaient pas leurs oreilles chastes et ne contrariaient pas leurs humeurs difficiles. Il fallait caresser dans le sens du poil. En termes clairs de République bananière, il fallait se montrer bas, très bas, vil, plus vil que les ignobles spécialistes de la courbette et de l’esbroufe.
Il fallait avoir l’échine souple et aller dans le sens de la vague. Rien ne pouvait être dit correctement, comme chez les gens civilisés. Le verbe perdait de sa valeur, le discours n’était plus rassembleur mais délassant et, à la limite, divertissant… ces seigneurs. L’artiste reprend la parole et ses droits. Il descend de la scène… érige un podium de fortune. Une table, une simple table qu’il déplace d’un coin, en un geste mécanique. Il se met au milieu avec les spectateurs, debout, sur cette nouvelle tribune, comme pour mieux les sentir ou pour mieux les dominer. Il les provoque, dans une caricature cocasse, au goût burlesque mais surtout amer. C’est en réalité une confrontation brutale pour qui se donne la peine de comprendre les contours et les visées lointaines de cette parodie. Il fait son «on man show» devant un monde qui arrive difficilement à le suivre, parce qu’il ne comprend pas cette attaque de front qui est venue comme pour le rendre responsable de tous les malheurs qu’endure le pays… Quant à nous, poursuivons le rêve… il est gratuit de toute façon, et on peut tout dire, tout s’imaginer, dans un style grave et choquant puisque on est dans un autre monde. Le monde de l’irréel. Personne ne nous en voudrait d’être durs, provocants peut-être, emmerdants sûrement.

L’artiste enchaîne, de cette façon, dans le même style :
– En effet, que sommes-nous devenus, après ces pénibles ratages et ces comportements indignes ? Je dois vous dire beaucoup de choses. Je dois vous expliquer pourquoi, après ce «chef incontesté et incontestable», sommes-nous arrivés à ce stade de la décrépitude ? Ouvrez bien vos oreilles, Mesdames, Messieurs… surtout vous les jeunes qui avez besoin de tout savoir ! Le nouveau régime, sous un autre chef, bien évidemment, devait prendre un autre tournant. Il faut dire qu’il l’a très mal négocié puisque nous avons connu, après, – même si nous vivions apparemment avec l’esprit de la continuité – des moments très difficiles qui nous ont perturbés et conduits doucement, et souvent rudement, vers la capitulation et le désordre. Cette période a eu ses hauts et ses bas. Les grands responsables proclamaient une étape décisive avec le développement et l’avènement du progrès, en décidant la réalisation d’un important plan quinquennal. Mais où sommes-nous arrivés avec ce plan ? Malgré toutes les garanties qui l’ont entouré – les responsables chantaient les mérites d’un travail plus sérieux et d’une cohésion plus grande au sein des organes dirigeants, ils annonçaient des programmes plus que convaincants car planifiés et facilement réalisables – avons-nous été en mesure de produire les résultats tant attendus ? Avons-nous œuvré jusqu’à la limite de nos forces pour annihiler la crise économique qui s’installait outrageusement dans notre pays et dont tous les responsables – les Grands – affirmaient qu’elle ne pouvait nous atteindre ? Aujourd’hui, il faut avoir ce courage pour dire qu’avons-nous réalisé de plus important et de plus concret par rapport à la période précédente ? Cette question, je la pose sciemment, devant vous, pour dire qu’il ne faut jamais se comporter en ingrat, celui qui fait de la négation du passé son leitmotiv.
Il faut reconnaître dans ce passé, puisque c’est de lui qu’il s’agit, que s’il y a eu des défaillances, beaucoup de défaillances, – nous dirons pourquoi – il y a eu certaines bonnes réalisations. Nous arrivons maintenant à ce fameux pourquoi. Eh bien, tout simplement, parce que nous sommes comme tous les pays sous-développés qui souffrent de cette sempiternelle question de contrôle qui n’est jamais efficace ou constamment en retrait par rapport au développement. Ainsi, quand nous avons vécu ces moments difficiles et quand nous avons fait tous les constats, nous arrivons à nous dire : nous avons failli quelque part dans la mission qui nous a été assignée ! Mieux encore, et il faut le souligner avec force, si nous aurions laissé les hommes compétents, engagés et pleins d’initiative faire librement et pleinement leur travail, nous ne serions peut-être jamais arrivés à ce stade où nos défaillances ont aiguisé les implications multiples de la crise économique mondiale sur notre pays.
Ces hommes ont été absents du domaine économique et à leur place il y avait des médiocres, ces «obligés» et ces peureux… des hommes du sérail ou, plus exactement, des hommes qui faisaient plaisir au sérail. Effectivement, à leur place, nous avons choisi d’autres, des faibles et des «bénéficiaires» de cette rente pétrolière… qui leur a inculqué ce comportement d’«assistés» plutôt que d’«assistants» de grands projets et de prodigieuses réalisations. Nous avons également parlé de réformes, au cours de cette période… nous en avons même trop parlé. Mais nous étions convaincus qu’il fallait changer parce que le monde extérieur demandait plus de clarification quant à notre démarche économique et même… politique.
Nous avons affiné certains aspects de nos textes, notamment la Charte nationale. Nous lui avons donné, selon notre perception des choses, plus «d’oxygène» avec une ouverture intelligente sur le privé national et par delà nous avons décidé de lutter contre certains avatars d’une politique que nous avons jugé, «subitement ?», inefficiente. Ainsi, les gens sérieux pensaient qu’il était opportun de changer. Les autres, ceux qui nous attendaient au tournant, trouvaient en cette ouverture l’occasion pour «enfoncer le clou» et désigner le système comme un frein à toute évolution. Enfin, ceux-là étaient «logiques» dans leur approche et «sincères» avec leurs aspirations. Ils n’ont pas eu tort de s’exprimer ainsi car, eux qui jouissaient des avantages de ce système, n’ont fait que changer de fusil d’épaule et se sont placés, en bons opportunistes et en soigneux calculateurs, dans d’excellentes positions. Ils étaient d’autant plus logiques parce qu’ils savaient qu’en réalité ils demandaient à notre société, qui commençait effectivement à s’éroder, de s’aplatir devant la tourmente des difficultés qu’allait nous imposer le diktat d’une économie mondiale appelée, à tort ou à raison, économie moderne. L’ouverture qu’ils prônaient allait aboutir à cet «infitah» d’un certain pays arabe, dont la résultante a été que des multinationales ont été favorisées et qu’elles ont eu énormément de crédit et de privilèges au moment où une nouvelle classe d’affairistes et de spéculateurs s’était constituée et renforcée au vu et au su d’un régime décadent.
Le rêve continue… ne vous étonnez pas d’apprendre encore plus… Oui, vous apprendrez plus tard, hélas, que nous avons suivi le même exemple et que de grandes sociétés étrangères se pavanent chez nous, dans notre territoire, au détriment de nos sociétés nationales qui font la fine bouche et qui ne réagissent aucunement à cette dilapidation des biens du peuple… Ne m’en veuillez pas, le rêve me titille et me contraint de vous informer de cette opération appelée : «Dévorer à belles dents la richesse de votre désert». Mais avant d’arriver à ce constat, qu’en était-il au fait de notre évolution, pardon de notre «révolution» économique, dans cette mouvance de révision ou, comme le comprenaient certains, de remise en cause de pans entiers de notre politique ? Il ne faut pas avoir de réserve… il faut tout dire à cette occasion pour comprendre pourquoi avons-nous été atteints par cette «péremption», si j’ose m’exprimer ainsi. En effet, nous avons touché le fond après cette période de «vaches grasses», lorsque le pays était un vaste chantier de développement. Et les jeunes doivent savoir aujourd’hui que malgré cette atmosphère de continuité dans la relative dynamique de progrès que notre pays essayait d’entretenir, nous avons eu la désagréable surprise d’être offusqués et par trop déçus, à l’heure des bilans.
Ce fut pendant cette fameuse Conférence nationale de développement que nous avons appris que ce qui nous paraissait du dynamisme débordant n’était en fait que de l’activisme stérile qui freinait ou qui portait préjudice à notre vaste programme d’édification nationale. Ainsi, nous avons appris que les résultats affichaient lamentablement des taux très en deçà de la moyenne et ne reflétaient ni la confiance, ni les moyens qui ont été mis à la disposition de ceux qui avaient la charge des plans de développement. Cette Conférence a eu le mérite d’enlever le masque à tous les responsables qui se targuaient d’être «les plus forts» et qui se prévalaient toujours d’une «compétence hors du commun», en l’absence d’un contrôle rigoureux et strict et en l’absence de ces gestionnaires véritablement compétents. Des chiffres à l’appui, ont été énoncés, et là nous avons compris que l’on commençait à rentrer dans «une zone de grande turbulence» et que l’on s’acheminait, tout droit, vers de sérieux problèmes. Nous venions de connaître la triste réalité d’un pays qui se prévalait, triomphalement, du gotha de ces nantis ou, à tout le moins, de ceux qui allaient droit vers la prospérité. Hélas, notre autosatisfaction des années antérieures commençait à s’estomper lorsque nous avons perçu les dangers d’un développement parsemé de déperditions énormes et, plus grave encore, lorsque nous avons été informés pour la première fois de l’existence d’une dette extérieure très forte. Un groupe de jeunes sort de la pénombre. Il est précédé de l’homme sage. Ils avancent vers l’artiste en un mouvement de ballet.

Et, d’une voix sévère, pour dire leur angoisse, ils répétaient à l’unisson :
– Ainsi, nous constatons que nous avons été leurrés, de longues années, par nos responsables qui nous ont toujours appris que tout allait très bien. En réalité, ils n’avaient rien à nous promettre, selon votre discours, sauf une situation déplorable, difficile, voire dangereuse. N’avaient-ils pas pensé avant qu’il fallait prendre des garanties, au lieu de nous contenter de vivre sur la vente de nos ressources naturelles ? N’est-ce pas dangereux d’entendre un discours pareil qui, en son temps, aurait pu nous démobiliser en nous promettant des jours sombres ? Et l’artiste de reprendre de plus belles : – Oui, nous n’avons pas été seulement leurrés par nos responsables, nous avons même été trompés ! Nous avons été trompés par ceux-là mêmes qui nous promettaient des lendemains meilleurs ! En réalité, rien ne marchait sérieusement. Les bonnes affaires se faisaient uniquement au profit des grands, ceux qui nous commandaient, et la descente aux enfers se préparait pour nous… les gens de la «plèbe» qui avions confiance en eux parce qu’ils nous miroitaient, à coups de discours flamboyants et pleins d’arguments solides les bons résultats du développement national… en bref, les plaisirs du paradis.
La réalité était tout autre. Voici des témoignages qui corroborent notre discours : «Le processus d’enrichissement de certains sujets allait visiblement en sens inverse de l’appauvrissement d’une majorité. De nombreuses richesses accumulées, et qui s’accumulent encore plus de nos jours, ne sont le fruits d’aucune créativité, mais plutôt de facilitations monétaires engendrées par un jeu d’alliance très souvent familiales…». «Quant à l’autorité et à la rigueur dans la simple application des lois de la vie quotidienne, il suffisait d’observer autour de soi pour en juger…» La réponse fut donnée à ceux-là, à ces sangsues, à ces profiteurs sur le dos du peuple, un certain «Octobre» quand des jeunes, aux mains nues, sont sortis pour crier leur colère et vomir leur répugnance contre le régime. En l’espace d’une journée – et quelle journée ? –, la rue est devenue l’exutoire de toutes les rancœurs et de tous les ressentiments.
De grandes manifestations ont confirmé le degré d’hostilités contre un État, un pouvoir, un système et des responsables qui ne se souciaient guère de la situation d’un peuple qui s’empêtrait dans la misère et dans l’injustice, celle que nous appelons par une expression très forte et très marquante : la «hogra». De là, notre pays est rentré dans un cycle de grandes perturbations… Des répercutions néfastes ont touché directement le citoyen qui, pris dans un étau, entre la faiblesse d’un pouvoir et la dégradation du climat social, se démobilisait et perdait tout espoir d’atteindre l’idéal qu’il avait longtemps caressé.
(A suivre) 
Par Kamel Bouchama (auteur)