Le rêve est gratuit

Ne m’en voulez pas,

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

En effet, un certain «Octobre», ce fut la mise à feu d’une bombe qui nous était préparée depuis un bon bout de temps. Tout était prêt pour le «bouquet final». Plus tard, les fomentateurs ou les «concepteurs» de cette tragédie iront récolter les profits et même imposer, dans la tourmente de l’après tempête, le genre de système qu’ils avaient, auparavant, choisi, au moment où le pays comptera ses victimes et regrettera tant d’espoirs envolés. Un homme simple, d’une allure effacée, se lève parmi les spectateurs et insinue, dans un langage sibyllin, digne de ces journalistes pernicieux : – Et la démocratie ? Qu’en est-il advenu ? N’a-t-on pas dit que les gens, et surtout les jeunes, sont sortis pour réclamer, haut et fort, son application dans nos espaces qui souffraient de subordination et de sujétion ? Et ces forces du mal dont on a longtemps parlées et qui se sont liguées contre nous, pour que nous mettions un genou à terre – si ce n’est deux –, et ravaler notre fierté légendaire ? Et ce fameux complot qui nous venait de si loin, comment pourrait-on s’imaginer sa mise en application pour un pays qui présentait déjà des signes de grande faiblesse et de discorde ? N’y avait-il pas le terreau, dans ce délabrement prononcé, pour une explosion aussi dangereuse que celle que nous avons vécue ?

Le sage, toujours accompagné de ses jeunes, enchaîne :
– Oui, la démocratie, il faut en parler !
– Oui, le complot, il faut nous l’expliquer !
– Oui, le délabrement, il faut nous dire quels sont les responsables ! L’artiste ne prend aucune autre allure que la sienne : la plus sûre et la plus résignée. Ni choqué, ni vexé par tant d’assailles, il répond avec calme et pondération. Bien au contraire, on a l’impression qu’il suscite par la pertinence de son propos d’autres questions, auxquelles il se fait un grand plaisir de répondre :
– Que voulez-vous que je vous dise ? Que le peuple est sorti en ce «5 Octobre», prétendant instaurer la démocratie ? Que ce qui nous a agité pendant ces journées de braise et les troubles qui ont suivi, nous viennent essentiellement d’un complot savamment orchestré par l’extérieur ? Que la dégradation qui nous a longtemps maintenus dans le statut du déclin ne trouve pas de responsables dans le pays ? Je vous mentirai si je vous tenais ce langage. Franchement, la situation était tellement grave, précisément en ces moments cruciaux, qu’on avait l’impression de vivre non pas un rêve – comme le nôtre, dans lequel nous nous trouvons présentement –, mais plutôt un cauchemar très dur à digérer. Le malaise, comme disait un journaliste, était général et ne voyaient d’espoir en l’avenir, que ceux qui étaient sur le point de partir vivre ailleurs, ou ceux qui détenaient un segment du pouvoir. Le reste semblait léthargique et perdre jusqu’aux réflexes qui lui permettaient de réagir devant le danger de mort de ses rêves. Chacun avait son chemin là aussi. Ainsi, parler de revendication de la démocratie, c’est s’avancer sur un terrain vaseux.
Personne, en ces moments de drame, ne pensait à la démocratie. Sincèrement ! Pourquoi raconter des balivernes au nom de cette population qui est sortie pour crier son ras-le-bol, sa répugnance et son dégoût à l’encontre d’un régime qui s’essoufflait et n’écoutait plus ses doléances ? Les jeunes qui se sont engouffrés dans les manifestations, la plupart venant de quartiers populaires, étaient poussés par l’injustice, le chômage, la crise de logement, les déperditions de tout genre et le manque d’intérêt manifesté, à leur égard, par les responsables. La démocratie était une vue de l’esprit de certains qui pensaient arriver à l’application de leur aspiration, pardon de leur stratégie personnelle, en trouvant malheureusement des éléments «stupides» qui ne lésinaient sur aucun moyen, même le pire, pour appliquer cette «dynamique de changement», conçue préalablement, à leur insu, dans des officines spécialisées. La main d’œuvre était là, à la portée de tous ceux qui voulaient l’utiliser : les jeunes désœuvrés, oisifs, agités, oppressés par un système qui regardait ailleurs plutôt que vers eux.
Ces jeunes ne se sont pas fait prier. Dès la première étincelle, ils se sont lancés dans la bagarre. Ils déferlaient de partout. Envahissant toutes les places et les grandes artères. Sur leur passage : la destruction, les flammes, les voitures incendiées, les bus calcinés, les symboles de l’État saccagés, les cris hostiles au pouvoir. Ces jeunes ne savaient pas qu’ils exécutaient un plan convenablement étudié, quelque part. C’était rapide, trop rapide… ce qui nous fait penser à une minutieuse préparation et à une sérieuse manipulation. Car ceux qui ont échafaudé ce plan machiavélique savaient que les jeunes sortiraient facilement, sans se faire prier. Il ne leur manquait, pour mener à bien cette «mission» qu’ils devaient accomplir, inconsciemment, bien sûr, que ce petit coup de pouce qui leur a été donné par des «experts» qui se sont infiltrés dans les rangs de la naïveté.
Où était la démocratie dans tout cela, je vous le demande ? Maintenant, pour ce qui est du complot. Eh bien, il y a beaucoup à dire. Peut-être qu’il a existé, mais ce qui est sûr c’est qu’il y avait une situation «très favorable» pour une «merveilleuse explosion». Le terreau était là, je l’ai dit. Il était dans la situation lamentable dans laquelle nous pataugions et dans la grogne de la jeunesse qui ne pouvait s’atténuer qu’avec une bonne «décompression». Et ceux qui nous talonnaient de près connaissaient tout cela ! Constat d’échec.

De la salle jaillissent des voix, de plusieurs personnes qui réclament plus de précisions, car le sujet est grave… disent-ils avec une pointe de désarroi. Et l’artiste de reprendre : – Patientez, je vais tout vous dire. Ne sommes-nous pas dans un rêve ? Et ne m’est-il pas permis de tout dévoiler, de dire ce que je sais et peut-être même… de dire ce que je ne sais pas, en divaguant vers d’autres rivages ? Non ! Détrompez-vous, je ne vais pas fantasmer. Le sujet est assez important et sérieux pour qu’on ne le complique pas plus avec d’autres tourments. Ouvrez bien vos oreilles. Suivez-moi, dans tous les détails… je risque d’être long. Ne perdez surtout pas un mot de ce que je vous dis ! «Le complot… et l’artiste marque un temps d’arrêt, existe bel et bien !». Vient-il des autres, c’est-à-dire d’ailleurs, de l’autre côté de la Méditerranée ? Est-il un produit purement national ? Je vais essayer de répondre, même si ce n’est pas aussi simple, d’aller vers des horizons inconnus. Notre effondrement nous a été programmé depuis des décennies, en tout cas, peu après notre indépendance, c’est-à-dire après notre victoire sur le colonialisme.
Là, des forces du mal qui n’ont jamais digéré cette victoire éclatante de notre peuple et de son principal soutien, le FLN, attendaient patiemment l’occasion pour nous détruire, aidés en cela par leurs «amis locaux» de toujours. Ce complot donc, contre notre pays et son guide le FLN, remonte à l’époque où, vaincus sur le plan de la lutte anti-impérialiste et sur le terrain diplomatique, nos ennemis ont essayé de se redéployer par leur «troisième force» pour balayer toutes les valeurs qui ont fait de l’Algérie un pays respecté et entendu dans le concert des nations. Ces prémices, nous les avons ressenties à l’aube de notre indépendance.
Et c’est là où des spécialistes de la subversion ont inoculé aux différents organes, d’une façon insidieuse et très subtile, les premières «bactéries» de la division et de la mésentente, sachant nos responsables prédisposés à contracter facilement la maladie, eu égard à leurs entreprises hasardeuses du passé. Cela peut vous paraître, comme des images faisant partie d’un rêve – même si nous sommes dans un rêve –, détrompez-vous, c’est la réalité. C’est la pure vérité. Car, ces mêmes ennemis, profitant de quelques conflits qui ont secoué le pays, conflits presque naturels au cours de ces premières années d’apprentissage de la gestion du pouvoir, ont essayé d’approfondir le fossé entre les antagonistes afin d’amplifier leurs rivalités, pénétrer au fond du système et le miner tranquillement.

Les débuts ont été durs et les aventuriers qui ont échafaudé ce plan machiavélique n’ont pu arriver à leur fin, même en sollicitant l’opposition qui cherchait à se développer et à se renforcer quitte à trouver de l’aide «ailleurs». Cette dernière ne pouvait abonder dans le sens de ces intrigants et «ne tendait pas la main» à n’importe qui, surtout quand les «mécènes» sont des ennemis jurés du FLN originel, ce FLN qu’ils respectaient parce qu’il leur appartient, même s’ils ne partageaient pas les mêmes idées que ceux qui le dirigeaient, en ce temps-là. Nos ennemis se sont habillés de patience. Ils ont attendu calmement, des années, en lançant de temps à autre un «quidam», qui leur appartenait, dans le giron de nos responsables. Après la mort du «Chef incontesté» – pour revenir à lui –, ces mêmes ennemis qui nous collaient à la peau, comme une maladie honteuse, nous ont choisi une autre forme de combat qui allait nous être fatale. L’implosion ! Oui, ils nous ont préconisé cette méthode de destruction, en une déflagration d’une forte intensité, «dirigée» par nos propres institutions. Le plan a été ainsi établi.
Les commanditaires allaient vers son application, étape par étape. Comment cela ? Un. Le FLN, puissance d’alors, devait être sali aux yeux des masses. C’est à lui qu’on allait faire porter le chapeau pour le chômage, la crise de logement, la cherté de la vie, les déperditions scolaires, la crise économique et, qui sait, peut-être même pour le ratage de l’équipe nationale de football au Mondial du Mexique. Il fallait coûte que coûte «l’enduire» de toutes les crasses et le discréditer aux yeux des gens. Deux. Il fallait créer certaines situations conflictuelles et notamment chez les travailleurs des secteurs du transport et de l’enseignement. Le couffin de la ménagère, lui aussi, ne se remplissait pas au marché ou n’approchait que rarement cet endroit, plein de convoitises et où les prix grimpaient pour devenir inaccessibles. Des grèves du couffin ont eu lieu dans un pays comme le nôtre où le pauvre pouvait manger à sa fin. Des rumeurs folles circulaient, atteignant des responsables, leurs familles et leurs intimes.
Bref, un climat incommodant s’instaurait dans tous les milieux et ne donnait guère l’espoir d’une solution rapide et pacifique, comme dans le temps, ou comme chez les gens civilisés… Trois. Les forces du mal ou ces «génies malfaisants» ont conseillé au Président de s’adresser au peuple et d’employer un style inhabituel, dans nos discours, celui d’haranguer, ou plutôt de sermonner, les responsables et les masses – tous étaient dans le même sac – et de les pousser vers plus de contestations et de dissidences. Ensuite, vint le 5 Octobre, ce jour funeste où des centaines de jeunes sont descendus dans la rue pour crier leur colère, leur mépris, leur répugnance vis-à-vis d’un pouvoir qui ne les écoutait plus. La casse, l’hostilité, la mitraille, le sang, la mort, les représailles, les pleurs, en somme le divorce avec un système qui ne représentait plus rien. Un bilan triste ! Des crimes et des châtiments qui n’honorent pas un pays aux grandes potentialités et aux splendides chances de réussite… dans tous les domaines.

Le reste, eh bien le reste tout le monde le connaît. La pente, disaient certains, un nouvel épisode de reconstruction, disaient d’autres qui étaient plus sereins, plus encourageants et qui pensaient toujours à cette difficile mais nécessaire «dynamique de changement». En réalité, c’était le début d’une crise plus corsée, qui devait nous balancer dans des situations difficiles en nous entraînant vers une évolution négative où la rue allait gérer, avec impuissance, toute l’horreur d’une réaction populaire négative. Ainsi, c’est falsifier l’Histoire que de dire que les jeunes sont sortis ce jour-là, et les autres jours qui ont suivis, pour revendiquer leur droit à la démocratie. Les jeunes et le peuple sont sortis pour revendiquer plus de liberté, plus d’égalité, plus de justice sociale, plus d’attention et de considération. Quand les jeunes criaient leur dégoût à Bab-el-Oued, El Madania, Belouizdad, El Harrach et autres quartiers populaires, ils ne se réclamaient d’aucune formation politique. Ils le manifestaient contre tout ce qui incarnait le pouvoir… du président d’APC au ministre. Ces jeunes disaient à tous les dirigeants du pays, nous voulons d’autres responsables que vous, plus intègres et plus compétents.
C’était le message qu’ils transmettaient et qui, malheureusement, n’a pas été perçu si l’on considère les changements qui ont eu lieu, juste après la déflagration. Certains sont partis, entraînés par le reflux après les événements – ils devenaient de facto, des boucs émissaires –, d’autres plus responsables, donc plus «intelligents», ont feint de ne pas comprendre la réaction du peuple et se sont accrochés cyniquement, envers et contre tous, pour se recycler plus tard dans l’ère de la démocratie naissante… C’était cela «Octobre», une affaire de grande manipulation, doublée de facétieuses décisions et d’une longue liste de victimes innocentes. Ainsi donc «Octobre» a été une bonne occasion, qu’ont saisie les nouveaux partis, issus des réformes politiques et créés dans la hâte et la confusion, pour chanter les louanges de ce jour, ce «faiseur de démocratie», mais aussi, et sans conteste, ce faiseur de victimes… ces enfants du peuple, tombés innocemment sous la mitraille pour un idéal qu’il pensait être juste…
Et l’après tempête ? Un souvenir douloureux avec autant de blessures que de malheurs. L’effroyable image de choc restait dans les esprits. Par ailleurs, dans le sérail, des hommes impotents, pratiquement les mêmes, sont restés au gouvernail. Il fallait conclure que le pouvoir n’en démordait pas : on efface tout, on prend les mêmes et on recommence ! Ensuite la valse des gouvernements. Le premier après Octobre, le deuxième, le troisième… jusqu’au septième, en un temps record. Des partis. De nombreux partis ont vu le jour, aux côtés d’un FLN historique, qui se voyait abandonné par le pouvoir pour être subtilement «achevé», plus tard, après qu’il fut voué à la curée et à la vindicte populaire. Le climat donc était à la bousculade. Hôte-toi que je m’y mette ! De là, nous avons assisté à cette attaque du passé, de la part des nouveaux partis et des «particules» qui faisaient abstraction de tout ce qui a été réalisé.
Ils voulaient dire, en bons opportunistes mégalomanes, que leur présence représentait déjà une solution aux problèmes que rencontrait le pays. Rien que ça ! Mais un des responsables qui nous paraissait plus conscients, parce que plus instruit, disait honnêtement que «la démocratie a surgi dans notre vie nationale comme un accident. Elle a tout de suite été saisie comme l’occasion de laisser apparaître au grand jour les défauts que nous recelions : fanatisme intolérant, régionalisme suicidaire, haine de classe et opportunisme aventurier…». Oui, les jeunes, le fanatisme intolérant ! Vous l’avez subi, nous l’avons tous subi, amèrement, douloureusement. Nous l’avons payé de notre chair, nous l’avons payé très cher !

En 1991, le dialogue perdait le poids de ses mots et les armes furent malheureusement au rendez-vous pour nous rappeler ce mauvais souvenir de la première crise. En 1992, la situation devenait explosive, le suspense habitait le pays et la spéculation allait bon train. Le pouvoir, comme pendant ces dernières années, était absent. Et, dans ce climat tendu, voire pernicieux, le pays a vu une autre formation politique que le FLN solliciter le pouvoir, après son «succès» aux élections législatives, et le perdre avant même de l’avoir pris, par décision d’un autre pouvoir en place, le Haut Conseil d’État, installé tout juste après la «démission ?» du Président d’alors. Ce nouveau pouvoir a dû mettre fin au processus électoral en annulant les résultats de ce dernier scrutin. De là, a commencé une grave période de turbulence. Notre stabilité a été mise en danger par la faute de ceux qui ont manqué de prévoyance et ont amené le pays à traverser ces innombrables difficultés.
Le pays a basculé dans un autre monde entraînant avec lui les institutions et les hommes qui n’ont pu, pour la plupart, se reconvertir pour marcher de pair avec les exigences de la «nouvelle» étape. «Quelques uns, par contre, de la race des calculateurs et des infectes «hétérogènes» étaient restés dans le système, c’est-à-dire au pouvoir, pour tirer leur épingle du jeu. En réalité, le pouvoir était entre leurs mains. Ils condamnaient les autres et criaient ostensiblement «au voleur !», pour détourner l’opinion de leurs méfaits». Les troubles qui sont venus après désignaient une société malade et un régime en désarroi qui ne pouvait se prendre en charge et se rectifier. Ils ont laissé la voie libre à d’autres, outrageusement décidés, qui ont eu recours à l’ultime solution de ceux qui perdent le sens du dialogue. C’est alors que nous avons eu droit à cet épisode ensanglanté dont l’Histoire retiendra la singularité de sa violence et de sa barbarie. Le terrorisme s’est implanté, il s’est galvanisé dans le pays en entraînant les jeunes dans la spirale des assassinats et des massacres collectifs. Des populations entières en ont souffert. Pratiquement toutes les régions du pays ont eu leur lot de deuil et d’affliction.
Franchement, une période dure, pénible, qui laisse derrière elle énormément de douleur, de chagrin… des ressentiments que le temps ne pourra jamais effacer, surtout chez ceux qui ont été directement touchés par la disparition d’un ou plusieurs des leurs ou qui se sont vus dilapider ou brûler leurs biens et leurs fortunes. Doit-on appeler cette période, la décennie rouge ? C’est le terme qui lui sied le mieux à cause des bains de sang, des rivières de larme et ce chiffre se déclinant en centaines de milliers de personnes trucidées et massacrées à la faveur de «fetwas» d’apprentis sorciers et d’égorgeurs, mus par la barbarie intégriste qui leur donne le droit de qualifier les honnêtes citoyens pour les classer et ensuite les éliminer car ils sont des «taghouts». Les conséquences du terrorisme sont énormes dans notre pays, et il n’y a pas que le peuple qui les a endurées. Notre économie a décru et décliné au point où nous étions au bord de la grande crise, l’exode s’est amplifié, de la montagne vers les villes et du pays vers l’étranger.
De bons cadres, la plupart des pères de famille, qui ont eu «la chance de ne pas être liquidés», dans le programme de ces nouveaux maîtres du pays ont pris la clé des champs pour se réfugier ailleurs, dans d’autres capitales du monde. Heureusement, et dans le malheur il y a toujours, quelque part, cette main généreuse, celle de Dieu qui nous gratifie de la manne du ciel et qui se traduit quotidiennement par ce don céleste en nature : le pétrole et le gaz. Oui, des militants bienfaiteurs, sincères protecteurs de ce pays que nul ne destinait à un présent aussi pénible qu’ensanglanté… entre autres Hassi Messaoud et Hassi Rmel, qui nous fournissent, chaque jour, de quoi faire face à ce dont nous avons besoin et même plus, ce que notre boulimie nous commande de «détourner» au préjudice de l’État et du citoyen. Un jeune, paraissant crispé et profondément choqué par cette dernière phrase, se met droit comme un I et soutient fermement, dans la langue de ces jeunes excédés par la colère :
– Vous parlez de boulimie.
Quel joli terme chez ceux qui savent jouer de chiffres et grossir des dividendes ! Dites-nous encore nos malheurs avec ces suceurs de sang. Dites-nous que nous avons raison de les haïr avant même de trouver les moyens pour les mettre au ban de la société.

Placidement, l’artiste lui répond et, à travers lui, à toute l’assistance :
– Vous n’avez pas tort de vous énerver jeune homme de bonne famille, cet autre aspect est aussi dangereux que les précédents et les autres que nous allons débattre, tout au long de cette représentation. En effet, et pour entamer cet autre sujet, celui des détournements, voyons les scandales qui éclatent chaque jour. Des prêts sans aucune garantie sont attribués à des «particuliers», ayant été des «très petits», il y a quelque temps seulement. C’est-à-dire des «offres» de milliers de milliards à des gens simples, qui n’ont jamais brillé par un quelconque mérite, mais qui ont une «qualité», ce critère que ne peuvent avoir les autres qui tiennent à leur probité et à leur sérénité. Ceux-là ont le toupet… ils savent prendre et donner, ils savent manger et faire manger. En quelque sorte, ils savent entretenir et les «Grands» et les banquiers.
Mais savent-ils que ces Grands peuvent devenir très petits et que ces banquiers des pensionnaires de pénitenciers ? Oui, en effet, des pensionnaires de pénitenciers ! «Le procureur ordonne dix mandats de dépôts», lit-on dans un quotidien qui confirme qu’une de nos banques a subi un préjudice, suite à plusieurs opérations de détournement, d’une valeur de près de 2 000 milliards de centimes. «Le détournement en lui-même s’opère sous forme de transferts non inscrits sur les registres bancaires de ladite banque. En d’autres termes, il a été révélé que près de 5 milliards de centimes ont été détournés chaque semaine, et ce, durant la période s’étalant de 2002 à 2005». Dans une autre page du même quotidien nous lisons : «Deux ans de prison ferme, pour une affaire de détournement de 1,5 milliard de centimes à la C…».
Je vous donne ces informations à titre d’exemple seulement, en affirmant que ce n’est pas le bilan «général» des vols et des détournements. La réalité sur le terrain est plus amère et elle risque de vous troubler si je devais vous la rapporter fidèlement. Oui, Mesdames et Messieurs, le monde pourri des affaires a prospéré dans notre pays. Hier, nous n’étions pas tellement voraces. Nous «mangions modérément», raisonnablement. Nous mangions à la petite cuillère, pas au «poclain», comme aujourd’hui… une pelle mécanique pour ceux qui ne connaissent pas l’expression. D’ailleurs, hier, dans les années soixante dix, et pour si peu, nous avons condamné à mort et exécuté un pauvre malheureux, comptable de son état, dans une société des transports, parce qu’il a osé détourner la somme rondelette de 30 000 dinars.
C’est un peu comme le petit larcin de Jean Valjean, si je ne m’abuse. Aujourd’hui, cette somme représente tout juste le prix d’un repas à quatre dans un restaurant sélect. Quelle différence entre hier et aujourd’hui ! Parce qu’hier on avait encore des complexes quand on parlait de «gros sous» et «d’excédents» de bénéfices, quand on roulait carrosse sans avoir les moyens, ou sans les avoir gagnés à la sueur du front. Oui, on avait des complexes quand on achetait des voitures rutilantes, comme celles que nous voyons tous les jours sur nos routes ou garées insolemment dans nos quartiers pour narguer notre chasteté.
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)