Carcan énergétique, libération démocratique

Actuel

Covid-19 télescope la crise financière. Les rentiers algériens repus de leur énergie à bon marché ne manquent pas de claironner – en guise de chantage aux ventres des classes populaires – que l’économie basée sur les subventions alimentaires n’est pas viable. Bientôt s’ouvrira une période de guerre idéologique. Les manipulateurs diront la nécessité de lever le soutien aux prix consacré aux aliments de base mais de maintenir celui affecté à l’énergie au prétexte de renforcer l’activité. Pourtant subvention alimentaire et énergétique n’ont en commun que leur dénomination. Du côté de l’énergie, ce sont des rentes externes en décroissance de l’imprévoyance des partisans de l’option pétrolière alors qu’au rayon alimentaire elles relèvent de productions internes croissantes pour rattraper les besoins de notre démographie. Les premières sont aux mains des marchés internationaux, les secondes dépendent de nos organisations souveraines. Le « Hirak béni » en brisant net l’alliance de la nomenklatura avec les classes moyennes supérieures a interrompu le cours antipopulaire de la privatisation de l’Etat-National. Le Coronavirus a par ailleurs accéléré la mise en œuvre des aspirations des couches moyennes à la libération de leurs ambitions économiques en contrepartie d’un renchérissement à venir de l’énergie, conséquence directe d’un mouvement social de nature anti-rentière revendiquant le travail (à ne pas confondre avec l’emploi) comme un principe central. Cette cristallisation sociale en formation s’exprimera dans un rapport réaménagé à la rente réorientant l’énergie, le crédit, les reformes bancaires et une réflexion constitutionnelle pour bâtir une démocratie populaire, authentiquement algérienne.

A chaque fois que l’on cherche à augmenter le prix des carburants se lèvent les boucliers des milieux rentiers se posant en défenseurs des couches populaires mais qui, en réalité, obéissent aux agendas énergétiques de leurs alliances mondialisées. Prenons à titre d’exemple la dernière augmentation des carburants qui s’appliqua à partir de janvier 2018 et qui fit gagner à l’essence normale 6.26 DA, au super 6.25 DA, au sans plomb 6.29 da, au diesel un ridicule 2.64 DA, le GPL restant inchangé à un prix imbattable de 9 DA/litre. Les recettes attendues de ce réajustement de prix étaient de 60 milliards de dinars dont une partie devait financer la maintenance des routes parmi les tonnes d’explications avancées pour que les classes moyennes supérieures consentent à la chiche appréciation des prix des carburants. Ces précautions oratoires se déployèrent dans un pays se targuant d’être un champion planétaire de l’essence bradée, générant à nos frontières une contrebande combattue à coups de millions de dollars d’efforts sécuritaires, contre des troupeaux d’ânes chargés de bidons de diesel. Il est remarquable de constater que le seul carburant qui nous expose à son importation, à savoir le diesel est celui qui, comme par enchantement, a connu (en dehors du GPL qui nécessite un kit de conversion), l’augmentation la moins importante. On voudrait accroître les flux de diesel à l’importation que l’on ne s’y prendrait pas de meilleure manière. Au profit de qui ?

Du rapport social inégal à l’énergie internationalisée
Il est un fait que la « diésélisation » de notre parc automobile fait suite à celle de son alter ego français, en point d’appui à la décision du secteur du raffinage d’outre-mer, au milieu des années 1970, d’acquérir du pétrole lourd pour réduire sa facture énergétique et donc d’orienter son industrie automobile vers le diesel. De nos jours, c’est le carburant le plus consommé par les automobilistes français… et algériens. Cette évolution ne peut se comprendre que si on ne perd pas de vue le renoncement de la Sonatrach aux déploiements de ses propres avantages comparatifs, reflets des spécificités de son pétrole léger. L’Algérie n’a pas su protéger son marché automobile au profit de la distillation de son pétrole Sahara Blend, adapté aux essences légères. C’est ce rapport inégal à la division internationale de l’énergie qui agit directement sur la structure des subventions impactant la commercialisation de nos carburants alors que d’autres Nations comme celles des marchés nord-américains ont opté pour les essences dites « super ». Le président Houari Boumediene en avait saisi les enjeux technologiques et internationaux alors que ses successeurs ont laissé filé l’option « diesel » en même temps que celle du contrôle de l’énergie. Cela a coïncidé avec les années 1980 ou l’organisation de la Sonatrach des cadres patriotes d’une époque révolue, fut opportunément broyée en entités de la défaite de l’amont à l’aval.
Nous héritâmes d’un système hybride ou nos raffineries adaptées à notre pétrole léger ne suffirent plus aux besoins dévoyés d’un marché national distordu par les intérêts étroits de milieux rentiers, prolongements consentants de puissances mondialisées, spécialistes des commissions aller-retour du pétrole à l’exportation, du diesel à l’importation, des manœuvres retardant le déploiement de notre pétrochimie des molécules de l’industrialisation. Nous souhaitons dans la même veine dénoncer les partisans de la voiture électrique qui s’agitent ces derniers mois, au profit de constructeurs automobiles français, cherchant à nous refaire le coups d’une substitution douteuse de notre parc automobile, en dilapidation de nos ressources énergétiques, non plus sur le pétrole mais cette fois sur le gaz alimentant nos centrales électriques, au lieu d’une option GPL dont nous avons tout à gagner. Comme par hasard, cette dernière alternative de l’abondance rencontre des obstacles sciemment dressés sur le chemin infernal décidément pavé de bonnes intentions de notre transition énergétique. En effet, c’est le GPL qui donnera un coup d’arrêt définitif au diesel et par contrecoup à l’importation des véhicules diesel de faible motorisation, segment de l’excellence de l’industrie automobile française…que certains cherchent à prolonger par l’option de la petite voiture électrique.
Il est désormais clair aux yeux du lecteur sagace, qu’une grande partie des rapports sociaux supérieurs du pays s’exprime à travers les nuances d’un mode de production rentier en variation de la division internationale de l’énergie. Les inégalités qui en découlent sont une expression cristallisée de classes sociales rentières, dont le rapport au travail est moins déterminant pour l’accumulation des richesses qu’elles poursuivent, que l’imagination dont elles font preuve pour capter les rentes différentielles sur l’énergie et sur l’importation des matières agricoles, la première nourrissant les dernières. Autrement dit les classes dominantes font de leur commerce l’énergie et la redistribution des flux monétaires qui en procèdent, les classes dominées s’essayant laborieusement à l’économie de la valeur ajoutée. Or cette dernière ne peut être viable en l’état de désarticulation dans laquelle se trouve la machine économique mise en contexte de dévoiement du crédit éjectant systématiquement les classes moyennes au profit des cercles mafieux de la « bande ». Dès lors ne restent que les subventions alimentaires pour survivre, levier redoutable du contrôle social des dominés pour le compte des rentiers dominants, privilégiés de l’énergie et des secteurs qui lui sont attachés.

Un renversement des alliances de classe encore très fragile
L’irruption juvénile du « Hirak béni » a rompu, dans un pacifisme et une discipline prometteuses, l’anneau énergétique invisible de l’alliance de force de la nomenklatura du pétrole et du contrôle du commerce extérieur avec les classes moyennes supérieures, chargées pour le compte des puissants de l’heure, du quadrillage de l’énergie, des finances, des esprits au vu d’une information de la coercition par l’argent et enfin de la sécurité au sens large. On comprend dès lors beaucoup mieux l’action du Président Si Abdelmadjid Tebboune lorsqu’il s’emploie à restructurer en priorité les domaines de l’énergie, des banques, des média et de l’armée. En réalité, le Chef de l’Etat ajuste comme un tourneur de précision le ferait avec une culasse à rénover, le nouveau pacte de classes du mouvement social en émergence, qui donnera un taux de compression suffisant à l’appareil d’Etat pour mener des transformations impérieuses. Cette intelligence de leadership retrouvée ne signifie pas qu’à chaque calage indispensable au renversement des ententes sociales en cours d’élaboration ne se dressent des retards à l’allumage provoqués par les partisans de l’ordre ancien. Loin de s’avouer vaincus, ces derniers tentent de noyer le moteur de la contestation populaire dans des itérations énergétiques, bancaires, informationnelles et militaires révolues comme en témoignèrent les derniers évènements au sein des forces sécuritaires. Il en est ainsi de la résistance des milieux bancaires à la finance islamique qui n’est pas qu’idéologique.
Elle dissimule des enjeux cruciaux sur le contrôle du crédit au profit de la nomenklatura et des classes moyennes supérieures laïques au détriment de classes moyennes inférieures entrepreneuriales et de la jeunesse innovante issues des milieux urbains islamistes. Sur le plan international, elle dessine le recul de l’investissement français au profit des capitaux moyen-orientaux, asiatiques et musulmans autrement mieux dotés en réserves en cash mobilisables pour le financement immédiat de notre transition énergétique et économique. La réussite de « l’Algérie nouvelle », expression de sens profond empruntée au Chef d’Etat-Major Saïd Chanegriha, dépendra de deux facteurs d’une importance vitale pour le succès de la transformation du « Hirak béni » en une proposition économique, sociale et culturelle viable. Il s’agit d’abord d’une politique du crédit bancaire accessible à l’avantage des classes moyennes, industrieuses et innovantes aux fins de donner au changement, des assises socio-économiques définitives. Mais cet imprimatur ne s’exprimera dans toute son amplitude que si elle est accompagnée d’une directive fiscale modérée avec la nouvelle Algérie encore fragile.
Elle devra au contraire être très rigoureuse avec les chasses-gardées des rentiers armés jusqu’aux dents de leurs monopoles qu’il faudra contraindre à une part maximale de marché ne pouvant dépasser 35% par exemple. Ensuite il est impératif de ciseler les reformes politiques aussi bien constitutionnelles que celles relatives aux lois électorales avec à l’esprit la réhabilitation de la valeur travail, incarnation anthropologique féconde du « Hirak béni » anti-rentier, courroie de transmission de revendications sociales, d’efficiences économiques et de changements culturels, dont la mise en œuvre s’exprime depuis le 12 décembre 2019. De ce point de vue, la pause imposée par le Corona a autorisé une maturation des consciences populaires vis-à-vis des activités en général, prélude d’un dialogue intense avec l’Etat-National.
S’ouvrira alors la planification d’architectures originales en construction, de nos sécurités alimentaires bâties sur un contrat social rénové auxquels nous consacrerons notre prochain article. Mais cela ne pourra se faire en dehors d’une politique de contrainte énergétique, contrepartie à la libération des dynamiques sociales des classes moyennes, ni sans relations d’une approche différente des subventions alimentaires nécessaires au même niveau d’intensité mais s’attachant au soutien des matières premières agricoles et des couches populaires au lieu de celui d’industriels. Il s’agira partout de promouvoir un dialogue social, politique, culturel autour de la production de richesses nationales, en support intime d’un mouvement démocratique authentique enfin libéré du carcan de l’énergie à prix insignifiants, outil sophistiqué de l’oppression politique des classes populaires inventives par des classes dominantes de la médiocratie et de la fainéantise pour qu’apparaisse une Algérie enfin maitresse de son destin.
Brazi