Le rêve est gratuit

Ne m’en voulez pas

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

«Les affaires du foncier, les détournements, les malversations, les passations de marchés publics dans des conditions suspectes… La liste est longue pour énumérer les actions douteuses dont se sont rendus coupables plus de 200 DEC (les délégués exécutifs communaux, qui ont remplacé les maires). Une véritable hécatombe d’après les résultats, mais aussi une véritable mafia qui s’est constituée autour de ces dirigeants véreux de notre administration locale… La décennie des années 90 a été donc pour un certain nombre l’époque des «bonnes affaires» et les responsables locaux se sont distingués, tout au long de leur règne, par une gestion catastrophique du domaine public…Ceux-là, naviguant dans un climat d’insécurité et en l’absence de l’État, occupé par la lutte antiterroriste, ont transformé les communes en de véritables agences immobilières, faisant profiter parents, proches et connaissances…Plusieurs scandales et affaires de gros sous liés directement au foncier ont éclaté au grand jour et ne cessent de défrayer la chronique. Plusieurs responsables communaux ont été incarcérés, relevés de leurs fonctions, ou mis sous contrôle judiciaire pour avoir été au centre de grandes affaires de détournement de deniers publics, d’abus de pouvoir et de malversations». Quel tableau de chasse !! Un groupe de spectateurs, cette fois-ci, réagit. Assis au bon milieu de la salle, il interrompt l’artiste, toujours dans l’intention de savoir plus. Il lui demande : -Et l’insécurité ? A qui a-t-elle profité ? L’artiste reprend son explication et répond d’abord aux intervenants : Vous avez raison, l’on peut se poser la question suivante : à qui profite l’insécurité ? En effet, il s’est produit une grande mutation dans le pays à l’abri du couvre-feu et de la sirène d’ambulance.
La preuve, l’irruption de «comètes» et de «niches juteuses» dans notre champ de vision n’a pas fait broncher nos sourcils…Ces gens qui sont à la tête de ces grandes sociétés ont dû voler, «mais l’essentiel n’est plus là dans un pays qui tente de s’extirper de la malédiction de la violence». «Dans le jugement populaire, écrivait un journaliste, la ligne de partage morale s’est déplacée en quelques années. Elle ne passe plus entre champions du détournement et industriels méritants, mais entre ceux qui créent de l’activité dans un pays qui vacille et ceux qui font fuir leur argent à l’étranger. Puisque tout le monde avance par la «tchipa» ou grâce à elle, faisons au moins une place à ceux qui «redistribuent» leur argent ici»… Quelle évolution dans nos «mœurs», après ces «bonnes manières» qui nous ont été enseignées par ce credo égalitariste de la Révolution algérienne ! Le sage intervient, sans se formaliser, et lance d’une voix insurgée, oubliant peut-être qu’il a commencé par jouer un rôle de régulateur. Cette dernière intervention lui sort des entrailles. On la sent, parce qu’elle vient comme une bouffée de chaleur pour remettre, encore une fois, sur le tapis, le sujet de la corruption. – Et la «tchipa», ce mot magique que vous venez de prononcer ? Que dites-vous de cette pratique qui est en train de s’ériger en système, en école ? Les jeunes le suivent et, en une phrase courte mais incisive, résument toute leur inquiétude pour cette situation grave que connaît le pays. – La situation est graaaave ! La situation est graaaave !! Rien ne va plus dans le pays des gueux ! Rien ne va plus dans la «Tchipazie», le pays de la «tchipa» ! Rien ne va plus dans le pays des passe-droits! Ayant entendu la «tchipa», un terme bien répandu dans notre société, un spectateur se lève, les bras en l’air, la tête haute, les cheveux ébouriffés, les yeux écarquillés. Il se lève machinalement comme mû par des convulsions parce que ce terme réveille en lui ce sentiment de dégoût. Il semble sortir d’un cimetière, avec sa pâleur et sa minceur. On a l’impression qu’il n’a pas mangé depuis bien longtemps. Il veut s’exprimer. Il veut s’extérioriser. Il veut crier son écœurement. Il veut montrer son aversion à cette faune de malotrus qui s’exerce au métier de la fraude et de la canaillerie. Il demande le silence. Il s’excuse auprès de l’artiste qu’il compare à un chef d’orchestre et, d’une voix pantelante, commence sa tirade: – Je vous remercie beaucoup de m’avoir donné cette chance pour déverser – j’allais dire pour vomir – ce que j’ai dans mes entrailles. Oui, pour vomir, parce que dans cette salle ce n’est rien de roter, de péter, il nous faut cracher, en pleine figure de certains, ce que nous avons dans le cœur. Vous nous avez donné cette occasion, dès le début de votre plaidoyer, et ce n’est pas tous les jours que l’on peut se permettre de pareilles incursions dans les pâturages bien gardés de la «démocratie», la nôtre, celle qui nous sépare de l’autre, la plus simple, la véritable, la juste, qui ne s’embarrasse d’aucun complexe et qui est fondée sur des principes immuables de respect du citoyen et des lois. Vous parlez de corruption, de vol, de rapine…soit ! Mais qui est à l’origine ?
Le pauvre fonctionnaire, d’abord, ce petit agent engagé de son plein gré dans la bataille du développement et qui ne peut joindre les deux bouts, faute de moyens, pardon, à cause d’un salaire minable ? Ce pauvre éboueur qui n’arrive même pas à s’acheter du bon savon pour laver la graisse des restes copieux de ces familles comblées des hauteurs de la capitale, ces familles dont on ne leur connaît aucune origine aristocratique, mais qui sont riches par on ne sait quel moyen ? Le salarié de la société des chemins de fer qui passe son temps à compter les heures de retard plutôt que ces trains qui arrivent à des moments où l’on s’attend le moins ? Ou le gardien de la résidence du Président Directeur Général de cette société qui ne produit rien, qui a des pléthores de cadres supérieurs et de hauts fonctionnaires, qui dépense beaucoup d’argent dans le cadre des missions bidons, et qui est constamment sous perfusion, pour ne pas mourir de sa belle mort ? La corruption, le vol, les passe-droits sont du ressort de la «haute noblesse». Ils sont des métiers cotés en bourse, puisque l’accession à ce corps d’élites exige des diplômes autrement plus élaborés. L’agilité, la souplesse, la malléabilité et l’obéissance sont des critères de choix, pour accéder à ces diplômes, mieux appréciés que les doctorats en sciences nucléaires ou en droit international. Les détenteurs de ces qualités recherchées ont fait des études dans des écoles supérieures, où bac moins dix et exigé, et où l’honnêteté, la probité et disons-le, tout de go, la propreté, n’ont pas droit de cité. Ces qualités sont bannies à jamais par un monde qui recherche le gain facile et monnaye sa notoriété par ses «sonnantes et trébuchantes» et par ses «bunkers» grossièrement édifiés d’où dégoulinent les eaux usées de salles de bain, mal conçues, «baroquement» décorées et mal utilisées, parce que leurs propriétaires, des « rurbains », sont habitués à faire trempette dans l’oued ou le ruisseau qui passe à côté. Et l’artiste, tout seul dans la pénombre de la salle, répète à voix basse, laissant le spectateur gesticuler tout seul : Ah, que s’est bien de rêver ! Dans cette situation, personne ne peut arrêter personne.
On peut même dire ce que l’on veut, quand on veut, et dans le style que l’on veut. On peut délirer à sa manière, on peut aller au fond des choses pour dire ce que l’on ne peut dire lorsqu’on est éveillé. Parce que tout simplement l’on devient courageux…, téméraire. Et c’est alors que l’imagination fait le reste. C’est exactement comme dans ces films américains où on dénonce tout le monde, où on insulte tout le monde, mais on se garde de se mettre au devant, comme ce boxeur qui, naïvement, descend la garde. Nous répétons cette fameuse recommandation : «Toute ressemblance avec des personnages…etc, etc». Ceci dit, continuons notre rêve. Revenons au théâtre et voyons ce qui se trame, dans cet espace qui semble être «le tribunal de la conscience collective»…

Ensuite il se reprend et coupe la parole au spectateur, comme s’il savait déjà où il voulait en venir. «Je connais tout cela», lui dit-il. Ensuite, il s’approche de lui, le fixe dans les yeux et, tout en lui expliquant qu’il est là, dans ce théâtre pour exprimer ces mauvais comportements, lui recommande de ne plus s’allonger dans une incartade pareille. «L’artiste est là !» lui laisse-t-il entendre. Et cet artiste est payé pour dire aux spectateurs ce que les autres doivent comprendre et, à la limite, répéter dehors, fidèlement, ce qu’ils ont appris de ce magnifique réquisitoire… Après cette remarque, il continue son texte : – En effet, je connais tout cela, et je sais d’où vient le mal. N’ai-je pas dit, il y a un instant, que ceux d’en haut laissent pisser le mérinos ? Ils ne s’intéressent pas à ceux d’en bas qui, dans leurs aspirations démesurées – eux aussi, ont leurs désirs et leurs défauts –, vont jusqu’à se créer d’heureuses occurrences pour se remplir indignement les poches et le ventre, en même temps qu’ils bourrent soigneusement leurs matelas avec des billets qu’ils ne savent compter. Une affinité d’espèce qui devient une relation stratégique et qui lie les gens d’en haut à ceux d’en bas. Mais une relation qui ne dit pas son nom. Les uns et les autres savent que la « pelle mécanique » fonctionne admirablement bien. Les dividendes gonflent, les affaires s’accroissent et se poursuivent au rythme d’avantageuses ponctions et de copieux pourcentages. Les « maquignons », – ne pas confondre avec les cow-boys du Texas qui, eux, ont construit leur fortune au prix de tant d’efforts – croissent et se renforcent à l’ombre de l’impunité, pardon de cette déchéance qui s’installe au sein d’un pouvoir qui ne peut changer le mal en bien et le diable en ange. Oui, il ne peut rien changer. La preuve, c’est qu’à l’heure des choix, il privilégie les maillons faibles, en allant directement vers les malingres, les décriés, les dénoncés, les honnis et, dans le langage clair, vers ceux qui n’ont jamais brillé par leur intelligence.
«L’homme faux à la place qu’il faut», je l’ai déjà dit. C’est ainsi que l’on doit lire le fameux slogan, longtemps rabâché par nos dirigeants, sans avoir peur de s’être trompé en ayant utilisé un lapsus linguae ou sans avoir honte de ridiculiser ceux, parmi les grands, qui n’ont pas le respect des normes et des critères. Un autre spectateur aussi énervé que l’intervenant qui l’a précédé, se lève brusquement et, dans la foulée, jette tout de go, dans un style télégraphique : – D’accord, vous savez, nous savons, ils savent d’où vient le mal. Mais qu’avez-vous fait, qu’avons-nous fait, qu’ont-ils fait pour…l’atténuer à défaut de l’extirper, une fois pour toutes ? Y a-t-il un capitaine dans notre vaisseau ? Si oui, il y a donc abandon, il y a démission, il y a même traîtrise quelque part, parce qu’il est inadmissible que les choses aillent de travers sans que l’on bouge le petit doigt, comme on dit ! Ou y a-t-il tout simplement de la désinvolture, même à des niveaux supérieurs ? Je vous le demande… En tout cas, cela nous ronge, nous dérange et nous fait mal…, cela nous procure une sensation de dégoût quand, résignés et impuissants devant ces misères, nous levons nos bras vers le ciel en criant : «Allah Ghaleb !». Que ne peut-on pas mettre sur le dos d’Allah, lui qui nous recommande constamment : «Aide-toi, le ciel t’aidera !» L’homme sensé le reprend, sans attendre la réponse de l’artiste. Il s’est permis cette «médiation» comme pour diminuer le ton du discours qui commence à être plus corsé. Une bonne manière pour baisser la température et calmer les esprits. Il intervient calmement, cette fois-ci, sans gravité et sans solennité, plus conciliant qu’avant.
– C’est un problème d’éducation, c’est un problème civilisationnel. Il faut retourner à la source pour comprendre aisément ce qui nous arrive. La civilisation ? Eh bien, peut-être que nous ne l’avons jamais connue dans notre pays qui a tant souffert, pendant les différentes périodes de notre Histoire ? Peut-être qu’avec toutes les invasions et les guerres, nous n’avons même pas eu le temps de l’édifier, même si à chaque occasion nous avons essayé de la chanter, de la mettre en exergue pour paraître « à la page » comme les autres civilisés, nos voisins du Bassin méditerranéen? Je vous pose la question ! En réalité, nous avons subi celles des autres – heureusement d’ailleurs, parce que nous n’avons pas eu le temps pour bâtir la nôtre – et nous les avons adoptées, tout simplement. En effet, nous les avons prises comme références et comme modèles, aux côtés de nos constantes, de nos valeurs et de notre culture ancestrale. Cependant, j’allais dire malheureusement, nous n’avons pu, bien après, peut-être des siècles après, nous adapter à leurs exigences que sont le travail, l’assiduité, le respect d’autrui, l’honnêteté, la détermination, la résolution, la patience et la volonté. C’est pour cela que ces exigences n’ont pas trouvé de champ fertile pour s’y implanter, laissant la place à la forfaiture et aux autres pratiques mafieuses. Les plus honnêtes, parmi les spectateurs, se taisent. Ils acceptent ces critiques qu’ils trouvent logiques. Ils adhèrent aux discours de l’artiste et du sage. Certains les coupent en bon milieu de la scène pour leur apporter leur soutien. Les autres, les mécontents, réagissent. Le discours ne leur plait pas. Ils pensent être visés directement. Quelques uns, parmi eux, ceux qui pensent vivre dans l’impunité, encore longtemps, s’esclaffent de rire et prennent des allures de provocation. Ils connaissent l’impuissance de notre système. Ils aiment taquiner et mépriser les gens, parce qu’ils sont bien à l’aise et parce qu’ils n’ont aucun respect de l’autre.
La preuve, comment ont-ils «ramassé» leurs fortunes – le terme est juste, les concernant –, et comment ont-ils séduit à des niveaux supérieurs pour rester les maîtres à bord, dans un système économique, le nôtre, qui souffre de mille et un affronts. L’artiste rattrape le vieil homme et dit, calmement, pour expliquer l’absence des normes dans un système impuissant : «Ils savent que notre économie évolue hors normes, donc ils en profitent pour ramasser le plus de sous, en l’absence d’une légitimation des positions économiques et sociales, des situations de droit et de légalité, des autorités indépendantes de contrôle, des gestionnaires identifiés et responsabilisés, des organes de vérifications et autres tribunaux de commerce, les procédures de liquidation et de cession. Ceux-là comprennent aussi que la privatisation – qui leur sert énormément pour ramasser plus d’argent – n’a jamais été admise comme un choix politique, elle a été avancée par insinuations comme réponse à la faiblesse managériale, à la médiocrité des performances dans le secteur public et au déficit financier». D’autres, par contre, les bouseux et les sinistres analphabètes, rouspètent violemment et apportent leur conception de la vie. Parmi eux, un dodu, bedonnant et présentant ce maladroit personnage à la mine patibulaire, ravit le micro à l’artiste, le pousse d’un geste gauche et prend possession de la tribune. Il a tout l’air d’un imbécile, mais un imbécile heureux, comme il y en a partout dans ce vaste royaume des gueux et de…l’impunité. Un imbécile heureux avec une fortune colossale qu’il ne saura jamais utiliser à bon escient ou pour de bonnes causes. Sa voix acide et nasillarde, le rend encore plus antipathique et donne à son discours un ton encore plus amer. Il dit des vérités, hélas ! Il dit ces vérités que tous veulent entendre. Il fait le constat d’échec d’un pouvoir qui s’essouffle et qui, dans une « légèreté » déconcertante, ne se foule pas la rate pour s’améliorer.
Une simple remarque par contre : comme nous sommes dans un rêve…, et le rêve nous autorise à aller vers des excès, nous nous sommes permis de changer le style de cet intervenant, de ce grossier personnage, pour relever le niveau de cette «tragédie». Cela nous donne cette intervention, à peu près, dans le bel idiome du théâtre. – Les gens nous critiquent parce que nous avons réussi. Mais sommes-nous les seuls ? Ont-ils remarqué tous ces autres riches qui ont dépassé le plafond, qu’hier, ils étaient ce que nous étions tous, des moins que rien, certains de tout petits fonctionnaires qui arrivaient à peine à se nourrir convenablement ? Ces autres riches, parmi la «nomenklatura», comme vous l’appelez si bien, ont profité du coup de tampon que leur attribuait leur responsabilité et des retombées substantielles du «passé outre» que leur donnait également celle-ci pour devenir de grandes pointures de la finance. N’est-ce pas que c’est eux qui tirent les ficelles, en toutes circonstances ? N’est-ce pas eux qui sont les créateurs de cette atmosphère sournoise et par trop difficile par moment ? N’est-ce pas eux qui régentent le pays, à leur guise, à leur façon, et qui n’ont pas encore terminé de le mettre en coupes réglées ? N’est-ce pas ceux-là qui dirigent notre administration et qui font ce que bon leur semble ? Un important quotidien, parle-t-il de nous, spécialement, ou des « autres », quand il titre : «Le Conseil d’État croule sous les contentieux administratifs» ? Et de continuer, en nous informant que «la corruption gangrène les marchés publics et que le nombre de recours au Conseil est passé de 3 000 en 2002 à 15 000 en 2005». Quant à nous, que sommes nous? C’est vrai que nous avons de l’argent, mais êtes-vous demandés comment nous l’avons eu ? La vérité, c’est que nous avons vu les « Grands » se servir copieusement… Nous nous sommes dit : pourquoi ne ferons-nous pas de même, puisque eux n’ont jamais été inquiétés…, n’ont jamais été punis… ? Allons-en vers le partage des biens…, le pays appartient à tout le monde. Et là, nous avons commencé à prendre notre quote-part.
Appelez-nous comme vous voulez mais, à l’heure des bilans, quand vous déciderez de nous juger, de grâce donnez à ces «Grands» les mêmes sentences qui nous seront données. Définissez-les par les mêmes qualificatifs par lesquels nous serons définis et maintenez leur le châtiment qui nous sera maintenu. Qu’on arrête, une fois pour toutes, d’aller uniquement vers les lampistes ! Que l’on cesse de voir la bosse de l’autre plutôt que la sienne ! Tenez, par exemple, j’ai une grande villa, une belle grande villa. Je l’ai acquise par mes propres deniers. J’ai des voitures, de belles voitures. J’ai d’autres biens ici et ailleurs. Pour vous, j’ai acquis tout cela par des moyens malhonnêtes, moi qui n’étais rien il y a quelques années, moi qui ne peux aujourd’hui, et franchement, vous étaler des références intellectuelles qui puissent me permettre de me placer convenablement dans la belle société. Soit ! Je vous l’accorde. Mais qui suis-je, moi, à côté des autres ? J’allais dire les vôtres ou, plus exactement, les leurs, parce qu’ils font partie du système ? Cependant, pouvez-vous me dire, et le redire, tout haut, pour les autres, dans un théâtre comme celui-ci ou dans la presse qui se charge de répandre des scandales, comment un nouveau «chef», hier simple employé, inconnu des masses, sans envergure, pas tellement gratifié par la nature, et qui dansait dans les baptêmes et autres fêtes du village, pour arrondir ses fins de mois, a-t-il pu acheter un splendide château, dans un quartier chic de la capitale, sans que personne ne puisse lui faire une remarque ? A-t-on essayé de se demander, au moins, d’où a-t-il pris cet argent ? Dans d’autres pays, qui se respectent, des acquisitions pareilles, à coup de milliards affirme-t-on, ne peuvent être qu’à l’actif d’un richissime, sinon d’un héritier légal de la diva Edith Piaff.
Sinon, encore une fois ? Eh bien, vous connaissez la réponse ! Il est comme tous les autres profiteurs du régime, ceux qui l’ont saigné, ceux qui l’ont dépecé, ceux qui, demain, à l’heure des comptes, seront les premiers à se détaler pour ne pas subir les foudres du ciel. Ils seront les premiers à se placer de l’autre côté de la barrière pour lui donner le coup de grâce. Ceux-là, en véritables Brutus ne jetteront pas la larme de compassion sur un régime qui serait en difficulté ou en décrépitude. Ils ne défendront jamais celui qui les a fait et leur a permis d’être ce qu’ils n’ont jamais espéré être, à cause de leur indigence, en tout point de vue, en tout cas à cause de leur infidélité et de leur perfidie. Allez-y voir ailleurs. Allez-y voir ceux-là que je dénonce. Allez-y voir ces pontes qui se pavanent avec l’argent des autres, et ces autres ne sont que ces pauvres malheureux, parmi les gens de la plèbe, les travailleurs, les commis d’État, ceux qui ahanent toute leur existence pour subvenir au strict minimum. En effet, ces autres sont ce que j’étais il y a quelques temps, avant «de retrouver la vie», avant de comprendre ce qu’elle est exactement dans ce pays qui ne respecte aucune norme et où ses dirigeants n’ont aucune morale. Si je me trompe, corrigez-moi ! En tout cas, je voudrais tellement savoir ce que vous pensez de cette attaque directe dans la presse contre un certain ministre – il fait partie encore du gouvernement à l’heure où se joue cette pièce –, à qui on attribue des délits passibles de tribunaux. Il est dit clairement, dans l’article, que monsieur Untel – en le citant nommément – et qui devait comparaître devant la justice est devenu ministre de la République.
N’est-ce pas un comportement pareil – si cette accusation s’avère juste –, le mépris des règles et des citoyens ? Pour moins que ça, dans d’autres pays, le Gouvernement tombe !! Enfin, allez-y voir ceux qui roulent carrosse…, et qui n’ont jamais été avec et pour le pouvoir qui les a «fait», mais qui montrent, en des conduites hypocrites et non moins viles, leur allégeance pendant des manifestations où l’obligeance l’emporte sur la sincérité et l’amour-propre. Le sage, toujours lui, intervient et tranche avec des expressions dures, saillantes, symptomatiques d’un climat maléfique et nuisible : – Vous avez vu les «Grands» se servir et, sans gêne, vous avez fait de même. Cela ne vous autorise pas à les imiter. Honte à vous et à vos semblables ! Que c’est triste de vous entendre parler de la sorte… Que c’est triste d’apprendre par votre bouche, publiquement, que vous vous attaquez à ce système qui, lui, vit les affres de cette incurie des gens qui l’entourent. Que c’est triste et dangereux à la fois de se savoir en péril avec des gens de votre espèce. Quelle leçon «d’Histoire» et d’infortune ! Le groupe de jeunes, celui qui est collé au sage, depuis le deuxième acte, renchérit, à l’image d’un chœur après la réplique du coryphée : – Oui c’est triste ! Notre présent est triste ! Les voleurs ne se gênent plus chez nous… Ils deviennent même arrogants, ils nous donnent des leçons et persistent à voler toujours plus, au vu et au su du monde ! C’est triste…, en effet, c’est triste que de se sentir dans une république, comme la nôtre, où les jeunes n’ont plus d’espoir pour évoluer et devenir ces cadres tant attendus !
(A suivre) 
Par Kamel Bouchama (auteur)