Briser la quadrature du cercle

Sécurité alimentaire :

Les tenants de l’option pétrolière de l’insouciance n’ont rien appris de la crise financière de 2008. Ils ne concluront malheureusement rien de celle de 2020 du prix bradé du pétrole et de la difficulté accrue pour la Nation à s’acquitter de sa facture alimentaire. Le «Hirak béni», mouvement par essence anti-rentier annonce une prise de conscience nécessaire de nos fragilités alimentaires. L’exécutif y répond par un mouvement volontaire d’exploitation de nos immensités sahariennes, seule alternative réaliste pour nous sortir de l’impasse structurelle agricole. Si l’intention est louable nous devons prendre garde à ne pas succomber aux mirages d’une agriculture saharienne irréfléchie, comme l’expérimentèrent les saoudiens en développant des céréales dans leurs déserts. L’Arabie Saoudite se retrouve cinquante ans plus tard avec une céréaliculture ruinée en raison d’un pompage irraisonné de ses nappes phréatiques menant à un désastre économique et à une faillite écologique majeure. Cela signifie-t-il qu’il faut se rendre à l’évidence de nos contraintes climatiques structurelles faisant de nous un pays semi-désertique ne pouvant soutenir sa démographie ? Non, car des solutions durables et réalistes se basant sur nos cultures spécifiques existent et ne demandent qu’une audace visionnaire des pouvoirs publics pour assurer de manière autonome, ordonnée et pragmatique notre sécurité alimentaire souveraine.

Qui n’a pas vu ces immenses cercles verts dans le désert saoudien de la province du Nadj produisant sous de gigantesques pivots d’arrosage, du blé à profusion à tel point que Ryad totalement dépendante de ses importations est devenue exportatrice de blé dès 1981 pour plus de quatre fois ses propres besoins ? Qu’en est-il après un demi-siècle d’exploitation intensive ? L’agriculture saoudienne, fascinée par le modèle californien consomme 80% de son eau pour ses besoins agricoles qui le lui rend chichement à hauteur de 20% de ses nécessités alimentaires. Pire encore, les nappes phréatiques se sont asséchées poussant les autorités de ce pays à abandonner dès 2016 la production céréalière portée à la limite de l’absurdité. Aujourd’hui des voix s’élèvent en Algérie pour que nous suivions ce même chemin, pour les céréales, la betterave sucrière, la canne à sucre, le maïs, le tournesol aux consommations en eau sans fin comme si nous devions ignorer les expériences malheureuses de nos frères arabes.
Quatre filières (soient les céréales, la poudre de lait, le sucre et les huiles) nous exposent à des importations massives. Elles reposent sur des processus de transformation de produits importés avec un coût élevé des intrants pour près de 60 % en raison de la faible intégration au secteur amont agricole. L’industrie agroalimentaire algérienne se positionne donc comme transformatrice de produits de base importés soumis à la fluctuation des marchés internationaux. Le défi à relever est d’autant plus complexe qu’il s’agit pour l’État d’encourager des synergies amont agricoles qui ne trouvent pas suffisamment de terres de qualité pour être adaptées aux cultures de la canne à sucre, de betteraves sucrières, de blé, de tournesol… fortement consommatrices d’eau. C’est la quadrature du cercle et les marges de manœuvre sont étroites d’autant que cette stratégie de croissance de l’agriculture par substitution aux importations de matières premières se heurte aux pressions des producteurs d’aliments de base.
Ces derniers ne sont guère prêts à faire des concessions dans le cadre des accords d’association avec la CEE ou l’OMC, car ils nous considèrent comme un marché. Les seules ouvertures furent pour le secteur des dattes exempté de droits de douanes dans les pays de la CEE et pour cause… ils n’en n’ont pas ! Cela devrait faire réfléchir nos dirigeants car le potentiel phœnicicole est immense. De par sa singularité, il peut s’intégrer aisément dans la division internationale de l’agriculture tout en soutenant, à l’intérieur de nos frontières, les autres filières agricoles (céréales, huile, lait, sucre) confrontées aux déficits de leurs productions et aux pressions commerciales des grandes puissances euro-américaines. Mais avant d’en démontrer le mécanisme fécond basé sur le palmier dattier, «arbre à miracles», producteur étonnant de céréales, de sucre, de lait et d’huile, un détour par l’histoire des sciences s’impose.

Penser la science, la technologique, le développement.
La philosophie était considérée, au Xe siècle à l’apogée de l’esprit dont Baghdad fut l’illustration la plus achevée, comme la mère de toutes les sciences. Il n’y avait pas de séparation entre la métaphysique et ce qui deviendra plus tard les «philosophies naturelles» puis les «sciences naturelles». La religion était l’une des matières «scientifiques» enseignée dans les universités de Cordoue comme pouvait l’être la géographie ou la physique. Ce ne fut que récemment, au XVII, que des disciplines comme l’astronomie ou les mathématiques prirent en Occident, sous l’influence des savants arabes de l’âge d’or islamique, une autonomie par rapport à la philosophie. D’abord en marquant une rupture avec les activités de la pensée pour se positionner dans le champ des expérimentations pratiques, avant d’être élevées au rang de méthodes par les esprits les plus brillants d’occident. Ils y apportèrent une application systématique qui en fit un corpus dont les mathématiques sont le cœur. Cela donna au début du XIXe siècle l’épistémologie ou pour les Français «la théorie de la science».
Pour les Anglo-Saxons l’épistémologie est une «théorie de la connaissance». C’est une différence importante car autant la première définition fait appel au «scientifique» ayant une rationalité en soi, autant la seconde définition anglo-saxonne inclue des savoirs acquis sans pour autant les démontrer. Les Anglo-Saxons gardent une filiation forte avec ce qui provoqua la rupture entre sciences et religion à savoir l’expérimentation et le pragmatisme, alors que les Français, fidèles à l’héritage de Descartes, privilégient la pensée pure jusqu’à en façonner une nouvelle religion. De fait, cette rupture entre les sciences et la religion n’imprègne le corps social arabe contemporain que de manière confuse en l’absence d’une dynamique scientifique s’articulant sur des progrès économiques endogènes qui s’imposent au reste de la société. La diffusion de l’idéologie scientifique du point de vue technologique s’oppose à la dimension métaphysique portée par l’Islam. Cela est d’autant plus prononcé que les sciences et leurs avancées sont venues, dans le monde arabe du XIXe siècle, dans les valises du colonialisme. Mais comment ce débat philosophique concerne-t-il… la culture du Palmier ? L’économie de la connaissance est aujourd’hui un facteur de croissance aussi important que le cadre macro-économique qui la favorise.
L’acceptabilité par le reste de la société du facteur technologique joue un rôle dans sa diffusion au reste des autres branches industrielles. Pour cela, le consensus idéologique doit être fort, ce qui n’est pas le cas dans le monde arabe. Une rupture d’ordre épistémologique dans la phœniciculture revient à réaliser cette avancée majeure pour toute la société. La phœniciculture est aujourd’hui détentrice d’un moment historique qui peut marquer la césure fondatrice d’un matérialisme en devenir, en rattrapage de sa modernité. Si la phœniciculture arrive à se saisir des sciences pour remettre en cause sa logique immémoriale, elle réalisera un effort sur elle-même de premier ordre. Ses progrès fulgurants seront dès lors assimilés positivement par le reste de la Nation dans un mouvement d’appropriation d’une identité scientifique et technologique propre. Du simple fellah à l’ingénieur de la Sonatrach, un même signal sera entendu. L’homme arabe (Algérien en l’occurrence), en embrassant les sciences et en les appliquant à ses besoins spécifiques, se donne les moyens intellectuels de penser son développement en autonomie par rapport aux forces dominantes aujourd’hui euro-américaines et demain chinoises ou indiennes.

La phoeniciculture, système agricole universel exceptionnel
Ce qui constitue l’exception phœnicicole réside d’une part dans la profondeur stratégique portée par sa culture primaire permanente permettant des synergies de coplantations sans équivalent et, d’autre part, dans sa capacité à élargir son mode de transformation, incomparable dans le règne végétal car c’est une herbacée produisant de manière inouï du sucre. En effet, la culture des palmiers ne débouche pas uniquement sur un fruit et une mise en valeur des terres qu’elle n’occupe qu’à hauteur de 25% de la surface d’un hectare, mais aussi sur des matières transformées constitutives d’intrants pour des développements industriels inédits dans les domaines de la transformation ingénieuse du sucre pour les hommes et des biomasses comestibles par les animaux.
La conversion de dattes en sirop de dattes puis en sucre liquide nous débarrassera immédiatement d’une première dépendance structurelle au sucre à hauteur de 20% de nos importations de cette matière en attendant que la biochimie réalise sa matérialisation sous forme de poudre pour des usages universels. De même, le sirop de dattes peut être utilisé avec grande efficacité comme nutriment dans des procédés de fermentation pour déboucher sur la production de bioéthanol et dans un même mouvement d’Ethyle Tertio Butyle Ether (ETBE), l’oxygénant issu de la pétrochimie utilisé dans les carburants pour augmenter leurs indices d’octane et favoriser la combustion complète des essences fossiles de nos véhicules. L’ETBE est composé de 47 % d’éthanol ce qui permet, sur la base de la transformation d’une tonne de dattes en 280 litres de ce produit stratégique, de générer 756 litres de bio ETBE.
En s’arrimant ainsi au secteur des hydrocarbures et à celui du transport comme au Brésil, le palmier-dattier verra ses superficies augmenter de manière spectaculaire et réalisera la transformation de la biomasse croissante des systèmes oasiens en aliments de bétail car cette plante créée en même temps que l’homme n’est pas un arbre mais une herbe. Voilà donc, grâce au palmier-dattier, nos aliments de bétails assurés, défrichant de nouvelles terres au Sud et libérant les terres agricoles fertiles du Nord emblavées au profit exclusif de l’élevage, désormais disponibles pour la consommation humaine, mettant fin de manière définitive à nos importations de céréales. La question de l’aliment de bétail réglée, celle des antibiotiques pour animaux mise au point à partir de la fermentation des sirops de dattes, nous solutionnerons naturellement celle de l’élevage. En conséquence de quoi nous serons en mesure d’assurer une production autonome de nos besoins laitiers désormais indépendants de nos importations céréalières dues à l’aliment de bétail.
Il reste la question de… l’huile. Nos millions de tonnes de noyaux de dattes, productions associées de la transformation des dattes en bioéthanol, contiennent 10% en masse d’une huile qui fera le bonheur de nos fritures et de nos salades tant elle est légère au vu de sa chaîne de carbone courte. Pour qui l’ignorait, sucre, huile, céréales et lait sont donc des productions du palmier dattier ! Et, cerise sur le gâteau, les biomasses de noyaux de dattes délestées de leurs huiles, nous fournirons nos meubles et nombre de nos besoins en bois par centaines de milliers de tonnes ! Le secteur phœnicicole représente un système matriciel universel exceptionnel et non pas une simple filière, qui constituera à terme grâce à l’action vivifiante des biotechnologies et de l’économie de la connaissance, la pierre fondatrice qui soutiendra les autres filières agricoles et secteurs industriels dans une économie de l’eau dont seul le palmier-dattier possède le secret.
Ce programme de développement n’est pas idéaliste car il est respectueux de nos contraintes climatiques et possède l’immense avantage de l’unité de la concentration des efforts pour une multiplicité d’objectifs. Il repose sur des technologies prouvées et expérimentées, un modèle économique respectueux de nos potentiels mais dont seule l’écoute attentive et l’accompagnement diligent des pouvoirs publics peuvent le mener sur les voies de notre indépendance alimentaire.
Brazi