Ne m’en voulez pas, le rêve est gratuit

Culture

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

Les élections. Parlons-en encore, puisqu’il s’agit également de choix et de sélection. Nous avons fait allusion précédemment, en racontant des faits, malheureusement réels, des faits qui nous viennent, comme cela, dans ce rêve, pour nous taquiner et nous faire toucher du doigt le danger de ces opérations quand elles ne sont pas menées dans les normes de la loi et de l’honnêteté. Elles aussi sont parfois mal foutues qu’elles deviennent, comme disait un autre analyste, un programme démentiel qu’aucun intérêt foncier pour la démocratie ne justifie…Car, tout autant que peut l’être une délibération électorale dans un environnement politique dominé par les combines, les trucages et les résultats préfabriqués, la démultiplication des scrutins ne réjouit que ceux qui en attendent des dividendes… Nos citoyens habitués à l’indifférence et la duplicité de leurs dirigeants, n’ont-ils pas appris à s’exprimer à leur tour par l’abstention ? A ce jeu des urnes, pipés comme des dés, n’ont-ils pas, par le passé, succombé plusieurs fois avant de s’apercevoir qu’on les menait en felouque et constaté qu’ils n’étaient que des ombres de la citoyenneté ? D’un scrutin à un autre, l’immuable puissance de l’appareil d’État corrigeait les urnes et distribuait les cartes politiques selon les objectifs de l’opération.
Lassante duperie qui au final invalida dans l’esprit des gens cette république de coquins et cette démocratie de courtisans. Ensuite, le silence ! Comme si l’artiste vient de mettre fin à ce deuxième acte. On sent de la lassitude dans sa démarche. Il a trop parlé, il s’est trop éreinté pour faire comprendre aux spectateurs que notre pays mérite mieux, après avoir connu des épisodes glorieux depuis sa profonde Histoire jusqu’à son indépendance. En effet, il termine sa tirade après avoir fait des comparaisons, répondu aux questions et aux injonctions des spectateurs, et après avoir affirmé que nous vivons la période la plus difficile et la plus dangereuse de notre existence, dans un pays qui aurait pu produire des miracles pour le bonheur de son peuple. Il s’apprête à rejoindre les coulisses, et là il est arrêté par un autre spectateur qui crie à plein poumon : – Et le népotisme, le favoritisme, le clientélisme…les passe-droits, les inégalités, le larbinisme, parlez-nous encore de ces maladies qui nous affectent et nous désolent ! Dites-nous qui les ont créés ? L’artiste essaye de ne pas comprendre cette autre injonction. Il veut l’esquiver parce qu’il en a déjà parlé, même sobrement, mais le vieil homme sage qui a l’intention de relancer le débat, en voulant aider l’artiste, s’écrie, seul, comme quelqu’un qui perd son contrôle, au moment où l’on sent que le théâtre s’organise.
Chacun défend son bifteck, les honnêtes sont ensembles, les bouseux forment leur clan et les autres, ceux qui n’ont jamais intervenu, attendent le dénouement de l’histoire… – Je disais avant cela que la situation est grave. J’ai même appuyé sur les mots avec l’intention de vous faire prendre conscience, notamment à quelques spectateurs qui pensaient trouver, en venant assister à la traduction de ce rêve, un champ fertile de complaisance où il leur sera dit par exemple : «Profitez encore messieurs, le pays est à vous ! Usez et abusez de ses biens, comme vous l’avez toujours fait, sans contrepartie et sans efforts. Ne vous gênez pas, personne n’osera vous importuner…N’êtes-vous pas indépendants, n’êtes-vous pas libres de jouir de toutes vos richesses, comme bon vous semble ?». Mais vraiment, avons-nous le droit de fléchir dans des moments pareils, avons-nous le droit de mettre un genou à terre, peut-être les deux, et attendre que l’on vienne nous sauver de nos malheurs. Je ne suis pas le bon apôtre, je ne suis pas la conscience…, je suis comme vous, un spectateur parmi vous pour vous rappeler qu’il ne nous est plus possible de continuer à vivre dans des conditions déplorables comme celles que nous vivons depuis assez longtemps.

Le groupe de jeunes qui le suit et le soutient, ajoute : – Oui, il nous est impossible de continuer à vivre dans des conditions pareilles. Et pour comprendre davantage le mal qui nous ronge, il est pratiquement indispensable de reprendre encore quelques aspects qui causent notre déroute et les développer davantage… A cette demande, l’artiste, bombe sa poitrine et crache son feu. Il est obligé de revenir encore sur certains sujets tellement la demande est stimulée, notamment par les jeunes : – Vous m’excuserez messieurs si je serai un peu désordonné dans mon intervention. Il y a tellement de choses que je dois vous dire que je ne sais par où commencer. Enfin, l’essentiel est que je vais essayer de répondre à vos préoccupations et satisfaire votre instinct farouche… Là, il esquisse un sourire malicieux, comme s’il voulait dire : «mais je plaisante ! ». Ensuite, il se lance dans un énième discours, attirant tous les regards sur lui. – La corruption, vous voulez qu’on en parle encore et qui l’a propagée ? Reprenons par le début. Quand on parle de corruption, il ne faut pas oublier la loi des sous-fifres, disait quelqu’un. Ainsi, on pense naïvement que la corruption et la déliquescence des mœurs restent l’apanage et le privilège de gros bonnets, de pontes vivant de rapines et d’impunité.
Rien de plus faux. La république de copains sait aussi transmettre le « virus ». Ce n’est pas le moindre des paradoxes d’un authentique fiasco des valeurs humaines, d’une perte des repères. Il y a comme une névrose obsessionnelle, un fantasme qui souffle partout, telle une déferlante. Loin de moi l’idée de succomber à la tentation du «tous pourris», mais il y a des signes qui montrent bien que le mal est profond. De fieffés diablotins, planqués dans les services de l’administration publique, se moquent des gens et s’ingénient à leur compliquer la tâche. N’a-t-on pas vu, en différentes occasions, une affaire se régler rapidement grâce aux bons soins des recommandations, des vertus du bakchich qui ramollit le cœur et ouvre les portes les plus hermétiques ? Le laxisme, le favoritisme, les passe-droits, la concupiscence s’observent et se constatent jusque dans les gestes les plus quotidiens. Il y a de nombreuses personnes qui s’éclatent en diable, se sentant pousser des cornes, dès lors qu’une toute petite responsabilité leur est octroyée. C’est la porte ouverte à la mauvaise foi, à la paresse et à l’abus d’autorité. La proximité des cercles de relation, l’ombre protectrice d’un patron, donnent des ailes à des subalternes, ravis de l’aubaine. C’est peut-être défoncer des portes ouvertes, que de remettre sur le tapis cette philosophie de sous-fifres, mais le comble peut être atteint, à défaut de mettre un terme à tout cela. Rien n’est assez pire que la banalisation d’un vice…
Les scandales de la corruption ? C’est la flambée, l’inflation ! A croire que la région du pays qui n’est pas capable d’exhiber son propre scandale risque d’être rayée de la carte le lendemain à l’aube. Chaque jour, nous apprenons qu’une floraison de macro et de micro affaires sont présentées souvent de bonne fois comme le scandale du siècle. Chacun y va de son «exclusif», de sa «dernière minute», de son «selon une source sûre et plus que sûre» pour montrer aux yeux du pays tout entier que la région en question sait aussi être au top du scandale et des malversations…Résultat de tout cela, un cancer de scandales au stade terminal.
Les cellules croissent à n’en plus finir. Les métastases succèdent aux métastases, le tout créant un énorme bouchon aux entrées des nouveaux hôpitaux du pays, ces CHU fraîchement ouverts et spécialisés dans un genre particulier de chirurgie : les opérations mains propres. Je n’invente rien dans ce que je dis…, j’emprunte ces termes à un journaliste qui conclut, dans son style le plus caustique, en se demandant, très franchement, qu’il ne sait pas si ce genre de thérapie de choc est réellement salutaire pour la santé publique, mais ce qu’il sait, c’est que, pour le moment, il produit une flambée de névroses psychotiques, chacun ne voulant pas se laisser distancer dans la course échevelée aux scandales. Ainsi, dans ce domaine-là, tout le monde est inquiet, désorienté, déboussolé même, en voyant «le pays tellement biaisé et habitué aux herbes hallucinogènes des complots théoriques et aux explications à tiroirs».

Nos journalistes, eux, s’éclatent dans leurs analyses – ils ont parfaitement raison, du reste c’est leur boulot – et, de cette lutte contre la corruption, ils disent que notre pays est tellement coincé dans la mauvaise foi, que s’il ne lutte pas contre la corruption, c’est le peuple jaune et biaisé qui juge que c’est un pays de corrompus. Le contraire aboutit aussi au même résultat ou presque : lorsque le pays, ou une version du pays, décide de lutter contre la corruption, le peuple assis, ou une version de ce peuple, juge qu’il s’agit là d’une campagne. Cet exemple, très actuel, sert à illustrer le syndrome de la prise d’otages par soi-même chez ce peuple dont la vocation de regarder derrière lui, chaque fois qu’il s’adresse à lui-même… Une autre idée les taraude et ils posent encore des questions, dans le genre, comment faire pour lutter contre la corruption, tout en luttant contre la mauvaise foi, sans risquer des dérapages ni des règlements de comptes, sans aboutir à des campagnes encore plus catastrophiques, en termes de récoltes et tout en convainquant tout le monde, y compris soi, qu’il s’agit d’offrir au pays un nouveau pays digne de lui ? La réponse, disent-ils, est très complexe, le doute étant sa version la plus populaire et donc la plus comestible.
Le pays est si travaillé par le manque de confiance et par les cratères lunaires de la mauvaise foi que les actes sont d’abord des gestes, les émeutes une manipulation, les limogeages des messages codés, les remaniements des rééquilibrages, les privatisations des luttes de colons et les politiques, des moyens de farcir le poulet pendant qu’il lit un livre de cuisine. Notre peuple a été le premier peuple à savoir que la terre était ronde : il lui suffisait de douter qu’elle était aussi plate que les explications courantes. Mais ne restons pas dans le constat, ne restons pas dans la philosophie. Disons aux jeunes comment fonctionne la corruption et comment elle érode le système, les hommes et les institutions. Disons aussi comment elle crée la stupéfaction chez les gens honnêtes, pour ne pas dire, tout simplement, les gens normaux, et comment elle suscite le scandale et range les « transgresseurs » dans la case des mafieux, des malfrats et des malfaiteurs sans vergogne. Des exemples, il y en a à profusion. Il suffit de lire la presse ou d’écouter la rue pour tomber à la renverse, ébahi par tant d’informations qui vous donnent le haut-le-cœur et vous laissent pantois devant des pratiques que vous ne pensiez jamais voir s’installer chez vous.
Du jeune de 24 ans qui a défié la chronique, il fut un temps – la rumeur publique en a fait des gorges chaudes –, à un autre, relativement jeune, qui a également osé provoquer tout un environnement et créer le mal par ses pratiques aux relents d’injures et de scandales, vous n’avez pas terminé d’avoir des surprises. On l’appelait le «richissime homme d’affaires de la citadelle». On en parlait au superlatif, comme pour montrer l’importance et la majesté de cet homme – hier inconnu, pour ne pas dire minable –, qui gravit rapidement les escaliers pour se retrouver à la terrasse, là où l’on «domine le mieux». Mais voilà, cet homme qui a fait couler tellement d’encre et qui a été appréhendé, avec un dossier très lourd, n’a pas été sanctionné comme il se devait. Deux ans de prison ferme pour avoir corrompu un président de tribunal et d’autres magistrats, pour avoir émis des chèques sans provision de plusieurs milliards, pour avoir commis des délits dont on ne peut s’imaginer la gravité. Un verdict insensé qui nous rappelle ces procès tronqués et toute la fausseté d’un système rabougri et d’une justice «qui ne mange pas de la paille» mais autres mets plus «calorifiques», comme s’accorde à dire l’opinion publique concernant ses édiles.

Cela nous rappelle cette fameuse remarque faite par un illustre personnage qui soutenait : «Tuer un homme dans une forêt est un crime impardonnable, tuer un peuple, tout entier, est une question qui mérite d’être discutée». Ainsi, notre homme, tout comme les autres, qui ont commis des infractions aussi dégradantes et déshonorantes, ne sera jamais inquiété car, deux ans de prisons ce n’est rien pour quelqu’un qui n’a aucune conscience. Il se reposera dans une agréable cellule, où rien ne lui manquera, et deux années passeront très vite. Il sortira, en pleine forme, pour retrouver ses anciennes pratiques et…son argent qu’il a acquis par mille malices et qu’il vient de blanchir en prenant «deux années sabbatiques». Voyons maintenant d’autres sujets : la bureaucratie et l’incompétence et lions-les à l’investissement national et étranger, puisque nous sommes en pleine campagne de «recrutement». «Un rapport sera soumis prochainement au chef de l’État, par des investisseurs nationaux résidants à l’étranger, pour lui faire part des entraves bureaucratiques et des blocages dont ils sont l’objet», titre un quotidien national. Nous avons beaucoup à dire. C’est un sujet brûlant que personne n’a pu contourner faute de décisions sages et judicieuses. Et, si jusqu’à maintenant nous pataugeons dans la gadoue, c’est parce que notre incompétence nous rend amorphes, routiniers et par trop formalistes. Nous opérons par tâtonnements plutôt que par stratégie ordonnée.
C’est le flou artistique chez nous, dans nos administrations sensées être des maisons de verre. Avec cette politique de méfiance les étrangers ne se bousculent donc pas au portillon, pour nous proposer des contrats de partenariat et autres. Ceux-là restent assez timides parce qu’ils demandent une certaine sécurité pour leurs investissements. Or, chez nous les réformes ne marchent pas au rythme souhaité. La bureaucratie est particulièrement lourde et le secteur bancaire gagnerait à être modernisé. Ainsi, il y a une certaine opacité qui enveloppe le processus de privatisation. Et le comble, ce que disent de nous les « initiés » de l’extérieur, ceux qui connaissent tout de nous et qui nous suivent de très près, est encore plus significatif, j’allais dire, plus aventureux. Écoutons-les. Ils ne vont pas par trente six mille chemins, ils vont droit au but et disent ce que nous disons tous en catimini. Ils nous lance, en pleine figure qu’il Un problème est pratiquement impossible pour un investisseur, un banquier ou un décideur d’établir des estimations raisonnables de parts de marchés dans un secteur, de connaître le nombre de concurrents, la croissance de la production et le nombre d’intervenants.
Ils poursuivent en disant que La vulnérabilité de l’économie du pays à la volatilité des prix des hydrocarbures est aggravée et interconnectée à l’absence de stabilité dans la prise de décision…Les lois sont amendées et modifiées très fréquemment et il y a une absence évidente de consultation avec les divers acteurs du développement du secteur privé… A cela s’ajoute, bien sûr, le fait que tout le monde sait que nos dirigeants n’ont pas de vraie stratégie de développement et font davantage du tâtonnement, dans un environnement de désorganisation quasi totale et d’inefficacité des institutions étatiques. Quant aux hommes politiques, pas nécessairement de l’opposition, comme remarque le journaliste qui fait cette analyse, claire et limpide, ils ont la même appréciation et, pour faire écho aux économistes, relèvent que le pays est en plein dans la mauvaise gouvernance. Ils disent assister à un immense ratage : le passage de l’autoritarisme politique à la société démocratique qu’auraient permis la fin du terrorisme et le retour à la paix. Le multipartisme et la liberté d’expression et d’organisation sont des acquis en passe d’être vidés de leur sens…

C’est un regard critique, pessimiste et sévère, relevait le même journaliste. Et de conclure : qu’il (le regard) ne croise pas celui des gouvernants qui, eux, regardent dans leur seule direction, convaincus que leurs choix sont judicieux car assis sur la seule légitimité valable aujourd’hui, celle d’un «président de la République élu haut la main». Les dirigeants ne jugent pas utile de confronter leurs points de vue, d’écouter et d’associer les forces de la sphère politique et du monde de l’économie à la construction de l’avenir. Maintenant disons un mot sur l’épargne interne. Là aussi, l’expérience ne s’annonce pas porteuse. On sait très peu de choses des tractations autour de certains dossiers qui, pour être sensibles, remontent jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État. Tel n’est pas éligible parce que géographiquement mal né, tel autre a pu accéder à la propriété d’un immeuble dans un quartier résidentiel de la capitale au prix plus que symbolique et j’en passe… La privatisation ne signifie pas l’ouverture d’un marché concurrentiel, la chronique de la capitale ne tarit pas de petites combines entre copains pour tirer vers soi le dépeçage du secteur public.
Ensuite, après cette remarquable intervention de l’artiste, le même groupe de jeunes s’avance, s’installe au milieu de la scène et pose des questions, encore des questions: – Les gens ne décolèrent pas dans notre pays quand ils entendent parler d’affaires bizarres, injustes et discriminatoires. Ils fustigent les responsables, les élus et les fonctionnaires confondus, qu’ils accusent de dilapidation de biens publics, qu’ils accusent de clientélisme, de recrutements intéressés, et même de népotisme, de favoritisme et d’incompétence… Et, dans le flot des récriminations, en plus des détournements, des atteintes au patrimoine de l’État qui sont devenues à la mode, on indique qu’il y a d’autres procédés qui font gagner de l’argent facile aux gens. Il y des émigrés résidant à l’Étranger qui continuent d’être payés, des parents de responsables aussi payés pour rester chez eux, et même des cas doublement payés pour se taire, chose invraisemblable mais crânement proclamée. Ainsi va la saleté morale et physique… Mais qui l’a encouragée ? Le délabrement et la clochardisation qui les ont permis ? L’absence d’éducation et la dégradation des mœurs qui l’ont voulues ? Avant que vous répondiez à toutes ces questions, nous vous disons que nous sommes convaincus que la démission de l’État et de la société en est pour beaucoup.
L’artiste répond, instinctivement, spontanément, sans se faire prier : – Inutile de répliquer sur ces sujets précisément, parce que nous les avons abordés tout au long de ce rêve. Cependant, je peux me poser une dernière question, et vous en faire profiter : pourquoi sommes-nous arrivés à ces résultats après une longue période de grands combats pour notre souveraineté nationale et notre indépendance économique ? Nous avons parlé de nos ancêtres, nous avons énuméré leurs exploits, nous avons parlé de la lutte de libération nationale, nous avons raconté nos sacrifices, nous avons abordé la période post-indépendance et nous avons recensé sobrement les différentes réalisations. Mais que sommes-nous après cette longue période où nous avons prétendu être parmi les meilleurs dans notre région, sinon dans le monde ? En guise de réponse à cette dernière question, précisément, vous me permettrez de vous raconter deux petites histoires, hélas vraies, mais deux petites histoires qui résument toute l’impuissance et le renoncement dans lesquels nous vivons. Je vais vous les raconter et de votre côté, faites semblant de rêver que vous êtes dans la réalité. Vous pouvez vous le permettre, puisque le rêve vous mène à tout et…, il est gratuit. La première n’étant pas loin de la deuxième en matière de morale. Il s’agit d’un de nos responsables d’une institution locale qui a été choisi pour effectuer un voyage dans un pays ami, dans le cadre des échanges d’amitié et de concertation.

Descendant de son village, tout haut perché sur le flanc de la montagne, il se retrouve dans une belle capitale, rayonnante de mille couleurs, agréablement agencée, intelligemment structurée et accommodée, joyeusement propre et bouillonnante d’activités. Il a visité, avec le groupe, diverses installations, de nombreuses réalisations et a pris part aux discussions qui ont retenu son attention. Franchement, il a été émerveillé par ce voyage qu’il n’avait jamais espéré effectuer tout seul et par ses propres moyens. Il a appris beaucoup de choses et a eu une autre idée du monde extérieur, surtout d’un pays ayant pratiquement les mêmes options politiques que celles de notre pays. En réalité, il a été ébloui par tant d’organisation, de culture et de progrès, bref des signes révélateurs d’une vieille civilisation. A son retour au pays, quelqu’un de sa famille lui pose la question suivante : «comment a-tu trouvé le socialisme dans le pays que tu as visité ?». Il ne lui a même pas laissé le temps de terminer sa question et lui répond d’un air réprobateur, sévère : «de quel socialisme tu parles ! C’est nous qui vivons le socialisme, cette prescription répugnante ! Eux, ce sont des Pourgeois !» (ce qui veut dire bourgeois, dans sa langue de la montagne). C’est dire à quel point, notre «socialisme» était mal compris, mal appliqué, et à quel point il sonnait faux, avec le progrès, l’évolution, le modernisme, le passage dans le futur. Oui, il sonnait faux de par ses résultats très en deçà de nos espérances.
Cette dernière remarque, de notre responsable analphabète, concernant l’option politique que nous avions choisie dans le temps, nous montre le degré de désuétude et le retard, dans lesquels nous vivions par rapport à d’autres pays qui avaient opté pour le même choix que nous. Cela démontre aussi, que nous n’avions pas su donner à notre programme, pour son application et son approbation par notre peuple, tout le sérieux et l’attention qu’il mérite. Ainsi, le socialisme dans notre pays était, dans l’esprit de nos citoyens, synonyme de ruine, de perte, de gaspillage, de profit pour certains, d’incertitude, d’avenir gâché et d’atermoiements dans toutes nos entreprises, d’où la réponse épidermique de notre responsable. La deuxième histoire, presque identique, nous montre également à quel point sommes-nous en retard par rapport à d’autres, des gens comme nous ou moins que nous sur le plan des moyens, des structures et des virtualités.
Elle concerne un grand responsable. Un responsable qui n’avait pas de penchant envers nos frères du Moyen-Orient, disons qui n’avait pas de bons sentiments, envers ceux-là qui sont de notre race, de notre ethnie, de notre confession et de notre lignée. Ceux-là étaient considérés, par certains des nôtres, comme étant de race inférieure parce que, selon eux, arriérés, attardés, bédouins – dans le sens péjoratif –, vivant encore les traditions de Qoreïch, amateurs de thaumaturgie et de contes et légendes. Ils voyaient en eux ces «Cheikhs» exhibant ostensiblement des «chèques» aux chiffres suivis de plusieurs zéros pendant ces fameuses soirées bachiques où se dévoilent d’envoûtantes danseuses du ventre. Et j’en passe, car la liste de griefs est longue, à l’endroit de ces gens qui ne sont pas plus ou moins «maladroits» que nous.
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)