Ne m’en voulez pas, le rêve est gratuit

Culture

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

Notre responsable n’aimait pas les Arabes, pourtant ces frères qu’il le veuille ou pas. Il ne s’en cachait pas car, pour lui, l’Arabe, est ce produit «méprisable», ce produit qui n’avance pas, qui ne produit pas, qui ne se respecte pas. Mais un jour l’occasion s’est présentée pour qu’il parte chez eux, en visite dans un de leurs pays. Il accompagnait le grand chef, pendant son voyage. A la fin de la mission il a été invité pour rester quelques jours encore et prendre tout son temps pour faire du tourisme utile. Ce fut une bonne occasion pour lui, pour changer radicalement de ton et d’opinion sur ceux-là mêmes qu’il décriait il y a quelque temps. En effet, ayant goûté et apprécié l’hospitalité légendaire de la région ainsi que le formidable potentiel historique et culturel qu’elle recèle, notre responsable fut émerveillé par ce voyage, notamment par le comportement de ceux qu’il regardait d’un œil dédaigneux. De retour au pays, après plusieurs jours de merveilleux contacts et d’agréables visites, le grand chef, profitant d’une réception officielle, où il était invité, lui posa la question, en ces termes : «Alors, les Arabes, comment les as-tu trouvés ?». La réponse fut aussi significative que brève : «Je pense, Monsieur le (…), qu’il n’y a que nous qui sommes des Arabes, ceux chez qui j’ai été sont d’une autre race !».
Il voulait dire, en d’autres termes, qu’il ne pensait pas trouver des Arabes de cette nature, c’est-à-dire des gens aussi raffinés, éduqués et civilisés… des gens qui ont grandement évolué. Et puisqu’ils le sont, ils ne peuvent pas être des Arabes, selon lui, parce qu’encore une fois, l’Arabe, dans son mental, n’est pas synonyme d’évolution et de progrès. Mais le fond de cette histoire, hélas vraie, que je raconte, est un constat plutôt douloureux pour qui a compris la réponse de notre responsable. Je vous laisse le soin, vous aussi, de l’interpréter à votre façon. En tout cas, vous ne pouvez arriver à une bien meilleure conclusion que celle qui nous classe parmi ceux qui ont raté le coche. Cette fois-ci, c’est une femme qui se lève. Distinguée, belle allure, apparemment libérée de tout complexe, elle s’adresse dans un beau langage à l’artiste et, à travers lui, à toute l’assistance : – J’ai bien compris vos deux histoires. Elles sont claires, comme l’eau de roche. Mieux encore, elles nous renvoient dans un monde irrationnel, comme si toutes nos valeurs ont disparu, par enchantement ou comme si nous n’avons pas sur quoi nous reposer, c’est-à-dire que nous n’avons pas de repères, de constantes.
Pourtant, nous sommes un peuple qui a tellement donné, tout au long de son vécu, depuis la profonde Histoire, pour que nous puissions bénéficier aujourd’hui de ce patrimoine riche en événements et en couleurs. Mais voilà, nous sommes également ce peuple qui ne s’est pas trop intéressé à l’écriture de ses glorieuses épopées pour rendre justice à ses héros et dire que leur combat n’était qu’une suite logique de cet héroïsme et de cet amour de la patrie qui ne se sont jamais éteints. Comment après cela ne pas s’insurger contre certaines situations qui viennent comme pour nous «interpeller» et nous rappeler, malgré ce lourd et riche patrimoine de lutte et de sacrifice, que nous n’avons pratiquement rien fait ou, qu’à la limite, il nous reste beaucoup à faire, si ce n’est tout ! Que se passe-t-il dans notre pays ? Pourquoi avoir tellement combattu, milité et résisté à tant de forces et d’instabilités pour arriver à des résultats en deçà de nos aspirations ? Est-ce la malédiction qui nous poursuit ? Et pourquoi d’ailleurs ? Nous devons revenir au passé, pour comprendre notre présent. Mais nous ne pouvons le réécrire parce qu’il est déjà écrit…
Nous devons avoir une mémoire du futur. Et c’est dans l’esprit des hommes qu’il faut bâtir la défense de la paix, de la justice et de la démocratie. Enfin cette défense ne se fait pas par les armes, mais par l’éducation, parce que c’est elle, l’éducation, qui cultive la paix dans l’esprit. L’artiste l’interrompt et, sans ambages, parce que connaissant la suite, lui inflige : – Ne vous tracassez pas, Madame, en vous posant tant de questions, la situation est tellement claire qu’on ne peut cacher les raisons profondes de notre descente aux enfers… Une descente dans laquelle nous n’avons pas encore réussi à nous en désobstruer. Nous avons raté le coche, dès les premiers jours de l’indépendance. Nous avons très mal amorcé le tournant de notre vie. Nous l’avons négocié différemment que ceux qui ont eu l’intelligence d’étudier toutes les autres expériences et les modèles de sociétés vécus pour s’en inspirer dans le bon sens. Nous avons été fougueux. Nous avons plongé dans l’inconnue. Nous sommes en train de payer notre exaltation et notre précipitation.
Je ne dis pas que le système choisi en est la cause. Loin de moi cette affirmation. D’ailleurs, nous ne pouvions aucunement, choisir un autre système eu égard à nos alliances et à l’équilibre des forces qui s’imposait en ce temps-là. Je dis, tout simplement, et c’est ma conviction, qu’on aurait pu l’accommoder à nos moyens, à notre culture et au caractère de notre peuple qui refuse, très souvent, de suivre des «écoles et des rites» auxquels il ne peut s’adapter. Avec le recul du temps, on peut s’exprimer ainsi, sans risque d’être compté parmi ces thuriféraires, brillants et zélés, qui se distinguaient dans un passé récent par leur acharnement dans l’application du programme du «Chef incontesté» et qui sont aujourd’hui les premiers à le critiquer, et à l’insulter, après qu’on ait mis une tonne de terre sur son corps inerte. Je ne suis pas parmi ces premiers à planter la dague dans le dos de ceux qui persistaient à lui être fidèles, du moins à son programme. Ainsi, par exemple, notre Histoire post-indépendance est quelque peu chahutée. Elle est fondée sur une lecture partagée en deux volets. D’une part, une période où l’État tout puissant régentait la vie des gens, et, d’autre part, celle où la rue a essayé de contester ce pouvoir, d’y participer et d’en prendre possession.
Il y a eu cet accident : ce jour où les gens ont déferlé dans la rue pour crier leur colère, dénoncer l’injustice et demander plus de liberté. En effet, les gens demandaient plus de liberté, plus d’égalité et un meilleur fonctionnement d’un système qui était, et demeure toujours en deçà de ce que nous attendions… en tout cas plein d’imperfections. Les gens sont redevenus de véritables «Amazighs», dans le sens profond du terme, non dans le sens que veulent lui coller nos frères d’une certaine région du pays. Mais qu’a-t-on donné à ces gens qui ont manifesté leur désir de changer, à ces gens qui ont vu leurs enfants mourir dans des circonstances qui nous seraient comptées, demain, parmi les pages sombres de notre Histoire ? Un système qu’ils n’ont pas sollicité, et qu’ils étaient loin de comprendre et de célébrer pour les dissensions qu’il a engendrées au sein des masses non habituées à ces formes de gestion car, de par la ténacité de leurs traditions, elles sont restées à l’état «nature», c’est-à-dire simples, avec ce tempérament paysan qui résiste au temps et aux changements, dans la plupart de nos régions. En effet, comment ne pas désenchanter quelquefois quand nous sentons que l’appel de ce peuple n’a pas été entendu, parce que le système lui-même que nous avons supporté à bras-le-corps, écrase les hommes et les institutions, bloque l’économie, nie la citoyenneté, détruit les liens sociaux et fait peu de cas des droits de l’Homme et des libertés. C’est un système qui vit pour lui-même, sans se préoccuper de ses rapports avec la société, comme le soutenait un journaliste. Mais, en réalité, que demande le peuple ? Le pouvoir, la responsabilité, les honneurs ? Rien de cela ! Le peuple demande plus d’égalité, plus de bien-être, plus de justice, plus de respect et plus de considération. Le peuple veut vivre. Les autres requêtes ne l’intéressent pas.
La couleur du système, ses options, ses penchants, ses alliés, ses sponsors, ses contestataires, ses détracteurs, ne sont pas sa tasse de thé. Il n’en a que faire. La démocratie ? Eh bien, c’est un plus. Si elle peut être instaurée et appliquée, il ne sera pas contre parce qu’elle va l’aider à se conduire mieux, à s’impliquer davantage dans le processus de développement du pays, bref, à se sentir plus responsable et utile à la société. Par contre, si elle trouvera des difficultés pour voir le jour, pour être effective dans son quotidien, il attendra que les mythes disparaissent et que les gens soient plus courageux pour aller vers la contestation de fond et opter sérieusement pour un État moderne et républicain, pas pour cet État où le discours du ministre ou du haut responsable est d’abord destiné aux autres cercles du pouvoir et non au peuple. Pourquoi je dis cela ? Tout simplement parce que nous ne sommes pas prêts pour appliquer la démocratie, telle que conçue au sein des grandes nations. D’abord, et c’est la première question qui nous vient à l’esprit : avons-nous, tous autant que nous sommes, compris ce que veut dire la démocratie ? N’est-ce pas une étape essentielle pour tous les peuples qui aspirent au progrès et à la modernité ? Elle l’est aussi pour nous. Incontestablement.
Je dirais même que nous sommes contraints de l’appliquer, malgré tout, même si nous montrons présentement quelques réticences et développons beaucoup de réserves. Elle nous est plus exigée pour ce qu’elle va engendrer comme sérieux et assiduité dans notre comportement. Elle nous permettra de nous remettre en cause, de revoir notre relation avec le système, et de privilégier, dans tous nos rapports, la «rationalité économique, celle des choix politiques qui se construisent ailleurs à partir de données scientifiques, d’analyses sociologiques, de paramètres climatiques et de projections simulées sur la durée». Les intellectuels, qui vont au-delà dans la réflexion, se posent aussi des questions la concernant. En voici une, logique, claire, raisonnable, mais pour laquelle il peut y avoir diverses réponses. Pouvons-nous trouver la bonne réponse, présentement, celle qui puisse nous satisfaire ? Voyons quand même cette question qui nous préoccupe tellement. «Est-ce que notre peuple a des dispositions pour assimiler les principes de base de la démocratie, les enrichir et les mettre au cœur de ses pratiques en famille, au travail, en politique et dans les relations obligatoires pour des hommes et des femmes condamnés à vivre ensemble sur un même territoire ?»
Le mieux dans ce débat de fond, c’est de dire la vérité, toute la vérité, pour que personne ne puisse nous contester notre «scepticisme conjoncturel» vis-à-vis de ce concept aussi délicat que nécessaire et indispensable pour la bonne marche des institutions et de l’État lui-même. Le sage, les jeunes et une partie des spectateurs, réclament à l’unisson : – Oui, il faut tout dire. Il faut surtout dire la vérité, même si elle fait mal ! L’artiste reprend : – Permettez-moi avant de continuer de vous parler de la démocratie, de revenir un peu à notre ambiance de tous les jours pour savoir si oui ou non nous pouvons supporter les charges de cette constante des temps modernes. Je vous ai fait état, précédemment, des contraintes que nous avons, tous les jours, dans sa mise en application. Pour cela, je voudrais vous raconter des annales qui, hélas, sont vraies et démontrent, on ne peut mieux, cet esprit rétrograde qui n’est pas fait pour faciliter notre compréhension et nous permettre d’être en harmonie avec la démocratie… Je n’invente rien. Je ne fais que traduire, dans un langage clair, ce que vous ressentez tous les jours, dans votre quotidien. Je ne fais que répéter ce que je lis, dans nos journaux. Les premières histoires révèlent un certain fonctionnement qui n’existe nulle part ailleurs, sauf dans ces Républiques bananières dont les inqualifiables comportements et la gestion incohérente et désordonnée, pis encore bordélique, les classent parmi ces «territoires» où la décadence règne en maîtresse absolue sur les êtres et les choses. Je cite : «Un agent du contrôle des prix achète ses cigarettes, au prix taxé par la contrebande, chez un revendeur près du kiosque qui a été fermé pour cause de majoration de prix. Si ce n’est pas kafkaïen… Un téméraire investit dans l’agroalimentaire. Il y met toutes ses thunes, il décide de faire du yaourt. Il investit et s’investit.
Il brave la bureaucratie, la banquocratie, la Cnassocratie, l’impôcratie et toutes les crassies. Il lance son produit avec toutes les précautions d’usage… et à la moindre faille il peut voir tout s’écrouler. Une intoxication, provoquée par un de ses produits et le voilà closed because «danger sur la santé du citoyen». C’est normal. Mais la santé du citoyen on n’y pense même pas, quand un épicier, un marchand de meubles, un brocanteur, un grossiste, un sorbier, installe un jerrycan d’eau ou un «bermil» au seuil de son magasin pour abreuver gratuitement les badauds. Celui-là, pense le service d’hygiène, il est en train de faire du bien. «Moul el khir», il rend service… la même tasse passe de bouche à lèvres des centaines de personnes qui s’y désaltèrent. D’où vient le breuvage ? Est-il propre à la consommation ? En cas d’intoxication, peut-on porter plainte et contre qui ? Tranquille le bienfaiteur. Si ce n’est pas kafkaïen… Disons «Bismi Allah» avant d’en boire. «El hamdou li Allah» quand on est désaltéré, et «Mektoub» si on se retrouve à l’hôpital». Des histoires comme celle-ci je peux vous en raconter à satiété. Car, le folklore, chez nous, n’a pas changé autant que ce qui est souhaité. Nous sommes dans la même crasse, avec notre manque de sérieux et notre incompétence chronique. Nous vivons avec notre capacité de nuisance, très loin de ces engagements liés au respect de la bonne gouvernance, à la lutte anticorruption et à la résolution des conflits qui se multiplient et se diversifient. Je peux encore parler d’autres analyses, prises au hasard de nos lectures.
En voici une que je copie d’une thèse de doctorat d’État et qui nous montre comment le peuple est dépossédé de ses droits et comment l’hypothèse démocratique est subvertie et écartée au profit de l’hypothèse autocratique : «Le président de la République peut alors facilement faire dire au peuple une chose et son contraire. Pour preuve : en février 1989, le peuple rejette le projet socialiste qu’il venait de sceller solennellement une décennie auparavant et vote pour un projet de société libérale totalement opposée. Deux ans après, ce même peuple s’apprêtait à renier ces mêmes principes (liberté et démocratie) et à opter pour un projet totalitaire (l’islamisme). Quatre ans après, en novembre 1996, il accepte néanmoins une autre Constitution certes libérale mais qui va dans le sens d’un plus grand autoritarisme. Comment expliquer cette situation ? Est-ce par manque de discernement ou de maturité politique que le peuple suit l’usurpateur ?». Et un journaliste conclut sur le même ton : «D’une révision à l’autre, le sacro-saint principe et mécanisme de rigidité s’est transformé en fluidité et inflation constitutionnelles. Autant de signes qui trahissent la difficulté à poser des normes capables de régir durablement le fonctionnement de l’État. Les révisions antérieures expriment un appel abusif au peuple pour vider des querelles de pouvoir auxquelles il est par ailleurs totalement étranger». Le constat est froid malheureusement ! La démocratie, chers spectateurs, exige une autre ambiance, plus saine, plus sereine, plus forte, plus encourageante et plus juste. Pas celle du fatalisme béat, de l’indiscipline, de la mauvaise foi, de la mauvaise gestion et de l’absence de rigueur quand, malheureusement, on est esclave des habitudes équivoques et assujetti à ce climat délétère.
La démocratie qui n’est pas une vue de l’esprit, comme elle n’est d’ailleurs pas le fait du prince exige de la constance et de la fermeté. Parce qu’en elle-même, elle est une culture, une discipline et une conduite qui n’accepte pas de déviation et d’ambiguïté. Avons-nous les moyens pour l’appliquer ? Et de plus, serions-nous capables de l’appliquer dans les normes ? Et chez les gouvernants, est-elle bien comprise ? «La démocratie, disait un grand de ce monde, ce n’est pas une situation où l’on nous compte, mais où l’on doit nous prendre en compte», c’est-à-dire en considération. Ainsi, disait-il encore, il nous faut aller au devant de notre destin car : «L’être humain est capable de faire de l’inattendu, ce qui sera le possible de demain», ainsi, «il faut nous engager pour vaincre notre monotonie et notre inertie, c’est notre devoir de demain». Et il termine : «Chaque être humain peut créer un destin d’avenir». Les quelques exemples que j’ai cités – il y a d’autres, plus affriolants car surprenants et inconcevables –, nous assènent la triste réalité, celle qui nous montre que nous sommes effectivement très loin de ces normes exigées par la bonne gouvernance pour aller au devant de la démocratie.
Il faut, en pratique, une autre société et d’autres «monarques». Voyons ce que nous avons dans notre escarcelle d’aujourd’hui, c’est-à-dire en clair de quoi est fait notre environnement. D’abord le pouvoir. Le nôtre est totalitaire, malgré les déclarations de bonnes intentions de nos responsables. Nous vivons dans une République certes, mais une République où le droit n’est pas encore à sa place et où la justice ne s’applique que par «injonction» des plus forts et à leur profit. Le pouvoir, dans notre pays, se transmet par la grâce de cet entourage décrié, dénigré et accusé de toutes les imperfections du régime. C’est lui qui choisit le nouveau chef, généralement de la même espèce, en simulant des élections démocratiques et en permettant à plusieurs candidats de pénétrer les joutes électorales, pour le décor et… l’alibi. Dans d’autres pays – dans notre environnement bien sûr –, c’est les frères et sœurs qui sont là, confortablement installés dans des cabinets occultes, pour «conseiller», et souvent pour diriger et commander à la place du Chef. Ceux-là commettent des impairs et, de simples roturiers quand le «frangin» n’était rien, deviennent des éminences avec lesquelles il faut compter. Alors, vous vous imaginez dans quelle atmosphère la démocratie doit évoluer ! Quant au gouvernement… il existe. Il se réunit. Il va sur le terrain.
Il fait des promesses. Mais il ne commande rien. Que représente-t-il alors ? Il ne représente rien, le grand Chef est là : c’est lui qui décide. Le gouvernement fait de l’agitation et s’occupe de la gestion des affaires courantes. Le ministre ne décide pas. Il n’a pas le droit de réfléchir, même quand il possède cette faculté. Il applique ce qu’on lui «ordonnance» d’en haut. Ainsi, le niveau atteint par la désagrégation des institutions du pouvoir fait que même, lorsque la loi est appliquée, personne n’accorde sa confiance aux responsables, quels que soient leurs niveaux et leur volonté de bien faire, quelque soit leur degré d’honnêteté ou… de malhonnêteté. Le Parlement ? Il représente, avec ses deux Chambres, la «haute» et la «basse», une caisse de résonance où se corrompent les âmes et se désagrègent toutes les ardeurs. Là, le représentant du peuple – quelle belle appellation ! – devient un rond de cuir, un fonctionnaire qui attend gentiment ses émoluments, chaque fin de mois, qui fait un discours stéréotypé chaque session, quand il a les capacités, et qui espère rempiler après chaque fin de mandat. Quant aux partis, ces représentants de la société civile, eh bien, ils ne représentent rien du tout. Parce que leurs «cheptels» se résument aux personnels qui gravitent autour de leurs directions. Les militants ? Ils n’en ont pas ! Et de là, ce ne sont pas des partis politiques qui jouent l’alternance, comme dans les pays qui se respectent et célèbrent la démocratie.
Pour notre pays, fini le parti unique qui, malgré l’aura qui l’encensait et les sourdes critiques dont il faisait l’objet, était là et bien là, avec ses militants convaincus, avec ses idées, avec quelquefois sa force, comparée à celle de l’administration… il était là comme cet épouvantail qui faisait peur. En effet, lui au moins, il faisait peur. Cela me rappelle ce fameux slogan que chantaient nos frères Chaouias, lors des rencontres de football, pour encourager leur équipe : «Mieux vaut une belle frappe sur la transversale qu’un but». Ceci sur le plan des prérogatives de l’État et des capacités de nos dirigeants qui ne sont pas mises à profit pour mieux évoluer. Quant au fonctionnement lui-même, nous ne sommes pas également au diapason de la bonne gestion. Notre État fonctionne pratiquement avec beaucoup d’empirisme pour ne pas dire avec l’anarchie qui nous caractérise. Les gens, chez nous, sont nommés par «la grâce du seigneur», et un beau jour, quand ce dernier a besoin de votre poste pour le confier à quelqu’un d’autre, il vous le «subtilise», ni plus ni moins. Il a décidé ainsi et vous ne saurez même pas les raisons de votre départ. Rex dixit ! Notre État ne peut changer, ce qui fait dire à un journaliste averti qu’il est souvent comme frappé d’une paralysie chronique. Ravagé par les luttes de clans, le pouvoir sombre dans une interminable quête d’équilibrisme avec son lot de querelles et de règlements de comptes… Des projets sont sans cesse ajournés, des scandales et des affaires de corruption empoisonnent la vie publique et un gigantesque programme de soutien à la relance économique qui n’est toujours pas entamé, faute de… projets ! Voilà ce que disent des journalistes et ce que nous connaissons fort bien de notre inertie au sommet.
Maintenant, voyons le peuple. Eh bien, le peuple n’a pas peur de l’autorité. Il ne la respecte même pas. Et pourquoi donc, se dit-il, quand il vit dans un autre monde, ballotté entre l’indifférence, voire le mépris de ses gouvernants et les embarras d’un quotidien difficile ? C’est dommage ! Et la bonne dame, à la belle allure, qui a intervenu un peu avant, renchérit : – Oui, mais encore une fois, qui est responsable de tout cela. Le peuple qui n’a pu assimiler la démocratie ou le système qui n’a rien fait pour la vulgariser et la faire respecter ? L’artiste lui répond, sans gêne et sans démagogie : – Les deux, madame… les deux ! La vérité, et il faut la claironner, est que nous n’avons pas compris ce qu’est la démocratie. Ce que je suis en train de rabâcher depuis un certain temps.
C’est pour cela qu’il nous est difficile de l’appliquer selon les normes exigées. Regardez, par exemple, «on a vanté sur des fonds musicaux bien staliniens les prédispositions quasi génétiques de notre peuple à construire le socialisme, l’égalité des chances, la justice sociale, les temples de la science et du savoir. Et qui est mieux et plus pouvait défendre les opprimés dans le monde ? Notre peuple, bien entendu… Et voilà qu’un certain mur succombe devant les assauts d’autres peuples, devant un nouvel ordre mondial, capitaliste, mondialiste, dit-on, pour le rendre plus universel, plus digeste. Brutalement, on décrète que le pays est mûr pour l’économie de marché, capable de s’intégrer dans de grands ensembles très complexes qui causent des langues scientifiques et étrangères à nos us et coutumes. Mais qu’importe, nos gens sont les plus intelligents, les plus compétents, et, rajoutent les charlatans, plus musulmans que tous les autres musulmans». Quelle modestie ! Abou El Alaï El Maâri n’avait pas dit mieux quand il s’exclamait : «Même si je suis le dernier de son siècle, je réaliserai ce que n’ont pu réaliser mes prédécesseurs».
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)