Ne m’en voulez pas, le rêve est gratuit

Culture

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

Notre intelligence ? Eh bien, elle s’est traduite par un certain recul par rapport à ce que nous espérions voir se concrétiser sur le terrain. Allons ailleurs et prenons le cas de l’économie, tendon indispensable pour le développement et le progrès. Le constat que l’on peut faire est le suivant : il y a essoufflement dans la dynamique économique et un véritable cafouillage au plan politique. A ce sujet, « il n’échappe à personne que les investissements massifs inadaptés et spontanés réalisés à la faveur des différents plans de développement industriel se sont traduits par l’émergence de nombreux « pôles industriels », ceci en l’absence d’un schéma directeur de développement et surtout d’aménagement di territoire. Cette création anarchique de zones industrielles, totalisant une superficie globale de 15 mille hectares et quelques 800 zones d’activités donna naissance à de multiples contraintes et tracasseries tant aux aménageurs qu’aux promoteurs. Ainsi, l’absence d’un modèle global, intégré et approprié en matière de gestion et de développement des espaces industriels, s’est traduite par le dysfonctionnement à tous les niveaux auquel il faut ajouter l’indifférence caractérisée de toutes les parties concernées : État, Aménageur, Élus, Utilisateur et Gestionnaire ».
Profitons encore pour dénoncer d’autres carences – et le terme est gentil – pour ne pas dire d’autres inepties. Notre pays importe du citron de l’Uruguay et des pommes du Chili, et je ne sais quoi, de je ne sais où, alors que la bande fertile de la Mitidja, cette « mère nourricière », comme l’appelait Hamdan Khodja, ou « l’ennemie de la faim » et « la mère du pauvre » comme l’appelaient les Algériens d’alors, est abandonnée à la fureur du béton et de la construction illicite. Nous y voyons pousser, dans cette Mitidja hélas, des commerces de gros en électroménager et d’autres matériaux de constructions. C’est-à-dire que demain, lorsque nous n’aurons plus de quoi importer pour satisfaire nos ventres avides et nos instincts de bêtes, nous mangerons notre électroménager, qui pousse dans cette belle plaine, en salade de micro-ondes, en soupe de climatiseurs et en gratins de machines à laver… Quant aux causes ayant engendré cette situation, elles sont multiples et de nature diverse. « Il y a l’absence d’une politique nationale et d’une vision en matière de création, de gestion et de développement de zones industrielles et d’activités en corrélation avec le schéma national d’aménagement du territoire, du reste inexistant.
La rupture de l’élan national en matière de développement résultant d’abord d’une crise économique, d’un processus de réformes demeuré inachevé, d’une crise politique et sécuritaire menaçant l’existence de la nation, d’une instabilité gouvernementale et d’une crise profonde dans le monde du travail soldée par les liquidations et les compressions. L’inadéquation des textes portant administration des zones face au processus de réformes toujours en cours. La restriction des moyens financiers des organismes gestionnaires des zones aggravée par le refus ou l’incapacité des opérateurs à s’acquitter de leurs contributions financières ». C’est alors que la conjugaison de l’ensemble de ces facteurs, provoqua l’état d’abandon des zones qui, au lieu d’être des centres créateurs d’emploi et de richesses sont devenues des lieux de désastre et de ruine car transformés en décharges de détritus et propices à tous les maux…l’insalubrité, la pollution et le refuge des exclus. Nous ne connaissons pas l’harmonie malheureusement, car l’harmonie se caractérise par la bonne gestion des conflits. Où sont les banques, les institutions, les ensembles et les organes financiers qui iront faciliter la tâche des promoteurs de l’économie de marché ? Franchement, elles ne sont pas là, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas à la hauteur ou qu’elles ne veulent pas évoluer. Nous n’avons qu’à suivre les plaintes et les « complaintes » de nombreux investisseurs pour comprendre le mal qui ronge notre système bancaire et l’ensemble de nos institutions chargées d’accueillir des fonds et les utiliser à bon escient au profit de notre économie. A entendre tous ces geignements, l’on est pris de malaise.
Quel gâchis ! Et les réformes ? Nous les avons évoquées sobrement auparavant, en énumérant les facteurs de blocage et en donnant des exemples concernant la marche de notre économie. Parlons-en maintenant ouvertement. Et la première question qui nous vient à l’esprit, nous la posons simplement, sans fioriture. Avons-nous été au rendez-vous avec ces réformes ? Non, jamais ! Les réformes sont pour nous ce miroir aux alouettes, franchement. Leur application s’est avérée illusoire car les tenants de cette option ne croient pas en son efficacité ni même en sa nécessité au sein de la société. Pour eux ce n’est qu’un assemblage de discours et de critiques de l’ancien système. C’est surtout la preuve qu’on donne, à travers plusieurs occasions, que notre pays est en train de changer vers le mieux. Mais est-ce que la révision des contenus de nos programmes s’accompagne aussi par l’évolution des mentalités ? C’est peu probable, puisque ce sont les mêmes d’hier qui doivent appliquer aujourd’hui un programme qui ne les conforte aucunement. Qui ne les intéresse pas, tant ils sont pris par des « exigences personnelles » qui leur demandent beaucoup de temps. Mais ils font semblant de réagir concrètement, tout en sachant que la vérité est toute autre sur le terrain de l’application. Rien ne bouge, parce que tout sera dérangé. C’est une race qui ne croit en rien, qui n’a confiance en personne, même pas en ceux qui leur assurent cette rémunération confortable à chaque fin de mois.
Ainsi, l’on comprendra que dans tout ce charivari, ce n’est pas les réformes qui sont en contradiction avec notre culture ou qui, à la limite, sont mal agencées et mal présentées, c’est plutôt l’homme qui ne veut pas s’impliquer et s’investir honnêtement dans cette passionnante entreprise qui nous mènera vers des lendemains plus radieux Et l’on comprend à travers cette rétrospective qu’on ne peut mettre la charrue avant les bœufs. Ainsi, la démocratie, pour être bien appliquée ou, à tout le moins, pour trouver son champ de prédilection, doit s’appuyer sur ces moyens indispensables qui deviennent des facteurs encourageants pour sa mise en œuvre. Mais disons quand même autre chose de plus concret, ce que Dieu nous a laissé pour entreprendre notre course vers le progrès. Disons clairement et courageusement si nous suivons ses enseignements que : « Dieu ne change en rien l’état d’un peuple qu’il n’ait modifié au préalable l’état de son âme » ? Et cela est la responsabilité du peuple ! Incontestablement ! L’artiste termine ainsi son intervention, salue le public et disparaît au fur et à mesure que le rideau se baisse.
Il vient de faire un brillant réquisitoire sur l’état de la nation. En tout cas un bilan vrai, plus sincère, que ceux qui nous sont « balancés » tous les ans par des chefs qui ne contrôlent aucune situation dans leur pays. Mais c’est vrai que l’artiste en a profité, pour vider son sac, pour dire ce que d’aucuns ne peuvent dire, parce qu’il joue une pièce qui raconte un « rêve », et le rêve lui permet tout. Heureusement d’ailleurs ! Ce deuxième acte, principalement, relate, d’une façon directe et objective, le fonctionnement d’un système qui gouverne le pays depuis l’indépendance, et qui n’a pas réussi à se débarrasser de ses crises et de ses dysfonctionnements malgré les moyens et les chances qui lui ont été offerts.

De là, l’on comprendra mieux pourquoi, cet acte est une suite de reproches, faites successivement aux responsables, c’est-à-dire aux hommes qui composent l’État, représentent le pouvoir et font le système, par l’artiste, les jeunes et ceux qui aiment profondément ce pays. Après, l’on comprendra aisément, pourquoi les jeunes réagissent consciemment et formulent des vœux pour que tout change. En réalité, ils demandent la refonte des systèmes de gestion et réclament plus de justice et plus de sérieux dans tout ce que nous entreprenons. C’est leur droit. Oui, c’est leur droit ! Ne sont-ils pas des citoyens à part entière et ne sont-ils pas notre avenir ?

Acte III Les jeunes… notre avenir et notre espoir Le rêve se poursuit
Le troisième acte va se jouer avec les jeunes et uniquement avec eux… Ces jeunes qui incarnent l’avenir et l’espoir en même temps. Et, dans toutes leurs interventions l’on sent que ce sont ces deux symboles qui s’expriment. Le rêve est ainsi fait…, on ne peut rien changer à sa structure. Il est dur quelquefois – c’est pour cela que j’ai parlé de cauchemar –, mais c’est un rêve qu’il faut supporter pour en saisir tous les enseignements possibles et s’en faire une raison, peut-être que… Le rêve est gratuit, comme je l’ai toujours soutenu, et il est assurément intéressant quand on sait le prendre par le bon côté et en faire un stimulant pour une meilleure démarche dans notre vie. Celui que nous vivons présentement est attirant à plus d’un titre. En rappeler le contenu aux jeunes est peut-être nécessaire, pour leur faire toucher du doigt le besoin de participation aux projets d’avenir et les convier à se mobiliser davantage. Ainsi, la pédagogie qui s’en dégage est claire. Le rêve promène les jeunes dans les profondeurs de l’Histoire, leur fait découvrir des ancêtres qui leur ont été cachés par l’absurdité de leurs aînés – je le répète même si cela dérange –, leur révèle nos forces et nos potentialités pendant nos luttes opiniâtres contre les nombreux envahisseurs et colonisateurs, les met en relation avec notre biographie contemporaine où ils lisent nos réalisations, nos réussites, nos déboires et nos échecs. Il leur fait toucher du doigt les souffrances qui nous ont été imposées par le terrorisme et le délabrement, les exhorte à faire la comparaison entre ce que nous étions et ce que nous sommes devenus et, pour se terminer (le rêve) en beauté, parce qu’il a un message à leur transmettre, leur laisse le soin de choisir eux-mêmes leur avenir… Le rideau se lève. L’artiste est dans un coin, comme timoré par tant de discours, d’explications, d’harangues, de sollicitations et de justifications.
Il reste silencieux, pendant un bon moment. Il réfléchit, il se concentre. Peut-être se dit-il, au fond de lui-même, si les jeunes ne se contenteront pas du texte que je dois suivre, que vais-je leur dire lorsqu’ils me demanderont encore et encore davantage quand je m’aventurerai avec eux dans les méandres de la politique ? Que vais-je leur inventer pour défendre l’indéfendable, s’ils me poseraient encore et encore des questions pertinentes mais surtout gênantes ? Que vais-je raconter pour les convaincre et leur faire sentir la nécessité d’adhésion au grand projet qui est le leur, c’est-à-dire qui est à leur profit ? L’artiste se pose des tas de questions, en ce laps de temps, pendant qu’il s’apprête à reprendre la scène et contenir tout ce public qui attend… Après ce bref moment de réflexion, il se lève d’un geste brusque, comme s’il voulait se revigorer et, d’un autre geste aussi vif que souple, il demande l’attention de tous : – Chers spectateurs, je demande votre aimable attention. Je dois également m’excuser auprès de ceux qui pensent que j’ai été un peu trop en besogne, concernant certains sujets brûlants que j’ai évoqués dans les deux précédents actes. Quant aux autres spectateurs disciplinés, silencieux, peut-être non concernés par le contenu de la pièce, je souhaiterai ne pas les avoir saoulés avec mes propos. C’est ma façon de voir les choses et de les expliquer, à ma manière, bien sûr. C’est aussi mon vocabulaire. Il est sincère, honnête, clair, direct et, je n’y peux rien ! C’est comme cela que je vois mon intervention dans une pièce pareille, pardon dans un rêve pareil et qui est non moins difficile, comme toute aventure périlleuse.
Effectivement, elle ne peut être autrement dans ce rêve où l’on peut tout se dire, sans avoir la crainte d’être inquiété, agoni, injurié, sali et traité de voyous et « d’agent patenté » des ennemis de notre pays, les colonialistes et les impérialistes. Car, dans le rêve on peut se permettre « d’avoir des ailes » pour voler très haut, dans des « cieux » qui, dans le réel, appartiennent à d’autres gens, autrement plus « forts » et plus solidaires dans la pratique des basses besognes et des mauvais tours. Dans le rêve on peut se permettre de « rêver » à foison, en se construisant des empires, des châteaux dans des îles paradisiaques où la flore est luxuriante et où les oiseaux sont multicolores. On peut se permettre d’être le chef incontesté d’une tribu, d’un peuple « passif ou actif », d’une camarilla aventureuse et dangereuse. Bref, on peut être tout, ce rêveur qui n’a pas de frontières et qui, de par l’euphorie des sentiments et des désirs, s’édifie un monde propre à lui où abondent le courage, la témérité et l’éloquence. En effet, à propos d’éloquence, vous avez remarqué, tout au long des actes précédents, que personne n’est allé de mains molles, nous avons tous dit crûment ce qu’il fallait dire pour se « connaître mutuellement » et aussi pour aller de l’avant dans la compréhension de nos problèmes et, pourquoi pas, dans leur solution. Nous avons été, les uns et les autres, très courageux et c’est là la magie du rêve. Ainsi donc, nous devons le poursuivre dans les mêmes conditions, en ayant à l’esprit le devenir de notre pays, l’évolution de notre jeunesse, son épanouissement, sa participation au développement national… Là, brusquement, il est interrompu par un jeune, qui est accompagné par son cadet. Il parait très vif et intelligent, si l’on s’en tient à son apparence. Des yeux pétillants et un regard hautain, il ressemble à ces jeunes bien élevés qui ont de la classe, de la « cervelle » et qui savent où mettre les pieds. Il quitte sa place et se dirige vers la scène. Dans sa main, des journaux, comme s’il allait faire une revue de presse. Et d’emblée, il pose crûment le problème :
– Tout est beau dans ce que vous nous avez dit. Tout est clair dans votre discours. D’autres artistes, nous auraient saoulés peut-être avec leur démagogie et leur suffisance…, alors que le temps n’est plus à la « cajolerie » et à la courbette. Mais au regard de cette situation catastrophique que nous vivons depuis pratiquement deux décennies, au regard des résultats qui ne veulent afficher un taux qui puisse nous donner ce minimum d’espoir et de confiance pour aller au-delà de notre sacrifice, que représentons-nous dans vos esprits, nous les jeunes, et que devons-nous faire pour contribuer à l’arrêt de cette dangereuse hémorragie ? C’est excellent de profiter d’une occasion pareille pour assister à vos réquisitoires qui sont d’ailleurs très réussis sur le plan technique et artistique, mais quelle moralité peut-on en tirer, nous qui souffrons de l’ingratitude de nos aînés, de leur égoïsme et de leur dédain ? Ensuite que fait l’État, dans ces situations pénibles où le nombre de chômeurs, de renvoyés du système scolaire, de marginaux et de délinquants est toujours croissant ? Et, avant de permettre à l’artiste de répondre – lui faisant signe de la main pour lui traduire qu’il n’a pas encore terminé son intervention –, le jeune se lance dans une longue tirade, tellement longue, qu’on a l’impression qu’il l’a préparée minutieusement, puisqu’il révèle des situations claires et il donne des chiffres précis : – Je voudrais, avant toute chose, vous demander clairement que nous ont laissé nos aînés, au regard de cette crise persistante que nous vivons au quotidien ? Je peux vous répondre avant que vous le fassiez ! Et la meilleure réponse pour l’instant, celle qui me vient à l’esprit, c’est ce papier que je lisais ce matin, au réveil, comme si le hasard voulait que je contribue à cette représentation, par une intervention de cette nature.
Le papier dit : «Aujourd’hui, les villes laissées par les Romains se sont transformées en villes laissées par des Français, qui sont devenues des bidonvilles. Le commerce laissé par les Phéniciens a donné un bazar de deux millions et demi de kilomètres carrés et des importateurs oubliant que l’exportation c’est aussi de l’échange. Les luttes des Byzantins ont trouvé refuge dans nos non-dits. Les Kouloughlis des Turcs se sont transformés en compote de cerises. Les forts des Espagnols se sont transformés en guérites pour merguez congelées. Les binationaux ont fini par choisir l’exil vers le Canada pour devenir des multinationaux. La soie de Chine s’est transformée en kamis multicolores pour tromper l’ennui et les Chinois, venus vérifier l’usage de leur produit, se sont retrouvés à construire des logements AADL. En l’absence d’une arithmétique importée par les Arabes que nous sommes devenus (…), il est impossible d’expliquer notre malaise pérenne sinon par le mauvais œil de nos ennemis et de nos frères devenus trop nombreux en même temps…». Il est évident que certains journalistes se défoulent, et ils ont raison tant qu’ils disent la vérité…, cette vérité hélas que nous n’entendons jamais de la bouche de nos responsables. Je continue ma revue de presse. Je vous en prie, ne m’interrompez pas. J’ai beaucoup à dire en vous transmettant ce que ne lisent peut-être jamais ceux qui nous dirigent, sous prétexte que ces écrits sont des brûlots dirigés méchamment contre eux et représentant ce qu’il y a de plus hideux dans la littérature : le mensonge et l’insulte. Détrompez-vous messieurs, vous qui me suivez, ici, dans ce théâtre.
Ces écrits expriment l’authenticité des faits et respirent l’oxygène qui nous manquait, depuis des lustres. Que racontent les journaux concernant l’Histoire, par exemple ? Ils maintiennent qu’il faut voir dans cette répugnance envers la chose historique l’expression d’une aversion à l’égard de ceux qui ont confisqué l’indépendance et brisé le rêve de tout un peuple. Et le journaliste, qui note cette affirmation, continue son analyse en insistant sur le fait que la génération post-indépendance ne retient pas grand-chose de la date du Ier Novembre qui a pourtant scellé les idées fondatrices de notre République. Celui qui est né en novembre 54 aura bientôt l’âge de prendre sa retraite et la vraie mémoire de la guerre de libération nationale n’aura ainsi que l’âge de ses acteurs. Et plus d’un demi-siècle après, que reste-il de l’étincelle à l’origine de la formidable mobilisation du peuple algérien ? Et que signifie, aux yeux de la nouvelle génération, la symbolique de Novembre ? Les réponses recueillies auprès des jeunes sont d’une banalité affligeante. Les plus consciencieux parmi eux se contentent de rappeler que «le Ier Novembre a marqué le déclenchement de la guerre de libération». D’autres, plus indifférents, n’émettent aucune opinion. Dans les réponses de ces jeunes on croit déceler un mélange de méconnaissance et de désintérêt. «Je suis apolitique», dira un autre jeune, confondant politique et Histoire. Cette catégorie d’âge ne voit dans la «famille révolutionnaire» qu’un cercle de rente et d’intérêt. Elle ne voit dans l’Histoire de son pays qu’un enchevêtrement de dates et de faits, sans rigueur scientifique ni soupçon de vérité, confectionnés pour les besoins de la cause du moment. Plus grave encore – et ce n’est pas de leur faute – quand ils clament ouvertement : «nos grands-pères ne se sont pas battus pour instaurer un pays de hogra, de bannissement et de chômage. Je suis d’une région qui a été le bastion de la Révolution, et sincèrement, je n’éprouve aucune sensation en souvenir de la guerre de libération».
C’est l’intervention d’un étudiant originaire d’une région révolutionnaire. Un autre étudiant, plus critique, estime que «le peuple s’est battu contre un oppresseur pour offrir le pays à un autre oppresseur pire que le premier», et il enchaîne péremptoirement : «l’indépendance est une tromperie. Rien, absolument rien n’a changé. Nous sommes toujours sous le joug d’un autre colonisateur». Ainsi, et je suis de l’avis du journaliste, on n’est pas obligé d’être historien et éminent critique pour expliquer ce désintérêt, parfois même cette antipathie que vouent les jeunes aux partisans, avérés ou supposés, de la guerre de libération… Ce sont entre autres raisons qui font que la nouvelle génération ne connaisse de la grande insurrection que sa dimension stéréotypée s’articulant sur un discours faussement glorificateur. Les sacrifices consentis par les martyrs n’ont aucun sens dès lors que leurs messages n’ont pas été transmis aux enfants de ce pays comme un élément de savoir historique.
Que racontent encore ces journaux concernant un certain échec dans notre gestion de tous les jours et où les jeunes, ceux qui font l’objet de tant de promesses dans les discours des «politiques», sont mis à l’écart, oubliés, voire sinistrement ignorés. «Les fâcheux événements qui ont marqué l’actualité nationale ces derniers temps, viennent confirmer – si besoin est – l’incapacité de l’État à gérer convenablement les affaires publiques», soutenait une journaliste à la plume acerbe mais non moins honnête et claire. Elle continue son analyse en dénonçant des faits et des drames qui prouvent, malheureusement, que l’État manque d’imagination, de perspective, de perspicacité, de courage et de bon sens. Quelle résolution ! Elle continue encore et encore pour dénoncer ce climat de détérioration de la situation sociale et affirme que le pouvoir politique aux commandes du pays fait des confusions désastreuses. «En effet, écrit-elle, en décidant de lancer le plan de consolidation de la croissance, le pouvoir a probablement cru avoir cerné les priorités de la cité et pris ainsi en charge les besoins des citoyens, source de malaise. Erreur d’appréciation ou simple incompétence, l’échec en la matière est patent. Pire encore, l’on s’apitoie sur le sort d’un terroriste en lui décrétant la repentance sans engagement de sa part ou en le conviant à un retour au pays après un exil doré, mais l’on geint de reconnaître que les jeunes de quartiers malfamés ont pour seule ressource le travail informel. La cécité du pouvoir politique en place n’a d’égal que l’aplaventrisme et l’opportunisme de ses représentants au sein des institutions de l’État».
(A suivre) 
Par Kamel Bouchama (auteur)