Ibn El Arabi, le grand maître soufi

Citoyen de l’Andalousie natale et des pays arabes dont sa famille est originaire

Un homme hors du commun, d’une extrême piété, auteur de plus de 400 ouvrages sur des sujets divers, né à Grenade, en Andalousie le 27 juillet 1.165 et mort à Damas en Syrie 78 ans plus tard.

Il était véritablement atypique par sa formation, ses fréquentations des hommes les plus férus de soufisme et auprès de qui il n’a jamais cessé de s’informer pour mieux connaitre sur Dieu. Pourtant étant jeune garçon, on le pressentait bon pour devenir militaire de carrière, tant il aimait s’habiller en soldat comme son père attaché militaire auprès d’un souverain d’Andalousie. Sa famille originaire du Yemen, faisait des mille cavaliers débarqués en Andalousie. Mais le jeune garçon qu’on croyait qu’il avait la vocation militaire finit par déchanter et il explique lui-même les raisons de ce changement brutal. En allant à Cordoue, il fait la connaissance du prince Abû Bakr. Un jour, ils se sont rendus à la mosquée et il l’observait quand il s’inclinait et se prosternait dans la prière avec humilité et componction.
Cela incita Ibn El Arabi à une remarque : si un personnage de ce rang se montre soumis, humble et se comporte de la sorte avec Dieu, c’est que le bas monde n’est rien. Et depuis ce jour Ibn El Arabi qui n’avait que dix neuf ans, s’est engagé dans la voie de Dieu. Un autre évènement qui a marqué à vie Ibn El Arabi, c’est la joie d’avoir rencontré Ibn Rochd. Il raconte lui-même cette rencontre : «Je me rendis un jour chez le cadi Abû l-Walid Ibn Rochd ; ayant entendu parler de l’illumination qu’on m’avait octroyé, il s’était montré surpris et avait émis le souhait de me rencontrer. Mon père l’un de ses amis me dépêcha chez lui sous un prétexte quelconque. A cette époque, j’étais un jeune garçon sans duvet sur le visage et sans même de moustache. Lorsque je fus introduit, il se leva de sa place, manifesta son affection et sa considération et m’embrassa. Je répondis brièvement à ses questions avant de le quitter avec courtoisie.

Une prodigieuse métamorphose s’est opérée chez ce jeune garçon
Cela s’est passé pendant l’incident de la mosquée et son entrevue avec Ibn Rochd, Ibn El Arabi s’est retiré du monde, dans une caverne située au milieu d’un cimetière pour un face à face avec l’éternel et dont il ne reviendra jamais : «Je me suis mis en retraite avant l’aurore et je reçus l’illumination avant que le soleil ne se lève. Je demeurais en ce lieu quatorze mois ; mon ouverture spirituelle, à ce moment fut un arrachement extatique. Ibn El Arabi s’est rendu compte qu’il était auparavant dans la jâhiliyya, état de paganisme dans lequel se trouvaient les Arabes avant l’avènement de l’islam. L’expérience de la première retraite du jeune garçon s’est traduite par le ravissement de la mystique musulmane et qu’on appelle «jadhba» et le «majdhûb» est arraché par Dieu à sa condition ordinaire, il est devenu (murâd) «désiré» par Dieu pour passer au stade de «désirant» (murîd) et parcourir pas à pas cette voie de perfection.
Ibn El Arabî raconte l’expérience vécue de cette première retraite de 14 mois racontée dans le «recueil des connaissances divines» où il dit : «Je vécus de la sorte jusqu’à ce que le Miséricordieux tourne vers moi sa providence et m’envoie dans mon sommeil Mohammed, Jésus et Moise, sur eux la grâce et la paix. Jésus m’exhorta à l’ascèse et au dépouillement. Moise me donna le disque du soleil et me prédit l’obtention de la science transcendantale. Mohammed, lui, m’ordonna : «Cramponne- toi à moi tu seras sauf». Je me réveillai en pleurant et consacrai le reste du temps à psalmodier du Coran. Je pris alors la décision de me consacrer à la voie de Dieu. Cette rencontre avec les représentants des trois religions monothéistes préfigure la dimension universelle de l’enseignement akbarien qui marque l’engagement spirituel d’Ibn Arabi. Mais l’imitation du prophète implique au moins la connaissance approfondie de la sunna (sa coutume).

Ibn El Arabi entreprit d’étudier la Sunnna pour être sur la voie du prophète
C’est auprès de ses maîtres qu’il entreprit d’étudier les Hadith, discipline fondamentale, qui recense les actes et les propos du prophète. Il se consacrera à cet enseignement toute sa vie et l’importance qu’il attache à cette étude qui s’inscrit dans le droit fil de sa doctrine hagiologique et de son enseignement initiatique. Si la prééminence spirituelle de Mohammed est bien antérieure à l’époque d’Ibn El Arabi, c’est à ce dernier toutefois que l’on doit un exposé rigoureux et précis de la nature et de la fonction de cette précellence mohammadienne. Des données précises sont à lire dans ses «Futûhât», œuvre majeure consacrée à Mohammed (QLSSSL) dans le chapitre 337 : «Le Prophète a reçu des privilèges particuliers que n’ont pas eus les autres prophètes. Mohammed qui a reçu « la somme des paroles» a dit : «J’ai été prophète alors qu’Adam était entre l’argile et l’eau. Lorsqu’il apparut, il fut comme le soleil dans lequel se confond toute lumière. Son rang est dans la science de tous ceux qui connaissent Dieu parmi les Premiers et les Derniers.
Sa loi embrasse tous les hommes sans exception et sa miséricorde, en vertu de laquelle il a été envoyé, embrasse tout l’univers. Sa communauté (umma) englobe tous les êtres, vers la totalité desquels il a été missionné ; qu’ils croient en lui ou non, tous les êtres en font partie. C’est dans les écrits d’Ibn El Arabi que l’on trouve pour la première fois une élaboration doctrinale détaillée. De ces considérations abstraites Ibn El Arabi tire des conséquences pratiques. Il dit : «puisque Mohammed (QLSSSL) est l’archétype de la sainteté, c’est en se conformant strictement à la Sunna, en se nourrissant de son exemple que l’aspirant parviendra à restaurer sa nature originelle. «Dieu créa Adam selon sa forme» dit un hadith remarquable ; ainsi l’homme est virtuellement porteur de tous les noms divins gravés dans l’argile de son être même de son être. Etant donné cette sublime similitude, Dieu l’a désigné comme khalifa sur terre, fonction assignée à Adam à l’exclusion des autres créatures, parce que l’a créé à l’image de sa forme. Un lieutenant doit avoir les attributs de son créateur qu’il représente. A ce titre il n’a pas le droit de trahir par excès d’autonomie et d’autorité, oubliant que la souveraineté n’appartient qu’à celui qui l’a mandaté.
Nous en témoignons ! à la question « ne suis-je pas votre Seigneur ?» (cor 7 : 172). Le prophète Mohammed (QLSSSL) a dit : «Je suis venu parfaire les nobles caractères.» Celui qui se conforme aux nobles caractères suit une loi de Dieu même s’il n’en a pas conscience, parfaire les caractères, c’est les dépouiller de ce qui leur donne éventuellement un statut vil. Le prophète a parfait les caractères nobles dans la mesure où il a fixé les circonstances où les caractères doivent s’exercer de sorte qu’ils détiennent un statut noble et soient exempts d’un statut vil. Par ailleurs, aussi étonnant que cela puisse paraître, Ibn El Arabi avait eu une profonde vénération pour Jésus, lui qui revendique le statut d’héritier suprême de Mohammed (QLSSSL) mais la dévotion du Shaykh al akbar pour la personne de Jésus prend sa source dans «relation intime» qui s’établit dés le début entre le jeune adolescent en quête de Dieu et le fils de Marie. Dans ses Futûhat, Ibn El Arabi explique pourquoi il associe tantôt sa vision qui le mit en présence des trois prophètes, tantôt à la seule intervention de Jésus. Ibn El Arabi dit à propos de Jésus qu’il l’avait rencontré plusieurs fois au cours de ses visions et lui a ordonné de pratiquer l’ascèse et le renoncement.

Une nouvelle étape de sa destinée spirituelle longue mais riche
Au cours des années à venir, il va côtoyer un nombre considérable d’awliyâ, des saints, fréquenter les représentants les plus illustres du soufisme andalou et maghrébin. Son œuvre porte l’empreinte de cet environnement mystique et sa doctrine puise largement dans tradition qu’il hérite de ses maîtres. Il a parcouru un long chemin. Il fait la connaissance de shaykh Uryani, son premier guide et le voilà qui rayonne d’éblouissantes connaissances qu’il consignera pour plus tard, enrichies des rencontres et expériences multiples qui de Séville à La Mecque auront jalonné son parcours dans les Futûhât Makkiyya.
Ainsi, Ibn El Arabi consignera les moments exceptionnels qu’il a consacrés aux maîtres de son pays natal et à son arrivée en Egypte, il découvre pour la première fois le paysage du soufisme oriental qui présente de larges différences avec celui de l’occident, Ibn El Arabi mesure vraiment ce que l’univers des spirituels andalous et maghrébins qu’il a laissé derrière lui a de merveilleux et d’unique. Or, a-t-il débarqué au Caire qu’un originaire d’Irak lui affirme qu’il n’y a pas de gnostiques authentiques en occident. A une réplique verbale mais ferme, fera suite deux ans plus tard l’Epître sur l’esprit de sainteté (Rûh al-quds), témoignage vibrant de la haute sainteté de ses maîtres occidentaux. Il leur consacrera plus tard un troisième ouvrage auquel il donne le même titre qu’au premier dont il est un abrégé : La perle précieuse (al Durrat al fâkhira). A la lecture des Soufis d’Andalousie, on découvre, ébloui, derrière ces silhouettes obscures, souvent misérables, la sainteté la plus simple et la plus lumineuse.
Boumediene Abed