Préambule à des réflexions constituantes (I)

Actuelité

Rien n’est plus délicat que la réforme d’une Constitution si ce n’est l’établissement d’une Assemblée constituante qui plongerait la Nation dans des abimes insondables. Si la Loi Fondamentale est une norme suprême, de quelle lévitation morale se prévalent les partisans d’une telle idée ? La décision du Président Si Abdelmadjid Tebboune, d’opter pour une révision constitutionnelle est une bénédiction pour le peuple, un apaisement pour la Nation, un service rendu à la réputation de notre Etat. Il tombait sous le sens que des aménagements substantiels imposés par la puissance du « Hirak béni », conduiraient à une mise en cohérence du préambule de la Constitution de 1989 d’avec la version révisée issue de son texte de 1996. Pour des considérations strictement idéologiques, partiellement issues de la lutte contre l’islamisme radical, le préambule s’est appliqué à éviter des sources constituantes en référence à l’Islam pour en inventer d’autres, soufflées en complémentarité à l’international, alors que le corps principal agit comme s’il s’inspirait de textes juridiques précédents, suggérés, mais jamais pris comme repères formels. D’où une contradiction insurmontable que seul le renvoi explicite à la déclaration du 1er Novembre 1954, prise en tant que norme constituante est en mesure de résoudre, pour peu qu’elle soit accompagnée d’une reformulation rigoureuse du triptyque identitaire. Sans ouvrir de boite à pandore, le « badissisme novembriste » a la grande responsabilité de réussir la refonte syncrétique d’un préambule doctrinaire vieux de 30 ans qui mérite d’être investi d’une grande qualité intellectuelle au regard des enjeux à venir.

Nos Constitutions sont issues de la crise politique exceptionnelle d’Octobre 1988. La Constitution de 1996 prolongement de celle de 1989, succéda à la défaite de l’islamisme radical armé, prônant la prise du pouvoir par la violence. Ces textes de lois en portent les stigmates contre-idéologiques, en refusant de manière épidermique toute référence à l’Islam en tant que source de normes constituantes. Omnibulée par le combat légitime contre l’islamisme insurrectionnel, la décennie noire a donc accouché d’un hybride constitutionnel. D’une part, un préambule qui s’inspire d’une tradition archaïque jusnaturaliste (relative à la Nature, la Nation, le Peuple, Dieu etc.) pour entretenir à dessein, une confusion entre le récit historique et les normes juridiques qui en découleraient, démarche dépassée par le droit constitutionnel contemporain. D’autre part, le modernisme du corps principal, positiviste (relatif à des textes constituants préexistants) manque de consistance normative déjà constituée d’où il tirerait sa légitimité, puisque l’Islam en tant que proto matrice référentielle en est évincé. Tout autant que la déclaration du 1er Novembre qui a été jugée en inconstitutionnalité de « l’Etat profond », dès la version de 1989, pour les mêmes raisons qui tiennent à l’attachement de nos martyrs au « cadre des principes islamiques ». D’où les béances en normes constituantes qui ouvrent le préambule de la loi fondamentale aux vents de tous horizons, jusqu’aux partisans d’une Assemblée constituante en expressions de thèses inspirées de leurs alliances internationales encore actives, nouées lors de la Constitution de 1989, alors que celles locales, sont momentanément défaites.
Pour toutes ces raisons, le mouvement social de février 2019 qui provoqua l’effondrement de la fraction laïque, francophone et autoritaire au cœur d’un pouvoir à l’origine de cette vision faillie de la Constitution, ne pourra pas se contenter d’un replâtrage. C’est le premier défi de taille qui se pose à « l’Algérie nouvelle » du courant sociologique « badissien novembriste » ayant remporté les élections présidentielles à l’issue d’une lutte politique intégrale qui s’est déroulée dans des processus démocratiques pacifiques, à découvert d’une opinion publique concernée. Les valeurs normatives qui s’expriment dans les préambules renvoient en général à des textes de nature politique, pour ceux des pays qui ont eu la chance d’en produire dans un moment de conscience éclairée de leurs peuples. Toutes les Nations n’ont pas cette opportunité inouïe – que seul l’écrit confère – d’exprimer sur le plan juridique, des droits revendiqués en un génie propre d’élévation de la dignité de leurs peuples, à hauteur du tutoiement de l’histoire, dans leur dialogue consacré à l’humanité singulière et universelle. C’est paradoxalement cette aptitude distinguée du peuple algérien à rédiger une déclaration fondamentale de ses ordonnancements constituants, au plus haut de la lutte anticoloniale, qui provoqua son éviction du champ constitutionnel de 1989, sous une emprise mondialisée revanchiste en accélération de la manipulation du triptyque identitaire. Pour défaire cette dernière, il est impératif d’affirmer l’égalité en droits de nos composantes identitaires mais sans concéder à leurs différences en instances anthropologiques car leur nature est particulière. Cela fera l’objet d’un article de clarification la semaine prochaine inch’Allah intitulé : « De l’égalité, de la différence, du particulier », tant cette question est l’objet de confusionnisme.

Pour la constitutionnalisation de la déclaration du 1er Novembre 1954
Le principal aspect dans la Constitution de 1989 puis celle de 1996, est l’impasse d’une référence explicite à la déclaration du 1er Novembre 1954. Il y ait fait mention en tant qu’événement historique – lire au quatrième paragraphe « le 1er Novembre a été l’une des clés de son destin » – avec une emphase dans les trois paragraphes suivants, en concessions d’une oblitération de sa cinétique fondatrice constituante. A aucun moment il n’est renvoyé formellement au texte même de la déclaration écrite du 1er Novembre, à ses soubassements de valeurs politiques et morales, en un condensé brillant du code génétique du mouvement national, duquel est expressément distingué dans ce texte premier : les fameux Principes Islamiques, le Peuple, la Nation, la Souveraineté, les Libertés Fondamentales, la Justice, l’Egalité, la Démocratie, les Droits Sociaux, l’Unité Maghrébine dans le cadre naturel arabo-musulman, la Charte des Nations unies, le Droit des Peuples à disposer d’eux-mêmes. Des fondements constituants à profusions, à tel point qu’ils établiront par eux-mêmes des normes pour eux-mêmes, suffisamment directifs et puissants pour encadrer les maturations juridiques du jeune Etat en déploiements réguliers de ses mécanismes souverains.
A défaut d’un texte constitutionnel achevé après l’indépendance, en raison de la faiblesse « des forces vives » épuisées par les dénégations coloniales (réfutant le droit au savoir et à l’alphabétisation pour accéder aux valeurs juridiques qui fondent les Nations éternelles), l’action de l’Etat sous Houari Boumediene fut balisée par les normes constituantes de la déclaration du 1er Novembre en contribution post mortem décisive de nos chouhada à la défaite des tenants de la balkanisation de l’Algérie. C’est pourtant ce qui fut « oublié » par les constitutionalistes de l’après-Boumediene dans la mouture de 1989 et de 1996. Sur les 10 premiers paragraphes du préambule, 8 sont exclusivement consacrés à l’histoire contemporaine du pays, celle se déroulant après le 8 mai 1945 qui n’est pas mentionnée en tant que tel et encore moins en tant que crime contre l’humanité.
On aurait voulu donner raison, en creux, à ceux qui prétendent que l’Algérie ne possède pas de passé, qu’elle est au pire un avatar de l’histoire, au mieux une Nation issue du colonialisme, que l’on ne s’y prendrait pas autrement. Cette amnésie affligée datant de la Constitution de 1989, période d’une « politique internationale d’apaisement » et d’un «Kassaman» castré, succédant à l’assurance fière de la charte de 1976 est tellement criarde, que la commission en charge du projet de révision, a cru bon modérer l’extrémisme du quatrième paragraphe du préambule, en substituant les mots « l’un des sommets de son destin » dans la version de 1989 par « l’une des clés de son destin ». Pour une écriture syncrétique du récit historique national La référence à une veille conscience africaine est inexistante alors que l’anthropologie nous a appris, en 2019, que les ossements humains parmi les plus vieux de l’humanité ont été mis à jour dans la région de Sétif.

Notre géographie a été un berceau de l’humanité
Cela mériterait une mention distinctive. L’histoire de la Numidie, l’adoption de coutumes phéniciennes, les luttes contre l’imperium romain, l’apport des royaumes berbères successifs et leurs prédispositions au monothéisme, la légende de la Kahina, la fusion charnelle avec les Arabes, l’adoption de l’Islam, de sa riche jurisprudence de rite malékite respectueuse des droits coutumiers, l’universalité intégratrice des droits sur la propriété de la terre pourvu que l’on soit musulman, l’inclusion des Ottomans dans les Etats barbaresques en défense de Dar El Islam, sont évacués en trois petits mots – « épopée de l’Islam » – et puis s’en vont, pour n’être convoqués qu’en fin de préambule, dans une neutralité affligeante d’objectivisme géographique, sous le qualificatif « terre d’Islam » que le lecteur intéressé dénichera avec peine au 4ème paragraphe en partant de la fin du préambule. Rien de la cristallisation nationale à la fin du XVIIIème siècle qui aboutit à la naissance de fondements étatiques modernes, grâce à la geste foudroyante de détermination, de civilisation et de tolérance de l’Emir Abdelkader au XIXème siècle, n’est évoqué en termes de lignage en défense de la foi de l’Etat-National en devenir, comme si cette aspiration naturelle chez le peuple algérien relevait d’un tabou indépassable.
Aussi, au lieu de consacrer les 10 premiers paragraphes à une évocation littéraire sans substantifique moelle, dans un style apparent aussi désuet que ses arrière-pensées idéologiques sont transparentes, il serait plus utile de décrire à grands traits de concentrations consensuelles en normes constituantes, se plaçant délibérément au-delà du contrôle du judiciaire, une histoire nationale pleine de sens, fondant les valeurs morales des grands peuples. Il nous faut sublimer l’épopée nationale et le mouvement du 22 février 2019, en expurgeant la dérive doctrinaire du préambule érigé en réfutations qui ne disent pas leurs noms, ne faisant la part belle qu’à une lecture ahistorique de notre Nation et de notre peuple. Nous y gagnerons le respect de la communauté internationale qui nous regarde rédiger nos textes, avec plus de difficultés que ne le faisait la poignée de révolutionnaires aux regards mystiques, géniteurs du 1er Novembre 1954, en une déclaration lumineuse sortie de leurs entrailles, aux fins d’éclairer les générations futures. Il serait inconcevable que nous citions dans notre préambule constitutionnel les déclarations pertinentes relatives aux textes universels des droits de l’Homme et de lutte contre la corruption et que nous ignorions superbement celle proéminente du 1er Novembre 1954.
Aussi, nous proposons de hisser au niveau d’une référence constituante de notre République, la déclaration du 1er Novembre, dans la dernière phrase d’un préambule qui se terminerait invariablement, quelles que soient les constitutions futures par : « Ce préambule ainsi que la déclaration du 1er Novembre 1954 font partie intégrante de la présente Constitution ». Nous retrouverions en même temps que des références constituantes aux origines mythiques, le sens véritable de la Nation. Le président de la République a eu, lors de sa dernière conférence de presse, une phrase sibylline soulignant son attachement aux valeurs de Novembre tout en exprimant son ouverture d’esprit aux évolutions constitutionnelles. Il relève de sa sagesse d’aménager des espaces à d’autres sensibilités en attendant qu’une véritable culture nationale homogénéisatrice dominante vienne prendre le relais de formations sociales en macérations prometteuses. Nous œuvrerions alors au service de la Nation en retrouvant les réflexions constituantes qui nous rassemblent. Nous répondrions aux vœux de millions de citoyens qui ont hissé à bouts de bras dans toutes les « Avenues du 1er Novembre » du pays, les portraits de nos valeureux Chouhada, « résolus à poursuivre la lutte avec eux, sûrs de nos sentiments anti-impérialistes » collectifs, nous donnerions alors « le meilleur de nous-mêmes à la patrie ».
(A suivre)
Brazi