L’Aïd es Seghir dans la tradition ancestrale

Entre hier et aujourd’hui

Si nous en parlons, c’est parce que les participants d’aujourd’hui ont tendance à oublier l’essentiel de ce qui fait le charme d’une célébration sacralisée depuis nos plus lointains ancêtres.

Lorsque la fête arrive, c’est le soulagement dans la grande joie mettant fin à un mois de jeûne particulièrement éprouvant lorsqu’il fait excessivement chaud et que les journées sont les plus longues de l’année. Et lorsque la fête est passée, c’est immédiatement le retour à la voie normale. Les uns expriment toute leur fierté d’avoir résisté à toutes les difficultés pour accomplir dignement un devoir religieux, les autres font mine d’oublier par manque de conviction ou de courage. Chacun est là-dessus libre mais responsable.

L’Aïd es Seghir ne se limite pas à la prière et aux congratulations
Ce qui fait le plus le charme de cette fête, c’est la sincérité, la bonté, la tolérance dont on fait preuve durant un mois d’épreuves difficiles. On a alors la ferme conviction d’avoir contribué au renforcement de l’esprit humaniste par notre volonté d’aller à la recherche des vrais pauvres parce que notre conviction de partager avec eux est très forte. Nos grand parents, parce qu’ils nous l’ont raconté, n’ont pas connu la tromperie, partout et à tous les moments du jour ou de la nuit. A l’insu des gens propres et sages qui donnent naïvement par crainte de Dieu, de véritables entreprises de mendicité ont vu le jour en ces temps d’hypocrisie et de mépris. Pendant tout le mois et surtout à l’approche de l’Aïd es Seghir, femmes et hommes se déguisent en faux mendiants en réussissant à monopoliser tous les donneurs d’aumônes et tous les dons que chaque musulman fait à la veille de la fête.
Les faux mendiants agissant au détriment des vrais ont appris l’art du déguisement parfait et du parler qui attendrit les cœurs. Tous les moyens sont bons pour s’enrichir. Bien que la religion interdise les pratiques frauduleuses certains s’y adonnent sans état d’âme. On est à l’ère du mensonge organisé pur ne pas dire de l’incarnation des plus grands vices du monde par des gens pas scrupuleux qu’on peut comparer à ceux qui trichent sur les bottes de persil ou qui font grimper à des hauteurs vertigineuses les denrées les plus demandées comme les dattes et la viande. «Dans l’ancien temps, disent les vieux, les pauvres étaient connus», aujourd’hui dans les villes il y a beaucoup de déguisements qui effacent les vrais pauvres. Là-dessus, les mosquées ont un rôle à jouer : faire la liste des vrais pauvres de la ville et leur donner la zakat qu’offre chacun des millions de responsables de familles.
Donc, la fête ne se limite pas aux prières, aux congratulations ainsi qu’à la consommation des gâteaux et de la viande. L’essentiel est dans les qualités morales qui ont fait la renommée des grands de la société musulmane comme la propreté intérieure, la générosité, la sincérité, l’esprit de sacrifice, la compassion. On peut dire que tout se résume par le djihad qui ne consiste pas uniquement à être un volontaire pour mourir contre l’ennemi, mais à faire du bien au profit d’autrui, à soulager les plus démunis ou les malades qui sont dans le besoin, à partager avec l’autre. En fait, le ramadhan a été imposé comme un pilier de l’Islam pour faire vivre au musulmans l’épreuve difficile de la faim que les pauvres endurent au quotidien pendant des mois, voire des années, hiver comme été. Nous mesurons donc la gravité de ceux qui tentent l’enrichissement facile en se faisant passer pour des pauvres auprès des musulmans afin que ceux-ci leur donnent l’aumône et la zakat destinées aux vrais pauvres.

Rites et ambiance festive
A l’approche de l’Aïd, au temps de nos grands-parents, il y avait des écoles coraniques dans les villes et les villages. Les maîtres de ces écoles vivaient des dons apportés par les parents de ces enfants à qui ils apprenaient le Coran en leur inculquant des principes de conduite qui faisaient de ces jeunes de futurs vrais musulmans honnêtes, travailleurs, jaloux de leur pays, attachés à l’esprit de sacrifice ou du djihad, conscients de la nécessité de s’adonner à l’ijtihad ou effort de réflexion pour évoluer vers la perfection morale et intellectuelle qui les préparent à la compétition scientifique mondiale. Les élèves des écoles coraniques vont en groupe à l’approche de l’Aïd, demander à chaque famille de quoi aider leur maître à passer une bonne fête et de vivre dignement, le maître qui vivait des dons ne devrait pas tendre la main pour demander l’aumône. Ces élèves allaient ensemble et devant chaque maison ils chantaient en chœur une chanson rituelle qui exprimaient l’idée que la «sadaqa» au profit du maître d’école coranique, à la veille de l’Aïd es Seghir est un acte de charité récompensé par Dieu.
Et chaque famille donnait par devoir religieux ce qu’elle pouvait en nature ou en espèce. Un autre rite qui a fait le charme de la société musulmane d’antan, c’est celui de la sage-femme traditionnelle qui venait avec un petit récipient en terre et contenant un produit huileux dont elle gardait le secret de la recette. Sur chaque front d’enfant qu’elle avait aidé à venir au monde, elle étalait ce produit en récitant des paroles rituelles de bénédiction. Même les enfants les plus violents se laissaient faire par reconnaissance aux bienfaits de l’accoucheuse. Restons dans le domaine des enfants qu’on habillait de neuf avec des moyens réduits pour dire que ces ceux qui ont toujours fait l’ambiance. Imagions une fête sans enfants ! mais aujourd’hui, que Dieu les protègent des produits chinois et de la friperie mauvais pour la santé. On en a eu des preuves. Les parents démunis ont eu raison d’y recourir par la pauvreté.
Après la prière de l’Aïd et les congratulations, que reste-il aujourd’hui, rien, mis à part le fait qu’on peut manger et boire en plein jour. Jadis, hommes et femmes allaient dans les mausolées par devoir envers ceux qui y sont enterrés et qui n’ont fait que du bien de leur temps. Les plus connus à l’échelle nationale sont les mausolées de Sidi Boumediene ou de Sidi Abderrahmane. Lors d’une visite à un mausolée, dans la matinée de l’Aïd es Seghir, on a vu le nombre considérable d’hommes et de femmes venus pour une cérémonie des retrouvailles de recueillement, de dons de gâteaux ou de pièces de monnaie. Cela dure des heures dans un temps inoubliable de convivialité au cours duquel chacun donne et reçoit en échange une tasse de café accompagnée d’un beignet. Le marabout enterré là depuis plus d’un siècle était un homme pieux, généreux, propre moralement. Malades, pauvres, malheureux, vivant des situations dramatiques, venaient voir le cheikh et obtenaient de lui ce qu’ils voulaient. Et depuis sa mort par reconnaissance aux bienfaits rendus, les gens viennent en pèlerinage dans son maqam à l’occasion de chaque fête.
Abed Boumediene