Les fondements de la loi de Finances complémentaire 2020

Algérie : face à la baisse de 50% de ses recettes en devises et aux incertitudes de l’économie mondiale 2020/2021

Face à la crise mondiale , la loi de Finances complémentaire 2020 de l’Algérie pour la première fois s’ouvre à l’investissement étranger par l’assouplissement de la règle des 49/51% et l’annulation du droit de préemption, mais dans une conjoncture mondiale difficile pour attirer les IDE où la majorité des pays traversent une crise de financement. Elle se fonde sur le prix fiscal de 30 USD, qui est un prix théorique ou prévisionnel, combiné aux prévisions des volumes d’exportation des hydrocarbures et du taux de change du dinar dans le contexte du cadrage macro-économique de la loi de Finances, sert de référence au calcul des recettes fiscales qui seront issues des hydrocarbures qui, ajoutées aux recettes fiscales ordinaires et aux aides et dons, formeront les recettes budgétaires de l’Etat prévues dans le cadre de la loi de Finances complémentaire 2020 et sur le prix de marché de 35 USD qui est le prix au-delà duquel, si cela se réalise, le surplus sera versé au Trésor public, dans le Fonds de régulation des recettes. Cela montre la dépendance accrue vis-à-vis de la rente des hydrocarbures dont le prix échappe à toute décision interne représentant avec les dérivées 98% des recettes en devises.

Je rappelle les principales dispositions de la loi de finances 2020 publiée au journal officiel. Le cadrage macro-économique du projet de loi a été établi sur la base d’un baril de pétrole à 50 dollars et un prix de marché à 60 dollars, un taux de change de 123 DA/dollar, un taux d’inflation de 4,08 % et un taux de croissance de 1,8% (contre 2,6% dans les prévisions de 2019) et un recul de la valeur des importations par rapport à 2019, à raison de 12% pour les biens et 16% pour les services. Les recettes budgétaires passent à 6 200,3 Mds de DA en 2020 (-7%), la fiscalité pétrolière budgétisée s’élève à 2 200,3 Mds de DA (contre 2 714 mds DA en 2019) et les recettes fiscales augmentent de 8,6%, passant à 3 029,9 Mds de DA (contre 2 790,5 Mds de DA en 2019). Les dépenses budgétaires se situent à 7 773,1 Mds de DA (contre 8 557,2 Mds de DA en 2019, en baisse de 8,6%) et les dépenses de fonctionnement s’établissent à 4 893,4 Mds de DA (- 1,2% par rapport à 2019). La loi prend en charge 33 179 postes budgétaires, dont 16 117 nouveaux postes, devant couvrir le fonctionnement de 1 353 établissements en voie de réception au profit des secteurs de la Santé, l’Education nationale, l’Enseignement supérieur et la Formation professionnelle et les transferts sociaux budgétisés ont été maintenus quasiment inchangés par rapport à 2019, s’établissant à 1 798,4 Mds de DA, soit 8,4% du PIB.
Les dépenses d’équipement baissent de 20,1 en termes de crédits de paiement et de 39,7% en termes d’autorisation de programme avec des crédits de paiement se situant à 2879,7 Mds de DA (contre 3602,7 Mds de DA en 2019) qui se répartissent en : · 2080,2 Mds de DA, pour le financement des programmes d’investissement (72,2%) · 799,5 Mds de DA pour les opérations en capital (27,8%). La loi enregistre une dotation nouvelle de 569,88 Mds de DA, dont 290,19 Mds de DA au titre du programme neuf et 279,69 Mds de DA dans le cadre de réévaluation du programme en cours de réalisation. Le Budget 2020 prévoit un déficit budgétaire de 1533,4 Mds de DA, soit -7,2% par rapport au PIB (contre -1438,1 Mds de DA, soit -6,9% du PIB en 2019) et le déficit du trésor se situe à 2435,6 Mds de DA, représentant -11,4% du PIB contre (contre -11,5% du PIB en 2019). La loi de finances complémentaire 2020, étant un projet de budget rectificatif, étant donné le retournement de situation que connaît actuellement le marché pétrolier avec une réduction des dépenses de 30 à 50% qui s’ajoute à celle de l’ancienne loi, comme conséquence de ces tensions budgétaires et financières.
Contrairement aux prévisions du FMI et de la Banque mondiale, il est prévu que la croissance économique serait négative et s’établirait à -2,63% contre 1,80% prévue dans la loi de finances initiale avec le prix fiscal de 50 à 30 dollars et le prix du marché à 35 dollars. Dans la nouvelle monture, les recettes prévisionnelles reculent à 5 395,5 milliards DA contre 6 289,7 milliards de dinars dans la LF initiale dont 1 394,7 milliards DA de fiscalité pétrolière et 4 001,1 milliards dinars de fiscalité ordinaire. Les dépenses du budget ont été revues à la baisse de près de 6% passant ainsi à 7 372,7 milliards dinars contre 7 823,1 milliards dinars dans la LF initiale dont 4 752,4 milliards dinars pour les dépenses de fonctionnement et 2 620,3 milliards dinars pour les dépenses d’équipement. Les dépenses de fonctionnement baissent (en dehors des salaires et transferts sociaux) de 141 milliards de dinars (près de -3%) par rapport à la loi de finances préliminaire de 2020, en raison de la baisse de 150 milliards de dinars des dépenses courantes, contre une hausse de 9 milliards de dinars destinés à couvrir la hausse du Salaire national minimum garanti (SNMG). Les dépenses d’équipement ont été réduites de 309 milliards de dinars (-10,5 %) pour passer à 2 620,3 milliards de dinars contre 2 929,7 milliards de dinars dans la loi préliminaire.
Toujours dans le cadre des restrictions, il est prévu une baisse de la valeur courante des importations de marchandises de 4,7 milliards de dollars, pour atteindre 33,5 milliards de dollars, plus la baisse de la valeur courante des services de 2,3 milliards de dollars qui ont fluctué entre 2010/2019 entre 9/11 milliards de dollars par an (appel aux compétences étrangères. Mais le fait le plus important est la baisse des exportations d’hydrocarbures à 17,7 milliards de dollars, contre 35, 2 milliards de dollars prévus dans l’ancienne loi de finances. Le déficit budgétaire devrait atteindre -1 976,9 milliards de dinars, soit -10,4% du Produit intérieur brut (PIB) (contre -1 533,4 milliards de dinars, soit -7, 2% du PIB dans la loi préliminaire). La balance des paiements enregistrant un solde négatif de -18,8 milliards de dollars, contre 8,5 milliards de dollars dans la loi de finances préliminaire, alors que le niveau des réserves de change devrait reculer plus fortement que prévu d’ici à la fin 2020 pour atteindre 44,2 milliards de dollars contre une prévision initiale de 51,6 milliards de dollars.

En ce qui concerne la relance économique, la loi de finances complémentaire prévoit l’exonération des taxes douanières et de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour une durée de deux ans renouvelables pour les composants acquis localement par les sous-traitants dans le secteur des industries mécanique, électrique et électronique et les pièces de rechange, la création d’un régime préférentiel pour les activités de montage et l’annulation du régime préférentiel pour l’importation des lots SKD/CKD pour le montage de véhicules et autorisation d’importer de véhicules touristiques neufs par les concessionnaires automobile, l’encouragement de la création et du développement des start-up, par la modification de l’article 69 de la loi de finances pour 2020, une exonération temporaire de trois années en matière d’IFU, d’IRG, d’IBS, de TAP et de TVA sur les équipements acquis au titre de la réalisation des projets d’investissement. Concernant l’investissement étranger, il est prévu la révision à la hausse du taux de prélèvement à la source pour les sociétés étrangères exerçant dans le cadre de contrats de prestation de services en Algérie, de 24% à 30% pour les encourager à ouvrir des bureaux en Algérie.
La suppression de la règle de répartition du capital social 49-51%, l’exclusion des activités d’achat revente de produits et celles revêtant un caractère stratégique, et l’abrogation des articles 46 de la LFC 2010 et 30 et 31 de la loi n°16-09 relatifs à la promotion de l’investissement, prévoyant le droit de préemption de l’Etat sur toutes les cessions d’actions ou de parts sociales réalisées par ou au profit d’étrangers, l’abrogation de l’article 16 de la loi de finances pour 2016 portant obligation de financement des investissements étrangers par recours aux financements locaux. Parmi les mesures sociales, il est prévu la reconduction jusqu’en 2025 de l’abattement de 50% en matière d’IRG et d’IBS au profit des revenus réalisés dans les régions du Sud, l’exonération totale de l’IRG pour les revenus n’excédant pas 30 000 DA par mois applicable à compter du 1er juin 2020, la révision du seuil du SNMG qui passe de 18 000 à 20 000 DA au bénéfice des bas revenus.
Mais une Loi n’est qu’une Loi, n’étant pas une question juridique mais de pratiques sur le terrain, l’attrait de l’investissement qu’il soit étranger ou national repose principalement sur 7 facteurs : -sur une visibilité dans la démarché socio-économique à moyen et long terme, supposant une planification stratégique, évitant des décisions au gré de la conjoncture, sur la bonne gouvernance, de profondes réformes structurelles, la corruption détournant les investisseurs créateur de valeur ajoutée, sur la levée des obstacles bureaucratiques centraux et locaux qui constituent le facteur essentiel du blocage, trop de procédures alors que l’investisseur agit en temps réel existant des opportunités à travers le monde et pas seulement en Algérie, sur la réforme du système financier lieu de distribution de la rente qui n’a pas fait sa mue depuis l’indépendance politique car enjeu énorme du pouvoir se limitant à des aspects organisationnels techniques, sur la réforme du système socio-éducatif fondé sur les nouvelles technologies, avoir une main d’œuvre non qualifiée à bon marché n’étant plus d’actualité avec l’avènement de la quatrième révolution économique mondiale fondée sur l’économie de la connaissance, sur l’efficacité des start-up, malgré des compétences qui sera limitée sans une base économique et des institutions efficientes adaptées au digital et à l’intelligence économique, risquant de renouveler les résultats mitigés, malgré de nombreux avantages, de tous ces organismes de l’emploi des jeunes, sur l’épineux problème du foncier car actuellement le mètre carré est trop cher et souvent les autorités attribuent souvent du terrain sans viabilisation et utilités : routes, téléphone, gaz, électricité et enfin éviter des changements périodes de cadres juridiques.
Car, il est reconnu après les scandales financiers que la règle des 49/51% a eu un impact néfaste permettant à certaines oligarchies proches du pouvoir d’avoir une rente sans apporter une valeur ajoutée, mais devant définir clairement ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas idem, pour le droit de préemption qui peut décourager tout investisseur sans compter les nombreux cas de litiges au niveau des tribunaux internationaux. Aussi, la crise mondiale actuelle n’est pas la seule explication de la léthargie de l’appareil productif algérien, 07% de croissance du PB en 2019, selon le FMI, 0,8% selon le gouvernement, avec une prévision négative moins de 5% pour 2020, selon le FMI donc loin des prévisions du gouvernement, le secteur industriel représentant moins de 6% du PIB avec la dominance du commerce-services-administration peu performants. Les prévisions de la Banque mondiale tablent sur une contraction de 3% du PIB en 2020 suite à la chute des investissements publics, qui représentent 44% de la totalité des investissements, les efforts visant à stimuler l’investissement privé, comme l’abrogation de la règle 51/49 pour les secteurs non stratégiques, étant entravés par des incertitudes nationales et mondiales. De ce fait le taux de chômage devrait s’accroître en raison de la cessation d’activité de plusieurs entreprises, notamment dans le secteur du BTPH et la rupture des approvisionnements en provenance de Chine et d’Europe en raison de l’épidémie de Covid-19, qui représentent plus de 80% des importations algériennes, pourrait entraîner une hausse les prix des importations, notamment dans le domaine céréalier dont l’Algérie est un grand importateur au niveau mondial.

C’est dans ce cadre, que j’attire l’attention du gouvernement algérien que les recettes néo-keynésiennes de relance de la demande globale ne s’appliquent pas à l’Algérie qui ne souffre pas de rigidités conjoncturelles, devant comparer le comparable comme l’économie vénézuélienne et non les USA et l’Europe reposant sur une économie productive, alors que l’ économie algérienne a pour fondement la rente des hydrocarbures avec un déclin de l’appareil productif hors rente, excepté certains segments de l’agriculture. Une nation ne pouvant distribuer plus que ce qu’elle produit donc attention à la dérive salariale que certains experts algériens (vision populiste) proposent qui ne peut que conduire à la dérive inflationniste qui pénalisera les couches défavorisées, sans relancer la machine économique. Cependant durant cette conjoncture difficile, la cohésion sociale est vitale, nécessitant des subventions ciblées au profit des couches les plus démunies, car distribuer des revenus sans contreparties productives conduit à terme au suicide collectif.
Donc il faut être réaliste, avec moins de 40 milliards de dollars de réserves de change fin 2020, le risque est l’épuisement des réserves de change fin 2021, le premier semestre 2022 supposant une mobilisation générale, plus de rigueur budgétaire et une profonde refonte politique reposant sur la moralisation tant des dirigeants que de la société. Evitons toute sinistrose. L’Algérie dispose de compétences suffisantes localement et à l’étranger pour s’en sortir à condition d’un retour à la confiance Etat-citoyens, de développer une stratégie économique basée sur nos capacités propres, d’opérer les choix judicieux avec nos partenaires étrangers et enfin d’utiliser nos richesses pour un développement durable. Se mentir les uns les autres ou se cacher la réalité nous entraînera irrésistiblement vers d’autres épreuves tragiques qu’aucun Algérien patriote ne souhaite. En économie le temps ne se rattrape jamais et le temps presse pour redresser le bateau Algérie et l’éloigner de la zone de tempêtes.
En résumé, il y a lieu de procéder sans complaisance à un examen très lucide de la situation pour mieux réagir dans plusieurs segments de la vie économique et sociale : tels l’éducation-formation, le savoir, pilier du développement, la santé, la modernisation de l’agriculture, la culture financière des acteurs économiques, l’efficacité de l’administration, la relance des entreprises, à travers une nouvelle politique industrielle, lutter contre les déséquilibres régionaux et les inégalités sociales, la formation civique et politique de la jeunesse et tant d’autres domaines. Loin de la mentalité rentière, je pense fermement que le peuple algérien a d’énormes ressources en lui-même et sera capable de réagir à l’instar d’autres peuples qui ont su conjuguer la modernité, l’émancipation par le travail, sous réserve d’un changement radical de la gouvernance et la valorisation des compétences. Faute de quoi, la faillite guette l’Algérie avec la cessation de paiement et le retour au FMI fin 2021, début 2022.
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul