Ne m’en voulez pas, le rêve est gratuit

Culture

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

En effet, nous avons devant nous un texte bien détaillé et aussi précis dans l’identification des sources possibles de la corruption et dans les moyens techniques, juridiques et judiciaires pour la combattre. Il y a aussi cette instance nationale qui a été instituée pour veiller à la transparence dans la passation des marchés publics ou pour obliger les agents publics, quel que soit leur niveau de responsabilité, à déclarer leur patrimoine avant et après leur entrée en fonction… Cela va être une révolution qui va nous changer au moins des effets d’annonce et des petites mesures électoralistes ou saisonnières qui ont bercé le pays pendant des décennies». Un autre aspect qui est aussi important parce qu’il concerne directement le citoyen et principalement le jeune, dans sa vie de tous les jours. Il s’agit du délabrement des cités, en somme de toute la ville, de tous ses quartiers qui ne sont plus ce qu’ils étaient avant. Balayer devant sa porte, est-ce suffisant ? «Rentrer chez soi et fermer sa porte sans se soucier de son environnement n’est plus une attitude à adopter lorsqu’on habite une cité». Les citoyens doivent prendre conscience des conséquences d’un comportement négatif, surtout lorsque les problèmes surgissent dans leur environnement. Ils doivent être nombreux à dénoncer la dégradation de leurs cités et revendiquer l’amélioration du milieu dans lequel ils vivent. Il faut définir la stratégie à adopter et définir la responsabilité de chacun.
Enfin, j’ai beaucoup à dire, sur plusieurs autres sujets. Seulement, ceux qui m’ont précédés ont fait leur boulot, ils ont dit ce qu’il fallait. Dans une autre société, plus réceptive, je m’excuse pour cette remarque, les jeunes de cette trempe seraient hissés au pinacle, avec les compliments qu’ils méritent. Je ne veux rien insinuer, mais je veux tout simplement montrer qu’il y a des jeunes qui sont plus sensibles à certaines questions que d’autres. Ainsi, on peut estimer que dans les informations livrées, il n’y a que ce que d’aucuns savaient déjà, parce que faisant partie de notre vécu, chiffres en moins. Mais, lorsque, précisément, ce vécu est mis en évidence, il fait l’effet d’une gifle dont on connaît l’intensité… Applaudissements dans la salle. Un jeune se détache du groupe. Il a déjà intervenu. Il avance et, sans désemparer, repose pratiquement la même question sur le problème du développement en général. Il ne voudrait pas remettre la discussion sur le tapis, mais il intervient avec le souhait d’entendre dire qu’il y aurait sûrement du changement, du vrai changement dans le pays. – Est-ce la magie du verbe, vos discours ? Est-ce des vœux pieux comme ceux que se lancent des responsables et des «politiques» pour atténuer le ressentiment des gens et principalement des jeunes ? Ce serait dangereux si c’était le cas ! De toute façon, pour ce qui nous concerne, nous attendons effectivement le changement, parce qu’il y va de l’avenir de ce pays.
Tout doit changer radicalement, si nous voulons rattraper le retard qui nous a été imposé par quelques décennies de troubles et de gestion catastrophique. Nous n’avons pas d’autres choix, nous n’avons pas d’autres solutions, sinon… nous connaissons tous le résultat. Toutefois, et en attendant ce regain de volonté, je dis que c’est bien beau d’avoir un peu d’assurance avec la probable renaissance dans notre développement national et tous les indicateurs macro-économiques, dont nous avons été instruits par le biais des discours qui nous sont retransmis par les médias. Mais devrions-nous caresser l’espoir de voir du changement, du vrai changement, d’ici très peu ? Verrons-nous un autre pays que celui des décennies noire et rouge, un pays avec d’autres réflexes, avec d’autres comportements, peut-être avec d’autres hommes, autrement plus honnêtes, plus sincères et surtout… surtout, plus entreprenants et plus sérieux et appliqués ? Nous ne vous demandons pas de nous répondre avec l’exactitude des devins, mais nous souhaitons vous entendre parler de louables convictions, de bonnes perspectives et de réelle confiance en l’avenir. Le mot de la fin, laissez-moi le dire… J’ai au moins cette prétention de revendiquer un droit parce que je représente l’avenir.

Laissez-moi ce plaisir de parler d’espoir et de confiance ! N’est-ce pas nous qui sommes les victimes de la misère sociale et de ses problèmes, au quotidien ? N’est-ce pas nous qui allons prendre la relève dans ce pays ? N’est-ce pas nous qui auront cette lourde tâche de nettoyer ce qu’ont «sali» certains de nos aînés ? N’est-ce pas nous qui allons nous engager dans une autre révolution, réelle et concrète, pour être au diapason des autres nations, puisque nous avons tous les moyens possibles et imaginables qui garantiront notre réussite ? En effet, c’est sur nous que reposent les attentes et l’avenir de notre pays. L’artiste le coupe. Il émet le vœu de voir s’instaurer l’entente et la raison au sein de la société. Il explique dans son style, ou celui que lui commande le texte, la nécessité d’aller vers la compréhension, seule alternative à la paix et à la réussite.
En tout cas, il dit cela avec conviction et sans trop de fioritures :
– Nous avons parlé de nos problèmes, et ils sont nombreux. Nous avons préconisé des solutions, et elles sont aussi nombreuses. Mais il nous reste une dernière issue, voire une dernière chance, pour faire de notre pays un havre de paix où le développement s’assurerait de bras valides et d’esprits engagés et où les citoyens trouveraient leur champ de prédilection et se reconnaîtraient, dans tous les programmes, en tant qu’hommes égaux en droit et en devoir. Notre salut se trouve dans notre entente, dans notre compréhension mutuelle, dans notre union. Eh oui, j’y crois fermement et je suis conscient que vous allez me suivre dans cette démarche qui doit nous mobiliser, plus qu’auparavant, parce que c’est la seule possibilité aujourd’hui pour arriver à la fin de nos tourments. Le jeune reprend la parole. N’a-t-il pas demandé de faire lui-même la conclusion ? Il y tient… il veut absolument jouer son rôle. La pièce est ainsi composée… et le rêve a ses exigences. Vous remarquerez, Maître – il fait allusion à l’artiste –, que j’ai parlé d’une «autre révolution», c’est-à-dire d’une nouvelle révolution, pas comme celles dont nous avons «ébauchées» la réalisation, dans le temps, sans les comprendre et sans savoir les appliquer convenablement. Et avec l’entente dont vous parlez, j’ajouterai, pour ma part, la fraternité et la concorde qui sont les sujets d’une autre révolution, autrement plus saine et plus concrète.
Elles sont, en effet, une véritable révolution culturelle qui doit s’instaurer dans la pratique, dans les esprits, dans les comportements, dans les structures, dans les mœurs. On ne peut la comprendre qu’ainsi, puisque notre pays a besoin d’une refonte systématique dans tous ses espaces. Oui, une révolution culturelle ! Et le terme ne doit pas nous faire peur, ni nous faire sourire. Ne dit-on pas que parmi les grands effets de la révolution culturelle figure le changement radical des mentalités ? Et chez nous, c’est principalement les mentalités qui doivent changer, pour être en harmonie avec les exigences du nouveau siècle. C’est une nouvelle éducation que nous devons inculquer à notre peuple, une éducation de bons alois qui le ferait rapprocher de ses valeurs, de ses traditions, de ses constantes. Une éducation qui le rangerait comme avant, dans sa disposition naturelle, celle d’un peuple courageux, pas un peuple mineur, infâme, indigne et méprisable… un peuple aimant la paix, la justice, l’entente et la concorde. Notre pays a connu des problèmes, de grands problèmes même. Mais quel pays n’a-t-il pas eu sa part de malheurs ? Nous n’avons aucun complexe, dans ce cadre-là, d’autant que cette situation nous a été fomentée, dans sa quasi totalité, par des spécialistes en la matière, dans des officines extérieures, comme elles l’ont été les autres situations dans quelques régions du monde.

Nous ne pouvions, en ce temps-là, échapper à leur ordre et à leur hégémonie. Nous avons vécu la loi de la jungle. Nous sommes passés par des moments difficiles, nous avons connu des situations explosives, nous avons goûté aux pires outrances et aux dangereux excès. Du délabrement à la désuétude, c’était le lot que nous devions supporter, dans cette ambiance de feu et de sang où les massacres et la barbarie ont atteint leur paroxysme. En ce temps, on ne pouvait parler d’ordre républicain sans assurer aux citoyens leur sécurité et sans amener la paix dans nos villes et nos villages. Aujourd’hui, c’est le moment de vaquer à d’autres occupations. Il faut abandonner les armes, oublier les enterrements, sécher les larmes, contenir le deuil, retourner à nos bonnes habitudes. Nous avons tous les moyens pour arriver à bon port. Il nous suffit de retrouver notre route et notre bonne volonté d’antan et les mettre au service du bien, c’est-à-dire de la «bonne cause» qui doit nous rassembler autour de programmes mobilisateurs et concrets. Nous devons également œuvrer à la plus large mobilisation citoyenne pour construire un édifice sain et solide. C’est cela, à notre avis, nous les jeunes, les conditions objectives pour que s’instaure la paix qui, encore une fois, ne signifie pas uniquement la reddition, la reconnaissance de fautes et le pardon de ceux qui ont fauté, mais aussi toutes ces formes de refonte de notre société.
Il ne faudrait pas que ce pacte pour la paix soit une semence de vengeance pour demain, parce que mal conçu et mal préparé. C’est ainsi que nous la voyons (la paix) et c’est ainsi que nous souhaitons la voir s’appliquer. Oui, le retour à la paix ou la réconciliation nationale, comme augurée par les responsables, est un projet ou un «pacte» de pays civilisé et nous y avons cru. Nous y avons cru fermement, dès le départ, parce qu’on nous a martelé «qu’elle honorait la lutte des intrépides et les élevait au rang de héros de la République». D’autres nous ont même signifié «qu’ils pourraient baptiser nos rues des noms de tous ces martyrs et édifier des statues dans les grandes places, en inscrivant ces quelques mots sur les stèles commémoratives : «En hommage à ceux qui ont défendu avec bravoure et abnégation notre pays qu’ils ont gardé debout. A ceux qui ont préféré mourir dans la dignité plutôt que vivre agenouillés». En effet, c’est ainsi que nous voyons l’aboutissement de notre réconciliation qui ne doit aucunement signifier que les aspects sécuritaires – qui ont leur importance, bien sûr –, car d’autres pratiques malsaines qui ont leur influence sur la société et qui sont des facteurs de démobilisation, si ce n’est de troubles, doivent être recensées pour être combattues.
Donnons des exemples de ces pratiques que l’on voudrait ne plus voir dans notre environnement. Il y en a tellement, mais nous nous résumerons à quelques uns qui troublent notre jeunesse et la dérangent, pour ne pas dire qui la découragent, la démotivent et lui font perdre le peu de confiance qu’elle gardait difficilement depuis que trop de promesses, de contrats et d’engagements n’ont été appliqués. Aujourd’hui, octroyer une bourse à un fils de grand responsable, alors qu’il ne la mérite pas, et la refuser à un fils de travailleur, quand il la mérite, est plus qu’un crime. Donner, à ces mêmes enfants – ceux des nantis – des autorisations pour l’importation de produits étrangers et de solides prêts bancaires pour édifier des usines ou créer de l’activité commerciale, et refuser tout cela aux autres enfants de la «plèbe», est aussi un crime impardonnable. Soigner ces mêmes enfants dans des centres hospitaliers en Europe, quelquefois pour des petits bobos et laisser les enfants du peuple, quand ils sont bien malades, «crever» dans nos hôpitaux, pardon dans nos mouroirs, par manque de médicaments et d’attention, cela aussi est un crime plus qu’impardonnable. Ne pas se soucier des enfants du peuple qui vivent dans des espaces de relégation sociale et de violence et se «démener» pour agrémenter la vie des enfants de pontes, leur assurer le calme, la sécurité et la sérénité dans des «ghettos» feutrés, au bord de la côte turquoise, est aussi un crime passible des tribunaux populaires.

C’est aussi un double crime que de ne pas permettre aux enfants de la plèbe que nous sommes d’accéder à ces lieux en été, pour prendre quelques instants de repos et profiter des plaisirs de la mer. Se moquer des jeunes, comme nous, qui ne peuvent construire des projets d’avenir parce qu’ils sont soit marginalisés ou soit que les programmes «chétifs» qui leur sont alloués «officiellement» partent à droite et à gauche, dans d’autres destinations, est aussi un crime inqualifiable… Proposer à des jeunes universitaires des emplois serviles, dégradants, sous prétexte qu’il n’y a pas de débouchés pour des jeunes comme nous, mais s’occuper convenablement des «autres», les fortunés et les garantis par le destin, est aussi un forfait inacceptable et révoltant. Ce sont tous ces agissements qui créent des situations explosives dans le pays et qui font perdre au régime toute sa crédibilité. D’autres pratiques qu’il faudrait supprimer de notre environnement politique. Nous en avons parlé aisément dans cette pièce. Le répéter dans cette conclusion, n’est pas superflu. Ce sont les mauvais choix de cadres et la mise à la retraite des meilleurs qui peuvent encore donner le maximum de leur force et de leur savoir. Souvent, ces «décisions» ne répondent à aucune règle d’une administration qui se respecte. Le fonctionnaire qui a tant donné, quitte son poste sur la pointe des pieds, sans aucune explication et sans aucune autre forme de procédure… civilisée.
Ces pratiques ressemblent également à des agressions criminelles, parce qu’il ne suffit pas d’avoir une arme pour tuer quelqu’un, on peut le tuer par une autre arme, autrement plus fatale : la décision irréfléchie et arbitraire. Et, dans notre mépris de l’Homme, nous continuons à cultiver ce réflexe de méchanceté, de mépris et d’intrigue. C’est pour cela que nous disons qu’il faudrait revenir, par le biais de cette réconciliation, à l’instauration des meilleures conditions pour l’application de la justice et de l’égalité. Ainsi, quand la justice retrouve ses «marques», dans un pays comme le nôtre, il ne faudrait même pas s’inquiéter pour les autres domaines. Ils s’aligneront d’eux-mêmes, naturellement. Cela va de soi. C’est alors que demain, l’ouverture sur l’égalité des chances ne sera pas un vain mot. Oui, pas un vain mot, parce que qui dit que le fils du berger n’est pas plus intelligent que le fils d’un haut cadre, qui dit que le fils du pauvre n’est pas plus doué qu’un autre et qui dit que l’orphelin n’est pas aussi apte que tous les autres pour diriger une mission ou manager une grande institution ? C’est en révisant toutes les anciennes pratiques pour les rectifier ou les éliminer carrément de notre environnement que les jeunes reprennent confiance et adhèrent pleinement à tout projet que le pouvoir déciderait de mettre en place.
Parce qu’ils comprendraient, assurément, que le système ou le pouvoir ou l’État, tellement décriés, ont carrément pris la décision d’être sérieux. Sans cela, «jouez violons, sonnez crécelles», personne n’écoutera personne et les choses resteront en l’état. L’entente, la concorde, la réconciliation, ce sont de grandes valeurs, de grandes vertus, pour ceux qui savent en user et, même… en abuser pour le bien de la société, pas pour ceux qui les comprennent de différentes manières, c’est-à-dire pour ceux qui leur donnent des lectures «personnelles» qui les arrangent et les accommodent. En effet, quand nous les appliquerons, parce que nous les aurions comprises, ce serait le mieux qui puisse nous arriver après des années de désordre et de honte. Comprenons bien le sens profond de ces valeurs, donnons-leur leur véritable destination et allons tous, en rangs serrés, les appliquer pour notre intérêt et celui de ceux qui vont nous suivre. Du fond de la salle, une voix s’élève. Un impudent de la nature de ces bouseux, grossier, écru et mal éduqué, hurle à tue-tête : «Faqou…!» C’est quelqu’un qui a raté l’occasion de se taire. C’est de la provocation ! Mais il a peut-être bien fait car il ouvre la voie au jeune pour dire davantage ce qu’il ne pensait dire devant une telle assemblée. Mais au même moment, l’artiste qui allait s’interposer se vit repousser, en un geste serein et amical, par le jeune qui tient à rester sur scène. Il tient à faire lui-même le plaidoyer en faveur de cette jeunesse déchirée, meurtrie.
En réalité, il veut faire la conclusion de ce long débat. Et puis, n’est-il pas concerné au plus haut point pour laisser autre que lui répondre à cet impertinent plouc, qui vient jeter son pavé dans la marre ? Ainsi, sans se donner le temps de réfléchir, il réplique du tac au tac, comme s’il avait préparé son intervention parce qu’il attendait un «stimulant» pareil : «Oui, Faqou… en effet ! Faqou bikoum…!» Tout le monde vous connaît maintenant. Tout le monde sait ce que vous êtes, ce que vous valez, ce que vous avez fait. Tout le monde sait ce que vous pouvez encore produire comme dégâts, dans ce climat d’abandon qui ne vous dérange nullement. Vous pouvez remplir vos poches certainement en profitant du manque de contrôle et de la faiblesse de notre système. Vous pouvez toujours vivre ostensiblement en vous exhibant à la place de ceux qui ont été voués à la marginalisation. Vous pouvez toujours plastronner dans des postes que vous ne savez remplir car, tout simplement, vous ne savez que ramper, comme ces «vipères lubriques» qui n’ont ni élégance, ni courage et, encore moins, de la dignité. Nous connaissons, dans les moindres détails, ce que vous avez «gagné» sur le dos de ce pays, pour ne pas dire ce que vous avez subtilisé à ce peuple, depuis que la violence et la dégradation ont élit domicile chez nous.

Vous avez profité, sous «le bruit des canons», pour faire des affaires mirobolantes. Vous avez dépecé le peuple et construit un «monde» propre à vous… un monde où abondent des pratiques que nos parents n’ont jamais connues ou suivies, et si elles auraient existé, ils les auraient combattues. Vous avez instauré le vol, la corruption, la courbette, l’obligeance, les passe-droits, le blanchiment d’argent et d’autres calamités que la morale m’interdit de citer. Vous en usez pour régler vos affaires, pour vous enrichir davantage et venir nous narguer, devant tout le monde. Vous nous avez ignoré royalement – je parle de ceux de ma génération – sous prétexte que vous aviez d’autres urgences. Ne sommes-nous pas la véritable urgence dans ce pays… puisque nous sommes l’avenir, même l’avenir immédiat ? N’avez-vous pas réfléchi aux placements que vous pouviez faire avec nous pour garantir demain ? Vous l’auriez fait si vous étiez de la trempe de ces hommes qui réfléchissent comme avant, de ces hommes qui militent pour des idéaux et non pour leurs besoins et leurs profits personnels, de ces hommes qui savent que la «jeunesse n’a qu’un temps, mais qui dure tout le temps». De ces hommes, enfin, qui savent que la force de la jeunesse «dépendra alors de ce qu’on y aura gravé et avec quelle subtilité on l’aura fait». «Oui, faqou…, faqou bikoum !» Les jeunes, tous les jeunes, savent que vous ne serez jamais ceux qui vont les séduire.
D’ailleurs, ils ont compris que vous ne pouvez rien faire pour eux… puisque vous n’avez rien fait auparavant. Tenez, par exemple, sur le plan de la culture, eh bien, vous nous avez abandonnés et livrés aux aléas d’un environnement hostile, agressif, où on ne peut prétendre à aucune perspective novatrice. Même notre langage a changé. On dirait que nous sommes une autre jeunesse, pas celle d’un pays qui a su montrer ses talents pendant les durs moments de son Histoire. Même notre langage a changé, en effet. Nous parlons le créole, un patois que nos parents comprennent mal et acceptent difficilement ou ne l’acceptent pas du tout. Plusieurs parmi nous utilisent des termes qui sonnent faux, dans un idiome crypté, ressemblant à celui qu’emploient les «gens du milieu» dans leurs relations de tous les jours. Ainsi, nous en avons marre de voir notre niveau s’effondrer, descendre au ras des pâquerettes et marre de voir notre culture toucher les abysses de la sénescence. Avez-vous pensé un jour nous prendre vraiment au sérieux et… avez-vous pensé nous prendre effectivement en charge ? Là, je parle à tout le monde, y compris à ceux-là mêmes qui se targuent d’être nos responsables. Non, vous ne pensez qu’à vos intérêts ! Nous l’avons dit ; vous vous êtes occupé de vous-même.
Vous avez rempli vos poches, vous avez fui ce qui devait être vos responsabilités d’aînés, voire d’encadreurs zélés et attentionnés. Même les moyens que vous devriez mettre à notre disposition dans le cadre du développement n’ont pas été conformes à nos besoins. Ailleurs, nous voyons les gens progresser, réellement progresser dans le monde des sciences et des découvertes. Chez nous, le progrès ne s’affiche que dans des rapports que vous envoyez ou qui vous sont envoyés pour plaire, mais rien sur le terrain… que de la complaisance et de l’autosatisfaction très mal placées. En somme, une paranoïa sans frontières ! Notre monde se paupérise (dans le sens de faiblir) au moment où celui de nos voisins, qui n’ont pas nos moyens, évolue nettement dans le sens qu’ils ont bien voulu lui donner et dans les directions où ils ont bien voulu qu’il parvienne. C’est pour cela que nous en avons marre de voir notre niveau crouler sous le poids de l’inconscience et des mauvais jugements de nos dirigeants, nous en avons marre de vivre de comparaisons absurdes, illogiques, nous en avons marre d’être jaloux en regardant les autres se métamorphoser et se rénover constamment, nous en avons marre, enfin, de nous estimer diminués et complexés devant ceux qui courent vers le bien-être et qui se sentent utiles à leur société.
Ces constats sont de nature à déstabiliser notre jeunesse qui est déjà assez fragilisée maintenant. «Oui, faqou… faqou bikoum !» Du plus petit au plus grand savent que vous n’êtes que des effrontés, des malappris, des portions incongrues dans une société qui a perdu ses valeurs et ses repères. Cette société qui, à cause de vous, n’est plus celle qui crée d’heureuses circonstances pour se modifier et s’améliorer, cette société qui ressemble à celle de la fable, du temps des rois paresseux et tyranniques. A ce sujet, j’ai à vous raconter les malheurs de cette société exécrable, perverse, pareille à la nôtre qui, en son temps, ne vivait que de bassesse, de courbettes et de peur du chef, mais qui allait lâchement et abjectement vers le profit ! Ouvrez bien les oreilles, car cette fable est significative, à plus d’un titre.
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)