Réflexions constituantes : De la séparation et de l’équilibre (III)

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Les débats publics contradictoires autour de la révision Constitutionnelle se focalisent sur l’urgence de propositions antinomiques de nature juridique. D’un côté se situent les partisans d’un système semi-présidentiel, à divers degrés de déconnexion de l’exécutif, en fonction d’une sincérité laissée à l’appréciation des discussions démocratiques en cours. De l’autre côté, les soutiens d’une logique strictement parlementaire qui affichent des objectifs fédéralistes. La tolérance par l’instance présidentielle, en proximité intellectuelle des transformations qualitatives en marche, est révélatrice d’une préséance de la philosophie du droit chez le Chef de l’Etat, comme catégorie des sciences humaines capable de circonscrire des pulsions de libertés absolues, dont les limites ne sont tracées qu’en raison du respect que nous souhaitons qu’elles expriment pour nous-mêmes. Cette approche en objections constitutionnelles des expressions juridiques du respect due à la personne humaine ne suffit pas à éclairer le caractère de notre moment historique si elle n’est pas doublée d’une mise en rétrospective socio-anthropologique des séparations salutaires à l’œuvre, permettant au pays de retrouver le sens de son équilibre en intimité de ses convictions profondes. Le signalement d’une conscience morale sociale sous-jacente en affleurement depuis le 22 février 2019, donne un contenu populaire à la séparation des pouvoirs qui ne peut se réduire à un phénomène classique de décantations de la seule raison matérielle mais plus justement comme un dévoilement d’une vérité saisie par la fulgurance du mouvement social, nous rattachant miraculeusement aux générations précédentes marquées au fer indélébile des principes islamiques.

Le débat juridique intense de ces derniers jours, indique parfaitement une dépendance certaine du droit vis-à-vis de la chose publique. La meilleure preuve en est fournie par l’inflorescence d’un droit de chacun à l’accès à l’eau potable (article 64), à la santé (article 65, alinéa 1), à la protection sociale (article 69, alinéa 4), au travail (article 69), à la culture (article 80, alinéa 2), à l’éducation et à l’instruction (article 68, alinéa 1), à l’éducation physique, aux sports et aux loisirs (article 65, alinéa 5), à l’environnement (article 67), et même au logement (article 66) qui rejoint courageusement la liste des droits constitutionnalisés promis aux citoyens par la sphère rentière. C’est ce qui a concouru pendant de longues années à la dilution du droit dans la superstructure des marges pétrolières de la liquidité financière, à la remorque des exigences d’une politique de l’immédiateté sociale pour un peuple que le colonialisme avait dépouillé de tout. C’est ce même assujettissement du droit au politique qui a permis de semer les germes dès novembre 1954, en stimulations d’une embryogenèse du développement des personnalités combattantes, militantes puis citoyennes du peuple algérien, en impulsions fécondes d’attitudes anthropologiques populaires donnant naissance aux séparations inéluctable des instances exécutives, judiciaires puis législatives de l’Etat depuis 1962.
Aussi, on ne peut que reconnaître, pour avoir expérimenté collectivement la domination de la politique sociale de l’Etat sur le droit, la grande difficulté à séparer radicalement, la politique du droit, au risque de perdre les bénéfices matériels du premier pour ne se contenter que des nourritures juridiques du second. La souveraineté exclusive du juridique sur le politique promue par les tenants du fédéralisme en coordination de leurs alliances néo-rentières mondialisées, du droit sur la gouvernance, de l’administration sur le cœur battant de la souveraineté étatique et de ses stratégies vitales, apparait immédiatement pour ce qu’elle est : une prétention idéologique vaine qui ne peut triompher seule car elle ne précède pas le politique mais en procède.
Cela est d’autant plus vrai lorsque la force motrice de l’instance politique, en logiques de diffusions guerrières dans le mouvement national, proclame pour des raisons de contraintes historiques, à partir d’une posture de légitime défense, l’engagement des Etats barbaresques dans la lutte en résistance pour la civilisation islamique andalouse contre Charles Quint, la sauvegarde de la foi en Djihad pour l’Emir Abdelkader, la survie en urgence de la Nation pour les révolutionnaires du 1er Novembre 1954, la protection morale en vigilance populaire pour l’Etat en voie d’effondrement pour le «Hirak béni» du 22 février 2019. De même, c’est parce que l’Islam et la Nation précèdent l’Etat et n’en procèdent pas que le peuple algérien possède une compréhension particulière de la liberté sur laquelle nous reviendrons dans le prochain article intitulé, «Réflexions constituantes : de nos libertés collectives et individuelles».

De la dialectique du droit et de la morale
Voilà qui permet de relativiser dans la construction constitutionnelle en élaboration, deux notions aux apparences opposées mais qui ont en commun la confusion totale du corps et de l’esprit à contre-courant de la philosophie des différenciations en labeur. D’une part, les zélateurs de la suprématie de la coutume sur la loi, au prétexte que la tradition de rite malékite prononce en elle-même le droit de manière permanente et qu’en conséquence, il n’est pas de grande nécessité d’ériger des lois concurrentes à celles prescrites dans le Saint Coran. C’est ce que postule l’islamisme politique au risque de la dilution du pouvoir temporel dans le droit religieux. D’autre part, les partisans d’une supériorité de la loi sur le droit coutumier qui irait jusqu’à régir le détail des usages d’un peuple de veille civilisation qui tient une telle attitude pour ignominieuse. C’est ce que prétend la laïcité, faisant peu de cas de la supériorité morale de l’Islam sur le droit qui, à la suite de la Déclaration de 1789, pose la loi comme une règle d’airain des salaires, jusqu’à affirmer que ce qui n’est pas défendu par elle est permis, ouvrant la voie toute grande à la «terreur» révolutionnaire de 1793 et de manière générale à l’exploitation humaine mondialisée.
Dans le premier cas, la Constitution est vécue comme un totem préislamique, dans le second elle est fétichisée. Le message islamique réalise la synthèse «du juste milieu», celle de la terre et du ciel, pour en proposer une vision autant pratique que dogmatique d’où la nécessité d’un équilibre entre la loi constitutionnelle pour ce qui concerne l’Etat d’une part et d’autre part ses applications en certaines lois organiques en proximité des us et coutumes, d’un dialogue ouvert entre le droit naturel et le droit positif. Le droit, dans le caractère profond de nos sociétés, ne peut être ni omniscient au risque du blasphème, ni omnipotent en transgression des intimités de nos usages, à la recherche permanente d’un meilleur rapport social à l’activité économique et culturelle, car seul le divin est perfection. Aussi, nous ne comprendrions par les phénomènes qui se déroulent sous nos yeux, ni les nouveaux équilibres institutionnels d’essence populaire qui sont désormais exigés de la commission de révision de la Constitution de 1996, si nous devions réduire l’évolution de la norme juridique et donc le respect de ses équilibres comme l’expression d’un encadrement de plus grande efficience technique de l’Etat-National, sous prétexte de déploiements démocratiques, économiques et juridiques futurs.
C’est bien à partir du mouvement social populaire qu’on ne saurait confondre abusivement à «la société civile» – en raison de l’implication en pacification remarquable de l’appareil militaire et sécuritaire – qu’à partir du 22 février 2019 s’est exprimé une véritable conscience collective populaire traversant également les institutions de l’Etat, y compris son cœur de souveraineté, en construction d’une authentique morale sociale de tradition islamique besognant avec application dans deux directions clairement identifiées : la moralisation irréfrangible de la vie publique en tant que valeur supérieure au droit et le besoin irrépressible de Justice pour tous (article 71, alinéa 2) plus que d’une démocratie dont le rapport social à la culture et aux libertés collectives et individuelles sont désormais suffisamment établis pour les rendre irrévocables.

Pour une pacification du droit par la vertu morale islamique
Aussi, ce n’est pas tant de vie parlementaire trépidante que certaines parties cherchent à présenter sous le jour d’une démocratie sincère, confondant ses formes et son contenu, dont le peuple algérien a le plus ardemment besoin, que d’une prééminence affirmée des principes moraux islamiques, en stricte stérilisation de l’environnement politique et de ses rapports à l’argent. C’est au nom de cette exigence morale qui traverse tout le corps social qu’apparait dans les propositions constitutionnelles une Haute Cour de transparence, de prévention et de lutte contre la corruption (articles 215 et 216). Son positionnement dans la mécanique institutionnelle jouera sans nul doute un rôle de lutte permanente dans la vie politique, économique et sociale du pays tant il est vrai que les conflits d’intérêts sont légions en aboutissements d’une crise politique d’une ampleur jamais égalée depuis l’indépendance en 1962. L’obligation de rendre public, le rapport de la Cour des Comptes est aussi un pas dans la bonne direction (article 208, alinéa 3) même si son indépendance désormais affichée (article 208, alinéa 2) renvoi à une loi organique (article 208, alinéa 5) dont on espère qu’elle amplifiera la détermination de la lutte contre la corruption plus qu’elle ne contribuera à la contraindre.
Si la prééminence des principes islamiques sur le droit – prononçant la justesse de l’équilibre de toute chose en position d’éthique – peut aider à l’inspiration de réformes constitutionnelles, la meilleure des garanties est de mettre les juges, aussi corrompu que l’appareil judiciaire puisse être, devant le seul tribunal qui vaille, celui du jugement dernier, les confrontant à leurs responsabilités devant Dieu, le peuple et la nation. C’est pour cette raison que nous estimons la révision en cours timorée d’une part dans l’expression de la séparation entre le pouvoir judiciaire d’avec le pouvoir exécutif et d’autre part dans le recours limité à la représentation citoyenne directe au niveau même des mécanismes institutionnels, les vidant d’un effort d’interprétation nécessaire au façonnage par petites touches d’une théorie du droit constitutionnel en interrogations stimulantes des principes moraux islamiques. Pour ce qui concerne l’action de séparation, nous pouvons craindre que les articles 167 et 194 ne fassent que peu de place aux magistrats élus démocratiquement.
Ces articles devraient également poser le principe d’un Conseil Supérieur de la Magistrature animé par les juges et un seul représentant pour chaque Chambre, mettant le système judiciaire face à ses responsabilités historiques de gardien du droit mais aussi devant Dieu et le peuple d’un engagement morale à la hauteur de ses missions. Le président de la République peut faire partie du Haut Conseil de la Magistrature mais simplement à titre honorifique en désignant un seul représentant en tant que premier magistrat symbolique de la nation. De même, au titre des institutions de contrôle, la transformation du Conseil Constitutionnel en Cour Constitutionnelle ne correspond pas à l’ouverture de cette dernière à la possibilité de la saisine citoyenne sans passer par l’intermédiation filtrante des élus des deux Chambres dont les positions d’intérêt dans l’édifice institutionnel pourraient interdire de facto toute initiative.
Pour éviter de se retrouver dans une fermeture des mécanismes institutionnels et plus encore dans un renoncement à l’évolution de la pensée doctrinale, hier du Conseil Constitutionnel, demain de la Cour Constitutionnelle en contresens des aspirations démocratiques populaires, il est indispensable d’élargir sa composition à des membres éminents de nos zaouïas d’histoire ancienne, articulations vivantes de nos puissances morales. De même sa saisine doit être confrontée à l’interrogation vigilante d’une culture citoyenne désormais adulte. Aussi, nous proposons pour ce qui concerne la Cour Constitutionnelle, la suppression de l’alinéa 2 de l’article 201 pour le rédiger ainsi : «Elle peut être également saisie par les citoyens». Cette ouverture sur la société permettra la mise en branle d’un dialogue exigeant d’interrogations des catégories du droit, en évolution maîtrisée d’une morale islamique populaire et savante mises en position de dialogue fécond. N’est-ce pas là, la meilleure manière d’honorer en contenus posés et dépassionnés, la déclaration du 1er Novembre 1954 ?
(A suivre)
Brazi