Mascara : «Hommage et Dommage !»

Il y a 137 ans, s’éteignait l’illustre défenseur de la nation algérienne : l’Emir Abdelkader

Le 26 mai de chaque année la wilaya de Mascara, fief de l’illustre combattant que fut l’Emir Abdelkader, célèbre un anniversaire des plus distingués, celui de la mort du glorieux défenseur de la nation algérienne. Le 26 mai 1888, à Damas, s’éteignait ce grand valeureux homme qu’était l’Emir Abdelkader.

Les souvenirs de l’Emir Abdelkader sont encore assez nombreux dans la wilaya de Mascara, les autorités en poste comme leurs prédécesseurs se sont fixés à sauver de l’effritement la plupart des vestiges qui tombent en ruine où des entreprises peu ou proues spécialisées dans le domaine de la restauration ont été engagées. Au chef-lieu de la wilaya, l’Emir résida de 1832 à 1835. Sa demeure s’élevait anciennement sur l’emplacement de celle qui fut jusqu’en 1892 le bureau des hypothèques, à l’angle de la rue Vauban et de la place Modagor. Les bureaux de l’administration de l’Emir Abdelkader étaient au Beylik, entouré à l’époque par les bâtiments militaires qui occupaient une bonne partie de la ville. Une tradition veut qu’aux pieds de l’arbre qui s’élève devant l’ex- grand hôtel, l’Emir rendait justice. Ce n’était pas en tout cas le même arbre, car cet arbre est un ‘belombra’ et les ‘belombras’ sont d’importation des années 1930, leur rapide croissance fait illusion sur leur âge véritable. C’est à la Gueithna (Hacine) de l’oued El Hammam que naquit en 1807 l’Emir Abdelkader, dans la zaouïa de son père, Sidi Mahieddine.
Sa jeunesse se partagea entre la zaouïa de Gheithna et Sidi Kada ex-Cacherou, où Sidi Mahieddine avait une autre zaouïa et où il passait généralement l’été. Mahieddine était le chef spirituel de la confrérie des ‘Quadria’ et guide d’une partie vénérable de l’alliance des ’Hachem’, à connotation religieuse. Sa généalogie remontait au prophète, par Idriss et par Hassan, fils de Ali Ibn Abi Taleb. Il était le fils de Sidi Mustapha, fondateur de la zaouïa de la Gueithna près de la commune de Hacine, où il décéda à Tripolitaine, à son retour du pèlerinage, était le petit-fils de Sidi El Mokhtar, mort chez les Beni-Ameur, près de la ville de Tlemcen. Abdelkader, dit Sidi Kada, qui donne son nom au cimetière des sages des ‘Hachem’, avait eu sept fils, parmi lesquels ‘ El Mokhtar’ dont descend l’Emir, y compris la famille ‘Boutaleb’ et sans manquer de désigner ‘Mohammed’, dont descend la famille légitime de la lignée de l’émir, de la cognation de la progéniture de ‘Chergui’ le cadi de l’émir en droit musulman, Chergui Sid’Ahmed Bellacel, arrière petit fils de Chergui Ahmed Fahmi Hikmet, avocat au barreau du chef-lieu, et de surcroît bâtonnier de la wilaya de Mascara qui détient le sceau de l’Emir Abdelkader sous forme d’anneau. Il vivait au XVIIe siècle et descendait de Ahmed Benkhada, mort à Zelamta, et de Abdel-Kaoui, mort à Tagdempt, issu lui-même de Chorfa (Saint) ‘Idrissides’ venus du Rif marocain.
L’endroit dit El Gueithna est établi dans un rang céleste dominant la vallée de l’oued El Hammam rationalisé par le barrage de Sidi Bouhanifia et dominé lui-même par les escarpements sauvages de ‘Kef Erahma’, la falaise du vautour, et les crêtes boisées de la foret de ‘Stamboul’. On y accède par un gué qu’il faut traverser à cheval. On aborde au débouché d’un ravin gardé par de beaux tamaris plus que centenaires et sacrés à côté d’une ‘hawita’, petite enceinte de pierres natures signalant la sépulcre de quelque saint inconnu qui passe pour dissimuler des trésors protégés par des esprits que l’on se garde bien d’importuner. C’est ‘Chabet Ghar Tholba’, le ravin de la grotte des disciples. Sur la terrasse, l’on voit d’abord les murs de la mosquée, un petit édifice aux quatre côtés qui s’effritent par la main de l’homme et les aléas de la nature. Une absidiole constitue le Mihrab, indiquant la Qibla, encadré à l’intérieur, d’une ogive outrepassée.

Sept petites niches, surmontées de fenêtres ou plutôt de meurtrières, souscrivaient de poser les livres et les babouches. Trois colonnes répartissaient l’espace carré en deux portées, un pilier au sud-ouest, porte encore de frustres décorations triangulaires. Non loin du site s’élevait la zaouïa, un peu plus étendu, dont il ne reste que l’ébauche des murs, les ruines d’un moulin, la place des silos. Un cercle de pierres, au milieu du patio central marque la place de la tente du chef. La vie sédentaire, la vie religieuse et intellectuelle, la vie nomade (dont l’émir a exposé dans un fameux poème) demeurent les plus intimement mêlées à cette vision du légendaire défenseur de la nation algérienne. La zaouïa et les maisons qui le ceinturaient au nombre d’une trentaine furent incendiées au cours des combats d’octobre 1841. Un peu plus loin, vers l’ouest se dresse le mausolée, demeure indemne, tout blanc de chaux, dédié à Sidi Abdelkader El Djillali, l’éminent saint de Baghdad, fondateur de la confrérie ‘Qadiria’ dont les coupoles surmontent tant de collines et de montagnes de l’Oranie qu’on maxime l’oiseau des sommets.
Chaque année deux cérémonies, deux Waâda, au printemps avec le jeu de la Korra, balle à la crosse dont des hommes montés à cheval excellent à ce sport qui exige une performance, à l’automne avec baroud et rahba. La ‘rahba’ est un sport original et très difficile, une boxe des pieds, on s’élance, on pose les deux mains à terre et l’on décoche une ruade à l’adversaire. Ces deux sports de combativité ont pour ainsi dire disparu de la scène mémorial de notre histoire, et ce, depuis les années 1960. A une vingtaine de kilomètres du chef-lieu de la wilaya, sur la route nationale menant à Tiaret, à gauche, légèrement en contre-bas, l’on voit d’abord au milieu d’oliviers et devant un bois de peupliers trembles safsaf, d’ailleurs, dépéris, l’on distingue les ruines de l’autre zaouïa de Sidi Mahieddine. Une suite de trou bizarres marque le tracé d’un tunnel détruit qui aboutit a une aven dite ‘Khalwa’, l’isolement, le refuge ou lieu de dévotion. Suivant ce même chemin en montant encore quelques kilomètres, on parvient au rempart de pisé ocre, percé de meurtrières construit sans doute par des beys turcs de Mascara, et closant un vaste terrain où pouvaient se protéger toute la logistique, communément appelé la ‘Smala’. Un chemin de terre conduit à la ferme ‘Saint Paul’, dont la structure qui date des années 1900, s’élève sur une partie des murs anciens reconnaissables à un enduit verdâtre.
Le hammam qui résiste encore, en bon état, avec ses murs très épais, ses deux petites pièces voûtées d’arrêtes, sa cheminée en pleine pierre, sa cuve rectangulaire connue sous le nom de ‘baignoire d’Abdelkader’. Un escalier extérieur conduit à la terrasse d’où une vue splendide demeure de visu sur la plaine de Ghriss et les montagnes vertes et mauves qui terminent au nord. D’après la tradition locale qui revient souvent sur les lèvres, l’émir aurait caché par ici ses trésors ; des souterrains rayonneraient jusqu’à la zaouïa, jusqu’à des grottes à stalactites devenues impénétrables. On parle d’un religieux marocain qui serait venu faire des actes d’ésotérismes et des fumigations, s’enferma dans le bain de l’émir, et s’évanouit dans la nature après avoir prédit la guerre de 1914. Sur le tracé qui mène vers la fôret de la commune de Nesmoth, se discerne le cimetière de Sidi Kada, qui couvre un étendu mamelon dominé par les bâtiments du mausolée où repose l’ancêtre.
Les tombes anonymes aux ‘témoins’ de pierres brutes, mêlées aux touffes de palmiers nains, sont parsemées de petits édifices aux blanches coupoles sur la tombe des personnages, essentiellement les plus révérés. A mi-hauteur de la Koubba de Sidi Mahieddine avec une coupole centrale flanquée de quatre petites, est adossée à la pièce funéraire de Sidi Ahmed El Guellil, son cousin éloigné, descendant de Sidi Tahar, fils de Sidi Kada, qui continue d’être très vénéré et où en viennent psalmodier longuement les femmes, qui détiennent le secret. La koubba de Sidi Mahieddine a été construite en une nuit par l’Emir Abdelkader, accouru à Tagdempt à cheval en pleine guerre. Le 26 mai de chaque année, la wilaya de Mascara, via les autorités locales célèbrent l’anniversaire des plus glorieux, celui de la mort de l’Emir Abdelkader, qui a été entachée cette année, par une absence notable de rassemblements. Manque de communication de certains responsables concernés par ce glorieux anniversaire, mais aussi, demeure la mainmise de certaines congrégations et autres affiliations gondolant dans l’image de marque de l’Emir Abdelkader à des fins politico-politiciennes, qui est devenu un véritable registre de commerce honteux, qui n’ont aucun rapport, ni avec l’histoire ni avec la culture.

Dans ce contexte des plus désolants, nous traduirons par le terme : ‘dommage’, quand on sait, que le 26 mai de chaque année, à El Kader, une ville située à l’Iowa au Etat-Unis d’Amérique, célèbre cette commémoration en grande pompe. L’ancien wali de Mascara, M. Ouled Salah Zitouni, dont on salue sa prise de position dans le cadre de ces commémorations ratées a déclaré un jour en ces termes : «L’émir Abdelkader mérite mieux. C’est honteux de voir cette consécration des plus glorifiantes vidée de sa substance humaine !». Effectivement, la personnalité d’un homme à principes, d’un grand leader ayant le sens de l’honneur et de l’engagement, s’épanouira au milieu des atteintes portées tant à la patrie qu’à l’amour propre personnel. N’est-il pas vrai que personne n’est prophète dans son pays !
Manseur Si Mohamed