Ne m’en voulez pas, le rêve est gratuit

Culture

Préambule
Peut-on dire que ce que j’écris dans ce texte est une véritable pièce de théâtre, classique, selon les normes requises dans ce genre de littérature ? Le lecteur sera seul juge. En tout cas, si elle n’en est pas une, j’aurai le mérite d’avoir essayé. Mon intention est de présenter quelque chose qui se tient, sur le plan du contenu, c’est-à-dire du message que je veux transmettre. Mon autre intention est de présenter quelque chose qui arrive à ce même lecteur dans un style accessible, facile à parcourir, afin qu’il ne puisse s’embarrasser de trop d’élocutions pour lesquelles il lui faudrait trimballer une encyclopédie de langue et de grammaire, pour en comprendre le sens et la dimension de cette tragédie qui se joue, hélas, sous nos yeux. Ce serait, de ma part, une marque d’égoïsme et une manifestation de pédanterie, que je ne devrais jamais afficher, eu égard à ce que je souhaite léguer à la jeunesse, surtout.

Mais toutes nos bonnes intentions ne verront le jour que lorsque nous serons épaulés par des responsables d’une autre nature et d’une autre facture… par des responsables qui seront prêts à «composer des phrases complètes» et dire le mot propre et pertinent qui a son influence et sa valeur devant qui de droit. Les nôtres, malheureusement, ceux qui remplissent nos importantes institutions politiques, nous les avons entendus flatter et louanger le «Chef» qui ne les écoutait même pas, au lieu de s’attaquer à l’essentiel. Nous les avons vus en train de s’humilier et de ramper, grossièrement et effrontément, toujours devant ce même Chef, jusqu’à devenir ridicules, alors que la situation des jeunes, et des moins jeunes, affiche des courbes alarmantes dans le palmarès de la dégradation. Nous les avons vus se faire rabrouer comme des va-nu-pieds par ce dernier, publiquement, sans qu’ils ne réagissent hardiment pour laver les humiliations dont ils faisaient l’objet ou, à tout le moins, s’expliquer courageusement devant lui et apporter les éléments nécessaires de justification. Nous avons assisté à toutes ces scènes humiliantes, déshonorantes, que dis-je, difficiles à supporter pour des êtres humains que nous sommes. Nous avons été choqués à leur place, en les voyant baisser la tête devant des attaques véhémentes d’un chef qui aurait dû, lui aussi, se comporter en véritable chef.
Mais ces responsables, houspillés, ne peuvent s’élever contre ces bravades car ils sont là pour accepter tout, y compris les sarcasmes du chef et ses outrages, même en direct, devant les écrans de la télévision. «En effet, fouqna bikoum !». Je reviens maintenant à vous, les bouseux qui avez investi l’espace économique, sociale et même politique de notre pays. Je vous dis, que nous n’oublions pas, dans ce flot de problèmes et de revendications, que vous avez votre chemin, et que nous avons le nôtre. Nous ne sommes pas rancuniers, mais nous sommes certains que vous n’allez pas nous troubler par votre résipiscence, nous vous connaissons assez parce que vous nous avez démontré vos «limites» dans le règlement des problèmes. Donc nous ne pouvons rien attendre de vous, si ce n’est votre silence qui nous permettra de continuer notre chemin qui s’appelle l’avenir… qui s’appelle l’espoir. Car notre chemin n’est pas escarpé, il est droit, il est clair. Dans notre chemin, il y a des étapes, quelques unes très difficiles, nous en convenons, mais nous saurons les dépasser par notre enthousiasme, notre engagement, notre dévouement et notre amour pour le pays.
Parmi ces étapes celle où nous devons établir un diagnostic grâce notamment à une évaluation qui mette à jour les points positifs, les points négatifs, les faiblesses, les failles, les retards et qui nous permettra de recenser toutes nos potentialités. Les résultats de ce diagnostic permettront de tracer, d’une part, les objectifs à atteindre et, d’autre part, de préciser les voies et moyens indispensables à leur réalisation dont en priorité un programme d’investissement humain fondé sur la qualité et l’efficacité des services. Et la meilleure et la plus importante étape est celle où nous nous arrêterons pour goûter les fruits de notre entente et de notre réconciliation, la vraie, pas celle qui a été «idéologisée», car comprise différemment par des dirigeants qui ont des prétentions démesurées, mais surtout contradictoires, en matière d’autorité et de domination et qui travaillent pour des intérêts autres que ceux du peuple. Notre réconciliation est celle qui prend en charge tous les problèmes politiques, économiques et socioculturels et qui gère en permanence une infinité de décalages et de désajustements. Notre réconciliation est celle qui va œuvrer pour l’instauration d’un climat de paix, de justice sociale et de justice tout court, d’égalité des chances et de respect de l’autre. Notre réconciliation est celle où seront bannis les réflexes d’antan, ces mauvais réflexes qui se sont développés à la faveur d’une gestion empirique, voire catastrophique qui ne pouvait s’accommoder de gens sérieux et compétents.
Notre réconciliation est celle qui fait appel à tous les cadres qui s’engagent pour militer concrètement et réellement pour le devenir de leur pays. Notre réconciliation est celle qui trouve la nécessité d’affirmer et de promouvoir des valeurs car la question des valeurs est essentielle. Elle est au cœur de l’évolution de nos sociétés. Les valeurs sont l’expression d’un projet de société, d’une façon de vouloir vivre ensemble. Ce sont les valeurs qui cimentent un groupe social et font la différence entre une foule et une communauté. Ainsi, nous chanterons les louanges de cette réconciliation qui prendra en charge le changement radical des mentalités, qui s’orientera vers un retour définitif à la stabilité sociale et économique et qui débouchera sur une croissance durable et soutenue. Et là, nous pouvons crier à plein poumon, à la face de gens, comme vous, parce que nous vous connaissons trop bien maintenant et savons que vous n’inspirez aucune confiance car vous n’avez jamais produit ce que nous étions en droit d’attendre et n’avez jamais séduit dans votre approche et votre résultat : «Stop à la malhonnêteté, stop à la forfaiture, stop à la discorde et stop à la dégénérescence…

Que vienne la paix, que vienne la cohésion, que vienne la prospérité !» L’artiste l’interrompt et, en une sympathique réplique, tient à lui exprimer ses remerciements et toute l’expression de sa gratitude pour une intervention pareille, digne de grands acteurs qui savent comment convaincre les spectateurs et comment retenir leur souffle, tout en les persuadant de la justesse des propos qu’il leur lance. – Vois-tu, jeune homme, je ne pensais pas te voir présenter une tirade aussi brillante que celle par laquelle tu viens de briller. Je ne croyais pas te voir réussir dans ce climat difficile, où les yeux sont toujours braqués sur les jeunes de ta trempe… ces jeunes qui en veulent et qui, comme toi, se surpassent en engagement et en sincérité. Tu as été merveilleux dans ton analyse, que dis-je, tu as été magique dans le choix de tes expressions qui nous vont tout droit au cœur. Tu as démontré, dans une dialectique cartésienne, par des arguments cohérents et sans fioritures, que les jeunes sont aujourd’hui, comme étaient leurs aînés hier, plus que conscients de leur situation, de même qu’ils sont instruits des problèmes qui les guettent encore et qu’ils se consacrent à les solutionner, parce qu’ils sont responsables de leur avenir. Franchement, c’est encourageant de t’entendre discourir de la sorte.
C’est rassurant de connaître des jeunes comme toi qui réagissent promptement, qui savent défendre les principes et lutter pour un meilleur sort, celui des jeunes de leur génération qui souffrent des manques et de l’inconscience de ceux qui les gouvernent. Enfin, tu viens d’exprimer éloquemment ce que je voulais présenter, en guise de conclusion, à ce monde qui nous a suivi pendant toute la durée de cette pièce. Oui, tu as traduit fidèlement ma pensée, peut-être même celle de nombreux spectateurs ici présents. Je te remercie du fond de mon cœur et souhaite vivement que ce que nous venons de soumettre à l’assistance, tous les intervenants et moi-même, ne sera pas jeté aux oubliettes, mais restera comme un programme d’action pour tous ceux qui possèdent encore cette volonté de vouloir contribuer au changement tant espéré et attendu. Pour terminer, je te dis comme m’a dit quelqu’un de grand, d’honnête et de sincère, après ma dernière prestation : «Tu fais merveille !» A ces mots, le jeune se dirige vers l’artiste, le prend par la main et rejoint le groupe de jeunes, ses amis, les enlace et, tous, entonnent à l’unisson l’hymne national : «Qassamen bi nazilet el mahiquet…». Au même moment, les péquenauds et les «maquignons», accompagnés de leurs fausses blondes, ces maîtresses inintelligentes, incultes et vulgaires, mais enduites de trop de fard, quittent le théâtre, déçus certainement par l’issue de la pièce qu’ils croyaient se terminer à leur avantage. Hélas, les vents ne soufflent pas selon le bon vouloir des bateaux ! Ils sont sortis, têtes baissées et dos courbés, traînant le remords derrière eux.
Il faut dire que la pièce ne les a pas choyés car toute vérité n’est pas bonne à entendre. En effet, parce qu’elle les a ridiculisés, devant un public où abondaient des jeunes qui n’ont pas voulu laisser passer une meilleure occasion, comme celle-ci, pour s’imposer et montrer qu’ils sont conscients devant une situation en détresse et qui nécessite non seulement leur mobilisation générale mais aussi leur contribution permanente et concrète. Les jeunes ont été magnifiques. Ils ont dit ce qui doit être dit par tout le monde au moment où chacun en ressent le besoin, pour le grand bien de tous. Ils ont replacé le rêve dans son contexte naturel… ils lui ont redonné son éclat et sa générosité. Oui, sa générosité, parce que le rêve des jeunes, contrairement au cauchemar des autres, les croulants et les grabataires, est toujours emprunt de clémence, d’altruisme et d’espoir. Dans le rêve des jeunes il y a le message du futur, il y a l’ambition des lendemains meilleurs.
Oui, ces jeunes ont été magnifiques… de plus, ils ont montré que leur ultime sagesse réside dans leur indulgence devant un réel qui s’aggrave et qui provoque la peur des lendemains. Ainsi, leur rêve se termine par une note optimiste, du fait que ce sont eux qui ont décidé de le «reconstruire» en marquant leur participation effective et leur adhésion loyale et franche à la plus importante mission que doit entamer le pays. La fin du rêve est un engagement fidèle de ces jeunes avec leur pays… ces jeunes qui deviennent les faiseurs et les gardiens de leur destin, ces jeunes qui savent choisir les directions à prendre pour arriver au port du bien-être… Enfin, le rêve se termine par l’affirmation des jeunes d’aller «semer les graines de l’amour en prenant soin de dessoucher les mauvaises herbes de la haine et de la violence». Leur chant se mêle aux applaudissements nourris dans la salle. Le rideau se baisse. Il se relève. Il se baisse une deuxième fois et se relève, et là, je fus brusquement réveillé par le muezzin qui appelait, de sa voix rauque, les fidèles à la prière du Fedjr. Quel rêve difficile et beau à la fois ? Mais ce n’est qu’un rêve heureusement qui s’est terminé agréablement pour celui qui comprend les messages et lit entre les lignes ! J’ai sauté de mon lit, en priant Dieu que tout s’accomplisse dans de meilleures conditions et que les malheurs que nous avons connus soient vite oubliés… J’ai fait mes ablutions et me suis remis à prier et implorer Dieu pour que tout aille pour le mieux et le bien de mon peuple.
(Suite et fin)
Par Kamel Bouchama (auteur)