Les a priori des spécialistes du terrain

Programme de construction d’un million de logements

Un programme de construction de 1 million de logements a été récemment soumis par le ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville (MHUV) Kamel Nasri au Conseil des ministres présidé par le président de la République Abdelmadjid Tebboune. En fait, il s’agissait d’une base de travail qui n’a pas laissé insensible les spécialistes de différentes filières de ce secteur.

Etalé de 2020 à 2024, ce programme prévoit «l’intensification de la production de logements tous segments confondus et la livraison à l’horizon 2024 de 1 million de logements». Le communiqué précise que le programme en question doit débuter par une mobilisation et une orientation efficace des ressources financières. Ce qui, pour les spécialistes en question, ne suffirait pas. D’autant plus, affirment plusieurs d’entre-eux, que l’expression «pôle urbain» n’existe pas dans le glossaire officiel des textes d’aménagement. Ce que confirme Rachid Bouguedah, un ingénieur spécialiste de la gestion des villes, de l’urbanisme et de l’habitat. Se présentant avec quarante années d’expérience au MHUV, il reprend à son compte l’adage «quand le bâtiment va, tout va». Il reconnaît, cependant, que cela n’a pas été le cas dans notre pays qui, malgré tous les efforts consentis par l’Etat, n’a pas bénéficié des retombées économiques. Surtout en termes de suivi du mode de financement du logement. Le secteur est resté tributaire de deux facteurs essentiels : la distribution du revenu et les conditions d’occupation du logement. «Ils sont à prendre en considération», argumentent nos interlocuteurs. Ils avancent d’autres aspects à prendre en charge pour prétendre matérialiser le programme de réalisation d’un million de logements.
Il s’agit principalement de la croissance de la population. Selon eux, elle va de pair avec le développement socio-économique du pays et la disponibilité d’un portefeuille foncier de quelques 10.000 hectares. S’y ajoute la prévision d’une densité brute de 100 logements/ha. Ce que partagent plusieurs acteurs de terrains dont Rachid Bouguedah. Cet ingénieur urbaniste précise que pour la réalisation d’un million de logements à travers différentes régions du pays : «Il y a lieu de considérer que l’aménagement de cette superficie globale en voirie primaire et secondaire est à la charge de l’Etat conformément aux décrets 86-01 et 09-305. Elle nécessite également un minimum d’une centaine de mailles principales avec un linéaire de 5 à 7 km pour chacune d’elles». Cette déclaration est reprise par plusieurs autres de ses confrères. Notamment en ce qui concerne l’approche financière du programme, que le même spécialiste des villes estime : «…qu’au-delà du gabarit des voies qui obéit à d’autres règles, le coût de viabilisation serait faramineux». D’où argumente notre interlocuteur la nécessité d’élaborer une instruction technique comportant des abaques définissant la classification et la catégorisation de la voierie. De même qu’elle doit tenir compte de la densité, la topographie du relief et des trois bandes (littoral, Hauts-Plateaux, le Sud).
Ce qui, selon notre même interlocuteur, serait un moyen efficace de rationaliser les dépenses budgétaires. Un moyen qui se transformerait en source d’économie avec la mise en place du Système d’Information Géographique (SIG) et sa généralisation à l’échelle nationale. Les économistes ont prévu d’y intégrer le maximum de communes et des services déconcentrés de l’Etat sur une courte période. Bien encadrée, celle-ci hisserait le niveau d’approche en matière de gestion urbaine et contribuera jusqu’à concurrence de 30% au PIB national. Selon Rachid Bouguedah, quelques initiatives en cours mériteraient beaucoup d’encouragements : «…Elles se déclineraient par un véritable plan national de formation sur des logiciels (Arcgis-QGIS-FME…)». Les a priori des spécialistes du terrain sont nombreux. Ils intègrent la vulnérabilité urbaine des villes. Les malheureuses expériences des inondations générées par les premières pluies sont soulignées. Elles impliquent les inondations, crues, dysfonctionnements des réseaux et autres sinistres auxquels font face les villes à l’échelle nationale.
Et pour cause, il n’y a pas une seule ville qui dispose de plans de recollement actualisé des réseaux ou d’une évaluation de l’influence que représente le changement climatique. «Là aussi, il y a des textes d’application à élaborer et un énorme chantier à entamer», indique Bouguedah qui, comme ses confrères, estime qu’un travail d’équipes pluridisciplinaires doit être envisagé. Il permettra d’encadrer le redimensionnement des ouvrages hydrauliques avec des abaques. Notamment ceux conçus à partir de la reconstitution d’un fichier pluviométrique centennal. L’ancien ingénieur en urbanisme et habitat aujourd’hui à la retraite révèle également que l’économie circulaire n’est pas citée. Pourtant, souligne-t-il, elle est la voie la plus appropriée à même de limiter la consommation foncière (cas des centres d’enfouissement technique), de générer des gains substantiels et de créer des postes d’emploi. Il rappelle que toutes ces données ont fait l’objet d’un atelier animé par une équipe de cadres de différents profils, sur la base d’un volontariat. Ce qui a permis,la conception d’un logiciel de calcul automatique de 254 indicateurs du développement. Y compris ceux liés à la culture durable et leurs certifications ISO. D’ailleurs, un organisme indien exploitant ces données, a déjà mis en service en 2019 un réseau Itech en ligne sur le web.
A. Djabali