L’exil fécond

Culture

Les faits relatés dans ce livre sont inspirés de la réalité vécue. Cependant, toute ressemblance avec des personnages réels, ayant existé ou existant toujours, n’est que pure coïncidence et ne relève point de la volonté de l’auteur. Mais, qui se sent morveux… se mouche !
L’auteur

«La littérature ne saurait se séparer des systèmes idéologiques au sein desquels ou même contre lesquels elle se forme. Elle est engagée malgré elle. Qu’ils le veuillent ou non, les plus farouches partisans de l’art pour l’art expriment encore une vision particulière du monde et de la cité».
William Marx

De quoi est-il question ? La gazelle se trouve préceptrice en même temps que responsable dans un grand établissement d’éducation pour les jeunes de son espèce. Elle le dirige si bien que tous les parents voient en elle une responsable assidue, compétente et pédagogue d’une délicate attention. Tout baigne. Tout marche pour le mieux dans son sanctuaire de l’apprentissage des bonnes manières et de l’éducation. Les résultats sont tels que les disciples se voient en pleine progression et en parfaite harmonie avec les programmes de l’établissement. Malheureusement, il y a toujours quelque chose qui fait grincer la machine. Il y a cet immanquable grain de sable qui ne quitte jamais nos «machines». En effet, une élève pas comme les autres, pour ne pas s’éloigner de certains «usages» qui sévissent encore dans ce monde supposé réservé uniquement à l’acquisition du savoir et à l’amélioration de l’intelligence, s’est distinguée par ses manières méchantes et son caractère exécrable. Cette élève, une petite antilope pourtant assez mignonne, présente un autre visage que celui qui découle de ses traits ô combien trompeurs.
Elle s’en donne à cœur joie pour agacer ses maîtresses et leur rendre la vie difficile. Querelleuse, acariâtre, indisciplinée, insociable et par trop capricieuse, elle affiche ce comportement de gamine mal élevée et insupportable par ailleurs, dans l’établissement et même dans les relations avec sa famille et ses amis. Issue d’une lignée très modeste, ces pauvres «pauvres» qui deviennent riches, très riches par on ne sait quel subterfuge et… très vite comme par miracle, ils baignent dans l’opulence et ne savent rien de la vie des autres sinon qu’ils les voient à travers ce prisme déformant qui ne reflète aucunement la vérité. Tous ceux qui ne sont pas comme eux, ne sont rien. Leur progéniture a vite fait de prendre le pli, d’où ces comportements odieux de la petite antilope. Une sacrée conception de la vie qui lui fait monter l’orgueil au stade extrême et l’empêche de discerner les voies de la raison. Elle n’aime personne, encore moins ceux qui la côtoient tous les jours, ses camarades de classe et notamment ses préceptrices.
L’ambiance avec elle ne peut jamais aller vers l’entraide ni même vers l’entente qui est de rigueur dans pareils regroupements. Une sacrée petite coquine qui donne du fil à retordre à tout le monde. Eh bien, cette petite antilope ne peut rester tranquille, comme les autres qui suivent attentivement les classes et se mettent à niveau tous les jours, en apprenant correctement leurs leçons et en profitant des conseils bénéfiques de leurs enseignantes pour améliorer leurs connaissances. Elle s’immisce même dans la gestion de sa classe, prétendant pouvoir changer l’ordre établi, comme bon lui semble. Malheureusement, de ce comportement terrible sont nés bien des drames par ailleurs, dans cette société d’animaux qui est censée ne pas s’attacher aux services de valets, car les maîtres, les vrais, les généreux en quelque sorte, servent les autres avec ferveur et célérité…

Et c’est de cette conduite néfaste que je veux t’entretenir, me dit la mouche. Alors, elle prend un ton de plus en plus sérieux, et poursuit son exposé. Je sens ce changement dans sa façon de me narrer cette affligeante histoire qui la bouleverse, autant que la gazelle qui la racontait sous le vieux chêne, devant ce prétoire qui lui paraîssait sans âme et sans émotion. Elle continue sur une intonation fort éloquente. Elle me décrit le drame comme si elle l’avait vécu personnellement, dans les détails. Elle me le raconte dans les faits et gestes de la pauvre et innocente gazelle. – Un jour, dame préceptrice de l’établissement, notre charmante gazelle, retourne toute ébranlée à son foyer. Elle est dans une colère telle qu’elle ne peut articuler ses mots. On la voit devant sa porte, complètement confondue, décontenancée. Elle balbutie, elle parle de façon confuse, imparfaite. Elle dit des choses vagues, imperceptibles. Il y a de quoi, dirait celui qui pouvait percer le secret de cette pauvre créature, en proie à de violentes émotions ! Mais pourquoi, ce brusque changement d’humeur ? Pourquoi cette soudaine atmosphère qui la fait basculer d’une bonne nature à un surprenant état d’exaspération ? Tout simplement, parce qu’elle vient de recevoir des réprimandes sévères de la part de ses chefs.
Mais pourquoi, se dit-elle, interloquée, elle qui fait constamment l’impossible pour être à la hauteur et donner le maximum d’elle-même, généreusement et intelligemment ? Elle ne comprend rien à ce changement d’attitude des chefs envers elle. Elle ne peut croire en un «coup de grisou», sachant que tout le monde connaît ses qualités et ses performances dans ce métier de l’éducation et de l’encadrement des jeunes. En fait, elle ne s’imagine nullement la peur et la lâcheté de ceux qui, au lieu de la défendre pour ses mérites reconnus, courbent l’échine devant les plus forts et la noient dans un climat de chicanes, voire d’iniquité. En réalité, elle est loin de penser qu’un jour son destin serait accroché au bon vouloir d’avides prétentieux, affectés par la paranoïa du mal qui devient tellement célèbre qu’elle «pourrait être gravée dans toutes les têtes jusqu’au proverbe martelé». La gazelle se trouve donc en proie à de graves problèmes. Elle n’a jamais cru qu’un jour elle ferait l’objet d’une si lourde et «basse» charge, elle qui est l’exemple de la ponctualité, de l’opiniâtreté et du travail bien fait. Elle n’a pas à l’esprit ces mauvais génies qui ont le don de retourner des situations et les rendre encore plus graves avec leur manque de lucidité et leur raison pernicieuse et abjecte.
Ceux-là, avec leur génie du mal possèdent ce que d’autres ne peuvent s’en flatter : une nuisance démentielle incarnée par une puissance de feu telle que tous ceux qui se découvrent dans leur ligne de mire ne savent comment ils se retrouveront si facilement dans les abîmes du désespoir. Ainsi, me dit-elle, je vais te restituer le dialogue qui s’en est suivi entre la gazelle et son «Chef», le renard, un véritable fagotin. – Vous ne pouvez terminer l’année avec nous, lui intime son supérieur ! Du coup, la gazelle ne savait si elle devait espérer en une bonne mutation, en une avantageuse promotion ou croire carrément à une stupide réprimande. Elle ne savait, en cette fraction de seconde, si elle devait exulter, se lamenter ou bien s’en remettre à son destin, et l’accepter fatalement. Mais, c’était quoi au juste, cette subite réaction à son égard ? – Puis-je savoir pourquoi, lui rétorque-t-elle ? – Eh bien, parce que cette élève ne veut plus vous voir enseigner dans sa classe. Elle dit qu’elle ne peut plus vous supporter et accepter vos manières et, de plus, elle ne tient plus à vous rencontrer. Elle a un sentiment de répulsion à votre égard, et je ne peux lui en vouloir, ni vous dire plus. Par contre, je vous demande gentiment de vous retirer dans les plus brefs délais et de ne plus poser de questions car je ne saurai vous répondre. Votre cas est si embarrassant que je préfère m’abstenir de tout commentaire…
La gazelle n’en revient pas. Elle ne concevait qu’un jour, à cause de disciples sans conscience et sans vertu, elle allait se voir rabrouer par ses chefs. Elle est sommée de quitter un établissement qu’elle a contribué à fonder avec beaucoup d’amour et d’attention. Mais dans son esprit, clair bien sûr, sans aucune malice, elle ne pouvait jamais supposer que de telles pratiques, injustes et cruelles viennent un jour frapper à sa porte pour la mettre dans une situation désespérée compréhensible ! – Voyez-vous, monsieur le «Chef», lui dit-elle respectueusement, dans un doux langage de gazelle, je ne comprends pas pourquoi tant d’acharnement à cause d’une élève indisciplinée qui ne veut pas se soumettre à la bonne règle de l’établissement. Pareil cas ne s’est jamais produit dans d’autres établissements. Car, venir de cette manière congédier une éducatrice, lui intimer l’ordre de quitter son poste, tout simplement parce qu’une élève ne veut plus d’elle, ressemble à de l’incroyable délirant. C’est vraiment surprenant d’entendre des propos pareils, et c’est même inconcevable d’être victime de pratiques invraisemblables, inadmissibles. Son «Chef» n’entend pas cela de cette oreille. Il a raison, d’après lui, pardon il a tous les droits pour la renvoyer comme une vulgaire malpropre.

N’est-il pas souverain, dans son royaume ? Plutôt, n’est-il pas le responsable dans une jungle où tout se traite à coup de perversité et de persécution ? C’est cela le monde de la dépravation. C’est cela le milieu où les pratiques mafieuses l’emportent sur les convenances et la loi. – Dame gazelle, lui réplique le «Chef», vous me voyez obligé de vous demander de quitter immédiatement cet établissement. Tout à l’heure, je vous ai dit qu’il fallait partir sans façon et, puisque vous insistez maintenant, laissez-moi vous préciser qu’il vaut mieux que vous le quittiez très vite parce que cette histoire peut avoir de graves conséquences sur vous, sur votre carrière et même sur vos parents. – Mais ce n’est pas vrai… ce que je viens d’entendre ! Ce n’est pas vrai ! C’est proprement scandaleux ! Doit-on fléchir devant une petite pimbêche et ne pas respecter une préceptrice qui consacre sa vie à éduquer, à encadrer, à donner le meilleur d’elle-même pour faire des jeunes générations de bonnes semences pour le futur ? Doit-on me congédier de cette façon, comme un répugnant animal pour faire plaisir à celle qui ne fait que semer le trouble et le désordre là où elle doit se comporter convenablement comme une élève exemplaire ? Triste ironie du sort que celui d’un encadrement qui souffre de manque de compréhension et de protection ! Après ce dialogue de sourds, que la raison ne peut assimiler, la gazelle reste toute seule, chez elle, en train de cogiter quelque chose qui puisse la faire sortir de ce pétrin.
Mais quoi, au juste ? Ce n’est pas une férue de complots, et elle ne s’emploie nullement aux ruses et aux stratagèmes d’intrigants et de faiseurs de problèmes. Elle ne connaît rien de ce climat débilitant et de ces pratiques récurrentes qui s’intensifient dans une jungle qui ne cesse de produire des groupes de cet acabit. Mais elle doit régler son problème, comme le fait tout le monde dans des cas pareils. Rester dans cette situation n’est pas commode, ne pas bouger non plus signifie un signe d’impuissance si ce n’est un consentement et un agrément de son sort. Il faut réagir, se marmonne-t-elle. Il faut secouer le cocotier et faire œuvre utile en dénonçant l’absurde et l’aberrant tout en allant vers la salubrité des lieux et des personnes. Elle est convaincue que c’est la seule solution qui lui reste. Elle doit en faire bon usage et taper là où il faut. Elle prend son courage à deux mains et va voir le tigre, cet autre seigneur de la jungle, un fauve fort, robuste et cruel à la fois.
Elle l’avait connu en d’autres circonstances, plus calmes et plus favorables. La jungle pullule d’animaux de ce genre, des animaux sauvages en même temps que généreux. D’ailleurs elle ne serait pas jungle – au sens propre et figuré –, désignant cet espace inhumain où règne la loi du plus fort, s’il n’y avait pas de bêtes pareilles. En tout cas, le courant passe si bien avec cet animal dont la férocité ne lui enlève rien de sa dimension de noblesse, de justice et d’impartialité. Et là, dans cette situation, elle n’hésite pas à aller lui rendre visite vers sa tanière, quelque part dans la brousse. Elle marche longtemps, sans désemparer, poussée par ce désir d’arriver à convaincre celui qui peut lui venir en aide et réparer une injustice dont elle est la victime expiatoire. La gazelle ne veut pas être le souffre-douleur de certains dans cette sacrée machination qui a pris naissance à partir d’enchevêtrement de faits malsains et affligeants. Mais au fait, a-t-elle besoin de connaître tant de surprises pour se retrouver dans des dispositions confuses et angoissantes ? Ne sait-elle pas que dans la jungle, on subit jusqu’au bout son destin ?

En tout cas cette intervention devient nécessaire et la gazelle sait qu’en dépit de tout, quarante minutes de bonnes recommandations valent mieux que quarante années de bons et loyaux services. Donc, comment ne pas profiter, puisque un mot du seigneur le tigre vaut mieux que tout un discours pour convaincre son chef, le renard, de son dévouement et de sa loyauté envers son métier. Une fois devant le tigre, elle s’explique convenablement. Ce dernier, aussi majestueux et calme que le sphinx, l’écoute attentivement. La gazelle n’a aucune peine à le persuader d’embrasser sa juste cause, au demeurant tellement évidente ! Le tigre n’a aucune velléité, aucun sentiment hostile vis-à-vis de cette pauvre innocente. En d’autres circonstances, dans un excès de famine, peut être, il l’aurait bouffée en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Mais là, aujourd’hui il est d’une conduite exemplaire. A-t-elle suscité sa pitié ? Ou est-il, tout simplement, sensibilisé par cette sacrée histoire qu’il souhaite freiner dans son ascension vers la gravité et éviter qu’elle fasse beaucoup de dégâts dans un milieu déjà corrompu par tant d’abus et d’iniquité ? En tout cas, il est rapide dans sa réaction… la rapidité d’un noble et auguste félin, me diras-tu.
Il fait appel à son jeune tigron, l’hybride de sa progéniture et lui commande de partir immédiatement chez le renard, ce canidé chef de la circonscription qui a en charge le domaine de l’éducation des animaux. Un genre de ministre chez les humains que vous êtes. C’est dire que dans la jungle, il existe aussi une certaine forme de gouvernement qui astreint l’ensemble de la faune à respecter une réglementation, quelquefois vigoureuse. Eh oui, même dans la jungle, il existe cette administration au pouvoir illimité, dirigée par des «Chefs» souvent inamovibles comme celui qui «se distingue» dans cette histoire ! Mais le roi, qui persiste à ignorer l’existence du malaise qui sévit dans sa jungle, peut-il comprendre la détresse dont souffrent ses sujets de par des exactions de nombreux «roitelets» ? Sait-il encore qu’ils portent en eux les marques indélébiles de l’absolutisme de ces derniers et de leur cruauté ? Le tigron a pour mission de signifier au «roitelet» le renard ou Fagotin selon la fable – avec une extrême véhémence – de revenir sur sa décision et de présenter ses excuses à la belle gazelle qui éprouve de la frustration à cause d’une accusation sans fondement et de plus, ignoble et gratuite. Le tigre, le père, est scandalisé par cette mesure, lui communique-t-il.
Ainsi, cette fois-ci, ce n’est pas la grâce et l’élégance de la gazelle qui militent en sa faveur pour une bonne intervention de ce protecteur, c’est plutôt les principes de justice qui font que ce dernier entreprenne cette action juste et radicale. Le tigre privilégie en ce sens l’exercice du droit et sa mise en exergue auprès de ceux qui perdent le contrôle de leur pouvoir et profitent de leur responsabilité pour bafouer l’honneur de leurs subordonnés… Tout cela s’effectue au détriment de la morale. Quelle bassesse et quel scandale ! On gagnerait, comme disait un sage de la jungle, à prendre conscience de l’importance et de la difficulté à faire passer les expériences heureuses et malheureuses des générations passées pour éviter, de nouveau, aux jeunes générations ardentes et assoiffées les pièges et les illusions qui risquent de continuer à entraver ou briser leurs espoirs. Alors, une fois devant le «fagotin», le tigron, tout fier de conduire une exceptionnelle mission que celle de défendre une pauvre bête, douce et raffinée, n’a aucune gêne à faire parvenir en termes clairs, comprenons avec fougue, à son interlocuteur les ordres de son père, accompagnés de toute son indignation et de sa colère à cause de ces pratiques pernicieuses.
– Mon père m’envoie vers vous pour vous sommer de surseoir à votre décision contre la gazelle. Il vous ordonne de ne plus prendre pareille décision à l’encontre de pauvres animaux travailleurs, dociles et avenants. Il me charge de vous transmettre également toute sa colère de vous savoir trop faible devant quelques disciples, «rejetons» de nouveaux notables, qui font la loi dans un établissement supposé être le sanctuaire de la connaissance, du rapprochement et de la confiance. Est-il possible, vous demande-t-il, qu’une petite antilope mal éduquée fasse la loi au détriment de la morale et demande de sanctionner la perceptrice de l’établissement où elle se trouve en tant qu’élève, tout simplement, parce qu’elle ne l’aime pas ? Mon père vous transmet enfin son souhait de vous voir vous démarquer résolument de ces pratiques basées sur la démesure et qui visent à conserver des pouvoirs de domination et de répression. – C’est bon, j’ai compris, rétorque le fagotin. Je vais immédiatement revoir ma décision en envoyant un messager à dame gazelle. Dites à votre père, le tigre, que je respecte énormément, que je ne referai plus jamais cette bêtise.

Je m’en excuse très humblement auprès de lui. Cette mission que vient d’accomplir le tigron est donc un succès. Fagotin ayant bien saisi le message, envoie une estafette à la gazelle. Il s’agit du chien de service, un genre d’intermédiaire entre les animaux du secteur qui est là, lui aussi dans le décor, pour satisfaire aux besoins de ses maîtres en pareilles circonstances. En réalité, il l’utilise pour les basses besognes, comme toutes les bêtes de son espèce. Il le briffe correctement et lui recommande d’être très courtois avec la gazelle tout en l’assurant qu’il n’existe aucun différent entre eux et qu’il peut la laisser indéfiniment à son poste, s’il n’y avait cette nécessité de la voir ailleurs dans une mission plus grande, plus importante.
– De ce fait, dit-il au chien, il faut lui expliquer, avant de lui remettre en mains propres sa nouvelle nomination, ce qu’elle n’a pas compris à travers ma décision de la relever de ce poste. Avant ce jour, j’ai pensé à elle pour une autre responsabilité plus importante. Je voulais la laisser quelques temps au repos avant de la lui signifier. Ce n’était point une sanction. Absolument pas ! Elle reste pour moi une excellente perceptrice et une grande dame. Quel retournement de situation, disons-nous lorsqu’on entend des propos pareils ! Quel coup de théâtre ! C’est triste, vraiment triste, de vivre ces moments, pleins de rebondissements. Comment, en l’espace d’une «gaillarde» intervention, tout a changé, tout a basculé au profit de la pauvre gazelle qui, quelques temps auparavant, était victime de l’arbitraire et ne savait pas où donner de la tête ? Oui, c’est cela l’ignominie de ceux qui s’emploient au jeu de la marginalisation de cadres et qui, par ailleurs, «baissent le froc» devant de plus grands «Chefs», surtout ceux qui savent utiliser leur fermeté et se faire respecter.
C’est alors que changer facilement de fusil d’épaule devient la spécialité de ces couards infiniment obséquieux. Cela reflète, comme disait avec désappointement quelqu’un dans cette jungle, que rien n’est facile dans une contrée où l’anomie est une culture bien ancrée, le passe-droit, une routine banalisée et la verticalité, l’aune bien assimilée. Et c’est ainsi que le chien messager s’adresse à la gazelle, au cours de cette importante entrevue, dans un style des grands jours, avec le verbe qu’il faut et les manières qui s’imposent. Il met tout son poids, sa verve et, bien entendu, son éloquence pour ne pas dire sa duplicité pour la convaincre et la réconforter : – Vous n’avez pas été sanctionnée dame gazelle, je vous l’affirme solennellement.
Vous avez mal compris la décision de notre Chef quand il vous sollicitait de quitter l’établissement. C’est vrai que la petite antilope, d’ailleurs turbulente et mal élevée, a maladroitement exprimé son désir de ne plus vous contacter. Elle a même poussé le bouchon jusqu’à exiger de vous voir partir. Mais votre humble serviteur le renard envisage autrement votre avenir dans notre secteur. Il veut tout simplement vous voir accéder, par une importante promotion que voici, à une haute responsabilité qui vous fait honneur et vous place à un rang qui n’est dû qu’à votre travail et à votre sacrifice. Notre Chef apprécie les travailleurs comme vous et sait de quelle manière il se doit de les récompenser.
Comment pourrait-il, vous sachant la protégée de Monseigneur le tigre, vous faire une telle crasse ? Jamais, vraiment jamais, il ne pourra s’aviser à vous faire la moindre contrariété. Est-il devenu stupide, tout d’un coup, pour aller dans le sens du désir d’une élève, même si elle est la fille d’un grand ponte, et jouer son avenir en ne sachant choisir ses alliés et, bien entendu… en ne sachant pas se mettre à l’abri de ces grands «coups» qu’il peut recevoir sur la tête ? Son excellence, le chef de secteur, vous nomme dame gazelle, à partir de ce jour, responsable de tous les établissements d’éducation de notre région et vous souhaite plus de distinction et de réussite dans votre mission ô combien noble. Je vous remets, à cette occasion, le titre qui vous désigne à ce poste supérieur avec les compliments de la communauté et de l’ensemble des cadres de notre secteur. Nous savons, quant à nous, que vous allez faire bon usage de cette nouvelle nomination qui nous donnera, sans conteste, de grandes satisfactions dans le proche avenir. Toutes nos félicitations et bon courage. La gazelle n’en revient pas.
Elle est là, muette de stupeur devant le chien sûr de son effet. Elle ne sait quoi dire. Parce que dans une situation comme celle-ci, il n’y a que le silence qui l’emporte, faute de ne pouvoir s’épancher devant des inepties de ce genre et aller au devant d’explications sans aucune importance, car rendues caduques par ce qu’elle vient d’apprendre du compendium d’hypocrisie et de machiavélisme. Du même coup, elle se retrouve chargée d’une grande responsabilité, à laquelle peu d’animaux de son espèce peuvent espérer un jour y accéder. Du jour au lendemain et, disons-le carrément, par la grâce d’un soutien très fort – ce qui équivaut au «piston» chez les êtres humains – elle reconquiert son territoire et même plus, puisqu’elle va s’approprier pour les diriger, les autres établissements de la région, pas uniquement celui d’où elle venait d’être chassée… «momentanément».
Une grande responsabilité, assurément, mais la gazelle est compétente, plus compétente que ceux qui ont essayé de lui faire goûter cette affreuse politique de l’exclusion et de la marginalisation. Elle a, en effet, les capacités pour assumer cette mission. Cependant, elle ne peut cacher son amertume sur la circonstance qui l’a amenée jusque là. Elle sait qu’elle aurait dû l’avoir, bien avant ce jour, si son plan de carrière avait été respecté par sa hiérarchie. Elle l’aurait appréciée sûrement, avec plus de plaisir et de spontanéité, tout naturellement, au lieu de l’arracher après avoir connu cette mésaventure et cet esprit de haine qui font que rien ne peut pousser correctement dans la vie tant que le choix, pour des intérêts occultes, est toujours porté sur les médiocres. De cela aussi, elle sait que des dosages incertains font que la gérance de la jungle s’inscrit dans des logiques qui sèment, qui germent et favorisent toutes les déviances, à tous les niveaux. Mais… cependant…

Début de fin de mission pour la gazelle
La gazelle assume sa nouvelle responsabilité pendant longtemps. En tout cas jusqu’au jour où elle commence à déranger par ses excellents résultats et ses positions on ne peut plus sérieuses. Eh oui, elle dérange plus d’un et plus d’une structure dans la même institution ! Parce que, par ailleurs, dans les autres districts de la jungle, rien ne va pour le mieux. Le rendement est faible partout, c’est-à-dire qu’il a la caractéristique d’être identique dans tous les établissements et qu’il fait le consensus de médiocrité et de débilité chez tous les animaux. Ainsi, pour ne pas attirer l’attention du roi qui constatera certainement la différence entre les régions, au vu de résultats réels, visibles à l’œil nu sur le terrain, la gazelle doit «déguerpir» de ce poste pour ne pas éveiller des soupçons. Elle est mutée dans une autre jungle en dehors du continent pour soi-disant superviser, eu égard à ses compétences et sa grande valeur professionnelles, la communauté des jeunes ressortissants gazelles et antilopes qui se trouvent, à cause de parents émigrés, dans ces espaces étrangers lointains. Le même chien lui est dépêché par le renard.
Il est porteur à nouveau d’un autre message clair que la gazelle ne manquera pas de décrypter cette forme de «promotion importante» et l’esprit de «confiance aveugle», dans le contenu de sa nouvelle mission auprès de notre émigration – appelons-la comme cela – dans une autre jungle. – Dame gazelle, encore une fois, son excellence le renard, responsable du secteur de l’éducation, me dépêche auprès de vous pour vous expliquer l’importante mission qui sera la vôtre d’ici peu, dans le nouveau poste auquel vous êtes affectée. Il n’y a pas l’ombre d’un doute que vous allez faire plus qu’il n’en faut, comme lorsque vous étiez en charge de tous les établissements de cette académie, dans notre jungle.
D’ailleurs, connaissant votre assiduité, votre engagement et votre dévouement au travail, il sait que tout se passera très bien et que des résultats positifs concrets couronneront vos efforts et votre sacrifice au service de nos enfants expatriés. Ne sont-ils pas une partie intégrante de notre peuple qui, de par sa situation hors de la patrie, bénéficie de la grande sollicitude de sa majesté le roi ? – Je vous écoute avec plaisir, répond la gazelle, mais non sans ce petit regret de quitter mon environnement et mon travail pour lesquels je me suis investie totalement. Cependant, il est certain que cette promotion, décidée par notre responsable, le renard de ces bois, m’agrée autant qu’elle m’exhorte à me consacrer encore davantage au labeur, loin de ma jungle, dans un autre environnement, tout à fait nouveau pour moi. Vous me voyez très satisfaite car, franchement, j’espérais terminer ma carrière de cette manière en me frottant à d’autres expériences, dans un autre espace, où le monde est certainement plein de curiosités à découvrir dans un climat serein, peut-être plus incitateur au rendement.
– Vous voyez bien que notre Chef pense toujours à vous, rétorque le chien, jubilant secrètement pour le résultat, d’une facilité inespérée, de sa mission. Il vous a préféré personnellement pour cette haute fonction à l’étranger parce qu’il sait que vous représenterez la meilleure image de notre jungle. N’est-ce pas là une preuve d’affection et de considération en même temps qu’une bonne occasion qui vous fera bénéficier de tant de choses sur le plan personnel et que d’aucuns, parmi vos collègues, feraient certainement l’impossible pour pouvoir en bénéficier à votre place ? N’est-ce pas bien de changer d’horizon et n’est-ce pas délassant de travailler dans un environnement différent, dans une autre jungle où les animaux, dit-on, sont bien valorisés, mieux rémunérés pour le travail qu’ils fournissent et mieux protégés dans leurs libertés ? Vraiment, je ne vois pas comment peut-on mieux remercier ceux qui font convenablement leur travail, si ce n’est de cette manière élégante et bien plus, reconnaissante ? – Il n’y a que du bien dans cette mutation, je l’avoue, et je vous prie de bien vouloir transmettre à son excellence le renard que je suis entièrement disposée à faire plus, pour que les jeunes, ceux que je vais rejoindre là-bas, soient aussi performants que ceux de leur jungle d’origine. Je m’efforcerai de leur inculquer les bonnes manières de chez nous, ces manières qui font de nos disciples les meilleurs de toutes les régions. Enfin, je ferai le maximum pour leur rendre l’école accueillante et la vie plus agréable.
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)