Réflexions constituantes, du souverain et de l’exécutif (VI)

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Le débat sur la place de l’exécutif dans l’équilibre des pouvoirs a quelque chose de malsain. Il est plombé par deux influences de la dissolution de souveraineté qui se nourrissent l’une l’autre. Une première opinion, sous le prétexte de réaliser une révision constitutionnelle de la perfection dans ses aspects juridiques et législatifs, cherche derrière une préoccupation faussement ingénue, à promouvoir une démocratie dont même les Grecs en débats philosophiques sur le Parthénon n’osaient pas rêver. Une seconde opinion, s’appuyant sur un sentiment anti autoritaire nourri par les déviances bureaucratiques rentières dont nous avons souffert tant d’années, se dit préoccupée par le manque de limitation des prérogatives présidentielles alors qu’en réalité, elle cherche à amoindrir l’efficience du rendement de l’Etat-National. Ces deux tendances s’autoalimentent en réfutations d’un processus de révision constitutionnelle qu’elles cherchent à frapper du sceau de l’obsolescence en argumentations d’un agenda qui prend sa naissance dans la mondialisation offerte sur un plateau d’argent par le constitutionalisme inspiré des révolutions françaises et américaines. Aussi, les discussions prennent une tournure politicienne, d’habiletés manœuvrières plus que de défense sincère de principes qui ne peuvent se concrétiser car elles s’expriment en dehors d’un « compromis historique » dont le sens profond échappe à ses protagonistes. Tout le problème vient du fait, que les dynamiques de séparation à l’œuvre dans la société, s’expriment certes en immédiatetés de contradictions d’elles-mêmes mais surtout en luttes de longue tradition – remontant à la Reconquista Espagnole, donnant en 1492, le départ d’une cristallisation nationale au Maghreb qui débouche en 1962 sur la naissance de l’Etat-National et ne s’achève en embryogenèse de la société que le 22 février 2019 – d’universalismes en compétition renouvelée des catégories non miscibles du droit et de l’éthique.

La chute de Grenade le 2 janvier 1492, suite à un recul inexorable de l’influence andalouse, déjà en dissidence dès la dynastie Omeyade, porte en elle la séparation de l’Eglise et de l’Etat, accélérée par la découverte des immensités américaines et de ses promesses aurifères. Bien sûr la Reconquista trouve son inspiration dans l’octroi en 1063 par le Pape Alexandre II d’une indulgence – une rémission des péchés devant Dieu – toute particulière à ceux qui iraient reconquérir l’Espagne alors sous domination musulmane. En se posant comme ordonnateur du ciel, l’Eglise ouvre une brèche aux forces matérielles prosaïques qui, en goûtant aux fruits défendus par la morale chrétienne des aisances de ce bas monde, initie la compétition entre l’Eglise et les monarchies, pour déboucher sur leur séparation progressive en chemins de conscience, dont la chute de Grenade n’est en réalité que le point de départ, alors que la sanction finale de cette divergence majeure viendra en apposition au traité de Westphalie en 1648, victoire suprême des Rois de la terre sur le Seigneur du ciel. Emportée par l’élan américain de Christophe Colomb, déclarant Terra Incognita, les «Indes du Nouveau Monde», la Reconquista ambitionne de transformer en «Terra Christiana» les rivages nord-africains.
Le colonialisme, quatre siècles plus tard, en sera l’incarnation. Et c’est en défense de la foi de l’Islam, dont nous avons expliqué dans un article précédent aussi bien les prémices spirituelles et philosophiques que son intégrité universaliste, qu’est levé l’étendard vert de l’Islam, au-dessus des Etats barbaresques de Tanger à Tripoli, accouchant sous le choc de la perte de la magnificence intellectuelle et culturelle andalouse, véritable Athènes d’occident perdue, une résistance en légitime sauvegarde d’autant de Spartes musulmanes assiégées dont le brillant témoin des forces à l’œuvre, Ibn Khaldoun, laissera à la prospérité la vision la plus acérée. Autour des oriflammes des «Islam» différenciés, Constantinople bat le rappel des troupes, de Jérusalem à La Mecque, de Damas au Caire, en résonnance des tambours de l’unification des rangs sous le seul drapeau du Prophète (QSSSL).
Les Etats barbaresques arabo-berbères accueillent essentiellement des Turcs, Maltais, Madrilènes, Italiens, Irakiens, Syriens, Perses mais aussi Danois, Islandais, Allemands, esclaves chrétiens, issus des exploits de la course en Méditerranée et dont une partie rejoint l’Islam pour échapper aux griffes de l’Inquisition soupçonneuse, ravageant toute l’Europe dans un effort désespéré de retenir le monde profane qu’elle enfante. C’est de cet effort de guerre en légitime protection que naît la Nation, dans une posture de cimeterre haut, donnant la primauté à la mobilisation militaire – un débat qui est sorti de son contexte historique par les soummamiste au profit d’une vision néocoloniale de court terme – dans un sursaut de cristallisation des forces populaires marqué indélébilement par les coups de canon d’une chrétienté triomphante de ses intégrations technologiques, prolongées puissamment par l’invention de l’imprimerie en 1450 en annonciation de ses hégémonies culturelles en expansion et dont internet prend aujourd’hui le relais.

L’Islam en invention de la Nation
Aussi à la fin du XVIIIème siècle, épuisé de tant d’efforts, l’Islam consent à inventer pour sa protection, la Nation, dans une première régression déchirante de son aspiration immaculée à l’élévation universelle et dont l’Emir Abdelkader en disciple fidèle d’Ibn El Arabi donnera une expression vertueuse en un Etat premier de la matérialisation d’une fibre nationale qui concède le terrain à l’ennemi qu’en vertu de sa soumission totale à Dieu, jusqu’à l’abandon de l’âme au Très Haut. C’est ainsi qu’il faut comprendre le sens profond de la reddition pour ainsi dire corporelle de l’Emir Abdelkader le 23 décembre 1847 face à 110.000 soldats qui malgré tous leurs efforts ne réussirent pas à abattre la religion «mahométane», de la tolérance inclusive des autres croyances monothéistes, alors que les valeurs morales de notre foi brillaient de tout leurs éclats en sauvant des milliers de chrétiens à Damas, à la stupéfaction d’un Occident découvrant sans toutefois en prendre la pleine mesure la supériorité de l’éthique en Islam qu’aucun droit ne saurait jamais égaler.
C’est le souvenir de cette supériorité en humanité qui traversa de sa fulgurance l’Etat en résistance de la Smala d’Abdelkader Ibn Mohiédine, qui imprègnera les révolutionnaires de 1954, lorsque fort de la réalité vivace de leur Nation, en posture de sauvegarde comme leurs devanciers, décidèrent de renouer avec sa réalisation conceptuelle souveraine par une proclamation écrite, sans jamais confondre le colonialisme en tant que régression en chrétienté et le peuple français en raison de la leçon en éthique qu’avait infligé un siècle plus tôt, à Damas, le combattant de la foi soufi aussi bien au christianisme triomphant qu’ à l’islamisme décadent.
C’est ce que nous dira à sa manière, Kateb Yacine dans un petit opuscule (Abdelkader et l’indépendance algérienne) dont la finesse de la spiritualité reflète parfaitement l’esprit en éveil de la Nation qui animait nos Chouhada. C’est parce que la conscience nationale, née du fracas de la débandade de Grenade a précédé le colonialisme, que la génération de Novembre a puisé le souvenir de son interprétation étatiste kadérienne, pour, finalement, la porter sur leurs épaules le 6 juillet 1966, lorsque fut rapatriée la dépouille du grand homme, au milieu de l’allégresse et de l’émotion populaire. Ce jour-là, l’Etat, réduit à sa dimension exécutive en affirmation concentrée de sa souveraineté fraîchement retrouvée, s’est incliné devant son père historique. L’Etat-National naissait en filiation de fidélité à son histoire authentique de grande civilisation.

Et Dieu créa la Société
Octobre 1988 marqua le terme de l’expansion étatique unilatérale pour faire place à des expressions politiques plurielles émasculées de leurs soubassements civils et culturels. Si la Nation procéda d’une déchirure lente de la civilisation islamique andalouse en déclin, l’Etat se développa à partir de la haute valeur morale qu’il se faisait de sa religion, en interprétation originale de l’Emir Abdelkader. Mais la société mis plus longtemps à éclore, comme en manque de liquide amniotique que la multiplication des mosquées et le souffle de l’Islam populaire se chargera d’apporter, en sustension accélérée et dramatique d’une décennie noire de la souffrance collective, d’éléments culturels constitutifs de sa délivrance. Le 22 févriers 2019 rentre alors sur la scène d’une épopée, prise en son sens premier où la poésie du Coran s’entremêle aux actions populaires décisives après la prière du vendredi, en recherche permanente du sens de Dieu, dans les rues de toute la Nation. En réalité, il s’agit de célébrer dans les rues du «Hirak béni», les retrouvailles d’avec nous-mêmes en révélations de nos pressentiments enfouis depuis des temps d’avant la nuit coloniale, en expérimentations émues des rapports enfin accomplis entre Nation, Etat et Société, venus dans cet ordre des choses pour nous signifier le sens profond de nos dynamiques identitaires socio-anthropologiques.
C’est ce qui est reflété dans la Constitution qui affirme dans l’ordre des valeurs qui la traversent, l’Islam comme substrat naturel de la Nation, l’Etat et l’efficacité de ses ordonnancements organisationnels alors que désormais vient le temps des droits populaires dans leurs dimensions judiciaires et législatifs. C’est de cette très longue intériorisation de soi, en empilements sédimentaires d’ordre géologiques que provient la conviction solide érigée en quasi tabou contre la violation de la souveraineté de pays tiers, surtout lorsqu’ils sont voisins. Il faut donc une sacrée dose de déstructuration culturelle (d’aliénation dirait la philosophie) pour affirmer que les amendements portés à l’article 31 de la Constitution en cours d’élaboration contreviennent à une attitude contenue depuis des siècles en urgences de la survie, faisant de l’Algérie, un miraculé d’entre les Nations encore vivantes. Ce contre-sens historique n’est cependant pas innocent tant ceux qui furent à l’origine de nos malheurs, sont ceux-là même qui, aujourd’hui, cherchent par des médiations culturelles en rapport avec les curiosités traîtresses de l’histoire, à nous faire croire que la défense de l’Algérie, devrait se réduire à la renonciation de nos frères maghrébins ayant eu une trajectoire dans le malheur qui ressemble fortement à la nôtre et dont nous pouvons témoigner aujourd’hui, en raison de notre instinct de survie exceptionnel.
Le 22 février 2019 propulse l’ANP dans une position de vigilance solidaire car ce qui est posé en filigrane est l’intrication de notre propre sécurité prise dans sa continuité historique et pas seulement nationale ou sociale, dans un espace imaginaire qui renoue avec l’intimité maghrébine, nourricière d’Andalousie de modernités d’une part et l’assurance d’une posture militaire non plus sous pression de la mondialisation mais en encadrement organique des institutions légitimes de la Nation. C’est cette même logique d’interconnexions entre nos institutions, à l’image de lames d’acier renforçant le béton, que nous aurions souhaité voir à l’œuvre dans l’article 95, alinéa 13 où il est spécifié que le président de la République «conclut et ratifie les traités internationaux».
Nous préférons que ces derniers soient également soumis à l’approbation de l’Assemblée Nationale pour ne plus se retrouver face à un Président faible devant les pressions internationales, biffant d’un seul trait de plume des dettes par milliards de dollars aux Etats africains, nous privant du même coup d’une marge de manœuvre diplomatique importante, pour ouvrir des couloirs d’influence au sionisme internationalisé. Il est rare qu’une Nation soit à ce point en symbiose d’une élévation spirituelle lui donnant une force peu commune. Nous nous en donnons comme explication – nous n’en avons pas trouvé de meilleure pour l’instant – une «praxis» collective à la Nation, à l’Etat et à la Société en congratulations de retrouvailles, imprégnée de valeurs et principes islamiques premiers, miraculeusement cultivés, en structurations constantes d’évolutions tout aussi fécondes que mystérieuses.
(Suite et fin)
Brazi