L’exil fécond

Culture

Les faits relatés dans ce livre sont inspirés de la réalité vécue. Cependant, toute ressemblance avec des personnages réels, ayant existé ou existant toujours, n’est que pure coïncidence et ne relève point de la volonté de l’auteur. Mais, qui se sent morveux… se mouche !
L’auteur

La gazelle est au fond d’elle-même, contente de partir ailleurs, dans un autre monde jusque-là inconnu. Pour elle, les supérieurs qui sont revenus à de meilleurs sentiments font tout pour s’amender et lui assurer un bel avenir. Elle croit en cela et affirme, sans l’ombre d’un doute, que les jours à venir, ils peuvent encore lui donner plus d’importance et d’égard. Elle est arrivée à ses fins, et les responsables n’osent plus rien contre elle, du moins ce dont elle est persuadée. Dommage qu’elle oublie de sitôt que son premier maintien dans son établissement et sa promotion dans le circuit procèdent de cette «énergique intervention» d’un ponte du système… le tigre. Une intervention fondamentale et déterminante pour des lendemains meilleurs dans une jungle qui ne perd rien de ses «origines» et de ses «usages». En principe, elle se doit de se souvenir de cette intrigue dont elle a été victime et avoir l’œil constamment ouvert pour ne pas connaître encore d’autres surprises. C’est ainsi que me conte la mouche ses premières impressions concernant cette principale histoire dont l’héroïne, ou la victime, n’est autre que la belle gazelle. La petite bestiole fait des prouesses pour me rapporter, dans les moindres détails, les circonstances difficiles qu’a connues la gazelle, tout au long de son mandat. Je perçois dans le timbre de sa voix une sorte de passion et je discerne comme une hargne à l’encontre de ces nombreux détracteurs qui nous submergent et qui veulent nous contraindre à être comme eux : adopter la mauvaise foi et la tromperie permanente, en guise de mode de vie. Et elle continue… – La gazelle, cher monsieur, me confie-t-elle, a du bon temps là où elle se trouve.
Elle a d’agréables occasions pour visiter les beaux sites de sa nouvelle jungle. Elle est entourée d’une grande affection par son nouvel entourage professionnel et sa hiérarchie. Elle est convaincue d’être prémunie contre toute atteinte à sa position. Elle est sûre enfin, de ne jamais plus avoir d’embarras et de tourments tant qu’elle se trouve loin des yeux, loin de chez elle où les «appétits» se font de plus en plus féroces. Mais hélas ! voilà que le tigre trépasse au moment où elle ne s’y attendait pas du tout. Une bien triste nouvelle pour cette douce gazelle qui entretenait des relations fort amicales avec ce fauve qui, malgré tout ce qu’on dit du comportement de cette espèce, peut avoir des sentiments nobles et percevoir les complaintes d’animaux d’autre race et les soutenir dans leurs justes démarches. Ainsi, le tigre disparaît, au moment où la gazelle a encore tant besoin de réconfort et de soutien. Elle se sent orpheline, sans «mentor» et sans confident. Elle ne sait à qui s’adresser en cas de pépin, en l’absence de celui qui, en une injonction ferme et sans réticence, lui a rendu son sourire et sa dignité. Et, tout en appréhendant quelques mauvaises surprises, la gazelle, dans son chagrin, s’en remet à Dieu, dans l’espoir de n’avoir plus de tourments et d’ennuis dans ce qui lui reste de sa carrière d’éducatrice. L’espoir fait vivre se dit-elle. Et cet espoir n’est qu’un rêve auquel elle s’accroche, avec peu de conviction, puisqu’elle sait que sans appui elle n’aura plus de poids et de vigueur, en cas de pépin, comme avant, car n’ayant plus de solide protection.
Elle n’aura plus de considération, certainement, car c’est ainsi que la jungle fonctionne. Et c’est alors que son espoir devient quelque peu fugace, sans certitude pour un avenir devenu progressivement hypothétique. Elle a tout le temps pour réfléchir en cette période qui suit le deuil. Elle doit justement s’assurer de ne rien laisser en suspens qui puisse susciter le ressentiment à son égard et lui causer des difficultés. Mais connaissant la jungle, va-t-elle donc subir ce retour de manivelle comme il est prescrit dans le registre des représailles connues dans ce monde infernal et impitoyable, en pareil cas ? Va-t-elle endurer les épreuves de ses aînés qui, comme elle et pour rester debout, ont eu à solliciter de solides soutiens ? En effet, le tigre décédé, la gazelle ne sert plus à rien dans l’échiquier de son secteur, et le renard – redevenu «fagotin», dans le vrai sens du terme – n’aura plus cette hantise d’être sermonné un jour à cause d’elle. Il n’y a aucune gêne, et il n’existe désormais plus de barrière entre lui, responsable incontesté dans le domaine de l’éducation, et sa subordonnée, dépourvue désormais de cet auspice accueillant. Qui l’en empêcherait s’il voulait actionner son génie malfaisant et étaler sa performance dans la rétorsion, voire dans la perfidie et la malveillance? La gazelle flaire ces humeurs qui sont là, dans l’air, avec elle. Elle les presse car elles lui viennent, crescendo, comme ces relents de revanches qui se pointent à son seuil pour la dauber et l’injurier. Elle se prépare donc à changer de cap ou, tout simplement, à rentrer chez elle, parce que le «pouvoir» qui était à ses côtés et qui la maintenait n’est plus de ce monde. Effectivement, les oracles se sont prononcés.
Le mauvais rêve est devenu réalité. Le cauchemar est revenu. Adieu la continuité dans la fonction, adieu les bonnes manières, adieu la fidélité aux principes de l’école, de la morale et de l’éducation, adieu l’attachement aux fondements de l’égalité et de l’honnêteté. En ces moments, comme en d’autres, tout est balayé du revers de la main, par la volonté de ceux qui s’emploient au style de la mise à l’écart et de la destitution. On efface tout et on recommence… d’autres usages, de nouvelles mœurs et… il le faut bien, d’autres alliances ! La mouche poursuit son récit, avec autant de persistance que de passion. Je l’écoute attentivement car, en même temps, je me remémore des tableaux identiques dans nos royaumes et nos dynasties des êtres humains. Je vois les scènes similaires, les mêmes décors, les mêmes dialogues et les mêmes conciliabules… interlopes, évidemment, avec les mêmes dissensions qui, comme de juste raison, suscitent la même indignation des bonnes gens. Il n’y a que çà que nous savons bien faire. Et c’est là où nous excellons et pouvons, presque unanimement, nous accorder. La mouche ne désempare pas. Elle s’accroche davantage à son histoire et veut coûte que coûte la terminer avant la fin du voyage. Je suis là, tout ouïe, et d’ailleurs que puis-je faire puisque je me suis promis de l’accompagner dans ce qu’elle croit être l’affaire la plus sale de son temps… Sait-elle au moins, que des histoires pareilles, nous les vivons au quotidien avec la «faune» qui est la nôtre, une espèce maléfique autrement plus douée dans les cabales, plus expérimentée dans l’art de faire du mal et donc redoutable dans la prédation ? Du même coup, je devine le dénouement de cette intrigue parce que je la vois, je la présage, je la ressens.
Elle est là, devant moi, se rejouant comme une pièce de théâtre et elle est comme les autres qui se rejouent autant de fois que veulent les exécuteurs de basses besognes. Oui, je la vois comme j’ai vu toutes celles qui ont eu l’impudence d’avoir existé dans notre monde, et comme j’en verrai d’autres, certainement, celles qui vont venir inévitablement… pour nous démontrer que le monde, celui des animaux ou celui des humains est un monde pareil fait de souillure et de méchanceté. C’est du kif-kif, comme dirait l’autre. Et là, nous nous rencontrons dans notre commune animalité ! En effet, cette histoire n’est pas loin de celles que nous vivons tous les jours, dans notre espace de «civilisés», hélas. Aussi coriace que celles qui nous offensent parfois ou toujours, cette histoire où la gazelle est l’héroïne, pardon la victime, ne peut normalement passer inaperçue dans notre milieu qui favorise le bien-être dans la formation et l’éducation. Car, endurer des controverses pénibles dans notre entourage qui possède quand même ses principes – qui devaient être intangibles – c’est traduire tout le délabrement et la perte de repères qui existent dans celui-ci. C’est dire aussi qu’il va droit dans le mur, comme nous nous exprimons si bien. Oui mais la jungle, c’est la jungle, et malgré ses mystères et ses secrets, elle ne peut se permettre, dans ses perversions et ses démesures, de ne pas commettre un autre excès, celui de se laisser emporter dans une aventure aussi dégoûtante qu’excessive, sans retenue et sans prévoyance.
C’est le destin de ces milieux où sévit le mal, où s’affirment des comportements ignominieux et où se jouent de sacrées parodies à double vitesse, toujours au profit du plus fort. Ainsi, comme prévu dans les «bonnes traditions» de représailles, la pauvre gazelle est rappelée illico presto à rejoindre sa jungle d’origine dans les plus brefs délais, me confie la mouche. C’est la première réaction de fagotin après la mort du tigre. Il ne peut laisser passer – après avoir ruminé sa revanche des années durant – cet affront d’il y a quelques années, dont il estime avoir été la grande victime. C’est dire que la vengeance est un plat qui se mange froid, comme l’énoncent ces diseurs de fameux adages. Elle se mange même congelée, selon les nouvelles techniques de conservation… de la haine. Rien ne la prédestinait à subir ce sort. Elle est pourtant simple, sereine et productive, pleine d’engouement et de passion pour son métier. Ses classes sont toujours remplies de bons élèves. Les résultats de ces derniers reflètent indubitablement ses talents pédagogiques et sa détermination à aller toujours de l’avant dans la réussite. Bref, aucune contrariété, encore moins une quelconque perturbation, ne vient polluer son atmosphère ; ce qui nous dit long sur la qualité de son enseignement et les méthodes d’éducation qu’elle prodigue à ses disciples. Mais l’inquiétude, voire l’angoisse de la marginalisation se doit de passer par là pour la cloîtrer dans la peur et l’épouvante de cette traumatisante culture de l’oubli. En un commandement cassant, impertinent et cavalier, comme tous ceux que reçoivent nos responsables dans notre jungle des humains civilisés, la gazelle se voit ébranlée, désemparée, désarçonnée et bouleversée.
J’ai encore de nombreuses épithètes dans ma caboche, pour qualifier son état d’âme en cet instant critique, me confie la mouche, elle-même remuée, en me racontant cet épisode douloureux qui la marque profondément. Du mal, toujours du mal, dans un espace dont peu d’animaux ont la vocation, la bonne, celle de faire du bien. Et çà n’en finit pas dans cette jungle aux milles facettes. Çà n’en finit pas avec des pratiques incongrues, insolentes, dans ce royaume de l’arrogance et de l’entêtement. Il a suffi que le tigre ne se fasse plus entendre, pour que se déclenchent les foudres du ciel contre une pauvre gazelle qui n’a de cesse que son problème soit réglé. C’est ainsi que va la vie chez les animaux. Et, si l’on observe minutieusement ce magma, devenu coutumier dans ce monde où tout est anormal et irrégulier, l’on s’aperçoit que des pratiques pareilles, si elles provoquent, très souvent, des tensions dans un espace réduit, le reste des animaux quant à eux, ne semble pas s’inquiéter outre mesure de ce qui provoque un séisme moral chez les plus concernés, dans un environnement donné. Comme les humains que vous êtes, insinue la mouche dans son langage futé – en voulant me rappeler la triste réalité de la perversion et de la méchanceté – au-delà de la culpabilité des uns, de la condamnation des autres, et de l’insidieuse complicité de plusieurs d’entre eux, cette masse d’animaux ne mesure pas les dégâts psychologiques provoqués par cet arbitraire qui va marquer durablement la belle gazelle. Plus que les préjudices moraux et le sentiment d’avoir été trompée, abusée, rognée, elle se voit surtout révoltée par le sentiment de son impuissance devant cette iniquité, par l’impression que la jungle est livrée à elle-même et que n’importe quel nervi peut dicter sa loi à d’autres animaux qui, eux, se trouvent dans l’incapacité de réagir.

Ne pouvant rien faire devant cette adversité, elle accepte son sort et prend son courage à deux mains pour tout dissiper, du moins ce qu’il y a de triste et de malsain dans sa tête. Il faut pour cela avoir cette volonté de se dire qu’il est encore temps pour oublier car elle ne peut, à elle seule, changer la face de cette jungle. Quelles que soient les excuses pour apaiser une situation dramatique, la réalité est toujours là, manifeste, évidente, significative, marquant une nette régression vers l’indécent, le mal et l’immoral. Alors, et à force de fonctionner à côté de la loi, dans un système fait de combines et de trahisons – j’emprunte ces termes à un ami – la jungle a perdu son éthique. Telle une proie tombée à terre, blessée, elle n’est plus en mesure de se défendre face à des prédateurs qui la dévorent par lambeaux, tandis qu’un peu plus loin, des vautours attendent leur tour de participer au festin… Mais la gazelle peut-elle changer quelque chose dans un tel contexte qui jure ne pas se réformer et se reconstruire pour donner à son environnement des espoirs à sa mesure ? Non ! Elle ne peut rien faire. Le silence est d’or, disent les plus sérieuses parmi ces créatures encore vivantes. Elle doit se taire comme nous tous et espérer voir fleurir d’autres prairies où elle peut gambader à son aise pour recouvrer son repos moral et sa vitalité. En attendant ce jour-là, elle s’est promise de ne plus croire les chancelants et les changeants, mais ceux parmi les honnêtes qui lui assurent ce domaine pour pouvoir y marcher en sifflotant, l’esprit tranquille, se disant que de toutes les façons, elle fait confiance à la justice de sa jungle. Elle rêve de voir s’instaurer la sérénité, le droit et la légitimité dans son environnement et dans sa vie de tous les jours.
Elle prend du repos, un repos physique en attendant des jours meilleurs. C’est cela toute l’histoire d’une gazelle qui, prise dans l’engrenage de l’hostilité et de la souffrance, s’en est allée chez le roi de la jungle pour lui relater ses déboires avec le sieur renard et son entourage. En fait, elle voulait lui montrer comment l’injustice peut faire perdre aux bons sujets de cette jungle le respect et l’attachement qu’ils ont pour celle-ci. Elle voulait lui transmettre enfin, l’idée qu’aucun animal ne peut croire ceux des siens qui créent des situations malheureuses et même épouvantables, ceux qui le font pour défendre leurs propres intérêts ou pour assurer les intérêts de leurs proches. Ceux qui sont à l’origine de ces méfaits vivent un déficit de crédibilité, jamais atteint auparavant dans cette jungle qui pourtant, respirait le bien-être et la confiance. Le lion, roi de cette jungle, ne l’entend pas de cette oreille. Il a une autre réaction, fière et dédaigneuse, celle du souverain qui ne veut acquiescer aucune récrimination d’une de ses régentés, du moins, les considère-t-il ainsi. Il ne peut supporter ces jérémiades qui viennent polluer la quiétude de son royaume que nul ne peut accuser de quoi que ce soit. Tout est bien dans l’Etat de sa seigneurie le lion. Tout va bien dans les territoires de sa majesté. Il n’y a pas de place pour les capricieux et les gringalets, de même qu’il n’y a pas d’espoir pour les faibles et les sans volonté. De là, il n’accepte aucune critique, aucune remarque, même si elle est fondée, objective et de bonne foi.
C’est en fait son véritable comportement devant ceux qui se découvrent devant lui. Mais en réalité, que peut-il représenter avec son caractère hautain, son esprit de suffisance et son narcissisme dans un monde qui privilégie le dialogue et la concertation ? Vraiment, il ne signifie rien dans l’Échiquier du royaume quand on sait que malgré toutes ces qualités (?) il est le jouet inconscient de son entourage et qu’il ne dit mot devant les injonctions de vrais responsables qui prennent de justes décisions (?). Son trône, où il se trouve confortablement assis, ne lui donne apparemment aucune possibilité d’aller voir un peu plus loin que son aréopage. C’est ainsi qu’il mène son règne, selon la bonne volonté de ces «employeurs» ou de ces «donneurs d’ordres» qui l’entourent et le ceinturent pour ne lui permettre aucun mouvement qui leur serait préjudiciable. Car ceux-là commandent effectivement tout dans la jungle qu’ils ont livré à la décadence, par leurs intrigues et l’importante agitation qui leur sert de décor pour régenter ce pouvoir qu’ils touillent et enchevêtrent selon leur désir. Ils le font soigneusement, à la place du lion qui ne bouge presque pas et qui devient leur caution à l’intérieur d’un système rendu défaillant, stérile et médiocre. Cet aréopage perfide maintient cette gouvernance perverse – qui répond à leur perception –, tout en conservant solidement le roi dans ses soi-disant attributs. Une situation qui leur rapporte tant et tant de profits illicites.
Car, en maintenant coûte que coûte le roi sur son trône, ces prédateurs peuvent régler tous leurs problèmes d’intendance. Avec un autre, un roi vrai et digne, ils ne feraient certainement pas ce qu’ils font actuellement. Mais ce roi, franchement, n’a-t-il pas appris sérieusement la leçon ? Ne sait-il pas qu’une fois son mandat terminé, pour différentes causes – et on peut les imaginer facilement dans notre jungle – une autre machine se mettra inéluctablement en branle pour le «charger» de mille et une accusations et d’une somme inqualifiable de griefs. On ira jusqu’à sa famille et là, tout le monde y passera, du plus petit au plus grand. Je disais que la machine se mettra en action… il s’agit de cette machine infernale qui excave pour ramener des profondeurs tous les maux – quitte à en inventer – dont la jungle a souffert. C’est la loi de toutes les jungles, surtout celle des humains : le roi est mort, vive le roi ! Voilà, me dit la mouche, j’en ai fini avec cette histoire. J’en ai d’autres, tu sais ? Elles sont aussi «affriolantes» que celle que je viens de te raconter. En veux-tu encore, me demande-t-elle ? De toute façon, nous avons assez de temps, au cours de ce voyage, pour nous dire toutes ces choses qui m’ont obligée à quitter ma jungle pour un autre ailleurs, là où il fait bon vivre, là où on se sent mieux, où l’on parle aisément, où l’on réfléchit posément et où l’on évolue assurément…

Il était une fois, l’éléphanteau Je pensais que la mouche était fatiguée… Oh que non ! Je ne sais pas si c’est le voyage ou peut-être cette exaltation de se trouver hors de chez elle, dans un autre monde, pardon dans une autre jungle, qui la fait jaser de cette manière, ou tout simplement l’envie de discuter avec quelqu’un et de s’extérioriser pour se sentir mieux. L’essentiel, pour cette petite innocente est de bavarder constamment, d’attirer mon attention et surtout de paraître plus convaincante qu’avant, lorsque nous étions à l’aéroport et lorsque nous nous apprêtions à entamer notre voyage. J’accepte de la suivre encore, à une seule condition. Elle doit commencer son histoire, je veux dire son autre histoire, après l’escale. Je me dis qu’un peu de repos me donnera du tonus et apaisera mes émotions, surtout après avoir suivi une telle aventure. Nous avons convenu de terminer le reste du voyage ainsi. Une fois en avion, après ce petit instant de repos en salle de transit, elle s’éclate encore une fois, me faisant sentir qu’elle cache dans ce petit corps, frêle et menu, tant et tant de déceptions. Je l’avais d’ailleurs compris au moment où elle me suppliait de lui permettre de venir avec moi, laissant derrière cette jungle où elle n’a plus d’espoir. Sa décision était prise, il fallait la mettre en œuvre. Par cette action, elle veut tout simplement exorciser les démons qui l’encombrent, qui la tenaillent et la prennent en otage. Elle croit bien faire en se libérant d’un fardeau qui lui pèse, car fait d’outrance et de méchanceté. Cela la rebute encore plus et lui donne cette nausée insupportable. – Vois-tu, me dit-elle, la vie est tellement difficile, tellement désolante et désespérante sur nombre de tableaux, que l’on a du mal à concevoir et à admettre certaines situations.
La présente histoire que je vais te raconter n’est pas moins répugnante que la précédente. Elle est aussi ignoble que repoussante du fait qu’elle traite d’un sujet jamais abordé dans les annales de la jungle, du moins aucune autre jungle ne peut s’enorgueillir d’en avoir conçu une telle monstruosité. Et la mouche de se redéployer en une volubilité remarquable, dans un style émouvant, convaincant, expressif… Elle commence sa seconde histoire, comme la première, avec les mêmes expressions qui inspirent un très vif intérêt, des expressions qui la relèvent et lui donnent ce caractère de gravité qui retient le souffle. Mais comment la mouche a-t-elle connu cette autre histoire. Eh bien, rien d’étonnant quand on est «la mouche du coche» ! De toute façon, il s’agit d’un roman – je vous le rappelle – et il fallait trouver, pour les besoins de la narration, ce lien entre les différents animaux et leurs histoires scabreuses à l’instar des nôtres. Ces scènes évoluant dans un environnement enserré dans un carcan solide «pour se moquer avec beaucoup de morgue de l’utopie d’un Etat de droit». La mouche est là, c’est elle le vrai lien et c’est elle qui nous raconte un peu la «mouchequila», «l’problème» si vous voulez… tel que dit dans notre beau créole, pardon dans notre bel arabe dialectal et, bien entendu, dans l’esprit des lecteurs. Ainsi, je n’ai pas mis trop de temps pour trouver comment aller de la gazelle à l’éléphanteau. C’est de l’imagination, tout simplement.
Mais cela pourrait être une histoire authentique, chez vous, dans le monde des humains où vous excellez dans l’intrigue et les affaires frustes. Je reviens à l’imagination car c’est ce que nous adoptons pendant toute notre existence pour pallier les manques que nous avons dans tous les domaines, pour nous donner plus d’espoir dans l’attente de jours meilleurs. C’est pourquoi, la transposition des facteurs m’est aussi simple qu’en mathématiques. Je ne fais que changer leur ordre. C’est-à-dire en termes clairs, la mouche qui jusque-là est plantée sur la tête de la gazelle et qui entend tout, qui sait tout, du marmonnement aux profonds sentiments de cette dernière, doit changer de logis pour aller se planter dans le champ spacieux de l’oreille de la mère éléphante. De là, elle suit son petit et de là naît cette autre histoire qui est encore plus grave et plus significative que la première. Allons-y, dans les méandres de cette aventure ! Commençons comme il se doit. Il était une fois… un gentil éléphanteau… Et ainsi commence l’histoire. En effet, un éléphanteau, tout gentil, affable, agréable, exubérant et loquace, se mire au clair ruisseau. Il fait beau ce jour-là. Le soleil tout haut dans le ciel darde ses rayons sur des espaces qui ont tellement besoin de cette sollicitude, après d’abondantes pluies et des journées de froid et de gel.
C’est la nature qui, dans ses perpétuelles mutations, connaît les infléchissements des plus impressionnants, des plus étonnants, surtout en cette saison où l’atmosphère est tellement rudoyée par les agressions climatiques et les altérations brusques et violentes de cette imperturbable nature. Et la jungle, dans son animation et son impulsion de tous les jours, ne peut que s’accommoder des humeurs de ce temps qui vit de caprices et plus sûrement de perturbations écologiques. Les animaux aussi, ces créatures qui ne sont pas épargnées par ces bouleversements et ses confusions, suivent avec attention ou avec indifférence, c’est selon, mais elles suivent quand même le déploiement d’une subsistance aussi malaisée que crasse. L’éléphanteau, tout enjoué, comme le veut sa nature, ne s’embarrasse guère de complexe. Il fait beau, la nature verdoie, les oiseaux chantent, et lui, dans sa décontraction, gambade, léger et insouciant, malgré sa corpulence qui commence à peser de tout son poids. Comme ses congénères, il vit dans l’ombre de sa maman l’éléphante. Il évolue dans cette société matriarcale où les petits de son sang s’adaptent mieux que les autres animaux à cette tendance grégaire. Mais ce jour-là, il semble plus détaché et plus distrait que les autres fois. Il se rue avec impétuosité sur le flanc de sa mère, comme pour lui montrer son exubérance, mais aussi toute son affection. Il est joyeux. Pourquoi ? Il n’y a que lui qui peut le savoir et elle pour le ressentir. En tout cas, lorsqu’on connaît notre éléphanteau on ne peut qu’apprécier sa compagnie, son humour, son déluge de savoir et sa faconde. D’une intelligence qui vous épate, il ne vous laisse pas insensible, même quand il fait des bêtises. En effet, ce jour-là, il est content, il se voit comblé par tant de bonheur après sa brillante réussite à ses examens. Sa mère l’éléphante le sait. Elle connaît les capacités de sa progéniture. Elle ne peut douter de sa réussite dans tout ce qu’il entreprend.
L’éléphanteau, me confie la mouche, vient de décrocher la plus belle distinction que n’ont pu avoir, jusqu’à maintenant, ceux qui l’ont précédé dans ce domaine. Il obtient les faveurs de ses supérieurs, les honneurs et, bien entendu, le grade… ce grade pour lequel tant d’autres font des «prouesses» et des «pirouettes» pour l’obtenir. Un nouveau tournant dans sa vie, une nouvelle vie dans son destin, ce fameux destin dont personne parmi les habitants de la jungle, ou parmi les homos sapiens dont vous descendez, lâches ou braves, ne peut s’en soustraire, comme dit Homère, un illustre des vôtres, dans son Iliade. C’est alors que le véritable devoir de l’éléphanteau consiste à choisir sa place et à modeler consciemment sa situation. Ainsi, en ce moment crucial, quand le mérite vient sonner à sa porte pour l’encenser et le consacrer, y a-t-il mieux que lui dans cette jungle qui regorge, malgré des échantillons de son genre, de malhonnêtes, de vils, d’infâmes et de méchants ? Y a-t-il mieux considéré que lui parmi tous ces graveleux, ces espèces de marginaux qui se reproduisent au rythme des contradictions que peut réunir le monde des animaux ? Non, franchement, parce qu’il est au zénith de son éclat. Il arrive là où peu de ses pareils ne peuvent y arriver. Il est donc joyeux. Ses parents se prennent pour les plus choyés au monde. L’éléphanteau se distingue par la suite dans tout ce qu’il doit entreprendre. Fougueux et perspicace à la fois, il ne rate aucune occasion pour se singulariser avec des résultats probants, élogieux et prometteurs. Toutes ces qualités lui concèdent plus d’attention de la part de son entourage, mais avant tout, de la part de sa famille et de son groupe. Le grégarisme est de rigueur dans une jungle comme celle-ci. Il est plus incrusté chez certains animaux que chez d’autres. La maman éléphante est si fière de cet enfant qui lui donne tant de satisfactions. Le père éléphant n’en pense pas moins, mais il est plus distant de son fils. Il a confiance en lui, car le sachant capable de réussir là où les autres n’ont pu satisfaire. Son père le veut toujours ainsi, fort, intelligent, prodige en quelque sorte.
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)