L’exil fécond

Culture

Les faits relatés dans ce livre sont inspirés de la réalité vécue. Cependant, toute ressemblance avec des personnages réels, ayant existé ou existant toujours, n’est que pure coïncidence et ne relève point de la volonté de l’auteur. Mais, qui se sent morveux… se mouche !
L’auteur

«La littérature ne saurait se séparer des systèmes idéologiques au sein desquels ou même contre lesquels elle se forme. Elle est engagée malgré elle. Qu’ils le veuillent ou non, les plus farouches partisans de l’art pour l’art expriment encore une vision particulière du monde et de la cité».
William Marx

Après cette oraison que je prononçais à l’intérieur de moi-même ou, si vous voulez, après ce fameux monologue comme celui de Don Diègue, (le Cid, scène IV), je me suis intimé : «Reviens à toi !». De la réserve ! Tu es quand même un responsable, me suis-je répété, un responsable qui va en mission. Et, de toute façon, «Dieu protège la Kaâba !» comme s’exprimait, avec les siens, quelqu’un de Qoraïch qui ne pouvait rien faire devant tant de manœuvres et de suspicion. En effet, je reviens à moi, mais non sans cette envie de poser une autre question à ma mouche- qui elle aussi prend un peu de repos- après ses récits qui m’ont bouleversé en même temps qu’édifié sur la vie pénible de la jungle. J’hésite mais finis par la poser, calmement, comme si de rien n’était. – Dis-moi, j’ai entendu parler d’une certaine affaire, dans ces vastes régions qui excellent dans le scandale. Une affaire scabreuse assure-t-on, qui avait entraîné un scandale retentissant.
Est-ce vrai ce qu’on raconte sur le fléau de la corruption et de la prébende qui vous tenaillent ? Est-il vrai que cette histoire n’est pas «une banale affaire délictueuse dont le traitement se suffira de la thérapie des tribunaux», mais un sacré brouillon qui montre un pouvoir ou une justice aux ordres, au bord de l’agonie, et qui fait monter la tension, le dégoût et le mépris de tous les animaux de la jungle ? – Oui, nous vivons ces jours-ci, dans la jungle, une grande affaire qui nous tient en haleine. C’est l’affaire du siècle. Vraiment, c’est une honte pour notre monde, même si de réputation, les animaux sont farouches et quelquefois cruels…, car vivant dans des paysages où la géographie est difficile et où abondent les plus grands dangers. Je ne voulais pas te la raconter du fait que je me sentais gênée parce que je considère qu’il est inconcevable que pareille affaire se produise en notre temps. Effectivement inconcevable, car même la jungle, avec ses aspects sauvages, vit encore sur des relents de principes et possède ses règles et son éthique. Mais puisque tu me le demandes, je vais jusqu’au bout et je profite de cette digression utile et du temps qui nous reste, dans ce long voyage, pour te livrer le maximum d’informations.

Le chacal, les vautours, les hyènes…, et autres prédateurs
La mouche ne voulait pas, avant ma demande, aborder cette question qui a défié la chronique. Elle ne voulait peut-être pas crier toute sa déception vis-à-vis d’une jungle en faillite, celle qui a permis aux voleurs de continuer à voler, au système de se perpétuer en se corrodant et aux animaux responsables de toute cette affection à vivre le luxe démesuré avec leur parfaite arrogance et leurs inclinaisons démagogiques… Mais, avec cette affaire scabreuse, honteuse, dosée d’un insoutenable mépris, ces mêmes pontes «ont perdu la bataille de la confiance. Même la catharsis des tribunaux grâce à laquelle ils espèrent se refaire une virginité agit à leurs dépens. Et pour cause, cette thérapie de rebouteux qui refoule la moitié de la vérité aggrave bien plus leur cas qu’elle n’améliore leur image». Enfin, la mouche s’élance, avec le même bagout et la même volonté de vouloir tout expliquer, dans les détails. Il était une fois…, commence-t-elle ce chapitre, comme à l’accoutumée : – Dans notre royaume des animaux, dans notre jungle qui se fait passer pour la plus sérieuse dans le monde, la plus belle, la plus grande, la plus rentable et la plus proche de ses habitants – ce sont des allégations fausses reproduites chaque fois par ses responsables dans leurs discours –, un scandale éclate, laissant derrière lui une cascade d’opprobre et de déshonneur. C’est un péril en notre demeure. Une affaire tellement lourde qu’elle prend une ampleur et un envol qui nous font croire que des «leviers importants» s’évertuent à organiser le pillage systématique de la jungle. Comment cette affaire révoltante, déshonorante et choquante, – ce n’est pas les épithètes qui manquent pour la qualifier – a-t-elle commencé ? Tout simplement quand la raison a disparu et que les animaux de la jungle se sont mis à adorer la matière, plutôt que de vivre de la sueur de leurs fronts … de leurs efforts.
La spontanéité avérée chez eux change de look pour aller se farder d’un nouveau produit, celui de l’avidité et de l’ambition démesurée. Ainsi, un chacal – pour l’instant, je l’écris en minuscule – veut se faire plus gros qu’un bœuf. Il souhaite avoir de grands moyens et d’importantes responsabilités pour se faire un nom dans la jungle et, pourquoi ne pas prendre le pouvoir, carrément, pensait-il. La mégalomanie n’est pas propre qu’à vous, les humains, elle nous a atteint dans nos sphères, nous les animaux. Et le chacal peut se compter parmi ceux-là car il est connu pour sa ruse et sa perfidie. De plus, il a des appuis et des moyens que personne d’autre ne peut avoir depuis que la jungle est jungle. Il va, allègrement, demander de l’aide chez ses voisins les animaux qui n’ont pas de peine à lui trouver ce qu’il espère. Ils lui proposent des subterfuges qui le rendent radieux et alerte. Et ils ne restent pas là…, ils lui octroient des facilités telles que la plupart de ceux qui l’ont aidé ne croient pas leurs yeux en le voyant, quelques temps après, à la tête de tant de biens et auréolé d’une puissance que beaucoup ne peuvent espérer voir se concrétiser un jour. Le chacal n’en espère pas moins de ces congénères qui attendent un coup d’envoi pour se lancer, eux aussi, dans le négoce à grande échelle qui fait de leur appétence une ambition et un moyen sublime les menant droit vers le profit à profusion. Au début, parce qu’habile et rusé, le chacal ne demande rien qui puisse rebuter.
Il va simplement solliciter quelques provisions pour les mettre à l’abri et s’en servir pendant les rudes journées d’hiver. Rien que cela, répondent ceux qui voient loin ? Nous pensions vous entendre nous exiger plus, car vous êtes quelqu’un qui mérite qu’on s’occupe sérieusement de lui. Après cette déclaration, qui n’est pas fortuite de la part de ceux qui savent où ils vont, notre animal fait quelques gestes qui leur rappellent cet esprit de suffisance, celui de la fourmi qui assure son existence pendant les pénibles journées d’hiver en travaillant durement pendant les belles et chaudes journées d’été, contrairement à la cigale qui ne fait que chanter. Mais où mettre ces provisions ? La jungle n’est pas sûre. Il faut trouver un abri, un trou, une grotte, une caverne par exemple. Les animaux qui l’entourent, notamment ceux qui sont réputés pour leur ruse et leurs instincts de prédation, par exemple les vautours, les hyènes et les renards, lui indiquent une petite caverne qui pourrait faire son bonheur. Il visite les lieux et, du coup, il s’enthousiasme pour l’idée, parce qu’il trouve ce lieu tellement à son goût qu’il décide non seulement d’y abriter ses provisions mais de s’y installer lui-même en y ouvrant un centre de négoce. Il estime que la jungle souffre de ce manque d’activité et d’échanges, son projet y pourvoira. Il a de l’aide pour cela, beaucoup d’aide de la part d’un entourage qui, lui aussi, souhaite voir fleurir cette affaire très rapidement. Ainsi, demain, la réussite du chacal sera la propre réussite de cet entourage du fait que toute sa composante, vautours, renards, hyènes et d’autres animaux du même acabit, qui peuplent la jungle, peuvent bénéficier de «sa compréhension et, le cas échéant, de sa générosité reconnaissante». De cette caverne donc, il en fait son premier centre de rayonnement. Il en fait, comme vous dites dans le monde des humains, un dépôt principal où transitent et se monnayent toutes les marchandises et les produits raffinés de valeur destinés à la fine fleur aisée de la société animale.
Le lancement est rapide et les affaires prospèrent en un temps record. De la petite caverne, le chacal fructifie de plus en plus ses activités en procédant à l’acquisition d’autres cavernes, toujours plus grandes et plus vastes. Il ouvre des succursales dans les diverses régions de la jungle. Il les aménage convenablement. Il les dote de moyens, de grands moyens, et les adapte aux besoins, dont la forte demande d’une clientèle de nouveaux riches en évolution constante et avide de biens de consommation. Il finit par régner sur une entreprise très importante…, un cartel ou un consortium, comme vous les appelez dans votre langage. Il recrute du personnel, il excelle dans ses choix. Il le rémunère avantageusement, mieux que chez les autres. Il fait de l’ombre aux mêmes entreprises qui relèvent du pouvoir du roi lion. D’ailleurs celles-ci ont confié toutes leurs provisions aux cavernes du chacal qui a réussi à les persuader d’opérer ces transferts de biens contre promesse d’attributions d’intérêts conséquents. Beaucoup d’autres institutions royales ont fait de même. La grande masse des animaux qui disposent d’épargne ou des économies ont suivi. Toute la jungle évoque avec un respect admiratif le nom de ce nouveau génie des temps modernes, cet animal devenu soudain très fort, très noble.
Ce n’est plus un nom commun, mais un nom propre d’un éminent animal, puissant et… célèbre qui s’écrit en toute majuscule et qui bénéficie de la sollicitude de l’administration de la jungle et du cabinet royal qui lui accorde tous les agréments à la demande. Le frère du roi lion n’a-t-il pas accepté «de bon cœur» l’offre de ce dernier en s’attachant à lui en tant que conseiller pour tous ses dossiers ? Il y a beaucoup de courtisans autour de lui. Ils l’assiègent. Ils l’encensent pour tout. Ils l’approuvent, même quand il dit peu ou qu’il ne dit rien. Ils n’oublient pas qu’il possède la caverne miraculeuse, dans le genre de la caverne d’Ali Baba, dans les contes des Mille et Une Nuits. L’essentiel pour eux est de lui plaire, d’être dans le giron de maître Chacal (dorénavant avec une majuscule) qui sait manipuler tous ces vassaux qui rampent devant lui pour de grandes quantités de ravitaillements ou peut-être même pour quelques vivres, seulement. Chacun selon ses besoins, pardon, selon sa voracité et son rang sur l’échelle du piston. La jungle est riche, mais les richesses sont mal distribuées. De même que le contrôle ne s’est jamais effectué. Alors tous ceux qui ont la possibilité n’hésitent plus à se servir en trichant et en se créant des «empires» à la mesure de leur ambition. Et, dans ce climat de rapine, la culture et l’organisation de la rente ne cessent jamais de se développer dans la jungle.
Cela commence avec de petites proies, ensuite des moyennes, ensuite des grandes, ensuite de plus grandes, voire de gigantesques prises… Et puisqu’il y a l’impunité outrancière dans ces milieux aux relents de concussion et de déprédation, on fonce sur les cavernes qui demeurent sous l’autorité du Chacal, pour conquérir ce qu’il y a de bons et de juteux. Tous les animaux, comprendre par-là les tudesques et les féroces – uniquement eux bien sûr, puisque les autres ne se permettent jamais des écarts – se servent à satiété de ce qui leur plait dans ces cavernes comme si elles leur appartenaient, au moment où maître Chacal souscrit, car le deal implicite et évident est le retour d’ascenseur.

Au demeurant pourquoi, ne le feraient-ils pas lorsqu’ils savent que tous les dépôts et les gages, qui alimentent ces nombreuses cavernes, sont le bien de ces pauvres animaux qui s’épuisent au travail pour les collecter ? Oui, toute cette fameuse bousculade de dignitaires pour transférer sous forme de dépôt, le fruit du labeur de ces pauvres animaux dans les cavernes de maître Chacal, traduit leur plan diabolique, celui de reprendre des dividendes, sous forme d’imposants privilèges. Cela ne s’arrête pas là. Le Chacal de ces bois, qui prend beaucoup d’ampleur et atteint le couronnement, disent tous les animaux de la jungle, représente l’archétype du triomphe d’un animal exceptionnel qui, sans mettre trop de temps, réussit à défrayer la chronique sur le plan de la prospérité. Quand aux moyens qu’il a mis sur le tapis du jeu, on ne leur connaît pas de provenance, en tout cas, on en n’est jamais sûr dans ce genre de micmac. Alors, le commun des animaux se pose cette question : si ce n’est la consécration d’un labeur par trop pénible qui donne tout ce succès à maître Chacal, est-ce son intelligence qui lui confère tout ce savoir et cette noblesse ? La ou les réponses, je les donnerai après, m’assure la mouche, et elle continue son récit avec plus d’enthousiasme et de passion. Voyons plutôt la suite de l’ascension de cet empire créé par le Chacal et qui verra, plus tard quand les affaires se corseront, une période de grandes perturbations pour des raisons de «délinquance et d’associations de malfaiteurs», affirmeront ceux qui vont l’«achever», comme on achève les chevaux. Mais est-il un bon cheval pour se permettre de faire cette comparaison ? Et c’est ainsi que sera rédigé le chef d’inculpation de la justice «immanente» de la jungle ! Cela ne peut se terminer que dans la déchéance, dans le chaos assurent plus d’un, puisque ceux qui se prennent pour des intouchables, comme le Chacal, discourant et vociférant à l’envi, ne trompent personne sur l’origine de leurs richesses.
Ils n’étaient, bien avant cette ascension prodigieuse, que de simples animaux sauvages, toujours bêtes et inintelligents, vivant comme les autres dans cette jungle qui connaît son monde et ses origines. En clair, ils n’étaient pas brillants, malgré leur puissance forgée de toutes pièces, mais surtout par l’usage de ces pratiques dolosives qui ont présidé à la gestion de ces cavernes. Ce grand, en l’occurrence maître Chacal, ne s’arrête pas là. Car, après les cavernes qui récupèrent toutes les ressources de la jungle, il va s’occuper des tapis volants, ces moyens de transports dans les contes des Mille et Une Nuits. Ainsi, en un temps très court, il acquiert plusieurs coûteux tapis volants. De quelle manière se demandent les animaux de la jungle ? Aucun ne peut répondre clairement à cette question pourtant évidente et on ne peut plus logique. Les tapis volants, qui lui proviennent d’une autre jungle où on les fabrique avec beaucoup de soin et de technicité pour leur permettre de transporter des animaux dans les normes requises de la sécurité, jonchent le tarmac de cette importante aire qui sert également de piste d’envol. Les animaux se bousculent pour essayer ce moyen moderne et rapide de déplacement. Les tapis de maître Chacal vont partout, de jungle en jungle, assurant le transport à des prix très réduits, et souvent l’assurant gratuitement pour ceux qui ont toujours eu la possibilité de bénéficier de grands avantages pour eux et pour leur famille. Les affaires marchent donc très bien. Tout va pour le mieux dans une jungle où se créent les situations les plus juteuses – suspectes pour les animaux honnêtes – et où se tiennent les conciliabules les plus louches pour décider de la manière par laquelle on va dépecer ce vaste territoire qui n’en finit pas avec les tricheries et les outrages. Effectivement, tout marche très bien pour les uns, mais pour le reste, c’est-à-dire pour la majorité, cela marche au détriment du «préalable élémentaire du fonctionnement d’une collectivité», fût-elle celle des animaux.
C’est alors qu’éclate le scandale. Une gigantesque fresque de tapage, de désordre et d’indignation. Les sages parmi les animaux sont abasourdis par ce chaos jamais vu dans la jungle. Ils sont surtout stupéfaits par la démesure des détournements de provisions qui sont destinées aux nécessiteux pour couvrir les périodes dures. Ils sont enfin déconcertés par cette overdose de scandales qui témoigne d’une quasi-démence collective. Et l’on se demande, jusqu’à aujourd’hui, dans le style le plus confus, que se passe-t-il donc dans cette jungle à problèmes ? Eh bien, la réponse n’est pas tellement difficile. Les scandales n’auraient jamais existés et le tribunal de la jungle n’aurait jamais été convoqué s’il n’y avait pas eu les négligences, la passivité et même plus, la complicité de quelques responsables parmi les bêtes insatiables, poussées par la convoitise féroce de vouloir toujours trop avoir en même temps. Quelle boulimie morbide en face de proies qu’ils dépècent à belles dents et à coups de griffes ! Dans cette jungle, il est formellement établi que «maître Chacal» n’a accédé à cette notoriété que parce que de grands dignitaires ont fermé les yeux, dans un but intéressé, sur les transgressions et autres anomalies dont lui et ses complices sont les auteurs récidivistes. Tous les animaux savent qu’il n’aurait pu amasser une telle fortune s’il n’avait pas été si abondamment inondé de moyens des autres, ces moyens qui, aujourd’hui hélas, sont partis en fumée. Et c’est à partir de là que le préjudice est colossal. Et c’est à partir de là également que je peux te dire que notre jungle est encore plus malade de l’intérieur, à cause de cette généralisation de la corruption qui la gangrène et qui n’est pas sans danger pour son avenir.
De ce constat d’échec, et malgré la volonté et la détermination affichées de combattre obstinément la déchéance ainsi que la dissipation du bien public, le roi de la jungle et ceux qui l’entourent trouvent là leurs limites, tout autant que la source de leur impuissance. Entre-temps les habitants de la jungle parlent beaucoup. Ils montrent que tout les intéresse au plus haut point, y compris ce fameux procès qui semble ne plus en finir. Leur intérêt s’intensifie de plus en plus. Ils savent discerner entre l’accusation de quelques «seconds couteaux» et l’immunité inaltérable des véritables «maîtres d’oeuvre». En réalité ils pensent comme tous ceux qui tiennent un raisonnement intelligent et qui sont convaincus «que les actes d’escroquerie qui sont étalés au grand jour et qui se jugent devant un tribunal ont justement l’avantage de faire bénéficier d’un non-lieu politique le soupçon de gabegie des seigneurs de la jungle». Il ne faut jamais oser se demander, comme disait un journaliste bien de chez vous, «comment on peut condamner des demi-sels ou des minuscules pions manipulés dans cet énorme scandale financier alors que les gros pions, les très grosses huiles glissent mystérieusement entre les doigts de la justice» ? Tous les animaux ont sur leurs lèvres les noms de cette poignée d’«inatteignables» mais ne peuvent rien faire pour dénoncer cette caste blindée, immunisée et…, bien protégée. Alors tous les animaux sont convaincus que la justice n’est faite que pour les petits, les autres, ou les grands, ne sont pas concernés dans cette jungle et ne se présentent jamais devant les juges qui ne sauront prononcer des verdicts à leur encontre.
Ah, si le chacal – je le réécris en minuscule, cette fois-ci, parce qu’il est revenu à sa propre dimension – savait parler ? Que serait-il advenu de la jungle si le chacal maîtrisait la conjugaison et au moins une langue encore vivante ? Quelles têtes auraient pu être décapitées si le chacal n’avait pas le niveau oral d’un sac de provision vide ? J’emprunte, pour les attribuer à l’animal de ma jungle, ces questions, que je retouche à ma façon, à ce même journaliste de votre monde qui raconte, lui aussi, le machiavélisme de ce «mauvais garçon» qui, en l’espace de cinq années a défrayé la chronique en mettant en cause la crédibilité de l’Etat et de ses gouvernants. De même qu’il a réussi, sans le vouloir peut-être, à créer ce climat de suspicion où «la confiance dans les institutions s’effiloche, la défiance s’ébranle, le lien social, les valeurs et les normes au fondement de votre vivre-ensemble se fissurent». Vois-tu mon ami, me dit la mouche, nous ne sommes pas à plaindre, du moins pas les seuls, quand nous apprenons la somme de dégâts que vous présentez, vous aussi, à vos citoyens, en guise de performance dans certains de vos délires. Vous aussi, ne pouvez cacher les tares qui font de vous des gens vulnérables et tellement faibles devant la matière. Quant à nos animaux : le chacal, les vautours, les hyènes…, et autres prédateurs, ils vivaient dans un climat où se mêlent pouvoir, gestion occulte, manipulations douteuses de moyens colossaux, et dés lors «tout baignent dans des rapports incestueux qui provoquent des dérèglements vertigineux».
Car tout ce que procure cette affaire honteuse, celle du chacal, c’est la colère de tous les animaux, une colère justifiée et suscitée par ce mépris souverain pour la primauté du droit. Elle évoque pour tous aussi, non sans de fortes émotions troublantes, que le pouvoir, tel qu’il s’affiche dans les rassemblements, c’est-à-dire en force confirmée par tous les moyens de sécurité, n’existe pas réellement. Le roi de la jungle, célèbre et fabuleux – uniquement dans la légende – n’est qu’un animal comme tous les autres, un animal que tant de faiblesses ne peuvent soustraire à cette vie qui exhale la fausseté d’un monde à part, fait de saleté, de brutalité et de malheur…, d’un monde qui vous jette au nez cette flopée de relents de décomposition dans tous les domaines, mais surtout de décrépitude en matière de droit et donc de justice. Ces faits avérés et monstrueux nous font rappeler également l’horreur dont les animaux sont capables dans l’horizon de leur cruauté. Elles nous rappellent, comme chez vous en effet, la misère des pauvres et l’avidité des riches, la corruption des prospères et l’infamie des hypocrites et des perfides. Cela veut dire, en termes clairs, que dans des zones reculées de cette jungle maudite, la violence, qui y est déjà bien connue, s’est réinstallée comme «le principal élément de régulation sociale».
L’autorité du roi de la jungle n’y est que virtuelle, et «la présence de ses laquais étant plus remarquée au tribunal devant les juges que là où les animaux ont besoin d’eux». Et ceux-là, c’est-à-dire les laquais, n’ont jamais été inquiétés et ne le seront jamais…, l’éponge est passée par là, même si les «Grands» et tous les animaux savent combien ceux-là ont-ils pioché dans les cavernes de maître Chacal. Ainsi, l’administration de la jungle, sous la houlette d’un roi absent ou inattentif, est depuis longtemps dans l’incapacité d’agir sur quoi que ce soit… Ce n’est plus la jungle qui avance. Ce n’est même plus la jungle qui recule. C’est la jungle qui se meurt…

L’agneau et la loi
Cette dernière affaire, vois-tu, une mésaventure plutôt, que je voudrais mettre à ta connaissance, rejoint la précédente uniquement parce qu’elle relève d’une justice inopérante, inexistante même et, surtout injuste, puisqu’elle «roule» à sens unique, surtout quand il faut trancher dans des cas qui, pour le commun des mortels, sont très clairs. De ce fait, elle devient une affaire révoltante, déshonorante et choquante, comme celle que je viens de te raconter. Voyons ce qui a pu soulever mon écœurement et celui de tous les animaux comme moi qui n’ont pu avoir l’audace de sortir directement, dignement, et crier à la face de cette cour du roi lion «Basta !», car aucun animal, aussi petit soit-il, ne peut accepter des pratiques de ce genre, surtout lorsqu’elles viennent de ceux qui sont censés appliquer la loi et protéger l’animal, même s’il vit dans une jungle, comme la nôtre, pleine d’aléas et de risques. Un agneau innocent, inculpé imparfaitement, fâcheusement, au cours d’un procès qui sentait l’«apeuprisme» ou, carrément, une odeur de représailles à l’encontre de son secteur traditionnellement bien structuré et bien plus sérieux que d’autres, a rendu l’âme aux services d’urgence d’une maison de soins, après avoir eu un malaise dans sa cellule de la prison du «Cabrane», un pénitencier renommé dans notre jungle pour sa dureté et son inhumanité.

Il était seul, avec ses tourments, ses appréhensions, ressassant une injustice dont il faisait l’objet, attendant impatiemment l’autre semaine…, espérant une décision qui le blanchirait par ce deuxième verdict équitable de notre Justice (hélas de la jungle) après les délibérations de sa haute cour, aux termes d’un second procès en appel. «Heureusement, se disait-il en se morfondant, qu’il ne s’agit pas de la basse-cour, comme celle qui m’a jugé en première instance». Il avait le droit d’espérer, c’était un bon animal qui avait confiance en la justice divine, qui avait confiance en lui-même, en ses capacités, en son honnêteté surtout. Il avait confiance en ses avocats qui ont pris consciemment sa défense, qui ont prouvé brillamment son innocence et qui ont démontré, par voie de conséquence, que ce procès n’avait même pas le droit d’exister. Il avait également confiance en ses supérieurs qui étaient là pour le défendre…, ses supérieurs qui ont maintenu, obstinément, que cette «affaire» – je la mets entre guillemets, pour dire qu’elle n’en était pas une –, ne relève aucunement de la Justice, et encore moins de procédures pénales.
(A suivre) 
Par Kamel Bouchama (auteur)