Confrontée aux incertitudes de l’économie mondiale 2020/2021 : éviter la dérive salariale

La loi de Finances complémentaire 2020

L’épidémie du coronavirus a un impact sur l’économie mondiale qui connaîtra en 2020, trois chocs. Un choc de l’offre avec la récession de l’économie mondiale, un choc de la demande du fait de la psychose des ménages et un choc de liquidité avec des sondes de chocs pour 2021. Cette crise aura à l’avenir un impact sur toute l’architecture des relations internationales dans toutes leurs dimensions, militaire, économique, sociale et culturelle.

Or pour la loi de Finances complémentaire 2020, étant un projet de budget rectificatif, étant donné le retournement de situation que connaît actuellement le marché pétrolier avec une réduction des dépenses de 30 à 50% qui s’ajoute à celle de l’ancienne loi, comme conséquence de ces tensions budgétaires et financières contrairement aux prévisions du FMI et de la Banque mondiale, il est prévu que la croissance économique serait négative et s’établirait à -2,63% contre 1,80% prévue dans la loi de Finances initiale avec le prix fiscal de 50 à 30 dollars et le prix du marché à 35 dollars. Dans la nouvelle monture, les recettes prévisionnelles reculent à 5 395,5 milliards DA contre 6 289,7 milliards de dinars dans la LF initiale dont 1 394,7 milliards DA de fiscalité pétrolière et 4 001,1 milliards dinars de fiscalité ordinaire. Les dépenses du budget ont été revues à la baisse de près de 6% passant ainsi à 7 372,7 milliards dinars contre 7 823,1 milliards dinars dans la LF initiale dont 4 752,4 milliards dinars pour les dépenses de fonctionnement et 2 620,3 milliards dinars pour les dépenses d’équipement. Les dépenses de fonctionnement baissent (en dehors des salaires et transferts sociaux) de 141 milliards de dinars (près de -3%) par rapport à la loi de Finances préliminaire de 2020, en raison de la baisse de 150 milliards de dinars des dépenses courantes, contre une hausse de 9 milliards de dinars destinés à couvrir la hausse du Salaire national minimum garanti (SNMG).
Les dépenses d’équipement ont été réduites de 309 milliards de dinars (-10,5 %) pour passer à 2 620,3 milliards de dinars, contre 2 929,7 milliards de dinars dans la loi préliminaire. Toujours dans le cadre des restrictions, il est prévu une baisse de la valeur courante des importations de marchandises de 4,7 milliards de dollars, pour atteindre 33,5 milliards de dollars, plus la baisse de la valeur courante des services de 2,3 milliards de dollars qui ont fluctué entre 2010/2019 entre 9/11 milliards de dollars par an (appel aux compétences étrangères). Mais le fait le plus important est la baisse des exportations d’hydrocarbures à 17,7 milliards de dollars, contre 35,2 milliards de dollars prévus dans l’ancienne loi de Finances. Le déficit budgétaire devrait atteindre -1 976,9 milliards de dinars, soit -10,4% du Produit intérieur brut (PIB) (contre -1 533,4 milliards de dinars, soit -7,2% du PIB dans la loi préliminaire). La balance des paiements enregistrant un solde négatif de -18,8 milliards de dollars, contre 8,5 milliards de dollars dans la loi de Finances préliminaire, alors que le niveau des réserves de change devrait reculer plus fortement que prévu d’ici à la fin 2020 pour atteindre 44,2 milliards de dollars contre une prévision initiale de 51,6 milliards de dollars.
En ce qui concerne la relance économique, il est prévu l’exonération des taxes douanières et de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour une durée de deux ans renouvelables pour les composants acquis localement par les sous-traitants dans le secteur des industries mécanique, électrique et électronique et les pièces de rechange, la création d’un régime préférentiel pour les activités de montage et l’annulation du régime préférentiel pour l’importation des lots SKD/CKD pour le montage de véhicules et l’autorisation d’importer de véhicules touristiques neufs par les concessionnaires automobile, l’encouragement de la création et du développement des start-up, par la modification de l’article 69 de la loi de Finances pour 2020, une exonération temporaire de trois années en matière d’IFU, d’IRG, d’IBS, de TAP et de TVA sur les équipements acquis au titre de la réalisation des projets d’investissement. Concernant l’investissement étranger, il est prévu la révision à la hausse du taux de prélèvement à la source pour les sociétés étrangères exerçant dans le cadre de contrats de prestation de services en Algérie, de 24% à 30% pour les encourager à ouvrir des bureaux en Algérie. La suppression de la règle de répartition du capital social 49-51%, l’exclusion des activités d’achat revente de produits et celles revêtant un caractère stratégique, et l’abrogation des articles 46 de la LFC 2010 et 30 et 31 de la loi n°16-09 relatifs à la promotion de l’investissement, prévoyant le droit de préemption de l’Etat sur toutes les cessions d’actions ou de parts sociales réalisées par ou au profit d’étrangers, l’abrogation de l’article 16 de la loi de Finances pour 2016 portant obligation de financement des investissements étrangers par recours aux financements locaux.

Parmi les mesures sociales, le projet de loi de Finances complémentaire prévoit la reconduction jusqu’en 2025 de l’abattement de 50% en matière d’IRG et d’IBS au profit des revenus réalisés dans les régions du Sud, l’exonération totale de l’IRG pour les revenus n’excédant pas 30 000 DA par mois applicable à compter du 1er juin 2020, la révision du seuil du SNMG qui passe de 18 000 à 20 000 DA au bénéfice des bas revenus. Mais une Loi n’est qu’une Loi, n’étant pas une question juridique mais de pratiques sur le terrain, l’attrait de l’investissement qu’il soit étranger ou national repose principalement sur 7 facteurs : -sur une visibilité dans la démarche socio-économique à moyen et long terme, supposant une planification stratégique, évitant des décisions au gré de la conjoncture, sur la bonne gouvernance, de profondes réformes structurelles, la corruption détournant les investisseurs créateur de valeur ajoutée, sur la levée des obstacles bureaucratiques centraux et locaux qui constituent le facteur essentiel du blocage, trop de procédures alors que l’investisseur agit en temps réel existant des opportunités à travers le monde et pas seulement en Algérie, sur la réforme du système financier lieu de distribution de la rente qui n’a pas fait sa mue depuis l’indépendance politique car enjeu énorme du pouvoir se limitant à des aspects organisationnels techniques, sur la réforme du système socio-éducatif fondé sur les nouvelles technologies, avoir une main d’œuvre non qualifiée à bon marché n’étant plus d’actualité avec l’avènement de la quatrième révolution économique mondiale fondée sur l’économie de la connaissance, sur l’efficacité des start-up, malgré des compétences qui sera limitée sans une base économique et des institutions efficientes adaptées au digital et à l’intelligence économique, risquant de renouveler les résultats mitigés, malgré de nombreux avantages, de tous ces organismes de l’emploi des jeunes, sur l’épineux problème du foncier car actuellement le mètre carré est trop cher et souvent les autorités attribuent souvent du terrain sans viabilisation et utilités : routes, téléphone , gaz, électricité et enfin éviter des changements périodes de cadres juridiques.
Car, il est reconnu après les scandales financiers que la règle des 49/51% a eu un impact néfaste permettant à certaines oligarchies proches du pouvoir d’avoir une rente sans apporter une valeur ajoutée, mais devant définir clairement ce qui est stratégique et ce qui ne l’est pas idem, pour le droit de préemption qui peut décourager tout investisseur sans compter les nombreux cas de litiges au niveau des tribunaux internationaux qui ne donnent pas une bonne image pour l’Algérie. Cependant, j’attire l’attention du gouvernement que les recettes néo-keynésiennes de relance de la demande globale ne s’appliquent pas à l’Algérie qui ne souffre pas de rigidités conjoncturelles devant comparer le comparable comme l’économie vénézuélienne et non les USA et l’Europe reposant sur une économie productive, alors que l’économie algérienne a pour fondement la rente des hydrocarbures avec un déclin de l’appareil productif hors rente, excepté certains segments de l’agriculture. Une nation ne pouvant distribuer plus que ce qu’elle produit, donc attention à la dérive salariale que certains experts proposent qui ne peut que conduire à la dérive inflationniste qui pénalisera les couches défavorisées. La cohésion sociale passe par des subventions ciblées au profit des couches les plus démunies, distribuer des revenus sans contreparties productives étant un suicide collectif.

2- Pour l’Algérie fortement connectée à l’économie mondiale à travers sa rente d’hydrocarbures qui lui procure directement et indirectement 98% de ses ressources en devises, est fortement impactée par cette crise où le cours du pétrole fonction du retour de la croissance de l’économie mondiale, loin de certains discours euphoriques, fluctuera en moyenne annuelle entre 30/35 dollars, en n’oubliant pas la perte des parts de marché pour le gaz où la baisse des prix en référence à 2010 est de plus de 60%, procurant 33% des recettes à Sonatrach, ce qui donnerait des réserves de change certainement moins de 40 milliards de dollars fin 2020, sauf miracle d’un cours supérieur à 45/50 dollars, avec une importation de biens et services d’environ 35 milliards de dollars qui est le montant incompressible, se répercutant sur l’appareil productif dont 85% des entreprises privées et publiques fonctionnent avec des matières premières importées. En plus, il s’agira de quantifier le manque à gagner de la réduction de production de l’Algérie variant entre 240 000 et 145 000 barils/j sur une production totale ne dépassant pas 1 million de barils jour en forte baisse depuis 2010.
Comment ne pas rappeler que l’Algérie a engrangé plus de 1 000 milliards de dollars en devises dont 98% avec les dérivées proviennent de Sonatrach et a importé en biens et services plus de 935 milliards de dollars entre 2000/02019 avec un taux de croissance dérisoire (entre 2/3%, mauvaise gestion et corruption) mais cette manne pétrolière a permis à l’Algérie d’effacer une énorme dette extérieure qui représente actuellement moins de 5% du PIB. Mais ce modèle a atteint ses limites comme par le passé, devant imaginer un nouveau modèle de développement, éviter de reproduire les schémas du passé comme le schéma directeur «des industries industrialisantes» des années 1970 qui est mort, étant bien placé puisque ayant été directeur d’études au ministère de l’Industrie et de l’Energie entre 1974/1979. Il en est également du schéma directeur de la production en substitution aux importations qui est frappé de désuétude, s’orientant vers un nouveau modèle de croissance mondial avec la quatrième révolution économique qui est irréversible entre 2020/2030.
La crise mondiale actuelle n’est pas la seule explication de la léthargie de l’appareil productif algérien, 7% de croissance du PB en 2019, selon le FMI, 0,8% selon le gouvernement, avec une prévision négative moins de 5% pour 2020, selon le FMI donc loin des prévisions du gouvernement, le secteur industriel représentant moins de 6% du PIB avec la dominance du commerce-services-administration peu performants. Les prévisions de la Banque mondiale tablent sur une contraction de 3% du PIB en 2020 suite à la chute des investissements publics, qui représentent 44% de la totalité des investissements, les efforts visant à stimuler l’investissement privé, comme l’abrogation de la règle 51/49 pour les secteurs non stratégiques, étant entravés par des incertitudes nationales et mondiales.
(A suivre)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul