La justice algérienne passe à la vitesse supérieure

Enregistrement sonore

La mise sous mandat de dépôt dimanche du directeur général de l’ES Sétif, Fahd Halfaia et du manager de joueurs Nassim Saâdaoui, dans l’affaire de trucage présumé de matches, fuité par un enregistrement sonore, confirme un peu plus la volonté de la justice algérienne à combattre toute forme de corruption.

Tout a éclaté avec la diffusion sur les réseaux sociaux d’un enregistrement sonore, dont l’authenticité a été confirmée par une expertise, ayant impliqué Fahd Halfaia et Nassim Saâdaoui. Le ministère de la Jeunesse et des Sports n’a pas tardé à réagir en déposant une plainte contre X, avant que la justice ne prenne l’affaire en mains et inculpe les deux accusés après une journée d’audition chez le procureur de la République près le tribunal de Sidi M’hamed (Alger) et le juge d’instruction de la première chambre. Saâdaoui a été mis en détention provisoire pour «atteinte à la liberté d’autrui, diffamation et enregistrement d’appel téléphonique sans consentement», alors que Halfaia est accusé de «trucage de matches». La décision de la justice est intervenue la veille de la signature de la première convention cadre entre le MJS et l’Organe national de prévention et de lutte contre la corruption, intervenue lundi.
Le département ministériel a précisé que cette convention «tend à combattre la corruption dans le milieu sportif et au sein des jeunes». Cette affaire est en train de tenir en haleine l’opinion publique, eu égard à son ampleur. Le dossier a rapidement atterri sur les bureaux du procureur de la République, faisant rappeler à tout le monde le jugement d’anciennes figures politiques, actuellement en prison et condamnés à de lourdes peines notamment pour corruption et dilapidation de deniers publics, à l’image des deux anciens chefs du gouvernement Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal. Avec la mise sous mandat de dépôt de Halfaia et Saâdaoui, la justice algérienne semble plus que jamais décidée à se pencher sur la corruption dans le milieu footballistique qui a pris des proportions alarmantes depuis plusieurs années déjà et d’autres têtes risquent fort de tomber. Des son côté, la commission de discipline de la Ligue de football professionnel a organisé deux auditions pour entendre toutes les parties concernées par cette affaire, sans prendre aucune décision, se contentant de «laisser le dossier ouvert».
D’aucuns estiment qu’il y a une réelle volonté politique de juger et condamner les personnes coupables, que ce soit dans le domaine politique, économique et désormais dans le milieu footballistique. Le président Abdelmadjid Tebboune a réitéré à plusieurs occasions son engagement devant les Algériens d’«édifier une nouvelle République forte sans corruption, ni haine». Cette affaire n’est qu’un anneau dans le triste feuilleton de la corruption dans le football en Algérie. Pas plus tard qu’en décembre dernier, l’ancien président de l’USM Annaba (Ligue 2), Abdelbasset Zaïm, avait été condamné à 18 mois de prison, dont 6 ferme, pour «des pratiques suspectes liées à l’utilisation de l’argent pour gérer les résultats des matches de football», après avoir reconnu, sans avoir froid aux yeux, sur un plateau de télévision qu’il avait déboursé 7 milliards de centimes pour acheter des matches et permettre à son équipe d’accéder en Ligue 2 en 2018.

Mellal, Arama, Nezzar et Zerouati en savent quelque chose
Le mal est profond et remonte déjà à plusieurs années. L’affaire Halfaia-Saâdaoui avait été précédée par d’autres scandales, à l’image de la tentative de corruption de deux joueurs du CA Batna en 2012 par la JS Saoura. Deux joueurs du CAB auraient été en effet approchés à Aïn M’lila par un manager répondant au nom de Nouri Benaïssa qui s’était présenté en qualité d’émissaire de la JSS. Le président du CAB, Farid Nezzar, avait alors soutenu que cette personne a été mandatée pour arranger le match (0-0) comptant pour la 8e journée. Il avait notamment affirmé à la presse qu’il détenait «les preuves d’une tentative d’arrangement du match CAB-JSS». De son côté, le tribunal d’Aïn M’lila a condamné Mohamed Zerouati, alors président de la JSS, ainsi que l’agent de joueurs FIFA, Nouri Benaïssa, à 18 mois de prison ferme. A la fin de la saison 2018-2019, une autre affaire avait éclaté, impliquant le président de la JS Kabylie, Chérif Mellal, et le manager général du CS Constantine de l’époque, Tarek Arama.Tout avait commencé à l’issue du match JS Kabylie – CABB Arréridj (2-0), disputé le 26 mai 2019 et comptant pour la 30e et dernière journée de Ligue 1.
Le président kabyle avait jeté un pavé dans la mare en accusant Arama de vouloir exiger la somme de 2,5 milliards de centimes pour battre l’USM Alger et offrir le titre à la JSK, chose que le dirigeant constantinois a niée en bloc. La JSK comptait sur une défaite ou un match nul de l’USMA à Constantine pour remporter le titre, revenu finalement aux Algérois, vainqueurs 3-1. Quelques jours plus tard, Mellal avait diffusé un enregistrement téléphonique avec Arama dans lequel ce dernier a accusé l’USMA de tentative de corruption, tout en incitant Mellal à verser aux joueurs constantinois une «prime exceptionnelle» pour les motiver à battre le club algérois. Les deux dirigeants ont écopé de deux ans de suspension ferme de toute fonction officielle et/ou activité en relation avec le football avec proposition de radiation à vie de toute compétition ou activité sportive, mais sans pour autant que l’affaire ne soit traitée par la justice.
R. S.