L’exil fécond

Culture

Les faits relatés dans ce livre sont inspirés de la réalité vécue. Cependant, toute ressemblance avec des personnages réels, ayant existé ou existant toujours, n’est que pure coïncidence et ne relève point de la volonté de l’auteur. Mais, qui se sent morveux… se mouche !
L’auteur

Cet agneau zélé, d’une belle race ou de bonne famille – comme vous dites communément chez vous – est décédé seul, aux urgences de la prison du «Cabrane», comme s’il n’appartenait à personne. Il est mort seul. Ses proches n’étaient pas là pour l’assister. Il a quitté notre monde avec son fardeau d’angoisse, d’obsession et de peine. Il l’a quitté avec son cauchemar… celui d’avoir été jeté en prison inconsciemment, voire arbitrairement, parce qu’à travers son inculpation, «on» voulait assouvir une passion, peut-être pour atteindre d’autres, qui sait ? Oui, il est parti seul, comme tous ces innocents qui ont toujours peur d’être voués aux gémonies, en pénétrant le dédale de la Justice qui, dans notre jungle, n’exhale pas la noblesse de l’équité et de la… rectitude. Les autres, les vrais coupables, ceux qui plastronnent, impunément, insolemment, à l’ombre d’un climat fait d’iniquité, de passe-droit et de persécution, continuent à faire fructifier leurs affaires, en tenant le haut du pavé dans le système de la jungle qui, malheureusement, va à vau-l’eau et ne pourrait se faire respecter qu’après une sérieuse refonte dans tous ses compartiments. Ainsi, le corps se perd dans l’abîme de l’arbitraire et le nom dans la mémoire. Dure et triste fortune… comme disait un de vos semblables les humains, Victor Hugo, pour ses marins qui, dans de mornes horizons, se sont évanouis ! Mais qui est cet «agneau indélicat», plutôt, qui était-il – parce qu’il n’est plus – celui qui, selon le procès de première instance, un procès aux multiples retentissements bien après aurait commis un grave préjudice au détriment de la jungle, dans une transaction commerciale dont certains animaux ont rapporté les faits, évidemment, selon la version amplifiée et machiavéliquement ordonnée, de délateurs très intéressés ? C’était un agneau, un vulnérable commis, qui a payé son zèle à l’Administration de notre jungle, comme des milliers d’autres commis, qui se sont retrouvés dans des situations indélicates pour avoir pris des décisions, en s’engageant courageusement, en lieu et place de ceux qui n’ont jamais osé prendre leurs responsabilités. C’était un agneau très honnête – je le connaissais parfaitement pour aller vers le dithyrambe le concernant –, un commis de la jungle qui était à quelques mois de sa retraite.
C’était un agneau qui a été élevé dans les traditions de l’intégrité et les exigences de la vertu, un agneau enfin, dont la race, connue pour son ancestralité dans notre société des animaux, abhorre et refuse tout ce qui n’est pas clair, tout ce qui n’est pas juste, tout ce qui déshonore, encore plus ce qui cache la réalité au détriment de la vérité. Je ne vous dirai pas plus le concernant, car si je me laisserai aller dans la description d’un commis comme notre agneau, je ne terminerai pas de sitôt. Et je suis connue pour être généreuse dans mes commentaires. Mais pourquoi le faire aujourd’hui, Dieu n’a-t-il pas notifié son arrêt le concernant, en ce vendredi saint ? Ne voulait-il pas nous instruire qu’Il le gratifiait en l’enlevant à cette jungle où l’injustice se fait de plus en plus ignoble, où la haine nie le droit et où l’ambition démesurée se conforme sans peine à l’aversion du mensonge ? Oui, Dieu, Tout-Puissant, a voulu nous interroger en cette circonstance, nous les amis et proches de cet agneau, qui partageons dans une pathétique compassion la douleur des siens. Il nous recommande d’être forts en nous rappelant, par la disparition d’un être très cher, qu’ici bas, la morale et la justice sont chez les «méchants» – je fais allusion aux adeptes de la vilenie – deux vertus qui sont loin de les séduire, puisqu’ils vont vers celles qui nous répugnent.
Et parmi les créatures éphémères que nous sommes, n’y a-t-il pas celles qui ont dit, dans des cas qui ressemblent à celui de notre agneau : «Un innocent condamné est l’affaire de tous les honnêtes créatures» ? Ainsi, si nous prenons notre courage à deux mains, pardon, si nous faisons uniquement notre devoir, en disant la vérité devant ceux qui doivent l’entendre, aurons-nous des résultats… franchement !? Non ! Car pour l’instant nous sommes loin, très loin, de ce monde équitable, parce que nous vivons avec un idiome qui n’est pas fait pour clamer la vérité même s’il exprime continuellement nos joies et nos peines, nos besoins et nos passions. Et, tout en essayant de se retenir pour ne pas éclater en sanglots, la mouche me dit d’une voix assez rude : «Il faut que tu saches que nous vivons dans une jungle où l’erreur a créé beaucoup plus que la vérité !» Et elle continue sur cette affaire qui l’a beaucoup touchée au point de me la livrer en guise de conclusion. N’est-ce pas pour me persuader encore une fois de la légitimité de sa décision de quitter sa jungle ? Ecoutons-la encore, parce qu’elle va directement au but : Vois-tu, la perte d’un être cher, que ne pourrait-elle pas susciter comme regret, voire comme découragement, et c’est permis, surtout quand l’offenseur est ce pouvoir qui gère la jungle, représenté par la Justice, et l’offensé un commis, un cadre, ayant sacrifié toute sa vie au service de ce même système et de cette même jungle !!! Cette perception sincère, que je traduis par des expressions simples et que tous les animaux pourront commenter, je l’espère, je l’ai voulue ainsi, pour compatir à la douleur d’une famille qui venait de perdre un joyau – je mesure mes mots –, en la personne de leur agneau, ce commis et cadre supérieur d’un secteur important de la jungle qui est décédé dans l’anonymat, pendant son inexplicable détention.
Je sais, que les gens qui aiment la Justice, la vraie, dans notre jungle, ne vont épargner aucun moyen pour faire triompher encore la vérité concernant ce cadre qui a œuvré avec enthousiasme et dévouement dans cette importante entreprise jusqu’à son incarcération. Il a été réhabilité dans ses droits, il a été acquitté, innocenté, c’est vrai, mais il n’était pas là pour lancer ce cri de joie ou laisser éclater ce bêlement (comprenez ce sanglot) de bien-être. Il est là où les méchants ont voulu qu’il aille. Il est quelque part où les gens honnêtes se rencontrent pour deviser sur une jungle, la nôtre, qui ne cesse de s’angoisser et se persécuter. De grâce, que l’on fasse quelque chose, avant qu’il ne soit trop tard, pour d’autres innocents qui peuvent avoir le même sort que notre agneau. Que l’on juge, en notre âme et conscience les commis de la jungle, en tenant compte de dossiers solides, bien faits, et qu’on ne les juge pas sur des présomptions ou carrément sur des accusations de diffamateurs. Franchement, je ne veux pas être aujourd’hui à la place de ce magistrat qui a requis 7 ans de prison contre l’agneau innocent ! Comme je ne veux pas être également à la place de cet autre magistrat, président du Tribunal, qui a tranché en faveur de la justice – la sienne – et condamné l’agneau – toujours innocent – à 2 ans de prison ferme, au détriment de toute logique. Je ne veux pas enfin être à la place de cet officier de police qui, avant de déclencher l’enquête – et quelle enquête –, aurait décrit «l’inculpé», sans aucune pièce accablante, comme un goujat, ayant gambadé dans une prairie où il y avait des milliards à croquer ! Ah ! si ceux-là savaient que l’agneau était parmi ceux qui ont toujours vécu dans la droiture, le respect des principes et surtout dans la probité morale et le dévouement. Et, avant de terminer cette douloureuse affaire, la mouche me rassure que toutes ces transgressions et ces maladresses peuvent être annihilées à condition de : – réveiller les consciences et dire aux responsables que cette «affaire» – toujours entre guillemets –, puisqu’il s’agit d’assassinat en bonne et due forme, doit être méditée convenablement d’abord, dans ses tenants et ses aboutissants, car c’est toute la société des animaux qui est touchée pendant des circonstances douloureuses comme celles-ci. – trancher, au niveau de la cour du roi lion, pour demander impérativement à notre Justice d’être plus vigilante dans des cas pareils afin que des cadres de cette dimension ne doivent pas laisser traîner derrière eux des avanies qui marqueront d’une encre indélébile tout leur entourage.
Les animaux honnêtes dans cette jungle, en seront reconnaissants tout en ayant ce regain d’espoir qu’ils s’acheminent concrètement vers un pouvoir de droit où la Justice est au dessus de tous. Voilà, je t’ai raconté toute l’histoire des trois innocentes bêtes, la gazelle, l’éléphanteau et l’agneau, qui vécurent des moments très désagréables à cause de la férocité animale, dans une jungle qui n’en finit pas de nous surprendre. Je t’ai raconté également cette autre histoire de l’affaire du siècle qui a abasourdi plus d’un chez nous et ailleurs, dans d’autres jungles. J’ai voulu, tout en te tenant compagnie pendant ce long voyage, que tu connaisses ces aberrations, pour justifier mon désir de ne plus vivre chez moi, parmi les miens. Tu m’excuses si je suis un peu bavarde et dure dans mes propos, en allant jusque dans les détails, mais il fallait te mettre au courant en t’expliquant que ces pratiques n’existent pas uniquement chez vous, dans votre jungle raffinée, pardon dans votre pays, car trop subtil et ingénieusement équipé de tant de moyens techniques et scientifiques. Ces histoires existent aussi chez nous, pour rappeler à tous que nous sommes hélas des sauvages d’une faune qui n’ont pas tellement d’espoir de pouvoir évoluer, sauf si le monde changerait de fond en comble, ce qui est une véritable utopie. Enfin, je t’ai tout dit. Merci de m’avoir écouté attentivement. Merci pour la patience dont tu as fait preuve avec moi et, encore une fois, toute ma reconnaissance pour ce voyage pendant lequel je me suis permis de joindre l’utile à l’agréable. En acceptant de me prendre avec toi, tu m’as ouvert les perspectives d’une nouvelle vie, ailleurs, et tu m’as offert ce que tout le monde espère vivre le restant de sa vie : la liberté et la justice.

La séparation
Oui, la mouche est prolixe. Mais elle s’avère aussi une brillante avocate pour plaider sa cause et celle de ses amis les animaux qui souffrent, comme nous, de nombreux problèmes ; notamment les lourdes conséquences de la sempiternelle arrogance et de la cruelle insolence qui se sont imposées comme une seconde nature dans notre monde d’aujourd’hui. Sa longue histoire, relatant les infortunes de la belle gazelle et du prodige éléphanteau m’a ramené à la réalité, notre propre réalité dans un monde qui subit l’incongruité de ceux qui le dirigent et, pour comble de malheur, qui ne savent aucunement le diriger. C’est exactement ce que nous ressentons lorsque des pans entiers de la société supportent péniblement, au quotidien les vicissitudes du temps, mais ne peuvent y remédier à cause de leur accroissement et de leur ancrage dans la masse. Je réfléchissais à toutes ces questions qui se bousculaient dans ma tête, en un amalgame tel que je ne pouvais m’en débarrasser facilement. Trois heures de vol m’ont permis de revenir à la triste évidence d’un monde impitoyable gouverné par le parti pris et la propension du mal et de l’injustice. Je ne pouvais mieux faire que d’écouter la mouche, pendant ce voyage, tellement utile pour celui qui, comme moi, prend la peine de prêter attention à une petite bestiole fort truculente et non moins intelligente. Arrivé à destination, je me devais de remplir mon devoir envers elle. Je l’ai libérée comme convenu avec l’espoir d’avoir été jusqu’au bout de mes promesses et de la retrouver plus tard, qui sait, dans de meilleures conditions.
Le lâcher s’est fait dans cette belle capitale de l’Europe, là où il fait bon vivre, comme elle ne cessait de le répéter pendant tout le voyage. Elle le pensait vraiment, et soutenait qu’elle ne reviendrait plus jamais à son climat néfaste et nuisible qui lui a suscité tellement de mauvaises aventures et de pénibles complications. Au moins là-bas, je m’imaginais, elle pourrait exploser comme tous ceux parmi nos enfants qui ont pris la clé des champs et se sont retrouvés aux postes de commandes. Là-bas, bien sûr, les seuls critères sont le travail, l’assiduité, l’engagement, le dévouement et la droiture. Sans cela, personne ne peut réussir, gagner son label de qualité et, en même temps, réaliser ses projets de promotions. – Adieu, petite mouche, lui dis-je, je t’aime bien… tu sais ! Fais attention à toi et remplis convenablement ta tâche là où tu éliras domicile. La bonne conduite, le travail et l’honnêteté seront tes meilleures références. Exhibe-les avec modestie, et applique-toi pour les préserver et les perpétuer. – Merci beaucoup pour ta gentillesse et tes bons sentiments envers moi, une petite bestiole qu’on écrase facilement en claquant des doigts, me répond-elle émue et pleine de reconnaissance.
Tu as été si généreux avec moi et si attentif à mes propos que j’ai repris espoir en sachant que la vie, la vraie, n’existe pas chez nous, dans notre jungle, mais ailleurs où les êtres sont plus affables, plus reconnaissants et plus disponibles pour le travail et le sacrifice. Adieu et encore une fois, merci… Elle s’envole dans le grand espace de ce vaste et luxueux hôtel et disparaît à travers la multitude d’objets de valeur qui ornent son salon, un endroit réservé aux invités de marque. Elle a de la chance, me dis-je, en un laps de temps elle se retrouve dans un autre pays, dans un autre décor et, mieux que cela, dans une ambiance qui lui permettra certainement d’évoluer et de participer à l’effort de développement qui mobilise toutes les bonnes volontés pour faire de notre monde des aires d’entente et de dialogue. Adieu et bonne chance, lui dis-je, une dernière fois, avant de vaquer à mes occupations. Il y a cette Conférence à laquelle je dois assister, à la tête de ma délégation. Je dois me concentrer pour remplir convenablement ma mission. Cependant, pris dans l’engrenage de la fiction, une bestiole qui parle, et moi qui comprend le langage des animaux – drôle d’équation dans le monde de l’irréel –, je ne pouvais ne pas revenir de temps à autre à cette mouche qui m’a profondément troublé. Car ce dialogue imaginaire qui nous a retenus pendant plus de trois heures, le temps d’un voyage, vient à point nommé pour réveiller ma conscience et je le pense fort bien, celle des autres responsables s’ils ont eu cette chance d’avoir connu pareille situation. En effet, ce dialogue vient pour nous secouer, nous qui pensons vivre une ambiance généreuse où la complaisance et l’amitié font bon ménage alors que nous occultons sciemment de nombreux aspects négatifs et leurs portées sur la société que nous sommes censés gérer avec tout le respect que nous nous devons les uns les autres.
En effet, sans m’en rendre compte, je reviens de temps à autre à ma mouche pour engager une autre discussion avec elle, même si elle n’est plus là. Car du coup, j’ai aimé ce petit insecte qui a eu le courage de persévérer et d’oser entreprendre un périple long et déracinant pour changer sa vie, dans d’autres contrées certainement plus accueillantes et mieux nanties. Dans ces contrées où l’effort et le rendement sont respectés et les meilleures conditions pour l’évolution individuelle sont réunies. Mon amie, la mouche, m’a incontestablement marqué… profondément marqué. Son enthousiasme, sa résolution et sa franchise ont fait que je m’imprègne davantage de sa détermination et de son charisme qui ne lui ont pas fait défaut pendant cette longue traversée. Bien au contraire, ils ont plaidé en sa faveur et m’ont convaincu qu’il fallait l’accompagner jusqu’au bout de ses peines et lui présenter ce que j’ai de mieux à lui offrir. Oui, il fallait lui prêter mon aide et mon assistance. Car, en décidant de lui donner la liberté qu’elle me demandait, je tenais en même temps à exorciser cette oppression qui m’habitait, enfin qui nous habitait tous, en ces moments difficiles, et que nous voulions à tout prix nous en débarrasser pour ne plus entendre parler de ces mauvaises choses qui nous persécutaient et nous abaissaient au point de nous rendre faibles et piteux devant l’Éternel parce que nous n’avons rien fait pour nous en dégager. Mais au fait, pourquoi j’écris ces phrases à l’imparfait ? Il faut les réécrire au présent, je pense, parce que nous vivons les mêmes situations aujourd’hui. Nous les vivons encore avec plus d’hostilité et de perversité. Oui, nous les vivons lamentablement.
Je le dis, honnêtement, plutôt courageusement, en sortant de ma réserve et en reconnaissant le mal qui nous poursuit. La mouche le dit crânement, ne puis-je pas m’exprimer, moi aussi, vaillamment, devant l’Histoire et jouer mon rôle de responsable fidèle aux principes de vérité et de justice ? En effet, notre pays va droit dans le mur, comme disait quelqu’un. Et la «démission des institutions est tellement visible depuis longtemps, qu’elle s’accompagne par une lassitude de la société elle-même, une société devenue amorphe, écrasée par une résignation que le pays n’a jamais connue jusque-là». Est-ce un besoin d’expression, comme pour effacer la marque de l’humiliation ? Peut-être que oui, peut-être que non. En tout cas, dans notre monde, la pente est celle de l’indifférence et du désengagement. La «société est fluide, mondialisée, virtualisée, et les repères éclatent, les frontières s’effacent, les liens se distendent et se superficialisent». Et plus grave encore, le pays vit une déstructuration inimaginable. Il est atteint dans tous ses fondements, et dans sa crédibilité d’abord. Et là, on se pose la question : est-ce que le système va opter pour sauver le pays ou bien pour se sauver lui-même, en privilégiant avant tout à sa survie ? Sur un autre chapitre, celui des ressources humaines, «l’étouffement des compétences est un mal, peut-être le plus dangereux, qui ronge notre pays», alors que par ailleurs, dans des pays qui se respectent, cet aspect est entouré d’un grand sérieux.
Mais nous, contrairement à eux, nous tournons orgueilleusement – comprendre avec démagogie – la tête vers d’autres démonstrations par trop délirantes et frénétiques, affirment ceux qui nous connaissent très bien. Nous tournons la tête vers des chiffres gonflés par une conjoncture favorable qui ne nous aide pas à nous ressaisir et à connaître la vérité, ni même à comprendre nos limites. «Les hommes honnêtes n’ont pas encore, Dieu merci, disparu de ce pays. Ils sont les victimes de l’anti-sélection. Ce phénomène ignoble, imposé par les plus incompétents et les moins aptes, écarte du terrain tout ce qui est valable pour laisser la place à l’opportunisme de ceux qui, nommés à la tête d’organisations ou d’organismes, ne peuvent pas ne pas confondre entre la responsabilité et l’opportunité et qui, au lieu de consentir des sacrifices, s’arrangent toujours pour tirer des bénéfices», écrivait un journaliste perspicace. Il expliquait également, très convaincu, et non moins convaincant, comme ceux qui n’ont jamais rien perdu de leur honnêteté et de leur bon sens d’hommes vertueux : «De toute façon, tout comme l’opportunisme, l’honnêteté est une valeur comportementale qui peut être insufflée, impulsée, encouragée. Mais si l’opportunisme se développe généralement chez les gestionnaires les moins intègres et les moins compétents, il va falloir certainement revoir les modalités de sélection des gestionnaires des entreprises de l’Etat». Malheureusement, il n’y a pas que çà qui dérange chez nous.
Il y a ces grands fléaux sociaux, comme la drogue qui prend des dimensions dangereuses, la délinquance qui infeste nos villes et villages, les vols et les détournements de deniers publics qui se répandent dans nos espaces économiques et financiers. Il y a aussi toutes ces implications de la tragédie nationale qui sont fondamentalement responsables des accumulations des frustrations socio-économiques des populations. Ces implications sont génératrices d’un mal-être social qui est la traduction du chômage, du manque de logement, de l’impression que s’est installée l’insécurité, d’absence de perspective et d’autres phénomènes aussi dangereux que ceux que nous venons de citer. Cette situation fort inquiétante accentue la lame de fond qui fait que des jeunes, qui vivent le nihilisme et l’extrémisme, ne pensent qu’à s’enfuir de leur pays, par n’importe quel moyen, y compris celui de la «débrouille». Un autre journaliste, pertinent lui aussi, raconte que la veille du jour de l’an, une véritable armada de petites barques a pris le départ d’une plage de chez nous. Objectif : la Sardaigne.
Il y avait foule pour saluer les «harragas» : familles, copains, curieux. Un spectacle digne de Federico Fellini ! Mais la voix partisane dans tout cela ? Eh bien, elle est muette, affirmait quelqu’un péremptoirement ! Par manque d’informations ? Par manque d’expertise ? Non ! Par dédain… je dirai pour ma part ! Et quand elle s’exprime, elle fait des vagues, comme celles d’un haut responsable de la République, «bien planqué», qui disait à ces jeunes : «Pourquoi vous partez, puisque chez nous il y a du travail ! ». Ensuite, apostrophant un jeune dans l’assistance qui mettait un de ces tee-shirts griffés, mais «contre façonnés», qui nous parviennent de ces dépôts du Sud-est asiatique : «La preuve, celui-là a de l’argent, puisqu’il porte un tricot Lacoste !! ». C’est lamentable cette insolence, surtout lorsque cela vient d’un haut responsable semblant ignorer la réalité du pays. Cependant, quel que soit la cause, les problèmes sont latents. On entend dire : «Cachez-moi ce sujet que je ne saurais voir». De toute façon, le pétrole est là. C’est une grâce divine. Cependant, jusqu’à quand nous allons continuer de par notre inconscience et notre désinvolture, à compter toujours sur cette manne qui nous vient du ciel, pardon du tréfonds de notre sol, et qui est une matière malheureusement tarissable ? Oui, tout comme nous les êtres humains, la mouche semble déstabilisée, déroutée… elle souffre vraiment ! Mais au fait que risque-t-elle, quand elle ne possède rien, quand elle n’a qu’elle-même ? C’est pour cela que la vie d’ailleurs la passionne. Est-ce peut-être pour observer plus objectivement le monde quand elle sera loin de son espace oisif, ennuyeux et vivant sur fond de crise aiguë ? De là, elle se voit confier la responsabilité de son destin. Alors, elle veut se bâtir et donner une forme à celui-ci par l’intermédiaire des grandes découvertes. Mais va-t-elle trouver enfin la générosité de ceux dont elle recherche la compagnie ? Peut-être… En tout état de cause elle y croit.
Elle croit dur comme fer de pouvoir trouver la panacée à ses ennuis et redoubler d’effort pour arranger sa vie et agrémenter son séjour en terre d’exil. Ainsi, en reprenant donc mes esprits, c’est-à-dire en oubliant un peu cette histoire imaginaire de mouche, de jungle et d’injustice à cause de laquelle cette dernière tenait absolument à s’expatrier, je me suis promis de me consacrer uniquement aux bonnes causes, de ne voir que ces aspects positifs avec un regard plus déterminé. Est-ce les paroles que j’ai entendues qui m’ont quelque peu bouleversé et qui, en réalité, m’ont amené à constater une fois de plus la gravité de la situation ? En effet, un genre de séisme s’est produit dans ma tête. De là, j’ai compris qu’il ne fallait plus appréhender quelques affaires avec légèreté, comme l’ordonnaient certains de nos pairs, dans un contexte aussi difficile et aussi dramatique que celui qui est le nôtre. Je me suis juré de ne plus travestir la réalité, de ne plus garder le silence sur des sujets d’une grande importance. Je dois me démarquer une fois pour toutes de ces conduites affligeantes et dire très haut ce qui doit se dire logiquement et surtout… obstinément ! Parce que le pays se trouve dans l’impasse.
Il se trouve dans une telle impasse que la jungle racontée par la mouche – et conjuguée par elle à tous les modes de la péjoration – ne peut plus nous méduser par ses talents de sauvagerie et de ruine, car nous faisons encore mieux, nous les humains, quand nous nous y mettons. Enfin, laissons de côté ces histoires de jungle et d’animaux vivant l’iniquité dans cette inconcevable injustice, pour nous replonger dans nos occupations, les vraies, les plus concrètes, celles auxquelles nous nous consacrons. Oui, revenons à ma mission. La Conférence m’attend. Le sujet est brûlant. Il faut agir judicieusement pour revenir avec de bons résultats afin de les répercuter chez soi, au sein d’une jeunesse avide de changement. Cet apport extérieur nous servira, sans aucun doute, dans le cadre d’un enrichissement permanent du niveau politique des cadres de notre mouvement. Je conçois ainsi ma présence à ces assises, et j’appréhende ainsi le but de cette mission pour laquelle mon pays a consenti d’énormes efforts pour sa préparation et sa réussite. Oublie pour l’instant la mouche et la jungle et les autres, me suis-je dit… regarde ce qu’il y a d’intéressant concernant ton boulot ! Vas-y, bon courage !

Les retrouvailles
Ma mission étant terminée, je m’apprête à rentrer au pays, heureux et satisfait d’avoir rempli ma tâche. Je suis à l’aéroport, j’attends le départ avec ma délégation dans le salon d’honneur, un bel ouvrage réalisé par des gens de goût, sachant recevoir et déterminés à avancer toujours dans le cadre du progrès. Beaucoup de responsables et de hautes personnalités transitent par cet endroit avant de prendre leur vol vers des capitales souvent très lointaines. J’observe ces incessants va-et-vient d’une communauté diversifiée, contrastée, en fait d’un ensemble hétéroclite où se mélangent toutes les races, car cet aéroport est considéré comme l’épicentre géographique qui vous mène vers presque toutes les destinations à travers les cinq continents. Je suis là, comme à mon habitude, avec mon café et ma cigarette. Le tabac n’est pas encore interdit dans les lieux publics, et non encore diabolisé par des campagnes pertinentes organisées par des associations de santé publique ou privées. La cigarette entre les doigts donne toujours cette fausse illusion de la contenance et du symbole de la virilité. Quelques membres de la délégation se trouvent ailleurs, au free shop, dépensant le peu d’argent qui leur reste pour faire plaisir à leurs enfants en leur ramenant quelques tablettes de chocolat, et à leurs épouses ce pathétique flacon de parfum de… là-bas. Chacun profite, à sa façon, du temps qui le sépare de cet envol de retour au pays, pour retrouver les siens. Chacun traduit, selon son esprit, l’avantage de cette sortie en espérant bénéficier d’une autre, et d’une autre, pour maintenir le cap vers cette profitable formation qui lui manque manifestement.
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)