L’exil fécond

Culture

Les faits relatés dans ce livre sont inspirés de la réalité vécue. Cependant, toute ressemblance avec des personnages réels, ayant existé ou existant toujours, n’est que pure coïncidence et ne relève point de la volonté de l’auteur. Mais, qui se sent morveux… se mouche !
L’auteur

Le service des domaines pense que sa déclaration est en deçà de la réalité et, tenez-vous bien… pour quelques sous dirions-nous. Pas plus ! Une somme modique et peut-être négligeable dans notre jungle où nos responsables usent et abusent des deniers et des biens de la communauté des animaux. J’ai à te raconter un autre exemple de droiture aussi édifiant que ce dernier. Je te le donne en clair pour que tu sois bien informé sur la manière de gouverner dans cette jungle qui a réglé, depuis fort longtemps, tous ses problèmes avec ses habitants. Il s’agit d’une malheureuse affaire qui s’est terminée dramatiquement et dont a été victime le léopard qui exerçait au rang de grand Chancelier de la jungle. De quoi a-t-il été victime, me demanderas-tu ? Je te vois impatient de connaître la suite de cette affaire. Tout simplement de son honnêteté et de la crainte d’être mal jugé par l’opinion publique. Eh oui, de son honnêteté et de cette phobie d’être sévèrement déconsidéré ou peut-être réprimandé par les habitants de la jungle ! T’imagines-tu ce grand chancelier mettre fin à ses jours parce que des agents fouineurs ont eu vent d’un prêt qu’il avait contracté pour l’achat de sa tanière, avec un taux de remboursement préférentiel et l’ont révélé au public ? Pourtant ce n’était qu’un prêt, qui était reconnu par lui-même et qui devait être remboursé selon un échéancier établi par l’intendant de la jungle ! Sacré Chancelier qui n’a pu supporter la vindicte de ses pairs ni la moindre atteinte à son honneur, est allé directement vers sa perte en se faisant oublier pour toujours.
Il ne voulait pas traîner derrière lui ce qu’il considérait comme un affront insupportable ! Après ces deux chroniques d’une riche portée sur le plan du respect de l’autorité, voyons maintenant ce qui se passe dans notre jungle en matière de règlement de certaines de nos situations qui dépassent de loin ce que nous venons de connaître. Car ces dernières, surgies dans un espace comme le nôtre, ne deviennent que de petites choses sans importance. Des broutilles, en quelque sorte ! C’est du travail d’amateurs diront nos spécialistes qui s’adonnent aux détournements de sommes astronomiques et qui se jouent des lois et des consciences des animaux tout en les trompant avec insolence. Évoquons ce mauvais souvenir qui a défrayé les annales de l’Histoire de notre jungle. Il s’agit de notre intendant. Convoqué par le substitut des animaux, il se présente au prétoire, lors de ce procès altéré d’une manière qui dépasse l’entendement, et déclare dans une attitude qui relève de l’inconscience, voire même du mépris – parce que nous sommes entichés de cette «qualité» – qu’il est désolé de n’avoir pas été attentif et rigoureux pour gérer convenablement ce dossier du siècle qui a induit un préjudice considérable à l’économie de notre jungle. Rien que çà ! Ce même intendant n’a pas été inquiété ni même remis à l’ordre puisqu’il y avait des «lampistes» – dans votre langage – qui allaient payer à sa place ! Lui est toujours là, à l’heure où je te raconte cette histoire.
Il est là, narguant les honnêtes animaux, comme si de rien n’était… Il sera toujours là, certainement, dans une autre mission ou ne sera peut-être plus là, par miracle, mais je tiens à édifier les jeunes animaux de notre jungle sur ce qu’a été, pendant une longue période de démission, cette conjoncture où l’on a porté de graves atteintes à la morale, à la dignité et au patrimoine. Je te donne également un autre exemple de cette décrépitude, tant au niveau des mœurs qu’au niveau de la gestion des affaires publiques. Je m’excuse de les raconter comme cela, crûment et brutalement, car je me lance, encore une fois, dans un autre réquisitoire, sans en rougir ou sans avoir la moindre crainte d’être admonestée. Et d’ailleurs pourquoi le serai-je puisque je ne suis pas coupable de ces grands méfaits ? Mais enfin, dois-je mettre les gants, ramper ou peut-être me taire comme de nombreux hypocrites qui nous entourent, pour ne pas «chatouiller» la susceptibilité de certains dignitaires, je te le demande ? De toute façon, la littérature, comme disait un auteur de votre espèce, ne fait pas vraie : c’est son honneur. Rien de tel que de singer le réel pour le faire fuir. Et comme le réel n’est jamais donné, il est donc à conquérir.

Allons-y, continuons vers la conquête du réel… et le réel ici signifie la vérité ! Un ponte, bien de chez nous, en l’occurrence un taureau, installé aux commandes d’une structure devenue obscure et quelque peu obsolète dans notre jungle – à cause de son inefficacité –, et malgré son indigence intellectuelle, profite de sa présence à ce poste pour mener un train de vie que d’aucuns n’auraient espérer atteindre et cumuler de quoi assurer ses vieux jours et ceux de plusieurs générations de sa descendance, par des moyens que l’ont sait. Mais au fait, qui disait que la responsabilité, dans notre jungle, n’est qu’une charge, plutôt qu’une contrainte, et qui ne saurait être une situation de rente ? C’était les «dingues d’avant», ceux-là mêmes qui avaient soi-disant des «principes», ces empêcheurs de tourner en rond, qui s’exprimaient de la sorte. Pauvres malheureux ! Avant cette «aubaine», le taureau vivait modestement comme les autres animaux. Il se retrouve un peu plus tard, à partir de cette fonction et à cause de la dégradation du système dans une jungle hélas trop usée par les malheurs, assis confortablement sur un fauteuil à la droite du roi. Quelle ascension vertigineuse ! N’est-ce pas une sacrée élévation pour un animal qui contraste avec tout ce qui a trait, de près ou de loin, à l’intelligence, au savoir-faire et même au savoir-vivre ? C’est là où nous tombons à la renverse et c’est là où l’on se croit, vraiment et franchement, dans un royaume qui ne respecte plus aucun principe et qui ne se soucie guère de ses habitants dont il se moque éperdument de leurs sentiments. Un esprit de frustration s’empare de toute la faune animale et, pendant ce temps, notre taureau ne s’arrête pas de la narguer avec son mépris, son ignorance, et sa fortune miraculeuse… acquise en peu de temps – on se doute de la manière –, et pourtant, il n’a jamais été brillant ! Quelques temps plus tard, il est remercié par le truchement des élections. Les règles démocratiques ont été appliquées, nous dit-on.
D’ailleurs chaque fois on nous raconte les mêmes niaiseries, comme si les animaux de la jungle allaient croire facilement ce discours par trop fantaisiste et, sans aucun doute… insipide. Notre taureau est redevenu tel qu’il était initialement un «moins que rien». Il est acculé de partout. Il est tombé maintenant, il faut sortir les couteaux, les aiguiser, et le dépecer selon la loi de la jungle. Je disais qu’il est redevenu ce qu’il était avant. Oui, il n’est rien du tout sur le plan politique, c’est sûr. Mais sur le plan social, il en est sorti avec beaucoup de moyens, comprenez avec beaucoup d’espèces sonnantes et trébuchantes, qu’on ne saurait lui reprendre aujourd’hui, parce que la gomme des décideurs de la jungle est passée par là pour effacer toutes les traces d’accusation au cas où la justice s’en mêlerait pour reverser à la jungle son bien. Il n’est pas le seul à avoir bénéficié du «coup de gomme», hélas. Ils sont légion ! Sommes-nous en train d’assister à l’agonie d’un pouvoir qui n’a rien tenté pour se corriger et qui n’a rien fait pour s’améliorer ? Rien n’est clair dans le royaume des fourbes et des serviles impénitents. Oui, rien n’est clair quand le taureau, faisant fi de la réprobation unanime et de toutes les règles qui président aux destinées de la jungle, s’arroge le droit de s’emparer d’une belle ferme ! Ce qui équivaut chez vous les humains, à un grand palace, ou à un grand «bunker», pour rester dans le style de vos «maquignons», que j’affuble d’une épithète dépréciative.
Avec quoi, me diras-tu ? C’est-à-dire avec quelle force ou, si l’on se place dans une logique intelligente, avec quel procédé ? Vraiment, je ne saurai te répondre, puisque il ne m’est jamais venu à l’esprit de connaître un animal, aussi grand soit-il – au niveau de la responsabilité évidemment – qui puisse s’acquérir une grande ferme en toute propriété, moyennant une somme faramineuse, affirme-t-on, une somme qu’il n’avait même pas rêvée la posséder, il y a peu de temps. En réalité, personne n’ignore le «procédé». Il est connu, il est même crié et décrié sur tous les toits. Il s’agit – en sus de la corruption florissante ordinaire – de moyens dissimulés dans une logique d’un système rentier, qui équivaut à une combine mafieuse dite «d’avantages liés à la profession»… une expression cruelle et «proliférante» dans un pouvoir qui se mord la queue. Une expression fort choquante pour les honnêtes responsables quand elle n’est pas employée à bon escient, mais avantageuse chez les insatiables de notre jungle, puisqu’elle leur permet de ne pas s’arrêter au seuil de la clairière mais de continuer pour se saisir de toute la plaine et, pourquoi pas, de tout l’espace. Par contre, dans la jungle que je viens de quitter, l’animal qui est à la même responsabilité est hautement plus qualifié sur le plan de la compétence et de la prestance. Il a été choisi, selon de vrais critères, parmi les meilleurs de la jungle. Un bel étalon, d’une lignée noble venant de ces chevaux racés qui possèdent de riches pedigrees. Son travail est aussi clair que ses sentiments vis-à-vis de ses pairs ou de ses ambitions qui restent mesurées et, surtout légitimes.

C’est la noblesse qui s’exprime, me diras-tu ! Tu vois, il est pénible pour moi de parler des autres, ces autres qui ont décollé il y a très longtemps et qui volent haut, très haut, dans les cieux de l’espérance et de la prospérité. Ainsi, ce n’est pas de gaieté de cœur que je fais la comparaison aujourd’hui, puisque nous sommes les perdants sur le plan de l’équivalence, de même que je ne me réjouis pas de glorifier les autres, ceux avec qui nous avons assurément un bon nombre de contentieux. Cependant, il faut parler franchement pour savoir à quel rang on doit nous placer dans le hit-parade de la dépréciation et de la péremption… Il faut dire cette amère vérité pour connaître notre propre valeur. Ce que je te dis est d’autant plus juste car, dans notre jungle, on ne peut prétendre arriver, comme dirait l’autre, à la cheville de ceux que je viens de quitter en matière d’intégrité, que ce soit dans le choix des responsables ou dans la répartition de hautes missions. En effet, comment ne t’insurges-tu pas contre les nôtres quand tu vois se propager, devant toi, des pratiques récurrentes, éhontées, insolentes… Oui, insolentes parce qu’elles se font au vu et au su de tous ! Comment cela ? Je vais m’approfondir dans le même sujet, celui que je suis en train de dénoncer.
– Ne sais-tu pas que chez moi, à l’instar des autres jungles, il y a, à la fin d’une période donnée, le renouvellement des représentants des animaux par le biais d’un choix qui se veut légal, propre et honnête – comme l’affirment ceux d’en haut – pour présider aux destinées de la jungle selon des textes et des lois. C’est un peu l’Assemblée de gens élus, dans votre environnement des humains, celle où votre chef ne peut espérer avoir le privilège de s’asseoir un jour dans son enceinte s’il n’a pas les critères requis. Généralement – et c’est là l’orientation générale chez ceux qui se respectent –, il faut présenter les meilleurs, les plus dynamiques, les plus compétents et surtout les plus engagés pour assurer le développement de la jungle et la prospérité de ses animaux. Chez moi, rien de cela. La mise en pratique des bonnes orientations… tintin ! Il est en effet clair que présentement hélas, il n’y a dans la mouvance que nous avons souhaitée égalitaire, ni un projet cohérent, ni des forces organisées et préparées, ni même la volonté sincèrement déclarée pour un changement qualitatif afin d’arriver à mettre en place des organismes crédibles d’un pouvoir qui se respecte.
De là, également, on ne peut que vivre cette impuissance à juguler le mal qui nous ronge car, au lieu de progresser dans la voie du changement, le vrai et le concret, nous reculons lamentablement. Nous faisons un peu comme vous, quand il s’agit de choisir vos candidats à ce que vous appelez la «Chambre des députés» ou la Chambre basse, parce que vous avez une autre «Chambre haute». Celle-là, paraît-il d’après quelques déclarations de vos compatriotes, les hommes politiques, appuyés par des écrits de journalistes, ne sert que de caisse de résonance où se font et se défont les alliances d’une génération qui n’a plus rien à donner pour votre pays.

Vous aussi, vous avez des problèmes, j’allais dire de sérieux problèmes, si je me réfère à l’un de vos cadres honnêtes qui affirme : «L’aveu de dérives ainsi recommencées malgré tous les changements laissent entières les questions de l’avenir. Faute à l’heure actuelle d’une alternative politique démocratique permettant de mettre enfin en place quelques institutions crédibles d’un Etat, la décision et la responsabilité restent aux mains du pouvoir». Et ce pouvoir, malheureusement, comme chez nous, est incapable de bouger pour arranger les choses. Car chez nous, il voit se profiler des actions mafieuses mais il ne fait rien pour sévir ou, dans un degré moindre, pour remettre de l’ordre. «La logique est en panne. Elle est grippée. Elle tousse du sang», comme disait quelqu’un d’intelligent et de raisonnable, dans notre jungle. La logique est en panne, oui ! Car pendant ces renouvellements d’instances, nos animaux ont osé offrir beaucoup de provisions, des quantités énormes, ce qui équivaut chez vous à beaucoup d’argent. Et pourquoi, me diras-tu ? Eh bien, pour représenter une jungle «qu’ils ne connaissent pas, des animaux dont ils ont bu le sang et la sueur à coups de ces maudites provisions, calculées en maudits milliards justement, qui ont mis la jungle à plat». En attendant, les troupeaux d’animaux dans notre jungle, parce qu’ils n’ont plus de repères, rasent tout devant eux, même les repères des autres.
De ce fait, et après des années de choix plus ou moins corrects, peut-être passables, en comparaison avec d’autres jungles de pays civilisés, on en est arrivé à élever les ventes de places en passant aux milliards. Et comme les animaux honnêtes ne savent pas ce qu’est cette somme étonnante, il ne faudrait jamais penser qu’un jour ils présenteraient leur candidature. De toute façon, concernant ceux-là, les humbles et les honnêtes, «même s’ils avaient cette provision, ils ne la donneraient pas pour cela car à chacun ses valeurs !» La conjugaison de ces moyens n’a pas le même sens partout, encore moins chez les animaux qui travaillent durement pour les avoir. Oui, à chacun ses valeurs, car donner de l’argent pour se faire une place dans le gotha des dirigeants de la jungle, est une pratique au-delà de l’insolence. Mais, c’est là nôtre sort de l’ordinaire, il n’est pas comme les autres, quoi de plus étonnant ! Il ne faut pas s’attendre à mieux que ça. De même qu’il ne faudrait pas se surprendre des frasques et des impertinences qui se produisent chaque jour au grand dam des locataires de notre espace pollué par ces agissements mafieux. Ainsi, nous nous posons la perpétuelle question : est-ce le pouvoir qui tombe si bas, lui qui n’a plus rien à faire, parce que contesté et contestable, «ou sont-ce les débuts d’une insupportable ère de boue et de honte où les reptiles, debout sur leurs jambes, feront marcher les chevaux au pas ?»
C’est peut-être cela qui fait la différence entre notre jungle et une autre, plus calme, surtout plus crédible, et dont les chefs ne s’érigent pas en coterie, comme chez nous, pour semer la honte à coups de corruption et de convoitise politique. En effet, la honte… car qui ne se souvient de ce pontife de notre jungle qui a été purement et simplement imposé à un grand poste, envers et contre tous. Il n’a pas été élu dans sa circonscription, nous le savons. Mais au fait qui pourrait se mêler de ces «affaires scabreuses» comme pensent les animaux paisibles, qui ne veulent que le bonheur de leur espèce et le progrès dans leur espace ? Ne disent-ils pas, quelquefois bruyamment, à l’encontre de leurs chefs, en qui ils ont perdu confiance, «qu’ils fassent ce qu’ils veulent, ils ont l’habitude de nous rouler dans la farine» ? Après toutes ces aberrations, que s’est-il passé par la suite ? Rien qui puisse mettre dans la gêne cet animal promu d’une façon très maladroite. Il n’en a même pas rougi. Et pourquoi rougirait-il… tiens ! Bien au contraire, une fois en poste, il s’est permis de se retirer – en termes clairs de «refuser» cette responsabilité ou de «démissionner», entre guillemets – comme si le courage lui est revenu brusquement. Il a démissionné «selon les lois» et a attendu sereinement.
Mais attendre quoi, se dit quelqu’un de simple comme nous ? Eh bien il attendait la «surprenante» ou l’inimaginable consécration, pardi ! Sans aucune hésitation, en effet, le roi lion le nomme au perchoir de la «Chambre haute», évidemment en simulant un plébiscite qui se serait déroulé dans la plus parfaite démocratie. Ne t’étonnes pas surtout, et ne fais pas de grimaces. Tout est possible dans une jungle comme la nôtre où la supercherie ou la mystification, appelle-là comme tu veux, ne s’arrête pas là, elle continue… Oui, elle continue pour nous railler, pour nous humilier et nous choquer. Appelons-la plutôt le mépris des animaux, parce qu’en dépit du bon sens, on nous impose toujours ces «énergumènes» au sommet de la responsabilité. Triste destin d’une jungle qui, malgré ses meilleures potentialités qui se trouvent en dehors du système, parce que marginalisées, exclues et très souvent déconsidérées, n’a pas cessé de nous étonner ! En fait, le pouvoir tourne autour des mêmes animaux, souvent dociles et friands d’admiration passionnée pour des chefs qui n’ont ni l’apanage, ni la compétence de diriger la jungle.

Par contre, dans la jungle que je viens de quitter, je n’ai jamais entendu des histoires comme celles-ci et comme cette autre que je vais immédiatement te rapporter. Cette autre s’est déroulée chez nous avant que je décide de m’exiler pour trouver mieux ailleurs, dans de vastes et opulentes prairies. Parce que là-bas, le droit prime sur tout. Il prime d’abord sur la responsabilité, les honneurs, la famille et les ambitions des dirigeants. En clair, personne n’est censé être au-dessus de la loi. Tous sont soumis à la force du droit et à sa prééminence. Il l’emporte ensuite sur toutes les situations conflictuelles pour les solutionner quand elles sont nées de mensonge, d’injustice, de passe-droits, d’interventionnisme, de favoritisme et j’en passe. L’histoire que je vais te relater relève hélas de la persécution et illustre, à la manière de la «jungle», l’inconcevable délirant, parce que dans celle-ci règne la loi du plus fort. C’est dire que chez nous, il y a énormément de leçons d’iniquité et de dédain que l’on pourrait ajouter aux registres des maîtres de l’arbitraire s’ils se donneraient la peine de venir nous consulter. Un des représentants de la cour du roi lion, en l’occurrence le loup – l’équivalent d’un ministre chez vous –, est désigné pour aller conférer avec d’autres animaux dans une jungle lointaine, pour trouver quelques solutions à notre communauté vivant de besoin et surtout d’indignité.
On lui adjoint quelques louveteaux pour l’accompagner dans cette mission. Des «spécialistes», ayant en charge le dossier de cette grande chapelle, disent les dirigeants installés confortablement à la tête du système. Mais voilà que le jour du départ, alors que tous attendent ce fameux tapis volant des Mille et Une Nuits qui doit les transporter là où se tient leur réunion, le loup, dans tous ses états, prend une décision qui restera dans les annales de la jungle. Il décide arbitrairement – peut-être qu’il est inutile de le souligner, puisque nous faisons constamment dans l’arbitraire – «d’éliminer» un des louveteaux du groupe des partants pour des raisons que la raison, dans une autre jungle, ne saurait comprendre et accepter… Oui, personne ne peut admettre et accepter la raison de son élimination. D’un geste aussi brutal que primitif – l’ambiance de notre jungle y est pour beaucoup –, il intime l’ordre aux accompagnateurs de renvoyer le louveteau chez lui, alors que ce dernier vient de terminer toutes les formalités de voyage. – Qu’il aille au diable, s’écrie le loup, chef de mission ! Je ne veux pas d’un énergumène pareil dans ma délégation ! Comment oser me jeter cet animal entre les pattes alors que l’on sait pertinemment à quel «groupe sanguin» il appartient ! Pourquoi s’est-on permis de le proposer dans une mission comme celle-ci ? Les autres membres de la délégation ne bronchent pas. Aucun louveteau ne dit mot.
Le courage est encore une fois absent. La décision est tombée ! Elle est entérinée sur place au grand dam des présents qui ne peuvent montrer leur solidarité ou, pour être courageux, leur désapprobation pour cet acte cavalier, brutal, coupable et illégal. Tout abasourdi, penaud, balbutiant, le louveteau retourne à son gîte, traînant derrière lui un outrage ridicule et de nature à complexer les plus perfides dans leurs conjurations intolérables. Lui non plus, n’a pas été «homme», selon votre langage, pour jeter à la face du loup ses réactions de cadre frustré par une telle décision qui ne relève d’aucun examen sensé et qui, de surcroît, n’est pas digne d’un responsable, ni dans le fond ni dans la forme. Mais jusqu’à maintenant, je ne t’ai encore pas dit pourquoi il y eut cette scandaleuse transgression de la réglementation de la part du loup. Tout simplement parce que le louveteau banni et injustement écarté, est le cousin germain de celui qui prétendait au pouvoir de la jungle, il y a quelques années, et qui se trouvait en compétition avec le lion, notre roi actuel.
Cela est impardonnable, un crime de lèse-majesté … surtout dans notre environnement, fait de servilité et de flatteries très basses. Des comportements pareils deviennent des mœurs naturelles dans notre jungle où la haine injustifiée est encore de mise, malgré la réconciliation qui se promet de ne pas rester un slogan vague et indéfini, peut-être impropre à la consommation. Les «ex» sont toujours marginalisés, oubliés, récusés, honnis, bannis, pestiférés et, bien sûr, rejetés au point de ne plus retrouver ces animaux qui leur faisaient la cour hier, du temps où ils étaient solidement vissés sur leur piédestal. C’est dire que notre jungle perd son essence, sa crédibilité et, bien entendu son courage. Elle perd indéniablement sa dignité et les bonnes traditions qui faisaient d’elle un espace de liberté et de solidarité. Mais avec tout cela, tiens-toi bien, et n’aie pas un haut-le-cœur, parce que je continue mon histoire qui, par ailleurs, n’est pas très jolie. Elle n’est pas à mettre sur le compte du rapprochement et de l’entente entre les animaux de notre jungle…

Ce dont je veux t’informer c’est que ni le patron du louveteau, ni le Chancelier de la jungle – un genre de chef du gouvernement chez vous – qui a eu à le connaître, il y a si longtemps puisqu’il activait dans son secteur, n’ont eu ce courage de le défendre et dire, à haute et intelligible voix, que le loup s’est trompé, lourdement trompé, et n’a pas eu une conduite digne d’un responsable. Plus désolant encore, lorsqu’on sait que le Chancelier, qui est l’initiateur principal de cette mission, n’a soufflé mot à son auxiliaire le loup qui n’a fait qu’à sa tête, dans le seul but de plaire au roi, convaincu de régler un vieux compte pour lui… C’est ce courage qui fait largement défaut à notre Chancelier qui n’a pas su s’élever pour le moins, au niveau de la fonction qu’il exerce. Mais en réalité, quand a-t-il eu à exhiber cette vertu depuis que le lion lui a fait l’insigne honneur de le placer à la tête de la plus grande remise de la jungle ? Cela m’amène à te citer deux préceptes reproduisant deux idées antinomiques qui illustrent exactement ce que possède ou ne possède pas notre Chancelier. Le premier précepte, qui nous vient d’un philosophe qui a vécu dans votre monde, disait calmement, quand il rencontrait des gens de ce gabarit, des pleutres, doublés d’hypocrites : «Quiconque n’a pas de caractère n’est pas un homme, c’est une chose». Le deuxième précepte nous vient d’un autre grand poète qui proclamait l’état d’âme de ces responsables plus courageux, plus entreprenants et difficiles à manier, en tout cas en opposition avec notre Chancelier : «S’il en demeure dix, je serai le dixième ; Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là !».
N’est-ce pas deux mondes diamétralement opposés et qui, de par leur éloignement, nous affirment combien est dure la vie sous les auspices de ceux qui n’ont pas l’épaisseur en faisant des notabilités dignes et respectables ? Cette défaillance de nos élites, engendre des conséquences dramatiques sur la manière dont les sujets vivent leur vie dans notre jungle. Et c’est alors que nous nous posons la énième question : comment cohabiter dans un espace qui ne change pas ? Comment se comporter, s’attacher à certaines valeurs et essayer d’être heureux ? Tous les animaux portent un regard impitoyable sur leur jungle qui n’offre aucune promesse de bonheur, pour le moment ! Oui, pour le moment, mais demain… doit-on espérer trouver cette lueur de vie agréable ou doit-on carrément ne plus se faire des illusions ? En tout cas, il faut l’espérer vivement, et mieux encore, il faut travailler durement pour arriver à instaurer cette autre vie, changer radicalement le mode de gouvernance dans une jungle où il n’est plus possible d’observer de la mesure dans quoi que ce soit. Je ne suis pas radicalement négative, affirme la mouche, la preuve est que je décide de revenir chez moi. Mais je veux que tu comprennes mon désarroi et quelquefois ma honte qui font que je n’arrive pas à contrôler les sentiments qui suscitent mes propos. Ce que j’ai vu «là-bas», au cours de mon exil m’a donné à réfléchir en même temps qu’il m’a beaucoup édifiée, car je comprends pourquoi «les autres» ont réussi et réussissent toujours davantage, sur tous les plans.
Là, je m’interroge : pourquoi nous nous enfonçons dans le renoncement, chaque jour un peu plus ? Il n’y a nul secret, me susurre mon ange gardien. Chez nous, «c’est l’effondrement et ce n’est pas un oracle d’animal pessimiste et haineux, mais un constat que même les petits font chaque matin quand ils ne trouvent pas quoi mettre sous la dent et quand ils constatent que leur roi – de la jungle, évidemment – joue la suite de son destin dans le huit clos de son système et oublie cependant que nous existons réellement et que nous sommes mécontents». Est-ce peut-être à cause du fait que nous sommes riches de par les énormes potentialités énergétiques que possède notre jungle ? Oui nous sommes très riches par rapport aux jungles voisines qui savent se développer selon les normes exigées par le progrès. J’affirme cela parce que nos voisins avancent bien dans une ambiance d’essor et de croissance, si ce n’est avec des pas de géant, nous laissant bien derrière eux, alors qu’elles n’ont pas nos moyens… même pas une infime partie pour s’exposer à la comparaison.
Et pourtant, leurs résultats sont là, et les animaux de notre jungle vont constamment chez eux, en troupeaux importants, pour les constater, lors de leurs déplacements «touristiques». Nos animaux trouvent ces jungles voisines très belles, très bien organisées et, de plus, elles recèlent tout ce qu’ils cherchent et ce qu’ils ne peuvent rencontrer chez eux. N’est-ce pas lamentable, encore une fois, pour notre jungle dont les responsables crient à tue-tête que nous sommes les meilleurs partout ? Vois-tu, il n’y a pas de secret à tout cela. Eux, dans ces jungles, travaillent sérieusement et font du labeur une valeur déterminante pour avancer… toujours avancer. Sinon, eh bien, ils ne mangeront pas, tout simplement. Chez nous, c’est le contraire, nous mangeons à satiété sans faire d’effort, sans maigrir et sans remords, car chacun, dans son subconscient, pense qu’il est en train de bénéficier d’un bel héritage.
(A suivre)
Par Kamel Bouchama (auteur)