«La compétence dans la gestion est une denrée très rare dans le football»

Mohamed Mecherara

La Nouvelle République : La reprise de la compétition suscite moult interrogations. Les uns la veulent le plutôt possible, d’autres, seringue en main, la conditionne à un sauvetage financier, et le troisième palier se penche du côté du docteur Dermadji qui s’oppose à une reprise dans l’immédiat. Quel est l’avis de Mecherara ?
Mohamed Mecherara : S’agissant de la santé humaine et du risque de propagation, chacun de nous constitue un danger pour les autres. Il me paraît utile de conditionner cette reprise par un protocole sanitaire sérieux. Si l’on se base sur celui adopté par des pays européens tel que l’Allemagne, il paraît particulièrement impossible à réaliser chez nous, ne serait-ce que l’obligation de faire subir à tous les joueurs, dirigeants, staff technique, médical, arbitres officiels de match, et tout accompagnateur deux tests PCR dans la semaine, dont le second à la veille du match, assurer le transport dans des bus redéfinis en terme de places et entièrement stérilisés, désigner l’hôtel qui reçoit l’équipe en déplacement longtemps à l’avance (dans les pays voisins, largement dotés d’hôtels touristique, la liste a été agréé par les services sanitaires) et le soumettre aux règles d’hygiènes définies par les autorités… Tout cela a un coût énorme. Qui supportera cette charge ? Avons-nous les capacités de mettre en place de tels dispositifs… je ne le pense pas.

La corruption, une lèpre tel un tourbillon chargé de matches truqués, de combines, continue de porter atteinte à l’image du football national, il vient d’être éclaboussé par un énième scandale de corruption. En votre qualité d’expert, quelle analyse faites-vous de ce mauvais jeu ?
La corruption s’est développée dans le monde du football, pareillement à son développement dans le monde économique, dès lors qu’on a permis à l’argent sale issu des marchés parallèles et non officiels, d’entrer en force dans le monde du football. A cela viennent s’ajouter la faiblesse et l’absence de crédibilité des institutions chargées de lutter contre la corruption qui ont évité de s’engager dans leur mission dès les premières affaires rendues publiques. A aucun moment, ni la FAF, ni la LFP n’ont eu le courage de se saisir des affaires publiques, exposées à la télévision et sur les média sonores et écrits. Au sein du football s’est alors constitué la même Isaba que dans le monde économique, et ils sont toujours là. Exemple : s’est-on inquiété de savoir pourquoi le DG qui est actuellement inculpé a eu sa candidature à la présidence du club concerné, rejetée par la DRAL de la wilaya avant de le nommer DG ?

En 2005, vous disiez ceci «dans le sport aujourd’hui, pour atteindre le haut niveau, il n’y a pas 36 000 chemins. Avant d’ajouter : a la fin des années 1980, on avait arrêté toute forme de formation. En 1988, il y a eu un changement de politique. On a lâché les clubs. Aujourd’hui, nous sommes en train de le payer». Vous n’irez pas jusqu’à nous dire que le climat est toujours le même ?
Le retrait de l’Etat a complètement désorganisé le secteur du football. L’Etat s’est retiré pour réduire les charges sur les sociétés publiques, et il dépense dix fois plus aujourd’hui, car il a perdu toute l’organisation et le sérieux que le secteur public a apporté au sport (organisation, formation, respect des règlements). Aujourd’hui, le gaspillage de l’argent public nous vient justement des sociétés d’Etat qui «inventent» les salaires à 3 millions de dinars, hors impôts et sécurité sociale.

Nombreux sont les clubs qui accusent un déficit financier très important, et se trouvent en fin de saison dans des situations critiques, quelles explications donneriez-vous ?
Le déficit dont vous parlez est loin de refléter le déficit réel, car il est reconnu que des centaines de millions de dettes ne sont pas enregistrées, notamment celles dues à l’administration fiscale pour l’IRG due par les joueurs et la part de cotisations sociales employeurs et joueurs, qui n’est pas retenue. Les chiffres comptables ne veulent rien dire dans les bilans actuels pour la quasi-totalité des clubs.

Les projets sportifs ne sont que sur papier…
Il n’y a qu’à voir les projets de stades en constructions. J’ai assisté à une présentation des maquettes des stades de Baraki et Douéra en 2004 à la wilaya d’Alger.

La formation, voilà un sujet qui ne cesse de faire l’objet de débat ?
Vous avez parfaitement raison d’évoquer dans cette interview cette question de formation. Un palier important, voire même très important, mais surtout pour les dirigeants. La compétence dans la gestion est une denrée très rare dans le football. Seul un dirigeant compétent peut former un bon joueur, pas l’inverse.

Diriez-vous que «le sport est-il, ou peut-il être, selon vous un accessoire et pourquoi pas un vecteur de performance pour l’entreprise ?
S’il améliore son image, c’est certain. Il faut travailler pour améliorer l’image du football, c’est vital. Avec ce qui arrive actuellement chez nous, problème de corruption, si c’était en Europe des dizaines de contrats de sponsoring auraient été résiliés.

En marketing, on place souvent l’entreprise au cœur des innovations. Notre question est simple, pensez-vous que le joueur d’aujourd’hui peut être un véritable acteur de l’innovation dans le sport ?
Non, on n’a pas appris à nos joueurs à obéir à des règles de conduites en vue d’améliorer leur image commerciale, ils ne savent même pas qu’ils en ont une.

Quelle est votre vision de la consommation du sport dans les dix ans à venir ?
C’est un champ immense, mais encore il faut des agences de communications qui aient l’étoffe de le développer, ce n’est pas seulement le problème des footballeurs…

Une autre question qui nous tient à cœur, et que nous envisageons de proposer lors des prochaines journées du marketing sportif que RH International communication organisera prochainement.
Comment, selon vous, peut-on adapter le sport aux enjeux économico-médiatiques, d’une part, et d’autre part, selon vous, un événement sportif peut-il être aussi implanté dans notre culture et devenir, pourquoi pas, de dimension internationale ? C’est un sujet énorme que l’on ne peut pas traiter sur une question. Ça renvoie d’ailleurs à la 9e question.

Un mot de la fin pour conclure cette interview ?
Je voudrais vous dire que le vœu de tous les Algériens est d’assister à une mutation profonde de notre football, comme celle qui vient de marquer notre Équipe nationale de football à qui je renouvelle mes sincères félicitations pour leur brillante victoire qui honore tout le pays, et encore merci à vous.
Propos recueillis par H. Hichem