La femme au cœur de la trame

Roman : «J’ai oublié d’être Sagan» de Nassira Belloula

Ecrivaine aussi prolixe que talentueuse, Nassira Belloula a publié près d’une quinzaine d’ouvrages entre romans, essais et recueils de poésie.

Son dernier roman intitulé «J’ai oublié d’être Sagan», publié à la fin de l’année écoulée par la maison d’édition montréalaise Hash#ag, traite comme la plupart de ses romans de la condition féminine. L’histoire se déroule dans un petit village du sud algérien, dans les années 1970 ou 1980. La narratrice, une jeune adolescente, vit dans un environnement conservateur et sa famille, à l’instar de toutes les autres familles de la région, est très attachée aux traditions. Pourtant, c’est au sein de cette même famille que la narratrice sera violée par son propre oncle. Cette blessure remontant à l’enfance, elle la traînera à jamais avec elle comme une meurtrissure profonde et béante. Cet épisode dramatique fera d’elle une sorte de révoltée, une rebelle à l’ordre établi, à la bienséance, à l’obéissance. Alors qu’on voit en elle celle par qui le déshonneur peut arriver, sa mère pour taire tous les qu’en dira-t-on et les mauvaises langues va dire à qui veut l’entendre que sa fille est possédée par un djinn.
Cela attenue la colère de l’entourage qui la couve désormais de regards compatissants. Le temps passe et l’adolescente qui est scolarisée au lycée du village va connaître un nouveau bouleversement dans sa vie avec l’arrivée d’un nouveau professeur de français. Ce jeune enseignant sera très vite le centre des attentions de la jeune fille qui en tombe follement amoureuse. «Je t’observe à la dérobée, convaincue que les mots que tu prononces s’adressent à moi, rien qu’à moi. Je m’arrime à une terre mystérieuse formée par les syllabes et les consonnes de ton prénom. A partir de cet instant, je n’ai fait qu’attendre ; que tu me remarques, que tu viennes jusqu’à moi», lit-on en page 11. Ce qui, au début n’est qu’une passion platonique, ne va pas tarder à devenir un amour à double sens. Le professeur ayant, en effet, remarqué dès son arrivée sa jeune élève va tomber lui aussi sous son charme et, en plus de l’initier à la littérature, va aussi l’initier à l’amour. Le jour de ses 16 ans, il lui offre en cadeau le roman «Bonjour tristesse» de son auteure préférée Françoise Sagan. La jeune fille se retrouve alors entraînée dans une passion amoureuse d’où elle ne sortira pas indemne. Une histoire à trois, entre elle, son professeur et…
Sagan, à travers ses romans et l’influence qu’elle a sur le professeur ainsi que sur la jeune adolescente. Cette dernière, par jalousie, va se mettre à s’habiller et se coiffer comme Françoise Sagan pour lui ressembler. Elle va même se lancer dans l’écriture pour plaire à l’homme qu’elle aime. De cette romance entre le professeur et la jeune fille va naître un enfant illégitime. Pour étouffer ce lourd secret qui risque d’apporter le déshonneur à la famille, la mère avec la complicité de la tante placeront l’enfant dès la naissance dans une famille. L’adolescente qui sombre dans une profonde déprime sera «sauvée» par un mariage arrangé. Elle quitte alors le village pour aller vivre à l’étranger mais cette nouvelle vie ne sera qu’une chape de plomb sur un passé douloureux qui, plusieurs années après, va ressurgir comme du néant pour réveiller une plaie jamais refermée.
Dans ce court roman de 108 pages, le lecteur est tenu en haleine par une histoire où les événements s’enchaînent ne laissant aucune place à l’ennui. L’auteure, toujours fidèle à ses principes et à ses idéaux, nous livre encore une fois, un roman palpitant avec, en trame centrale, la femme. Elle va y greffer d’autres sujets qui lui tiennent à cœur comme la polygamie, les mariages précoces ou les sociétés traditionnalistes avec tout ce qu’elles supposent comme restrictions et enfermement.
Hassina A.
Nassira Belloula, «J’ai oublié d’être Sagan», éditions Hash#ag, Montréal, octobre 2019, Pages 108.