Avec deux vidéos de contextualisation

«Autant en emporte le vent» de retour sur HBO Max

Une introduction de l’historienne Jacqueline Stewart et un enregistrement d’une table ronde d’une heure accompagnent le retour du film «Autant en emporte le vent», contesté pour sa vision édulcorée de l’esclavage.

Après avoir été supprimé pendant deux semaines, le film très contesté «Autant en emporte le vent» fait son retour sur HBO Max, avec deux vidéos en bonus pour la contextualiser, selon Variety. Le long-métrage fleuve (3h 58) porté par Vivien Leigh et Clark Gable et sorti en 1939 est considéré par de nombreux universitaires comme l’instrument le plus ambitieux et efficace du révisionnisme sudiste. Il présente notamment une version romantique du Sud et une vision très édulcorée de l’esclavage, avec notamment du personnel de maison dépeint comme satisfait de son sort et traité comme des employés ordinaires.

Débat d’une heure
Dans la première vidéo, qui dure un peu plus de quatre minutes, l’universitaire Jacqueline Stewart explique pourquoi l’œuvre doit être regardée et contextualisée. «Je vais offrir une introduction pour replacer le film dans ses multiples contextes historiques. Pour moi, il s’agit d’une opportunité pour réfléchir à ce que les classiques peuvent nous apprendre», expliquait-elle à USA Today quelques jours avant la mise en ligne de la vidéo. La deuxième vidéo est un enregistrement d’un débat d’une heure, intitulé «L’héritage complexe d’Autant en emporte le vent», qui s’est tenu en avril 2019 à Hollywood durant le festival de cinéma TCM Classic Film Festival, et modéré par l’historien Donald Bogle. «Autant en emporte le vent» censuré ? Après sa disparition de la plateforme américaine HBO Max, beaucoup ont crié à la censure d’un classique du septième Art, alors qu’il s’agissait d’un retrait temporaire, le temps d’ajouter une remise en contexte, une présentation historique. L’actualité, avec la mort de George Floyd et le mouvement Black Lives Matter, a joué comme une caisse de résonance, et si le débat était parfois inaudible, surtout sur les réseaux sociaux, la question de la contextualisation des œuvres en général, et des films en particulier, était posée.

«Forrest Gump» et «Indiana Jones», des films «problématiques» ?
Un récent article de Variety a rajouté de l’huile sur le feu, en listant des «films problématiques» qui mériteraient, comme «Autant en emporte le vent», un «avertissement». Le journaliste rappelle le cas de films au caractère raciste comme Naissance d’une nation ou Mélodie du Sud, mais aussi Diamants sur Canapé avec Mickey Rooney en cliché de Japonais ou West Side Story et sa représentation des Portoricains – forcément des délinquants. Puis il enchaîne avec Forrest Gump et «sa condescendance envers les personnes handicapées, les vétérans du Vietman, les malades du Sida», et même «son hostilité aux manifestants, aux militants et à la contre-culture». Ou encore L’Inspecteur Harry et son flic au-dessus des lois, Indiana Jones et «ses méchants exotiques dépeints comme des étrangers primitifs et sanguinaires», etc. Pour Variety, il ne s’agit bien sûr pas d’interdire ces films, mais de les voir avec un œil critique : «Ces films représentent l’époque à laquelle ils ont été réalisés, et il est important de se souvenir de l’histoire – et de l’intolérance et de l’insensibilité – afin de ne pas répéter ces choses». Pour certains, c’est déjà trop, et le magazine américain est accusé de vouloir faire le buzz, du politiquement correct, ou d’être à côté de la plaque.

Des avertissements sur Disney+, HBO Max, Sky Cinema
Pourtant, les avertissements ou contextualisations existent, surtout aux Etats-Unis. Dès son lancement en novembre, Disney+ ajoutait une mention sur la fiche de certains films : «Ce programme est présenté dans sa forme originelle, et peut contenir certaines représentations culturelles obsolètes». Sont concernés La Belle et le Clochard, Dumbo ou Fantasia. La chaîne payante britannique Sky Cinema vient de mettre en place la même politique, avec un avertissement pour «attitudes, langage et représentations culturelles obsolètes, qui peuvent offenser aujourd’hui» sur une quinzaine de films : «Autant en emporte le vent», toujours lui, Aladdin, les deux versions du Livre de la jungle, Tropic Thunder, Les Goonies, Flash Gordon… Mais aussi Aliens. Aliens, le chef d’œuvre de James Cameron, parce que le personnage de Vasquez, une Marine latino, est interprété par l’actrice blanche Jenette Goldstein, qui a dû se teindre les cheveux, porter des lentilles et se maquiller la peau pour le rôle. «Sky s’engage à soutenir la lutte contre le racisme et à améliorer la diversité et l’inclusion sur et hors écran, a commenté un porte-parole de la chaîne à Variety. Nous examinons constamment tout le contenu des chaînes appartenant à Sky et prendrons des mesures si nécessaire, notamment en ajoutant des informations à nos clients pour leur permettre de prendre une décision éclairée lorsqu’ils décident quels films et émissions de télévision regarder.»

«Il ne faut pas censurer, il faut prévenir»
Dans une récente interview pour Konbini, Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, revient sur la «polémique» «Autant en emporte le vent» et reprend à son compte les paroles du basketteur américain Kareem Abdul-Jabbar : «Il ne faut pas censurer Autant en emporte le vent, par contre, il faut prévenir. Nous prévenons que ce film doit être pris avec précaution pour telle ou telle raison. On peut faire ce travail critique. C’est ça l’histoire, les historiens, la cinéphilie». La contextualisation est une pratique ancienne et courante en littérature avec les préfaces et postfaces. D’ailleurs, «Autant en emporte le vent», le roman original de Margaret Mitchell cette fois, est ressorti dans une nouvelle traduction chez Gallimard. Enfin, il est bon de rappeler que tous les films «problématiques» évoqués sont bien disponibles et visibles, même si aucun n’aura meilleur carton d’avertissement que La Classe américaine : «Attention, ceci n’est pas un flim sur le cyclimse. Merci de votre compréhension».
L. M. et V. J.