Mais il est bon d’apprendre et d’avoir en mémoire de bons textes

Apprendre par cœur n’est pas apprendre

Nous devons la pensée à Montaigne qui a voulu dire qu’apprendre par cœur est sans effet bénéfique pour la pensée qui se nourrit de ce qu’on apprend intelligemment et de manière réfléchie.

Depuis l’aube de l’humanité, l’homme s’est toujours préoccupé de la meilleure manière possible d’apprendre dans tous les domaines du savoir et de la connaissance, c’est-à-dire d’assimiler tout ce que l’on lit sans avoir à faire de gros efforts de mémorisation, c’est une question de méthode et de savoir faire qui nous permet de retenir ce qu’on a d’abord compris et se mémorise naturellement en venant enrichir le patrimoine culturel de chacun. Apprendre par cœur sans comprendre, c’est comme si on versait des connaissances à la manière de quelqu’un qui verse des pommes de terre dans un sac. Peut –être faudra-t-il multiplier les cas où la meilleure manière d’apprendre, c’est d’abord, de comprendre comme le domaine des mathématiques où la compréhension est de rigueur si on veut arriver à suivre les cours et à pouvoir résoudre les problèmes à partir d’une bonne compréhension des énoncés et d’un savoir faire évident sur l’application des théorèmes et des lois.
On peut multiplier les exemples à l’infini, mais on finit par se rendre compte que ce qu’on apprend par cœur ne peut être assimilé et retenu que s’il est bien compris. D’abord, quelque chose de bien compris est assuré d’avoir été mémorisé pour le bien de la personne qui a exercé cette faculté naturelle car la mémoire a besoin de se discipliner, de s’exercer au quotidien pour devenir performante. Quand on ne la sollicite jamais, elle s’atrophie, c’est comme tout autre organe, par exemple un muscle, qui ne travaille pas et qui s’affaiblit de jour en jour. Il en est de même des objets. Un moraliste a fait dialoguer un soc qui brille parce que du matin au soir, il trace des sillons en creusant dans la terre, et un soc couvert de rouille. Au retour du travail, le soc rouillé dit à l’autre : «où as-tu pris cet éclat ? En travaillant mon frère lui rétorqua celui qui est revenu du champ.

Quels textes de référence faut-il donner à apprendre ?
Pour nos jeunes, si on se référait à la tradition et conformément à nos anciens qui avaient ouvert une école coranique de chaque village, l’un des premiers textes à recommander c’est le Coran. Très jeune et avant d’aller à l’école publique, l’enfant rentrait à l’école coranique, il apprenait le coran et les bonnes manières, car le maître d’école enseignait le texte sacré et n’hésitait pas à donner des coups de bâton aux élèves dévoyés (el-falaqa). Au bout de quelques années, l’enfant avait acquis au mois beaucoup de versets, cela dépendait des capacités de mémorisation de chacun. Si l’enfant était scolarisé à l’école publique, il trouvait moyen de concilier ses horaires avec ceux de l’école coranique, tout est question de volonté. Monsieur que tout le monde connait pour son œuvre écrite, et avant de devenir professeur d’arabe, avait appris le Coran à l’école coranique avant de passer le bac et la licence d’arabe à la faculté d’Alger dans les années cinquante. Il en est de même d’Ibn Sinna qui avait acquis les 114 sourates a neuf ans, et avant de devenir le plus grand médecin de son temps et avant de faire de faire la philosophie et les mathématiques. Ibn Sinna était un génie et un érudit. Tout ceci pour signifier qu’un élève qui a appris le Coran pouvait apprendre tout après, faire des études fructueuses, parce que la mémoire est bien rodée et il avait moins de risque de devenir un délinquant, un voyou.

On n’a jamais connu parmi ceux qui ont appris le Coran, de tueur ou d’agresseur
Autres textes formateurs, des légendes comportant une moralité formulée par un proverbe ou d’une histoire. Par exemple, on raconte qu’un bon musulman a vu en rêve un diable personnifié (que Dieu le maudisse) qui lui a ordonné d’accomplir l’une de ces trois actions en ces termes : « tue ta sœur, frappe ton père, ou bois du vin. Le brave musulman est mis devant un choix difficile, il s’est dit : frapper mon père est un sacrilège, tuer ma sœur est un crime affreux, je boirai du vin. Et en buvant du vin, il devient ivre, il frappe son père et tue sa sœur. Cette histoire est racontée pour mettre en garde contre les méfaits de l’alcool. Aujourd’hui, il faut tirer la sonnette d’alarme pour éloigner les jeunes de la drogue devenue un danger potentiel. Des légendes de ce genre, on en trouve par centaines dans le patrimoine populaire et sous forme écrite en arabe, il appartient à chacun d’en faire une sélection qui aurait une valeur esthétique, littéraire et morale. Le texte doit être facile à comprendre, beau par le contenu et le contenant, du genre poème versifié qui donne envie de l’apprendre après l’avoir bien compris.

Un beau texte par le contenu et par le contenant
On donne l’envie d’apprendre le texte tant il est intéressant pour sa forme et son fond. On le destine aux enfants qui ont besoin d’apprendre la langue et de retenir des leçons de moralité parce que le gros des moralités s’acquiert lorsqu’on est jeune. On ne fait pas l’effort d’apprendre à trente ou à quarante ans, mais à l’enfance, lorsqu’on est naïf et qu’on a la mémoire fraiche. On donne à l’enfant l’envie de retenir une fable qu’on peut tirer du patrimoine populaire extrêmement riche à ce sujet. Tout le monde a dû entendre parler pendant l’enfance et même à l’âge adulte de l’histoire du chacal et du hérisson. Une fois, ces deux animaux avaient planté des oignons et au moment de la récolte, le hérisson lui laisse le choix entre ce qui est au dessus du sol et ce qui se trouve en terre. Voyant les longues et belles feuilles vertes dépassant largement le niveau du sol, le malin chacal n’hésita pas, je prends ce qui est au dessus et pauvre de lui, il moissonna les feuilles et le reste qui est dans la terre revint à son partenaire.
Une autre fois les deux associés semèrent du blé. Et dès qu’arrive le moment de la récolte, le chacal imposa son choix : cette fois, dit-il, au hérisson, tu ne m’auras pas, je prends ce qui est en terre, il prit les racines et le hérisson eut tout le blé. Que chacun fasse l’effort d’en tirer la moralité ! Des fables ou légendes populaires de ce genre, il en existe des milliers. Il faut les recueillir auprès de nos ainés avant qu’elles ne se perdent dans l’oubli. On peut les exploiter dans les classes en élocution suivie d’écrit pour apprendre à nos enfants à raconter oralement et par écrit.
On en trouve beaucoup chez Mohamed Bencheneb dans ses mille pages de proverbes et adages populaires algériens où la plupart sont accompagnés d’une légende à partir de laquelle ils ont été formulés. On peut suggérer les fables d’Ibn el Mouqafâa ou celles, versifiées et bien élaborées de La fontaine, chez les deux auteurs, les personnages sont des animaux où chacun essaie d’être plus malin que l’autre comme : Le corbeau et le renard, La cigale et la fourmi, Le loup et l’agneau, Le lion et le rat. Pour les garder en mémoire définitivement, il faut les comprendre d’abord avant de les apprendre par cœur.

Ces beaux textes permettent aussi de rectifier la diction et l’intonation
On enseigne aux enfants à comprendre un texte après l’avoir bien compris pour enrichir leur pensée et on leur enseigne aussi à le dire. Par un travail méthodique, le bon maître d’école l’explique d’abord en partant des détails de chaque mot pour s’élever progressivement à l’ensemble. De la sorte, on leur donne l’occasion inespérée d’éprouver des émotions et d’aller à la découverte des belles images et des nuances que suggère chaque mot bien expliqué en contexte et l’ensemble du texte. Le maître fait lire et relire le texte individuellement puis en chœur, meilleur façon d’entrainer pour une bonne diction et une bonne intonation.
Boumediene Abed