Défis du Sahara mondialisé

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2011 fut l’année charnière. En pulvérisant le régime libyen, la France et la Grande-Bretagne donnèrent le signal du basculement du Sahara dans la compétition géopolitique mondiale. Ces deux puissances de la mémoire ethnographique coloniale virent en Kadhafi le représentant de la Sanussiya combattante, comme le fut Kaocen Ag Kedda, de la noble tribu des Igerzaouène de l’Aïr du Niger qui a contraint les Italiens à sortir du Fezzan en 1915. Ce chef hors du commun a tenu pendant 17 ans, la dragée haute aux forces coloniales franco-britanniques. En alliance résistante du leader touarègue Moussa Ag Amasten de l’Ahaggar et des Châambas arabes, il réussit à soustraire aux forces françaises, Djanet, tout en éliminant le Père de Foucault qui renseignait les troupes coloniales. Cette histoire, Kadhafi en a perpétuée la tradition en recrutant dans son armée les Touarègues du Mali, du Niger et du Tchad en souvenir de la fraternité d’armes qui unifia Touarègues et tribus libyennes contre les forces coloniales italiennes. Un siècle plus loin, la « Jamahiriya » a implosé et les Touarègues – que de longues années au service de l’anti-impérialisme libyen ont uni dans une cristallisation dépassant les confédérations dont ils sont issus – de retour dans leurs pays respectifs, proclamèrent l’indépendance. Ce fut le cas pour l’Azawad du MNLA de Billal Ag Acherif en 2012. Cette réfutation touarègue des exactions de l’armée malienne, sur lesquelles la France a fermé les yeux, procède de cet héritage universaliste sénoussiste. L’exploitation des ressources minières au Niger, l’alphabétisation, la démographie, les trafics de tous ordres sont des forces à l’œuvre recrutant dans les rangs de la liberté. Ces tendances irrépressibles posent des défis à l’Etat algérien, qu’il s’agit d’anticiper par des réformes désormais incontournables pour faire de Tamanrasset une cité de l’influence en civilisation.

Les évènements de Tin Zaouatine ne doivent certainement pas être pris à la légère. L’émotion qu’ils ont provoqué dans les populations du Sud est emblématique d’un rapport spatial aux territoires d’une extrême sensibilité tant il renvoie à une identité touarègue perdue dont il est nécessaire de prendre l’exacte mesure du souvenir vivace. Il est intéressant de constater qu’Alger, capitale politique, provoque deux réactions opposées. Celle des Kabyles qui voient en sa proximité géographique et son hypercentralisation un atout majeur en appui de leurs revendications culturelles et politiques (à savoir le fédéralisme vide de sens s’il faisait l’impasse de la capitale) et celle des Touarègues qui considèrent l’éloignement d’Alger de la prise de décision univoque comme la source de tous leurs maux (en raison du manque de décentralisation productive à leurs bénéfices). Cette dialectique de la confiscation de la capitale par les montagnes proches et de la démocratisation de ses effets sur les Déserts lointains, est partiellement explicative des retards que firent prendre des formations sociales en manœuvre de l’administration centrale, à l’évolution d’une superstructure, confondant son intérêt corporatiste et l’organisation de l’inégalitarisme régional.
Cette rigidité sociale structurelle, constitutive de l’administration algérienne, en tradition ancienne des zouaoua de la fierté combattante doublée des bienfaits de la récente économie rentière, a produit une « violence bureaucratique » au cœur de l’expression suprématiste de l’administration. Elle a ordonné inégalement la vie des populations et pose désormais plus de problèmes qu’elle n’en règle. C’est cette contradiction que le « Hirak béni » est sur le point de dépasser. Nous le constatons dans les réformes apportées par couches successives dans les forces de sécurité ou bien dans les avancées du secteur bancaire étatique en introduction de la finance islamique qui provoque de si puissantes résistances souterraines. Nous replaçons, ainsi, dans la droite ligne des évolutions sociales, dont la dimension nationale fut une caractéristique frappante depuis le 22 février 2019, ces ajustements en continuité féconde du rapport entre administrations et administrés.
Ils déplacent les enjeux culturels et sociaux liés à la rente, les intérêts régionalistes et de classe s’exprimant au sein de l’administration, comme le prouvent l’accroissement d’une part du nombre de wilayas passant de 48 à 58 et, d’autre part, le projet constitutionnel qui, en son article 16, alinéa 3, prévoit un statut particulier pour certaines communes. La confusion entretenue à cet égard, loin d’être innocente, agit en réflexe de défense d’intérêts qui se déguisent soigneusement. Elle vient de la surdétermination idéologique des expressions du mouvement social à mettre en regard de la sous-estimation sociologique par l’administration des besoins de la population. Aussi, il serait opportun de déménager l’ENA (l’Ecole Nationale d’Administration) d’Alger à Tamanrasset, comme il y fut justement créé une école des Cadets de la Nation, autant pour mieux l’ouvrir aux élites estudiantines du Sud que pour familiariser les futurs administrateurs civils en provenance du Nord aux réalités sahariennes de leur pays Continent.

Le Sahara en intégration de la mondialisation
Les démarches réformatrices doivent répondre aux besoins pratiques et singuliers que des configurations diverses de la géographie humaine imposent aux exigences maladroites de l’action centrale. Ces efforts seraient inutiles si le Sahara n’était traversé de forces qui nécessitent une attention appliquée de l’exécutif. En effet, la domination insolente du gaz et du pétrole, les richesses minérales, l’eau en abondance, les routes du commerce transsaharien et pan sahélien, les trafics en tous genres en particulier le tabac, la logistique mondiale nécessaire aux drogues variées en provenance du Maroc pour le cannabis et de la Colombie pour la cocaïne, les armes et jusqu’aux otages, attisent les convoitises. Partout, ces activités s’articulent sur des spécialisations sociales qui instaurent des divisions entre Etats, modes culturels (éleveurs/agriculteurs), régions, tribus, classes se soumettant à la géographie implacable du Sahara, maîtresse des lieux mais ayant perdu les dynamiques humaines mondialisées. Ces déploiements désormais en progression accélérée annoncent en questions sous-jacentes deux interrogations immédiates : la première est de savoir, si comme le prétend l’anthropologue Hélène Claudot-Hawad, les Touarègues du Mali et du Niger sont en demande d’une démocratie en devenir d’une communauté au caractère national.
Ou si, comme l’affirme son collègue André Bourgeot, les Touarègues de ces régions, sont travaillés par des logiques nationalistes tribalistes faisant du nettoyage ethnique de leurs régions, la revendication principale d’une rébellion, mise en avant, pour mieux cacher les rapports de classe entre nobles et dépendants. Ces deux thèses viennent évaluer un vieux rêve du colonialisme français, de voir un jour apparaître sous une forme ou sous une autre, l’OCRS – l’Organisation Commune des Régions Sahariennes – dont l’objectif était, dès 1957, de fédérer dans une organisation économique les ressources du Sahara. Aujourd’hui, c’est par la force de ses armes que Paris cherche à trouver une résonnance autour de cette vieille idée de regroupement autour de ses intérêts miniers mais qui serait fortement menacée si le processus de Paix au Mali venait à échouer en répercussions centripètes au Niger. Si d’aventure, en raisons d’agitations sociales et politiques, la France perdait l’exploitation de ses gisements d’uranium au nord du Niger (mines d’Arlit et d’Akokan), cela profiterait immédiatement à la Russie des réserves infinies de gaz, cauchemar des Américains en Europe de l’Ouest.
C’est l’une des explications que nous donnons à la présence de la plus importante base US de drones au monde dans la région d’Agadez, en plein territoire historique touarègue. Le sujet est d’autant plus préoccupant que le dispositif militaire, désormais permanent de la France dans les pays du Sahel, vient faire peser une pression supplémentaire sur le Sahara algérien alors que les flux migratoires, ne peuvent être évacués par le détroit de Gibraltar tenu par les Espagnols (grâce à leur flotte de surface) ainsi que par les Français et les Britanniques (grâce à leurs sous-marins).

Tamanrasset en diffuseur de la mondialisation
A défaut de rentrées financières suffisantes et pérennes en provenance de l’exploitation des hydrocarbures, un Etat touarègue de l’Azawad aurait, du point de vue rigoureusement militaire, le grand avantage de reporter les tensions qui s’exercent à nos frontières septentrionales, sur les lignes de démarcation entre peuples négro-africains et maures – comme le montre la partition du Soudan débarrassé des violences inter tribales d’avec l’Afrique noire – ce dont la France ne veut absolument pas -. A moins que l’Etat malien, porté par le dispositif Barkhane (en référence à une dune en forme de croissant dont les pointes indiquent le sens du vent), pris du vertige des futurs de libérations qui se forment, ne se décide à dépasser ses angoisses vis-à-vis du Nord en accompagnant une véritable politique d’intégration et d’inclusion nationales. Auquel cas, l’autonomisation de la région du Nord aidant, comme le prévoient les accords d’Alger, permettra de sauvegarder l’essentiel, l’unité malienne, désormais entre parenthèses de réformes politiques qui restent entre les seules mains des élites maliennes. Ces dernières, légitimement préoccupées par la lutte anti-terroriste, exacerbée par la présence militaire française au Mali, ne mesurent pas l’urgence de favoriser les décantations au sein de la scène politique nord malienne entre ceux qui expriment des revendications politiques incontournables et les partisans du chaos djihadiste. Bamako, imite l’autruche, la tête dans le sable de Barkhane et choisi sciemment l’effondrement du nord malien en protection des gisements d’uranium… français au… Niger.
C’est cette pensée stratégique néocoloniale que les peuples maliens et… algériens payent et qu’il est nécessaire d’évacuer à un niveau africain grâce à une action diplomatique de standard continental. Dans l’attente, il n’est plus possible de maintenir en l’état d’exclusion sociale, économique et culturelle les populations de notre Désert. Il s’agit d’orienter strictement l’offre d’emplois du secteur énergétique en faveur de la jeunesse du Sud, de l’encourager au labeur grâce à son recrutement dans les rangs de l’ANP et de nos administrations où ils sont sous-représentés, de désenclaver la région en instaurant un service de taxi aérien adapté et subventionné, de faciliter les transports terrestres par une compagnie de bus puissante et moderne, de soutenir le commerce en finançant la logistique, en particulier des chambres froides gérées par l’Etat, de dématérialiser les services administratifs qui peuvent l’être, avant de décentraliser un certain nombre d’administrations dans les principales chefs-lieux du Sud du pays. L’inspiration stratégique serait de construire une infrastructure ferroviaire reliant Alger au Hoggar en inversant totalement l’effet de levier que cherche à nous imposer une situation géopolitique du Mali et du Niger manipulée par la France.
Cela annulerait le poids du détroit de Gibraltar sur nos Déserts, poserait Tamanrasset comme le premier port commercial européen et chinois du désert de la mondialisation, la camperait en capitale diffusant ses influences sur l’ensemble de la région jusqu’en Afrique noire et non pas le contraire. Alger, capitale de ses intérêts, rechercherait la proximité de Tamanrasset plus qu’elle ne la rejetterait comme aujourd’hui. Les progrès de la scolarisation, de l’arabisation, de l’islamisation, de l’économie, les brassages de populations ont bousculé la société traditionnelle touarègue algérienne.
Elle cherche désormais les meilleures conditions de son intégration dans la Nation et les opportunités sociales les plus avantageuses aux fins de perpétuer un passé de leadership social dont elle reste nostalgique. A l’Etat planificateur de lui offrir des perspectives en internationalisations contrôlées autour de ses traditions, de ses legs culturels d’attitudes nobiliaires en partage de la mentalité algérienne authentiquement aristocratique mais n’imprégnant pas suffisamment son administration de l’égoïsme étroit. Le Sahara retrouverait alors la maîtrise de sa destinée en appui d’une Algérie rayonnante.
Brazi