Quand les mots passent du féminin au masculin

Langue française

Un armoire, un automobile, mais aussi une évêché, une honneur, une poison… Nombreux sont les termes en français à avoir changé de genre. Suivez le guide.

L’Académie française a donc tranché : il ne faudrait pas dire «le» Covid, mais «la» Covid. Son argumentation ? Covid est un acronyme (1) d’origine anglaise dont le «mot noyau» est desease, soit «maladie». Or maladie est un terme féminin, d’où «la» Covid. D’ailleurs, ajoutent les immortels, il s’agit là d’une règle bien établie de notre langue française lorsqu’elle importe des sigles étrangers. La preuve : nous disons «le» FBI pour désigner le Federal Bureau of Investigation, mais «la» CIA pour Central Intelligence Agency. CQFD ? Pas sûr. Le très vif youtubeur Linguisticae conteste cette interprétation en citant quelques contre-exemples. Ainsi, «laser» est l’acronyme de light amplification by stimulated emission of radiation, dont le mot noyau, amplification, est féminin. Ce qui n’empêche pas «laser» d’être toujours présenté comme masculin, y compris par… le dictionnaire de l’Académie française ! Et ce n’est pas une exception : selon lui, «radar» et «sonar» sont dans le même cas. Ce débat le montre : le genre des mots en français n’est pas toujours facile à déterminer, d’autant qu’il varie parfois selon les époques ! Un grand nombre de termes sont ainsi passés du masculin au féminin, comme le relève le linguiste Jean Pruvost dans un livre formidable dont j’ai déjà parlé ici, Les secrets des mots (2). Saviez-vous par exemple que, jadis, on parlait d’un affaire, d’un alarme, d’un armoire, d’un date, d’un étude, d’un dette, d’un offre ? Et que plus récemment, la voiture était un automobile, par association avec un véhicule automobile ? D’autres ont parcouru le chemin inverse : en ancien français (du IXe au XIIIe siècle, pour simplifier), on évoquait une art, une évêché, une honneur, une poison, une serpent. «Eventail», lui aussi, a longtemps été féminin, tout comme bronze, cyclone, carrosse, duché et comté (d’où «la» Franche-Comté), mais aussi doute, légume, losange, orage, reproche, silence, et tant d’autres.

«Un» ouvrage, mais de «la» belle ouvrage

Certains mots poussent le raffinement jusqu’à changer de genre selon les circonstances. «Œuvre» est généralement féminin, mais on parle «d’un» grand œuvre. «Ouvrage» est masculin, mais passe au féminin dans l’expression «de la belle ouvrage». Amour, délice et orgue sont aujourd’hui masculins au singulier, mais féminins au pluriel (il n’en a pas toujours été ainsi : amour était féminin jusqu’au XVIe siècle et orgue était présenté comme féminin par l’Académie française dans son dictionnaire de 1694). Ce qui débouche d’ailleurs sur des phrases impossibles : «On ne peut pas dire : «Cet orgue est l’un des plus beaux que j’ai vus» puisqu’en suivant la règle, on aboutirait à «cet orgue est l’une des plus belles que j’ai vues»», remarque avec malignité le même Jean Pruvost. Plus amusants – ou plus pervers, selon la façon de voir – certains mots désignent des réalités différentes selon leur genre. La réglisse est une plante, le réglisse une confiserie. Le chèvre est un fromage, la chèvre l’animal dont il est issu. Le greffe du tribunal ne doit pas être confondu avec la greffe d’un organe, pas plus que le manche de la pelle avec la manche d’une chemise… Et l’on pourrait citer livre, ombre, page, poste, pendule, somme, etc. Quant à «après-midi», il autorise l’emploi du féminin et du masculin : «un» ou «une» après-midi, au choix. Allons plus loin. Selon les linguistes, il n’est pas impossible que le genre des mots ait une influence sur nos représentations. Prenons un exemple cité de nouveau par Jean Pruvost. «Soleil» est masculin en français, mais féminin en allemand. A l’inverse, «Lune» est féminin en français et masculin en allemand. Eh bien, il en découle des associations différentes, notamment dans la littérature. Chez nous, l’astre du jour rime volontiers avec puissance et virilité – ce n’est pas pour rien que Louis XIV se faisait appeler le roi Soleil – tandis que la Lune est associée à des valeurs supposées féminines comme la discrétion et la douceur. Rien de tel outre-Rhin, où une tout autre perception a cours. A Munich, à Hambourg ou à Berlin, une femme peut ainsi lancer à son homme dans l’alcôve : «Ah, toi, ma belle Lune». Qu’en conclure ? Qu’ici comme ailleurs, l’usage règne et finit par trancher. Aussi, comme l’a remarqué Muriel Gilbert dans sa chronique de RTL Un bonbon sur la langue, Le petit Robert s’est-il sagement contenté d’indiquer dans sa dernière édition en ligne à l’entrée «Covid» : «nom masculin ou féminin». Aujourd’hui, le doute est permis. Dans quelques décennies, nous saurons.

M. F. -P. (1) Un acronyme est, le plus souvent, un mot formé par les initiales de plusieurs mots. Par exemple : SNCF pour Société nationale des chemins de fer. (2) Les secrets des mots, par Jean Pruvost, La librairie Vuibert.