«Une saison blanche et sèche» d’André Brink

Littérature classique africaine

Disparu en 2015 à l’âge de 80 ans, le Sud-Africain André Brink était un écrivain engagé et prolifique, avec une trentaine de romans, d’essais sur la littérature et de récits autobiographiques à son actif.

Une saison blanche et sèche est l’un de ses ouvrages les plus connus, porté à l’écran par Hollywood. L’écrivain met en scène les rapports de pouvoir dans l’Afrique du Sud d’hier et d’aujourd’hui : homme/femme, maître/esclave, blanc/noir, sur fond de racisme et d’injustices. Marquée par l’ici et maintenant, mais aussi par les interrogations sur l’éthique et le moral, l’œuvre d’André Brink demeure profondément universelle. Paru en 1979, couronné en France par le prix Médicis étranger, Une Saison blanche et sèche est un somptueux roman, exemplaire de l’engagement littéraire sud-africain contre l’apartheid. Il a été traduit dans le monde entier, avant d’être porté à l’écran par la cinéaste martiniquaise Euzhan Palcy, avec dans les rôles principaux Donald Sutherland, Susan Sarandon et l’immense Marlon Brando. Comme le rappelle le spécialiste de l’Afrique du Sud, Georges Lory, ce film hollywoodien a sans doute fait beaucoup plus pour faire connaître les crimes du ségrégationnisme sud-africain que toutes les campagnes anti-apartheid réunies. Le film sortit sur les écrans en 1989 et Mandela était libéré un an plus tard. La suite appartient à l’Histoire.

Le mouvement des Sestigers
Les années 1980 correspondent aussi à l’émergence de la grande littérature sud-africaine. On pourrait parler d’une explosion littéraire, avec la parution coups sur coups de plusieurs chefs-d’œuvre, sous la plume des Breyten Breytenbach, John Michael Coetzee et bien sûr André Brink. Un trio de choc, issu du mouvement littéraire avant-gardiste des Sestigers (les années 1960) qui a contribué à la libération intellectuelle de la société sud-africaine. Ce mouvement qui a brisé les tabous et conventions, a préparé ainsi le terrain pour la libération politique à venir. Cela se passe à travers la fiction, une fiction qui s’est révélée être aussi inventive que subversive.

Ni propagande, ni témoignage
Au service de la cause noire, comme l’a été l’œuvre de Brink dans les années sombres de l’apartheid. Amoureux de Dickens et de Camus, ce dernier est venu à la littérature en 1974 en publiant son premier roman Au plus noir de la nuit, qui met en scène une tragique histoire d’amour interracial. Le livre fut interdit pour «pornographie», devenant ainsi le premier livre en langue afrikaans à être censuré. A travers ses premiers romans, l’écrivain voulait avant tout explorer ses relations complexes avec sa propre communauté. Originaire d’une famille proche du parti nationaliste qui avait instauré l’apartheid, il a puisé dans la littérature les ressources pour sa propre émancipation intellectuelle avant de s’engager dans une écriture plus radicale, notamment suite à la répression sanglante du mouvement de protestation des lycéens noirs à Soweto en 1976. Une Saison blanche et sèche est le premier roman majeur que Brink fait paraître après ces événements tragiques. Ce roman est inspiré de la mort de Steve Biko, l’un des héros de la résistance noire, qui fut arrêté, torturé et tué en prison en 1976. Le titre de l’ouvrage est tiré d’un poème sud-africain, comme pour rappeler qu’on n’est pas dans la littérature de propagande ni dans le témoignage, mais dans la littérature tout court.

«Une saison blanche et sèche»
Ce roman raconte une histoire universelle de perte, de trahison et de prise de conscience, dévoilant avec efficacité le cynisme politique et idéologique à l’œuvre derrière la mort tragique d’un jeune homme noir en Afrique du Sud ségrégationniste. Rapportée sous une forme chronologique, l’histoire est d’une simplicité poignante. Ben Du Toit est un Afrikaaner, père de famille respecté et instituteur. Au début du récit, l’homme a une confiance infinie dans le sens de l’équité de la police et de l’administration de son pays, mais son monde s’effondre lorsqu’enquêtant sur la mort en détention du fils du jardinier noir de son lycée, il prend conscience de la réalité de la discrimination à laquelle la majorité de ses concitoyens sont confrontés à cause de la couleur de leur peau. A partir de ce moment, tout l’appareil policier se retourne inexorablement contre lui, puisqu’il dénonce ces pratiques iniques qu’il avait jusque-là cautionnées, autant par ignorance que par naïveté politique.
Fiché, renvoyé de son travail, abandonné par ses proches qui le voient désormais comme un «traître à la tribu», Ben Du Toit ira malgré tout jusqu’au bout de sa logique dénonciatrice, car il y va, croit-il, de son humanité. Il y a quelque chose de l’Antigone de Sophocle dans ce polar social dont la puissance vient de la progression quasi implacable du destin de ses héros, jusqu’à son dénouement nécessairement tragique. On n’en sort pas indemne d’un récit de cette intensité dramatique. C’est ce qui a valu sans doute à Une Saison blanche et sèche d’être interdit sous l’apartheid. T. Chanda Une saison blanche et sèche d’André Brink. Traduit par Robert Fouques Duparc.
Editions Stock, 1980, 431 pages. (Disponible en Livre de poche)