Les exportations de phosphates et de fer seront-elles des substituts aux entrées de devises des hydrocarbures ?

Transition énergétique

Grâce à l’exportation du phosphate et du fer à l’état brut ou semi-brut, l’Algérie fera-t-elle face à la baisse du prix des hydrocarbures comme le stipulent certains experts qui veulent coller aux évènements, sans analyse objective, ayant conduit par le passé le pays à l’impasse que nous connaissons (voir nos analyses google 2007/2010) ?

Or, tant pour le phosphate que pour le fer (brut ou semi-brut), la commercialisation dépend tant des contraintes d’environnement, du management stratégique interne, de la teneur chimique donc de leur pureté qui déterminent le coût d’exploitation, de la croissance de l’économie mondiale et surtout de la quatrième révolution industrielle qui se met progressivement en place 2020/2030 avec le primat du savoir de la transition numérique et énergétique. Ci-joint une analyse, après consultation de nombreux experts du domaine, qui j’espère sera utile au gouvernement afin d’éviter les erreurs du passé qui se sont chiffrées en pertes évaluées à des milliards de dollars 1.-Pour le phosphate, c’est un élément clé entrant dans la composition des engrais qui sont d’une importance cruciale pour la sécurité alimentaire mondiale. Le cours du phosphate brut connaît d’importantes fluctuations entre 2015 et 2020 : 118,90 dollars la tonne métrique en juin 2015, 110,50 en juin 2016, 92,50 en juin 2017, 87,50 en juin 2018, 97,50 en juin 2019 et 72,90 en mai 2020. Pour les réserves en phosphate, par ordre Maroc 50 000 mt Chine 3 700- Algérie 2 200, Syrie 1 800-Afrique du Sud 1 500-Russie 1 300- Jordanie 1 300 -Egypte 1 250- Australie 1 030- USA 1 100- Arabie Saoudite 950. Pour la production les pays qui arrivent en premier sont en 2015, nous avons la Chine, le Maroc , les USA, l’Egypte, la Tunisie, l’Arabie Saoudite, Israël l’Australie, le Vietnam, la Jordanie, l’ Algérie venant très loin avec seulement 2,6 mt. Le prix du phosphate brut a été divisé par trois depuis son pic de l’année 2008 ayant chuté de -43,2% depuis l’année 2011 et est coté, pour le brut le 12 juillet 2020. Selon les prévisions de la Banque mondiale, la tendance générale à moyen terme des prix des produits phosphatés reste orientée à la baisse, le phosphate brut se négocierait entre 2020/2025 autour de 80-85 dollars US la tonne métrique, celui du DAP autour de 377,5 dollars US la tonne métrique et le TSP à près de 300 dollars US la tonne métrique. Dans une nouvelle analyse, l’agence de notation mondiale estime que les prix des roches de phosphate resteront en moyenne à 100 dollars la tonne (sans frais à bord), et les prix de la tonne de roche de phosphate (sans frais à bord) atteindront 110 dollars sur le long terme. Sous réserve des mesures pour la protection de l’environnement, unités très polluantes comme pour la transformation du fer devant les éloigner des zones urbaines pour éviter des maladies respiratoires qui occasionnent un coût indirect supporté par le budget de l’Etat, si l’on exporte trente millions de tonnes de phosphate brut annuellement à un cours moyen de 100 dollars entre 2020/2005, nous aurons un chiffre d’affaire de 3 milliards de dollars. Comme dans cette filière, les charges sont très élevées (amortissement et charges salariales notamment) minimum de 40%, le profit net serait pour trente missions de tonnes environ 1,8 milliard de dollar. En cas d’association avec un partenaire étranger selon la règle des 49/51%, le profit net restant à l’Algérie serait légèrement supérieur à 910 millions de dollars. Pour accroître le profit net, il faut donc se lancer dans des unités de transformation hautement capitalistiques avec des investissements lourds et à rentabilité à moyen terme avec une exportation de produits nobles. Ainsi, sur un marché aussi concurrentiel que l’UE, l’engrais/urée était vendue à plus de 350 euros la tonne en 2014, 260 dollars en mars

2018, et a été coté en moyenne début juillet 2020 à 240 dollars. Quant au prix de l’ammoniac sur le marché mondial, devant tenir compte des différentes structures, en moyenne, étant très volatil, il a fluctué à 480 dollars la tonne en janvier 2015, à 338 dollars 2017, la tonne à 404 dollars cotation du début février 2018 et est coté, début janvier 2020 avant la crise, supérieur à 450 dollars la tonne. Mais pour une grande quantité exportable, cela nécessite des investissements très lourds et à rentabilité à moyen terme pas avant 2025/2030 si le projet est en fonctionnement en 2021/2022. Et pour une importante quantité exportable, cela passe par un partenariat du fait du contrôle de cette filière par quelques firmes au niveau mondial. 2.- Le prix du fer est fluctuant ayant été coté en décembre 2016 à 80 dollars la tonne, en octobre 2018, à 73 dollars et en juin 2020 à 78 dollars la tonne (la tonne de ferraille 19 dollars), les réserves mondiales de fer étant évaluées selon les organismes internationaux à 85 000 millions de tonnes. L’Australie arrive en tête avec 24 000Mt, suivi de la Russie 14 000Mt, du Brésil 12 000 Mt, de la Chine 7 200 Mt, de l’Inde 5 200 Mt, Etats-Unis 3 500 Mt, du Venezuela 2 400 Mt, de l’Ukraine 2 300 Mt, du Canada 2 300 Mt et de la Suède 2 200 Mt, l’Algérie selon les données algériennes (gisement exploitables) entre 1 500 et 2 000 Mt. On estime qu’il reste environ 75/80 ans de réserves mondiales de minerai de fer (au rythme d’exploitation actuel). La Chine est le leader du marché du minerai de fer, derrière, l’Australie, le Brésil, l’Inde et la Russie. Si l’on s’en tient aux statistiques internationales, avec la crise actuelle et à terme le changement du nouveau modèle de consommation mondial, le prix de la tonne, tout dépendant surtout de la relance de l’économie chinoise, les aciéries chinoises absorbant 70% de la demande mondiale du minerai de fer. A un cours optimiste de 80 dollars la tonne le fer brut, pour une exportation brute de 30 millions de tonnes/an ce qui est considérable, nous aurons un chiffre d’affaire de 2,40 milliards de dollars, auquel il faudra retirer 40% de charges (le coût d’exploitions est très élevé salaires mais surtout le transport de Tindouf aux côtes) restant 1,44 million de dollars de bénéfice net. Ce montant est à se partager selon la règle des 49/51%, avec le partenaire étranger restant à l’Algérie pour 51% de parts sociales 730 millions de dollars. C’est que l’exploitation du fer de Gara Djebilet nécessitera de grands investissements dans les centrales électriques, des réseaux de transport, une utilisation rationnelle de l’eau, des réseaux de distribution qui font défaut du fait l’éloignement des sources d’approvisionnement, tout en évitant la détérioration de l’environnement, unités très polluantes et surtout une formation pointue et éviter les sorties de devises des services qui entre 2010/2019 sont évaluées entre 10/11 milliards de dollars par an. Et là, on revient à la ressource humaine, pilier de tout processus de développement. Donc seule la transformation en produits nobles peut procurer une valeur ajoutée plus importante à l’exportation. Ainsi, le cours de l’acier, existant plusieurs catégories d’acier, est très fluctuant s’est établi à 620 dollars la tonne en juillet /2016, en février 2018 à 631 dollars la tonne en fin juin 2020 à 486 dollars la tonne, l’inox à 2338, l’aluminium à 1314, le cuivre à 4552, le plomb à 1492 et le zinc à 1 713 dollars la tonne. Du fait de la structure oligopolistique de la filière mines, au niveau mondial, pour valoriser ces matières premières, il en sera de même, pour la filière phosphate, il faudra de grands complexes industriels avec un coût important , avec un retour d’investissement sur au moins 5 à 10 ans et la seule solution est un partenariat gagnant/gagnant avec les firmes de renom qui contrôlent les segments du marché international devant alléger la règle des 49/51% pour éviter les lourdeurs bureaucratiques qui entravent les décisions au temps réel. 3.- L’Algérie est dotée de richesses minière qu’il s’agira de valoriser en étant attentif au coût d’exploitation et à la concurrence internationale. (voir notre interview à Radio Algérie Internationale invité du jour 10/07/2020 et au quotidien horizon 12/07/2020) : en plus du fer et du phosphate, plus d’un milliard de tonnes de sel, plus de 100 millions de tonnes de plomb et de zinc, plus de 100 tonnes d’or, 24 millions de tonnes de wolfram, 1,4 million de tonnes de manganèse, 6,3 millions de tonnes de célestine, 22 millions de tonnes de barytine, 6,5 millions de tonnes de kieselguhr, 7 millions de tonnes de feldspath ; d’importantes ressources qui seront certainement d’un apport considérable pour la relance de l’économie nationale, sous réserve de débureaucratiser et de libérer les énergies créatrices. Mais, il faudra être réaliste, étant loin de la rente des hydrocarbures, lorsque le cours dépassait 70/80 dollars le baril (fluctuant en juillet 2020 entre 40/43 dollars) et le gaz naturel représentant 33% des recettes de Sonatrach, qui était de 10/12 dollars le MBTU entre 2008/2009 (cours sur le marché libre moins en juillet 2020 moins de 2 dollars le MBTU). Pour l’Algérie, il faudra résoudre le problème du prix de cession du gaz tant pour les complexes sidérurgiques et que du phosphate qui constitue un input important dans la structure des coûts, afin d’éviter tant le gaspillage et en cas d’exportation, les nombreux litiges internationaux du fait de la dualité des prix. Attention donc aux utopies, sans analyser la rentabilité réelle, comme cette déclaration d’un ancien ministre de l’Industrie courant 2014 reproduites par l’APS que l’Algérie économiserait 30 milliards de dollars durant les trois ou quatre années grâce aux Mines. Comme ils s’agira d’éviter cette dérive du passé du montage de voitures, sans intégration réelle, avec des sorties de devises et des faillites qui étaient prévisibles, après avoir perçu des avantages financiers et fiscaux considérables où avec une mauvaise allocation des ressources, la corruption et des projets non rentables à terme, les réserves de change sont passées de 194 milliards de dollars au 1er janvier 2014 et qui termineront à moins de 40 milliards de dollars fin 2020. Où trouver le financement en ces moments de crise d’endettement mondial ou seulement pour les deux projets de phosphate et du fer de Gara Djebilet, il faudrait mobiliser entre 16/17 milliards de dollars dont une grande partie en devises ? Comme cette utopie de dizaines de complexes de ciment

alors que le monde s’oriente vers la transition énergétique avec de nouvelles méthodes de construction économisant jusqu’à 30/40% l’utilisation du rond à béton, le ciment et l’énergie où actuellement avec la brique et le parpaing, il faut un climatiseur par pièce. Par ailleurs, nous assistons actuellement à la sous-utilisation de capacités, accentuée par la crise du BTPH, avec le risque du refroidissement si le stockage est de longue durée, accroissant les coûts, alors inutilisables pour la construction, étant presque impossible d’exporter vers l’Afrique où, contrairement à certains discours, ne reposant sur aucune étude de marché séreuses, les parts de marché sont déjà prises avec de nombreux complexes en voie de réalisation en Afrique et au niveau du bassin méditerranéen, Lafarge étant une exception ayant utilisant ses filiales installées déjà dans certains pays d’Afrique et bénéficiant d’une cession de prix de gaz subventionné. La seule solution, comme en Allemagne, est d’utiliser le béton pour construire les routes revenant souvent moins chères que le bitume importé (voir nos contributionswww.google.com sur l’incohérence de la politique industrielle 2013/2018). L’Algérie a besoin d’une vision stratégique au sein de laquelle doit s’insérer toutes les politiques sectorielles, des réformes touchant les institutions, le système financier, fiscal, douanier, domanial, le système socio-éducatif, le marché du travail, le foncier… afin de s’adapter aux nouvelles filières mondiales en perpétuelles évolutions, poussées par l’innovation permanente. Evitons des discours démagogiques car l’Algérie dépendra encore pour de longues années des hydrocarbures, les autres matières premières permettant de réaliser tout juste un profit moyen. En bref, il est démontré, mathématiquement qu’aucun pays dans le monde qui a misé uniquement sur les matières premières brutes ou seulement sur le capital-argent (étant un moyen), l’illusion monétaire n’a pas réalisé un développement durable. Remémorons-nous le déclin de l’Espagne pendant plus d’un siècle, après avoir épuisé ses stocks d’or venu d’Amérique, l’expérience de la Roumanie communiste de Nicolae Ceausescu avec une dette nulle mais avec une corruption généralisée et une économie en ruine, récemment le cas du Venezuela, première réserve mondiale d’hydrocarbures, en semi faillite et tous les pays exportateurs d’hydrocarbures qui ont eu des milliers de milliards de dollars qui ne sont pas des pays émergents. Le réalisme doit l’emporter sur les improvisations et ce dans l’intérêt de l’Algérie. Depuis que le monde est monde et surtout avec la quatrième révolution économique mondiale 2020/2030/2040 fondée sur l’économie de la connaissance, la transition numérique et énergétique avec le primat de l’hydrogène entre 2030/2040, qui va révolutionner le mode de transport, déclassant les hydrocarbures traditionnels, la prospérité des différentes civilisations a toujours reposé sur la bonne gouvernance et l’économie de la connaissance. Aussi, évitons toute sinistrose, mais également de vendre des rêves, devant être réaliste et pragmatique, loin de toute vision théorique déconnectée de la réalité, grâce à une gouvernance renouvelée, l’Algérie a toutes les potentialités pour dépasser la crise actuelle et être un acteur déterminant au niveau de l’espace méditerranéen et africain.
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul