Les exportations de phosphates et de fer seront-elles des substituts aux entrées de devises des hydrocarbures ?

Transition énergétique

Grâce à l’exportation du phosphate et du fer à l’état brut ou semi-brut, l’Algérie fera-t-elle face à la baisse du prix des hydrocarbures comme le stipulent certains experts qui veulent coller aux évènements, sans analyse objective, ayant conduit par le passé le pays à l’impasse que nous connaissons (voir nos analyses google 2007/2010) ?

Or, tant pour le phosphate que pour le fer (brut ou semi-brut), la commercialisation dépend tant des contraintes d’environnement, du management stratégique interne, de la teneur chimique donc de leur pureté qui déterminent le coût d’exploitation, de la croissance de l’économie mondiale et surtout de la quatrième révolution industrielle qui se met progressivement en place 2020/2030 avec le primat du savoir de la transition numérique et énergétique. Ci-joint une analyse, après consultation de nombreux experts du domaine, qui j’espère sera utile au gouvernement afin d’éviter les erreurs du passé qui se sont chiffrées en pertes évaluées à des milliards de dollars. L’Algérie est dotée de richesses minière qu’il s’agira de valoriser en étant attentif au coût d’exploitation et à la concurrence internationale, pouvant avoir les plus grandes réserves mais non rentables financièrement, (voir notre interview à Radio Algérie Internationale, Invité du jour 10/07/2020 et au quotidien horizondz 12/07/2020) : en plus du fer et du phosphate, plus d’un milliard de tonnes de sel, plus de 100 millions de tonnes de plomb et de zinc, plus de 100 tonnes d’or, 24 millions de tonnes de wolfram, 1,4 million de tonnes de manganèse, 6,3 millions de tonnes de célestine, 22 millions de tonnes de barytine, 6,5 millions de tonnes de kieselguhr, 7 millions de tonnes de feldspath ; d’importantes ressources qui seront certainement d’un apport considérable pour la relance de l’économie nationale, sous réserve de débureaucratiser et de libérer les énergies créatrices. Pour le dossier phosphate, c’est un vieux dossier avec une importante publicité, l’inauguration de plusieurs anciens premiers ministres avec des coûts d’études faramineux et qui n’a pas vu le jour depuis. Le phosphate est un élément clé entrant dans la composition des engrais qui sont d’une importance cruciale pour la sécurité alimentaire mondiale.
Le cours du phosphate brut connaît d’importantes fluctuations entre 2015 et 2020 : 118,90 dollars la tonne métrique en juin 2015, 110,50 en juin 2016, 92,50 en juin 2017, 87,50 en juin 2018, 97,50 en juin 2019 et 72,90 en mai 2020. Pour les réserves en phosphate, par ordre Maroc 50 000 mt Chine 3 700, Algérie 2 200, Syrie 1 800, Afrique du Sud 1 500, Russie 1 300, Jordanie 1 300, Egypte 1 250, Australie 1 030, USA 1 100, Arabie Saoudite 950. Pour la production, les pays qui arrivent en premier 2015, nous avons la Chine, le Maroc, les USA, l’Egypte, la Tunisie, l’Arabie Saoudite, Israël l’Australie, le Vietnam, la Jordanie, l’Algérie venant très loin avec seulement 2,6 mt. Le prix du phosphate brut a été divisé par trois depuis son pic de l’année 2008 ; ayant chuté de -43,2% depuis l’année 2011 et est coté, pour le brut le 12 juillet 2020. Selon les prévisions de la Banque mondiale, la tendance générale à moyen terme des prix des produits phosphatés reste orientée à la baisse, le phosphate brut se négocierait entre 2020/2025 autour de 80-85 dollars US la tonne métrique, celui du DAP autour de 377,5 dollars US la tonne métrique et le TSP à près de 300 dollars US la tonne métrique. Dans une nouvelle analyse, l’agence de notation mondiale estime que les prix des roches de phosphate resteront en moyenne à 100 dollars la tonne (sans frais à bord), et les prix de la tonne de roche de phosphate (sans frais à bord) atteindront 110 dollars sur le long terme.
Sous réserve des mesures pour la protection de l’environnement, unités très polluantes comme pour la transformation du fer devant les éloigner des zones urbaines pour éviter des maladies respiratoires qui occasionnent un coût indirect supporté par le budget de l’Etat, si l’on exporte trente millions de tonnes de phosphate brut annuellement à un cours moyen de 100 dollars entre 2020/2005, nous aurons un chiffre d’affaire de 3 milliards de dollars. Comme dans cette filière les charges sont très élevées (amortissement et charges salariales notamment) minimum de 40%, le profit net serait pour trente missions de tonnes environ 1,8 milliard de dollar. En cas d’association avec un partenaire étranger selon la règle des 49/51%, le profit net restant à l’Algérie serait légèrement supérieur à 910 millions de dollars. Pour accroître le profit net, il faut donc se lancer dans des unités de transformation hautement capitalistiques avec des investissements lourds et à rentabilité à moyen terme avec une exportation de produits nobles. Ainsi, sur un marché aussi concurrentiel que l’UE, l’engrais/urée était vendu à plus de 350 euros la tonne en 2014, 260 dollars en mars 2018, et a été coté en moyenne début juillet 2020 à 240 dollars.
Quant au prix de l’ammoniac sur le marché mondial, devant tenir compte des différentes structures, en moyenne, étant très volatil, il a fluctué à 480 dollars la tonne en janvier 2015, à 338 dollars 2017, la tonne, à 404 dollars cotation du début février 2018 et est coté, début janvier 2020 avant la crise, supérieur à 450 dollars la tonne. Mais pour une grande quantité exportable, cela nécessite des investissements très lourds et à rentabilité à moyen terme pas avant 2025/2030 si le projet est en fonctionnement en 2021/2022. Et pour une importante quantité exportable, cela passe par un partenariat du fait du contrôle de cette filière par quelques firmes au niveau mondial. Pour le fer de Gara Djebilet, c’est également un vieux dossier avec bon nombre d’études de faisabilité avec des coûts tant en dinars qu’en devises importants. Lorsque j’étais conseiller au ministère de l’Industrie et de l’Energie entre 1974/1979 ; nous avons beaucoup travaillé sur ce dossier. La découverte de ce gisement date depuis les années 1950 avec les études du Bureau de recherche minière en Algérie en 1953, le Bureau d’investissement en Afrique en 1959, le Service d’études et recherches minières en 1961 jusqu’aux premières tentatives de développement à titre expérimental du site avec l’entrée en scène de la Sonarem après la nationalisation des mines.
Des avis d’appels internationaux à manifestation d’intérêt lancés par Sonatrach, détenteur depuis 2009 du titre minier (adjudication, exploration) n’ont pas connu le succès escompté. Resté au stade de la «préfaisabilité», le dernier «projet intégré de Gara Djebilet», mis sur pied en 2005, prévoyait aussi bien l’exploitation proprement dite jusqu’à la production du fer. Ce projet intégrait l’extraction du minerai de fer avec option pour son enrichissement sur place, son transport par voie ferroviaire (projet de chemin de fer reliant Tindouf à Bechar) vers le nord du pays, une usine sidérurgique proche d’un port en cas d’exportation d’une partie du produit et la construction d’une cité minière près du site appelé à accueillir une importante main-d’œuvre. Le prix du fer est fluctuant ayant été coté en décembre 2016 à 80 dollars la tonne, en octobre 2018 à 73 dollars et en juin 2020 à 78 dollars la tonne (la tonne de ferraille 19 dollars), les réserves mondiales de fer étant évaluées selon les organismes internationaux à 85 000 millions de tonnes. L’Australie arrive en tête avec 24 000 Mt, suivi de la Russie 14 000Mt, du Brésil 12 000 Mt, de la Chine 7 200 Mt, de l’Inde 5 200 Mt, Etats-Unis 3 500 Mt, du Venezuela 2 400 Mt, de l’Ukraine 2 300 Mt, du Canada 2 300 Mt et de la Suède 2 200 Mt, l’Algérie selon les données algériennes (gisements exploitables) entre 1 500 et 2 000 Mt du fer de Gara Djebilet.
(A suivre)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul