Le taux de croissance, le taux de chômage, les réserves de change et la cotation du dinar

La crise économique mondiale et son impact sur l’Algérie

Le Président de la République Abdelmadjid Tebboune lors des deux derniers Conseils des ministres, a demandé au gouvernement un bilan serein de la situation actuelle et des solutions adéquates pour faire face à la crise qui secoue pas seulement l’Algérie mais le monde.

Un bilan ne saurait être la compilation des départements ministériels mais implique une vision globale, tenant compte tant de la situation interne qu’externe, les actions sectorielles devant se mouler au sein d’une fonction objectif stratégique. En effet, selon les prévisions de l’OCDE, du FMI, de la Banque mondiale, le monde connaît une récession inégalée depuis la crise de 1928/1929, qui durera plusieurs années avant que l’économie mondiale ne retrouve son niveau d’avant 2019 avec des incidences sociales, dramatiques avec la récession annoncée de l’économie américaine et de la zone euro représentant environ 45% du PIB mondial avec des effets sur tout le reste du monde, la Chine dépendant fortement de la demande extérieure. Les tensions géostratégiques au niveau de la région, la chute des prix du pétrole, avec la baisse drastique des réserves de change, ont suscité à l’extérieur des analyses prévoyant de sombres scénarios sur l’avenir de l’Algérie 2021/2023, notamment l’épuisement des réserves de change, une dépréciation accélérée de la monnaie nationale et de vives tensions sociales. Pourtant, en ce mois d’août 2020, l’Algérie n’est pas au bord de l’effondrement contrairement aux vues de sinistrose. Mais il faut être réaliste et ne pas verser dans la démagogie. La situation pourrait prendre une autre dimension et s’aggraver sans un changement dans le système de gouvernance.

1- Le produit intérieur brut (PIB) à prix courants a évolué ainsi de 2000 à 2019 : 2 000, 5 500 milliards de dinars – 2005, 7 200 milliards de dinars, – 2 009, 7 100 milliards de dinars (effet de la crise), – 2012, 7 600 milliards de dinars, – 2016, 15 000 milliards de dinars, 2017 de 15 100 milliards de dollars – 2018, 17 160 milliards de dinars – 2019, 20 110 milliards de dinars au cours moyen de 119 dinars un dollar. Pour 2021, avec le cours actuel du dinar par rapport au dollar, baisse d’environ 15% et une baisse du PIB d’environ 4/5% négatif par rapport à 2019, le PIB devrait se situer entre 135/140 milliards de dollars. Quant au taux de croissance qui se calcule par rapport à la période précédente, nous avons : – 2000, 5,0% – 2005, 6,1% – 2010, – 2015, 3,7% – 2018, 1,4 % – 2019, 0,8%. Pour les prévisions 2020, nous avons pour l’ONS un taux de croissance négatif de 3,9% au premier trimestre 2020, pour le FMI moins 5,0% et pour la Banque mondiale moins 6,4%. La valeur du PIB en dinars ou dollars courants peut être trompeuse de plusieurs manières, en particulier lors de comparaisons entre deux ou plusieurs années. D’abord, parce qu’elle peut être gonflée à cause de l’inflation (ou l’inverse à cause de la déflation). C’est pour cette raison que l’on a souvent recours au PIB en dollars constants.
On doit aussi tenir compte de la population, il est alors utile d’examiner le même indicateur par habitant. Pour des comparaisons internationales plus adéquates, on doit examiner la donnée formulée en PPA (parité pouvoir d’achat). Il suffit que la Banque d’Algérie dérapage la valeur du dinar par rapport au dollar de X% pour que le PIB fléchisse dans la même proportion. Pour une appréciation objective, il faut prendre en compte la pression démographique. La population a évolué ainsi : 2000, 30,87 millions d’abitants, 2005, 32,90, 2010, 35,97, 2018, 42,57, 2019, 43,4, 2020, 43,9 millions d’habitants avec une population masculine de 50,5% et une population féminine de 49,5%. Les projections de l’ONS (Office national des statistiques) sur la croissance démographique sur les vingt prochaines années — sous réserve d’atteindre un indice conjoncturel de fécondité (ICF) de 2,4 enfants par femme et une espérance de vie à la naissance de 85 ans – se décline ainsi : 44,7 millions d’habitants en 2021 ; 51,309 millions en 2030 et 57,625 millions en 2040.
L’accroissement naturel de la population, en 2019 a cru de 837 000 personnes, en raison du maintien du rythme des naissances vivantes au-dessus de la barre du million et l’estimation de l’espérance de vie à 77,8 ans (77,6 pour les femmes et 77,2 pour les hommes), la légère hausse de la mortalité (198 000 décès au 1er janvier 2020 contre 193 000 à la même date l’année précédente) n’ayant pas influé sur la courbe. La part de la population en activité économique se contracte à moins de 60% au profit de celle des enfants (30,4%) et des personnes âgées (9,3%, soit en volume 4,14 millions de seniors) et la période de transition démographique se traduit par l’élargissement de la base de la pyramide et le rétrécissement de la tranche des 15-24 ans. La population active a évolué ainsi : 2006, 8,86, millions – 2010, 10,81 – 2016, 11,93 – 2018, 12,46 et fin mai 2019, 12,73 nécessitant de créer plus de 350 000 emplois par an qui s’ajoute au taux de chômage actuel, ce qui influe sur le taux d’emploi qui est fonction du taux de croissance et des taux sectoriels de productivité.

2- La croissance a été faible de 2000 à fin 2019 pour une entrée de devises ayant dépassé 1 000 milliards de dollars dont 98% avec les dérivées qui proviennent de Sonatrach et une sortie de devises d’environ 935 milliards de dollars, le solde au 31/12/2019 étant les réserves de change et à la valeur des importations qui ont implosé depuis 2010 malgré toutes les restrictions montrant un gaspillage des ressources financières. Au sein du PIB au sein de Sonatrach ces dernières années la part Energie représente seulement 30/35% du PIB, mais en inversant la matrice du PIB par la méthode de la triangularisation, le constat est que les hydrocarbures irriguent tout le corps économique et avec les effets indirects contribuent à plus de 75% du PIB. Concernant la répartition de la population occupée par secteur d’activité, il est constaté que les plus gros employeurs sont le secteur de la construction avec 1,9 million de travailleurs (17,2% de l’ensemble de la population occupée), suivie de l’administration publique (hors secteur sanitaire) avec 1,73 million d’employés (15,7%), du commerce avec 1,71 million (15,5%), de la santé et l’action sociale avec 1,56 million (14,1%), des industries manufacturières avec 1,33 million (12%) et de l’agriculture avec 1,14 million (10,4%), alors que les travailleurs des autres services sont au nombre de 819 000.
Plus précisément, la structure de l’emploi, selon le secteur d’activité, fait ressortir un secteur tertiaire, commerce et service – administration environ 2,5 millions de fonctionnaires toutes catégories confondues, le salariat dans le formel selon l’ONS constituant la forme d’emploi dominante avec 65,3% tant au niveau du secteur privé formel qu’au niveau du secteur public mais avec d’importantes disparités salariales et également selon le sexe. L’emploi féminin se caractérisant par une plus grande concentration dans le secteur public (61,2% de l’emploi). Concernant les retraités, où cohabitent deux systèmes, l’un régissant les cadres de la nation et l’autre concernant la majorité, selon le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale sont au nombre en mai 2020 de 3 266 000 personnes retraitées et selon le DG du Trésor Public d’ici fin 2020, le déficit de la CNR pourrait atteindre les 700 milliards de dinars, où seuls 2 personnes sont actives pour 5 retraités. Face à ce constat, l’Exécutif a dû recourir au financement non conventionnel (planche à billets) où 500 milliards de dinars a été injecté dans la CNR, dont une partie a servi à rembourser la CNAS.

3- Qu’en est-il de l’impact sur le taux de chômage ? L’Algérie, comme tous les autres pays du monde, est menacée par le chômage, qui selon les statistiques internationales a évolué ainsi en référence à la population active de l’année 2012, 11,0% – 2013, 9,8% – 2014, 10,6% – 2015, 11,2% – 2016 10,5% – 2017, 11,6% – 2018, 13,1% – 2019, 14,3% – 2020, 15,0% et pour 2020/2021 avant la crise – 2021, 15,4% et 2021 15,8%. Les chiffres de l’ONS précisent que pour l’année 2019, 45,8% de la totalité des chômeurs algériens ne sont détenteurs «d’aucun diplôme»; tandis que les 62,9% restants, soit six chômeurs sur dix, sont des chômeurs de longue durée à la recherche d’un emploi depuis «au moins une année , en augmentation permanente avec l’accroissement de la démographie. Chez les personnes dont l’âge est compris entre 16 et 24 ans, le taux de chômage est estimé 26,9% en mai 2019, contre 29,1% en septembre 2018.
Pour l’OCDE dans son rapport de mai 2020, une baisse d’un point de taux de croissance engendre un accroissement du chômage en stock de 350 000. Si l’on prend les données pour 2019, taux de croissance moyen de 2% en Algérie et celles la Banque mondiale du 8 juin 2020 – moins 6,4% (recul 8,4%) celles de la Banque africaine de développement de début juillet 2020 – scénario pessimiste moins de -5,4% et modéré -4,4%, et les données de l’ONS de juillet 2020, de moins 3,9%, nous aurons un stock additionnel de chômeurs pour 2020 en Algérie, qui varierait entre 2 500 000 et 1 800 000, pas propre à l’Algérie avec la situation de l’économie mondiale comme le montre le rapport alarmant de l’OIT de mai 2020, plusieurs centaines de millions de chômeurs, avec un accroissement des inégalités et de la pauvreté, frappant particulièrement les pays les plus vulnérables.

4- Aussi, face à cette situation sociale difficile, le gouvernement continue de privilégier la nécessaire cohésion sociale. Le SMIG était de 8 000 dinars en 2001, à 15 000 dinars en 2010 et à 18 000 dinars en 2012. En Conseil des ministres le 3 mai 2020, a été décidé la revalorisation du salaire national minimum garanti (SNMG) de 2000 dinars et la suppression de l’impôt sur le revenu global pour les revenus faibles (inférieurs à 30 000 dinars, le salaire national minimum garanti (SNMG) de 18 000 dinars pour le porter à 20 000 dinars et ce, à partir du 1er juin 2020. Le salaire net mensuel moyen en Algérie (hors agriculture et administration) a été estimé à 41 000 DA en 2018 contre 40 325 DA en 2017, selon l’Office national des statistiques (ONS). Cependant, un salaire moyen n’a pas de signification car voilant les disparités inter-socio professionnelle et inter-régionale devant mettre en relief les liens entre la croissance, la répartition du revenu par couches sociales et par grands espaces régionaux, la structuration du modèle de consommation et devant revoir le panier des biens de consommation qui préside au calcul de l’indice, le besoin étant historiquement daté, évoluant avec le temps.
Des millions de personnes notamment dans l’éducation nationale sont payés sans travailler, en plus de la sous-utilisation des capacités dans bon nombre d’unités, car contraints, des taux d’intérêts bonifiés, des reports dans le paiement des impôts, dans la loi de Finances complémentaire il est prévu que le maintien des transferts sociaux budgétisés inchangés par rapport à 2019, s’établissant à 1 798,4 Mds de DA, soit 8,4% du PIB, la reconduction jusqu’en 2025 de l’abattement de 50% en matière d’IRG et d’IBS au profit des revenus réalisés dans les régions du Sud, l’exonération totale de l’IRG pour les revenus n’excédant pas 30 000 DA par mois applicable à compter du 1er juin 2020, la révision du seuil du SNMG qui passe de 18 000 à 20 000 DA au bénéfice des bas revenus. Sans entre exhaustif, nous avons les subventions du prix du pain, de la semoule et du lait, les subventions des carburants et de l’électricité, l’Algérie étant classée parmi les pays où le prix du carburant est le moins cher au monde, les subventions de l’eau, les subventions de la santé avec la médecine gratuite et la distribution de la carte Chiffa à la majorité de la population pour le remboursement des médicaments, les subventions dans le transport, les subventions pour le soutien au logement social et à l’emploi, des subventions à certaines entreprises publiques déficitaires par l’assainissement, l’octroi d’avantages financiers et fiscaux pour les nouvelles créations et nous avons l’éducation gratuite avec la prise en charge financière du transport des étudiants, de la restauration et de l’hébergement y compris certains CEM et lycées. Par ailleurs, le ministre des Finances avait révélé le 18 juillet 2020, lors de la rencontre avec les partenaires sociaux et les opérateurs économiques, les pertes financières seulement pour deux à trois mois, qu’ont encaissé certaines entreprises publiques suite à la crise du coronavirus.
Certes à court terme, l’Algérie possède des tampons sociaux comme la crise du logement, le regroupement de la cellule familiale qui concerne une grande fraction de la population et les charges sont payées grâce au revenu familial global, mais résoudre la crise du logement sans relancer la machine économique prépare à terme l’explosion sociale ; également grâce aux subventions bien qu’inégalitaires, étatiques, les familles algériennes ayant accumulé une épargne sous différentes formes, mais cette épargne est en train d’être dépensée face à la détérioration de leur pouvoir d’achat ; la sphère informelle qui pourvoit par différents mécanismes à la faiblesse de l’offre pour satisfaire la demande sociale.
(A suivre)
Professeur des universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul