Une figure littéraire engagée, anti-raciste et anti-coloniale

Portrait de Richard Wright

Premier auteur noir américain à publier des romans à succès dans le monde entier, Richard Wright est un intellectuel politiquement engagé qui a farouchement combattu le racisme américain afin de «rassembler deux mondes, celui des blancs et celui des noirs, afin de n’en faire plus qu’un».

Richard Nathaniel Wright est né à Natchez, dans le Mississipi le 4 septembre 1908, puis passe son enfance à Jackson. Sa naissance dans une ville qui s’est longtemps enrichie grâce au commerce triangulaire et était devenue au 19e siècle le deuxième plus grand marché aux esclaves du sud des États-Unis, lui qui est un petit-fils d’esclave est très symbolique. Très tôt, son père, un métayer alcoolique abandonne sa femme, une jeune cuisinière devenue institutrice de village, son fils et sa fille. Toute la journée, le jeune Richard se retrouve donc à errer aux côtés des ouvriers noirs qui se saoulent dans les bars et s’amusent à lui apprendre les pires insanités. Après avoir fréquenté une école adventiste puis une école publique, à 17 ans, Richard quitte sa mère pour Memphis où il multiplie les petits emplois pendant deux ans, dans un hôtel, un cinéma ou une entreprise d’optique. C’est à cette époque qu’il découvre dans une bibliothèque de quartier les œuvres de Shakespeare, de Victor Hugo, d’Edgar Poe ou de Melville. Et c’est grâce à la complicité d’un jeune Blanc qui lui prête sa carte de lecteur que Wright peut alors emprunter des livres dans une bibliothèque qui ne prête qu’aux Blancs.
C’est alors qu’il découvre et lit avec intérêt les romans et nouvelles de Henry Louis Mencken. Celui que les Américains surnomment le «Sage de Baltimore» est un journaliste et critique littéraire de renom, connu surtout pour ses éditoriaux satiriques et ses critiques sociales acerbes. Richard Wright suit la voie de cet écrivain-journaliste en commençant à écrire des nouvelles, dont l’une est publiée en 1931, et en publiant quelques articles pour le Daily Worker et le journal New Masses. Wright dira de Mencken : «Il m’a appris ce qu’on peut faire avec des mots pour tourner en dérision les fausses valeurs et les absurdités qui nous entourent.» En 1927, Richard Wright part pour Chicago et quitte ainsi le Sud ségrégationniste dans lequel son oncle a été assassiné et où il entendait tout le monde parlait autour de lui des lynchages réguliers. Plus tard, il écrira : «Je n’avais jamais été malmené par des Blancs, mais mes rapports avec eux étaient les mêmes que si j’eusse été lynché plus de mille fois».
Il devient alors un simple employé d’un bureau de poste. En 1935, Richard Wright bénéficie du soutien d’un projet du gouvernement fédéral américain, le Federal Writer’s Project, piloté par l’agence qui est chargée de mettre en place le «New Deal» du président Roosevelt, la Work Projects Administration, et qui vise à soutenir les écrivains en pleine période de dépression économique. D’autres auteurs comme John Steinbeck ont également bénéficié de ces subventions qui auguraient les mesures du Federal One visant plus largement toute la création artistique. Trois ans plus tard, après avoir déménagé à New-York, il fait alors publier ses nouvelles réunies dans le recueil Uncle Tom’s Children et devient reporter et rédacteur en chef à Harlem pour le Daily Worker. Un an plus tard, ce premier livre lui vaut de recevoir la bourse «Guggenheim Fellowship», remise par la John Simon Guggenheim Memorial Foundation. Richard Wright peut alors envisager plus sereinement l’avenir et se consacrer pleinement à l’écriture de son premier roman. En 1939, il se marie avec une danseuse new-yorkaise blanche et divorce peu de temps après.

Un écrivain engagé
Richard Wright a été membre du Parti communiste américain. En 1941, il se remarie avec Ellen Poplar, une Américaine blanche et juive, membre du Parti communiste, avec qui il aura deux filles. Il fréquente également les cercles littéraires de la gauche américaine, notamment le John Reed Club. Or, cet engagement lui a valu beaucoup de problèmes dans les années 1950, lorsque l’Amérique maccarthiste se livrait à une véritable «chasse aux sorcières». Il est d’ailleurs inscrit sur la liste noire du cinéma. En 1977, le livre posthume American Hunger est publié. L’auteur y raconte ses tensions avec le Parti communiste et son éloignement à la fin des années 1940. Refusant de s’engager dans l’armée, il avait notamment été critiqué pour son anti-patriotisme et avait alors critiqué le dogmatisme du Parti à qui il reconnaissait pourtant le mérite de l’avoir «sorti du ghetto». Wright résume ce refus d’intégrer l’armée par cette phrase puissante : «On nous demande de mourir pour une liberté que nous n’avons jamais eue.» Enfin, Wright était hostile au soutien du Parti aux politiques de Roosevelt au nom de la «lutte commune» contre l’Allemagne nazie et farouchement opposé à l’adoption d’une nouvelle position qui menait le Parti à une faiblesse des critiques contre le racisme et le ségrégationnisme. En 1949, il fait paraître un ouvrage anti-communiste qui lui vaut d’être invité au Congrès pour la liberté culturelle. Mais Wright décline l’invitation, suspectant la CIA et le FBI, qui surveillent depuis 1943 cet «élément subversif», d’être liés à l’organisation de l’évènement.

L’exil en France
Richard Wright décide alors de quitter les États-Unis pour vivre en France, le pays des écrivains dont il affectionne tant les œuvres, le pays qui offrirait à sa fille Julia un climat moins hostile. Il écrit alors : «De ma vie je n’ai rien fait que ressentir et cultiver mes sentiments ; de leur vie ils n’ont rien fait qu’aspirer à des buts mesquins, aux triviales récompenses matérielles de la vie américaine. Nous partagions la même langue, mais mon langage était différent du leur.» À Paris, il rencontre Paul Éluard, André Breton, André Gide, Albert Camus ou Jean-Paul Sartre avec qui il devient ami. Sa femme, Ellen, devient alors l’agent littéraire de Simone de Beauvoir. Mais surtout, il trouve enfin la liberté de décrire l’Amérique raciste et ségrégationniste qu’il n’a eu de cesse de dénoncer, notamment en 1940 avec son roman Native Son qui raconte l’histoire de Bigger Thomas, un jeune noir Américain qui veut échapper à sa condition et finit par tuer la jeune femme blanche et riche tombée amoureuse de lui. Le roman connaît alors un succès inédit pour un auteur noir et se vend à plus de 250 000 exemplaires en six semaines. Tout le monde décrit alors Wright comme le nouveau «Dickens noir». Mais nombreux sont les Américains Blancs qui critiquent la violence du roman et les Américains noirs qui craignent finalement que ce livre, qu’ils jugent trop caricatural et pessimiste, ne fasse que renforcer les préjugés raciaux.
Wright, lui, n’envisage pas son personnage comme un être noir, mais le décrit plutôt comme un être devenu violent dans une société capitaliste qui pousse les individus, noirs ou blancs, dans leurs derniers retranchements. Toujours est-il que ce roman a inspiré de nombreux leaders noirs luttant pour les droits civiques aux États-Unis. En 1951, le réalisateur français Pierre Chenal décide d’adapter au cinéma cette œuvre et c’est finalement Richard Wright lui-même qui interprète son personnage. L’engagement de Wright et sa lutte contre l’oppression mentale et physique suscitée par le racisme américain sont flagrants dans toute l’œuvre de celui qui considérait que «les mots peuvent être des armes contre l’injustice». En 1945 paraît son roman autobiographique Black Boy dans lequel il raconte son enfance et sa situation de jeune enfant noir dans le sud du pays, mais aussi ses tensions avec sa mère qu’il juge trop proche de la mouvance protestante de l’Église adventiste née dans le Michigan. En 1957, ce sont ces conférences données dans toute l’Europe qui sont publiées sous le titre évocateur White man, listen ! En 1989, paraît enfin Fishbelly, un autre roman qui traite des problèmes de racisme dans l’Amérique des années 1950.
L’auteur s’est également illustré par son œuvre poétique. C’est ainsi qu’en 2009 paraît en France Haiku, cet autre monde (initialement «Savage Holiday»), un recueil qui comprend 817 haïkus parmi les presque quatre mille qu’il a écrit durant sa vie. En 1947, Richard Wright obtient la nationalité française et voyage en Asie et en Afrique. Il tire de ses voyages plusieurs écrits et réflexions sur la place du Tiers-Monde et sur la libération des peuples colonisés. En 1952, il part en Gold Coast pour rencontrer Kwame Nkrumah qui réclame la fondation d’un État indépendant du Ghana. En 1955, il participe ensuite à l’historique conférence des Non-Alignés à Bandung et écrit un rapport intitulé «Le rideau de couleur». À Paris, il rencontre des auteurs noirs-américains exilés comme James Baldwin ou Chester Himes. Le FBI le suit jusqu’en France, l’inscrit au National Security Index et fait tout pour faire naître des tensions entre Wright et Baldwin. Un journal américain écrit : «Le venin de Wright, débité sans cesse par les expatriés aux terrasses des cafés et par des années de gros titres sur les lynchages, est parvenu à empoisonner la pensée européenne au sujet des problèmes raciaux aux États-Unis».

Manifeste pour l’indépendance de l’Algérie
Son amitié avec Sartre et ses rencontres avec des auteurs du courant existentialiste lui inspirent en 1953 le roman The Outsider («Le transfuge»). Même s’il s’y était refusé au début de son exil français pour ne pas être expulsé, il participe aux côtés de Camus et Sartre à des manifestations pour la libération de l’Algérie française. Richard Wright est donc bien conscient de vivre dans un pays qui lui offre la liberté d’expression mais dont il condamne la posture colonialiste. En 1960, il envisage d’ailleurs d’aller vivre à Londres. Richard Wright, qui a connu les brimades racistes, les souffrances de la précarité et a combattu avec ses armes pour la dignité et la liberté de tous les pays colonisés de la planète, donne le 8 novembre 1960 une conférence dans laquelle il explique comment les services secrets américains bâillonnent les artistes noirs. Il décède quelques semaines plus tard, le 28 novembre, d’une crise cardiaque et est enterré au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
H. B.