«Retour au paradis» de Breyten Breytenbach

Littérature classique africaine

À la fois écrivain et peintre, Breyten Breytenbach est un homme aux nombreux talents. Né en Afrique du Sud en 1939 et exilé en France depuis 1961, il est l’auteur d’une œuvre protéïforme, partagée entre poésies, romans, essais et journaux de voyage.

Retour au paradis qu’il a écrit suite à un voyage en Afrique du Sud, sur le modèle d’Une saison en enfer rimbaldienne, est l’un de ses plus beaux livres, nourri d’inquiétudes sur l’avenir de son pays pourtant libéré du fléau de l’apartheid. Retour au paradis du Sud-Africain Breyten Breytenbach est un «travelogue», racontant les allées et venues de l’auteur entre son pays natal, l’Afrique du Sud, et son pays d’adoption la France dans les années 1980-1990. C’est aussi un journal intime, comme le suggère le sous-titre du livre : «Retour au paradis. Journal africain».

Diptyque littéraire
Retour au paradis fait partie d’un diptyque littéraire dont le premier volume paru dans les années 1970 a pour titre Une saison au paradis. Placé sous le signe d’Une saison en enfer de Rimbaud, ce premier texte, composé de notes de voyage, de souvenirs d’enfance, de réflexions, de poèmes, avait été inspiré au poète par son retour au pays natal après treize longues années d’exil. Le jeune Breytenbach s’était exilé à Paris dès 1961, fuyant la répression et le racisme institutionnalisé de l’Afrique du Sud sous l’apartheid. Sa situation personnelle se complique un peu plus lorsqu’il épouse une Française d’origine vietnamienne. Les mariages mixtes étant interdits en Afrique du Sud, il ne pouvait plus retourner dans son pays sans se faire arrêter. En 1973, il réussit toutefois à obtenir un visa de trois mois pour lui et pour son épouse afin de se rendre en Afrique du Sud pour recevoir un prix littéraire.
Une saison au paradis est née de ce premier pèlerinage aux sources. Les circonstances de l’écriture du second volume du diptyque sont différentes. Engagé dans la lutte contre l’apartheid, Breytenbach retourna clandestinement en Afrique du Sud en 1975 pour établir des contacts avec la branche armée de l’ANC. Il sera arrêté pour terrorisme et ne sortira de prison qu’en 1982 avant d’être expulsé vers Paris. Autorisé ensuite à de séjours surveillés, il dut attendre le démantèlement du régime pour pouvoir revenir dans son pays en toute liberté. C’est pendant un nouveau voyage qu’il effectua en février 1991 dans une Afrique du Sud libérée du fléau du racisme institutionnalisé que Breytenbach rédigea Retour au paradis. Il s’agit d’un texte hétéroclite, à mi-chemin entre poème en prose et méditations, riche en digressions et magnifiquement écrit, même si la tonalité de l’ensemble est sombre tout comme l’est la vision de l’auteur sur l’avenir de son pays.

Paradis retrouvé et perdu de Breytenbach
Un sentiment de désenchantement et de désillusion profonde traverse l’ouvrage de part en part. D’une certaine façon, ce livre est le récit de paradis retrouvé et perdu de Breyten Breytenbach. Paradis retrouvé, car avec l’abolition de l’apartheid, puis la libération de Nelson Mandela, l’Afrique du Sud s’est donné les moyens politiques pour se renouveler. L’on imagine la satisfaction immense que ces événements ont pu procurer au poète, qui était devenu une figure emblématique de la lutte contre l’apartheid. Le pays était bel et bien engagé dans un processus de transition. Pourtant, comment ne pas ressentir en lisant Retour au paradis, construit comme un carnet de route, que la nouvelle Afrique du Sud en train d’émerger des décombres de l’apartheid n’inspire à l’auteur qu’une confiance limitée ?
Alors que ses anciens amis s’enthousiasment pour le processus démocratique en cours, l’auteur s’interroge sur l’absence de communication entre Noirs et Blancs, sur le cynisme des politiciens face à la montée de la violence qu’ils ont parfois eux-mêmes orchestrée, que ce soit pour garder le pouvoir ou pour y arriver. Il s’appuie sur les articles de presse pour rappeler les quatre vérités : un pays en proie à une guerre civile larvée, tortures policières, banditisme, hommes et femmes lynchés, lapidés, poignardés. «La violence perce un peu, dans les journaux du pays, comme du sang qui traverse un pansement», écrit Breytenbach, avant de s’interroger : «Qu’est-il arrivé à la révolution ?».

«Un oiseau de malheur»
Le portrait lourd de désillusions que brosse de son pays renaissant le poète exilé témoigne surtout d’une grande lucidité et d’une compréhension en profondeur des enjeux des mutations en cours en Afrique du Sud post-apartheid. Dans son livre, Breytenbach raconte la dispute qui l’a opposé pendant son séjour sud-africain à l’un de ses plus proches amis qui l’accusa d’être «un oiseau de malheur venu ici pour avoir la satisfaction d’une haute et saine indignation morale». Une accusation que le poète qui est aussi peintre a fait sienne en se représentant sur la couverture de son livre en oiseau chevauché par un gnôme, survolant son paradis perdu. Un oiseau de malheur que Nelson Mandela aurait pourtant aimé avoir à ses côtés, comme en témoigne l’appel que le chef de l’ANC lui lança lors de son passage à Paris, après sa libération en 1990 : «Je suis venu te chercher pour te ramener chez nous.» Breytenbach a préféré rester un exilé.
T. Chanda
Retour au paradis : journal africain, par Breyten Breytenbach. Traduit de l’anglais par Jean Guiloineau. Editions Grasset, 332 pages.