On a retrouvé son second «J’accuse !»

Emile Zola

Dans un article inédit écrit six mois après sa lettre ouverte, l’écrivain revenait sur l’affaire Dreyfus et ses propres démêlés judiciaires. Extrait. Ce sont cinq pages semées de ratures de l’écriture fine de Zola.

«Pour la lumière» est un peu la suite de son mythique «J’accuse !» : un article inédit, qu’il destinait comme le premier à être publié dans le journal L’Aurore. Il fut écrit en juillet 1898, six mois après que son «J’accuse… !» ait véritablement marqué le début de l’affaire, mais surtout au lendemain du procès en cour d’assises au cours duquel Zola est condamné pour diffamation. L’écrivain choisit de s’exiler en Angleterre, avant que sa sentence ne lui soit communiquée. Dans l’article, il justifie son départ, auquel l’a acculé, dit-il, une justice partisane. Le ton, énergique, possède une saveur vengeresse. C’est cette fois à la première personne du pluriel qu’il s’exprime. Malgré la campagne menée contre lui, notamment par la presse antisémite, l’écrivain ne désarme pas. « Je veux bien être condamné, mais tout de même la complaisance au martyre a des bornes, il ne me déplairait pas que ce fussent les vrais coupables qui fussent punis.»
L’article ne sera jamais publié, sans doute parce que L’Aurore a déjà fait paraître le 20 juillet un article intitulé « Pour la preuve» et signé du nom de Zola (mais en réalité écrit par son ami Georges Clemenceau, alors pilier de L’Aurore et converti à la cause dreyfusarde, et qui avait d’ailleurs trouvé le célèbre titre « J’accuse !» ). Pendant son exil londonien, période douloureuse qui s’achève en juin 1899, Zola ne s’exprimera plus sur l’affaire, sur les conseils de Clemenceau et de son avocat. Dénichée par la librairie Le Manuscrit français, cette émouvante pièce manquante d’histoire littéraire appartenait à la collection du musicien Alfred Cortot, récemment dispersée. Elle sera exposée et mise en vente au Salon international du livre rare. Pour la somme, tout de même, de quarante mille euros.

EXTRAIT. « Nos amis savent que nous resterons les soldats impassibles du vrai»
« Je veux bien être condamné, mais tout de même la complaisance au martyre a des bornes, il ne me déplairait pas que ce fussent les vrais coupables qui fussent punis. […] Si quelqu’un a fui le débat, lundi, ah ! Certes, ce n’est pas nous, car nous le voulons complet, décisif, ce débat, et nous n’avons jamais agi que pour qu’il le soit, aux yeux du monde entier. […] Je répète que nous resterons les maîtres de l’affaire tant que nous le pourrons, et cela non pas dans un but étroit d’intérêt personnel, mais bien évidemment dans la volonté fière de tenir jusqu’au bout la porte ouverte, pour que la justice, la souveraine déesse, rentre dans le temple.
On nous a traqués, on nous a forcés de laisser prendre un jugement par défaut contre nous, précisément parce que nous n’avons pas voulu consentir au simulacre de débats, réduits et étranglés, qu’on nous offrait. Nous attendrons d’abord la décision de la Cour de cassation. Puis, nous ferons le nécessaire, tout ce qui sera en notre pouvoir, pour patienter encore et n’accepter la lutte que le jour où beaucoup de lumière nous aidera à vaincre. On aura beau jusque-là travestir nos actes, prodiguer les mensonges et les ignobles injures, nos amis savent que nous resterons les soldats impassibles du vrai, incapables d’une reculade, capables de tous les sacrifices et de toutes les attentes, les plus rudes et les plus anxieuses.»
S. P.