Hommage à Belkacem Babaci

Fondation Casbah

Le 12 septembre 2020, a eu lieu au siège de la fondation Casbah, une commémoration en l’honneur de Belkacem Babaci.

La conférence de presse, ouverte au public, a permis d’établir un état des lieux autour des combats menés par le défunt, et de l’héritage de ce dernier. Le président actuel de la fondation Casbah, Ali Mebtouche, son fils Khaled Babaci, ainsi que Mira Gacem, fondatrice et directrice de la publication Babzman, sont intervenus tour à tour pour évoquer le parcours de Belkacem Babaci, la situation alarmante de la Casbah, et la contextualisation du patrimoine spolié. Organisée par la fondation Casbah, et le portail historico-culturel Babzman, le point de presse fut animé et géré par le fils du défunt, Khaled Babaci, qui intervient en dressant le topo de la riche expérience de son père, dans ses différents combats pour la sauvegarde du patrimoine.

Le patriotisme dans le sang
Belkacem Babaci, né le 5 décembre 1939 à La Casbah d’Alger et décédé le 10 septembre 2019 dans la même ville, est un moudjahid, militaire, haut cadre de l’Etat, patriote et écrivain chercheur en histoire. Président de la fondation Casbah pendant plusieurs années, il sera élu représentant de l’Union nationale des associations pour la sauvegarde du patrimoine (UNASP) en 2011. L’amoureux de La Casbah occupe de nombreuses fonctions liées à l’aménagement du territoire, après sa retraite militaire. Mais c’est au gouvernorat d’Alger (1997), qu’il s’illustre en tant que wali délégué à La Casbah, où il sera en charge du relogement des habitants des bidonvilles et de ceux dont les maisons sont en danger. Entre-temps, un travail de fond a été entamé en collaboration avec la fondation Casbah afin de poser les bases de la réhabilitation et de la sauvegarde de La Casbah d’Alger. Un projet ambitieux et touristique d’envergure, appuyé par le président Liamine Zeroual et le gouverneur d’Alger d’alors, Cherif Rahmani, est alors mis en place.
Le travail accompli entre 1997 et 2000 (recensement, identification des bâtisses en danger, relogement, réhabilitation, restauration) est considéré comme l’activité la plus importante jamais réalisée à La Casbah depuis l’indépendance. Pourtant, le projet restera sans suite dès l’avènement de Bouteflika à la tête du pays, en 1999. Le gouvernorat d’Alger est alors démantelé, et le plan en plusieurs parties du centre historique d’Alger, La Casbah, tombe à l’eau. Pour autant, au gouvernement, les efforts de Babaci pour le patrimoine sont reconnus, et Cherif Rahmani, alors ministre du Tourisme et de l’Aménagement du territoire, le nomme conseiller. C’est suite à sa présence charismatique sur les ondes de la Radio nationale dès 2003, que Belkacem Babaci se fait connaître du grand public. Ainsi, «Mezghena» et «Tahwissa fe tarikh» accompagnent les Algériens le matin en prime-time pour leur faire découvrir leur histoire et ce, de manière simple et en «derja».
Et par sa façon unique de raconter, il réussit à vulgariser le récit historique et à conquérir le cœur des Algérois. Le maître du récit mettra à profit cette notoriété et des centaines de sorties médiatiques, pour sensibiliser les collectivités et la population sur l’importance du patrimoine et de l’histoire mais, surtout, sur l’urgence de la protection, la sauvegarde et la réhabilitation de La Casbah d’Alger ainsi que la récupération du patrimoine dérobé par la colonisation. En 2009, il devient président de la fondation Casbah, où il mène un combat de sauvetage et d’urgence. Malgré quelques tentatives des autorités locales, rien n’a été sérieusement entrepris afin de protéger cette richesse, reconnue pourtant patrimoine mondial par l’Unesco.

Casbah en péril, urgence signalée
La fondation Casbah, à travers l’éloquente présentation de son président Ali Mebtouche, dresse un état des lieux alarmant au sujet de l’ancienne médina, et pointe du doigt la responsabilité de l’état, absent depuis des années sur le terrain. Pour illustrer le propos, une vidéo est diffusée sur des écrans, mis à disposition pour l’occasion. On y voit défiler des images de La Casbah, dont certaines montrent l’affaissement survenu au cours de l’année 2020, sur fond d’un discours vieux de 5 ans du défunt, mais dont les propos restent d’une triste actualité. L’émouvante projection met en lumière la continuelle dégradation qui se poursuit dans le silence absolu des autorités compétentes. Ali Mebtouche revient sur les différents travaux de la fondation depuis sa création, et les multiples projets proposés pour la sauvegarde de ses douirette, création d’espaces récréatifs pour les enfants, réhabilitation de ses vestiges…
Il affirme que l’Algérie doit prendre ses responsabilités et tenter de sauver les habitants, ainsi que ce qui reste du centre historique ou le déclasser auprès de l’ONU (de plus de 1700 maisons après l’indépendance, nous serions passés à quelque 400 douirette recensées). Khaled Babaci intervient à la fin de la projection en évoquant l’inertie et l’absence des pouvoirs publics. Du côté des politiques, un silence de mort plane sur la vieille médina… Le ton est donné, et la responsabilité engagée. Faisant suite aux propos de Si Mebtouche et de Khaled Babaci, la conférence a également permis de revenir sur les autres combats du regretté, ceux portant sur le fameux canon, surnommé le «canon de Babaci» dans les hautes instances, mais pas que…

Le patrimoine spolié, levier politique ou complexe restitution ?
Sujet plus que jamais d’actualité, le patrimoine culturel algérien dilapidé a fait l’objet de la dernière intervention de la journée, par Mira Gacem, belle-fille du défunt et directrice de publication du portail historique et culturel Babzman. La jeune femme rappelle le contexte international de spoliation et dresse une chronologie de la législation européenne, mais surtout française, permettant la complexe restitution des biens culturels spoliés. Si elle rappelle que le combat pour la restitution des crânes fut porté à la connaissance de tous, grâce aux travaux de l’historien Ali Farid Belkadi, et du sociologue Brahim Senouci, qui ont permis d’apporter la lumière sur cette affaire qui relève du devoir national, elle précise surtout que, dès 2011, Belkacem Babaci a porté cette cause à sa manière, que ce soit durant ses sorties médiatiques et conférences, en Algérie ou encore à l’étranger. Belkacem Babaci a utilisé ses relais et son réseau pour se rapprocher de plusieurs hommes politiques français afin de les sensibiliser et d’user de leur influence dans le but d’étudier les possibilités de rapatriement des crânes, et la multitude de biens spoliés par la France coloniale.
Il a tenté de sensibiliser tant bien les instances dirigeantes en France, que le pouvoir en place en Algérie, qui n’avait à ce moment-là, effectué aucune demande officielle. Une situation alarmante que lui-même avait dénoncée à plusieurs reprises. Mira précise qu’il reste encore des centaines de crânes de résistants dans les sous-sols du musée de l’Homme à Paris, qu’il est impératif de rapatrier afin qu’ils puissent reposer dans la terre pour laquelle ils ont sacrifié leurs vies. Autre combat et non des moindres. S’il fait aujourd’hui l’actualité dans la presse française, il fait partie intégrante d’une partie de la vie de Belkacem Babaci. Il s’agit bien évidemment du célèbre canon Baba Merzoug. Conférences, livres, rencontres… Jusqu’à la fin, B. Babaci va tenter de ramener le canon chez lui, en symbole ultime de la réappropriation de nos biens culturels. Considéré comme l’arme absolue, ce canon du 16e siècle fut pris par l’amiral Duperré, commandant de la flotte française qui le désignera comme étant le trophée le plus important de la conquête et le fit embarquer comme «prisonnier» pour l’exhiber dans sa ville natale, Brest, dans le Finistère, où il y est depuis. Baba Merzoug se trouve actuellement dans la place du port.
Toute la complexité de l’affaire réside dans le fait que la France considère que c’est le patrimoine de son armée, alors que l’Algérie considère que c’est le patrimoine de son histoire. On est donc au cœur de l’appropriation culturelle. Si la presse française évoque un éventuel rapatriement, là encore silence des autorités. Et vue la complexité de la démarche, si une demande avait été faite au préalable, les pourparlers auraient dû durer des mois, voire des années. Toutes les questions sont permises à ce stade. Visionnaire et avant-gardiste, Babaci avait au cours de ses nombreux déplacements au sujet de la restitution du patrimoine, évoqué l’éventualité d’une demande par la société civile.
Pour Mira Gacem, la complexe restitution survient souvent dans un contexte politique donné, et les gouvernants usent d’un tel levier à des fins économiques pour favoriser un échange souvent déséquilibré. C’est pour cela que le rapatriement des biens culturels spoliés, doit demeurer une affaire de professionnels de musées. Mira conclut en disant que nous devrions tirer profit de cette époque de repentance de la part de la France et de réflexion pour tenter de panser nos plaies. Khaled Babaci clôture la conférence en invitant les citoyens à poursuivre l’œuvre de son père parti… mais dont les combats, eux, demeurent plus que jamais d’actualité.
R. C.