Tensions en Méditerranée orientale et enjeux géostratégiques en Libye

Gisements de gaz

En Méditerranée orientale, des enjeux importants se déroulent concernant les gisements de gaz, notamment les tensions entre la Grèce et la Turquie, les évènements en Lybie qui interpellent l’Algérie où son marché principal de gaz se trouve en Europe et dont les hydrocarbures avec les dérivés ont procuré en 2019, environ 98% des recettes en devises avec un prix de cession du gaz qui a connu une baisse de plus de 75% en 10 ans et procurant 33% des recettes de Sonatrach.

Les 10 principaux pays producteurs de gaz naturel par ordre décroissant sont la Russie qui représente, à elle seule, 20% de la production mondiale de gaz naturel et est également le plus gros exportateur, au deuxième rang avec la révolution du gaz de schiste, étant devenu exportateur en Europe, les États-Unis d’Amérique, puis vient le Canada (troisième position), le Qatar quatrième position, l’Iran ayant été déclassé suite aux sanctions américaines, suivi de la Norvège, la Chine, l’Arabie Saoudite et l’Algérie qui vient en neuvième position. Ces données doivent être interprétées avec précaution car on peut découvrir des milliers de gisements, mais non rentables selon les normes financières en fonction des coûts d’exploitation et de l’évolution du prix international lui-même en fonction de la demande et de la concurrence des énergies substituables. Quant à certains experts qui parlent d’un marché Opep gaz à l’image de l’Opep pétrole, il y a lieu de souligner que le marché du gaz n’était pas en août 2020, un marché mondial mais un marché segmenté par zones géographiques alors que le marché pétrolier est homogène, du fait de la prépondérance des canalisations, étant impossible qu’il réponde aux mêmes critères, la solution étant une coopération au sein du FPEG, organisation indépendante de l’Opep, les États-Unis, un des premiers producteurs mondial de gaz, ne font en revanche pas partie du FPEG.
Pour arriver un jour à un marché du gaz qui réponde aux normes boursières du pétrole (cotation journalière), il faudrait que la part du GNL passe de 30% à plus de 80%. D’ici là, car les investissements sont très lourds, tout dépendra de l’évolution entre 2020/2030/2040, de l’alimentation de la demande en GNL qui sera fonction du nouveau modèle consommation énergétique mondial avec un accroissement de la part du renouvelable, de l’efficacité énergétique et entre 2030/2040 de l’hydrogène qui risque de déclasser une grande part de l’énergie transitionnelle.

4- Qu’en est-il pour l’Algérie où selon le bilan de Sonatrach en 2019, environ 33% de ses recettes, auxquelles il faut déduire les coûts et la part des associés dépendant du gaz naturel pour avoir le profit net ? La structure entre les exportations du gaz naturel à travers les deux grandes canalisations Medgaz via Espagne capacité, de 8 milliards mètres cubes gazeux et Transmed via Italie entre 35/40 milliards de mètres cubes gazeux, étant actuellement en sous capacité, représente environ 75% du total en direction de son marché principal l’Europe, et le GNL environ 25% qui lui procure plus de flexibilité, l’Algérie est fortement concurrencée entre 2020/2025 par le GNL américain, russe, qatari ayant installé de grandes capacités deux à trois fois celle de l’Algérie, et pour le gaz par canalisation par la Russie le North Stream (55 milliards de mètres cubes de capacité et le South Stream (capacité de 63 milliards de mètres cubes gazeux), sans oublier comme mis en relief précédemment les importantes découvertes en Méditerranée. N’oublions pas également la concurrence africaine dont le Nigeria (le projet Nigal avec l’Algérie étant au point mort) et le Mozambique, le pays abritant les plus grandes réserves des pays d’Afrique de l’Est, avec près de 5 000 milliards de mètres cubes, sur deux blocs offshore dans la province de Cabo Delgado à l’extrême nord du pays et d’ici une 2025/2030, le Mozambique risque de devenir probablement le cinquième exportateur mondial de gaz derrière la Russie, les USA, le Qatar et l’Australie.
L’Algérie pour pouvoir exporter en Asie, il lui faudra contourner toute la corniche de l’Afrique posant la problématique de la rentabilité, outre les coûts d’exploitation s’ajoute un coût de transport exorbitant, ne pouvant pas concurrencer la Russie avec le gazoduc Sibérie Chine, appelé «Power of Siberia», plus de 2 000 km à la frontière chinoise, acheminant chaque année en Chine 38 milliards de mètres cubes de gaz russe horizon 2024/2025, un contrat, estimé à plus de 400 milliards de dollars sur 30 ans, signé par Gazprom et le géant chinois CNPC sans compter l’Iran et le Qatar proches de l’Asie. En fin de compte, tout dépendra pour que l’Algérie pénètre le marché mondial du coût nécessitant un nouveau management stratégique de Sonatrach dont le compte d’exploitation depuis plusieurs décennies dépend fondamentalement de facteurs externes échappant à sa gestion interne, le vecteur prix international, ce qui a conduit d’ailleurs le Président de la République à exiger une audit de cette société.
Car le prix au niveau mondial entre 2007 et septembre 2020 a baissé de plus de 75%, beaucoup plus que le pétrole étant passé de 15/16 dollars pour le GLN à 4/5 dollars et de 9/10 dollars pour le gaz naturel – GN – ayant fluctué entre 2019/2020 pour la même période entre 1,7 et 2,5 dollars le MBTU, sur le marché libre. L’on devra tenir compte de la cotation dollar/euro qui s’est dépréciée de plus de 11%, en raison des incertitudes de l’économie américaine et du déficit budgétaire, devant donc dresser la balance devises à prix constants. En résumé, espérons une stabilisation de la Libye par le dialogue entre ses différentes compositions sociales afin de garantir la sécurité de la région.
Le monde s’oriente 2020/2030, inéluctablement vers une nouvelle gouvernance mondiale, la transition numérique et énergétique avec un nouveau modèle de consommation et le primat du savoir, imposant à nos dirigeants un renouveau culturel loin de la mentalité matérielle rentière du passé. Les dynamiques économiques et énergétiques modifieront les rapports de force à l’échelle mondiale et affecteront les recompositions politiques à l’intérieur des États comme à l’échelle des espaces régionaux, d’où l’importance de comprendre les enjeux géostratégiques pour des solutions adéquates, loin des discours et actions irréalistes.
(Suite et fin)
Professeur des universités, expert international, Dr Abderrahmane Mebtoul