Contextualisation de la démocratisation

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Octobre 1988 a provoqué la première évolution démocratique du «système» politique algérien. Furent alors introduits le multipartisme, les processus électoraux, le parlementarisme, les libertés de la presse, de manifestations etc. C’est ainsi qu’est né la Constitution de février 1989 qui représentait une réelle avancée par rapport au cadre juridique fondamental qui précéda. Cependant, nous ne pouvons que constater au vu de ce qui a suivi (la décennie noire) que la démocratisation en Algérie a échoué. Pour notre part, nous nous donnons entre autres explications qu’il n’y a pas eu de découplage nécessaire entre les processus démocratiques en cours à l’époque et les logiques d’autonomisation des facteurs économiques vis-à-vis de la domination de la rente énergétique aux mains d’une minorité agissante en interaction avec les forces de la mondialisation. Pour le dire autrement, les différentiations à l’œuvre furent essentiellement de nature culturelle (nous voulons dire collective), la démocratisation ne s’appuyant pas sur le principe d’individuation économique sous-tendu par un rapport social à l’exploitation du travail de manière systématique comme c’est le cas dans les pays occidentaux. C’est le caractère rentier de nos organisations matérielles qui empêcha ce processus de fractionnement social d’aller jusqu’au bout de ses conséquences sociétales et de ses maturations politiques. Les évolutions culturelles ne peuvent, dans nos sociétés dominées, que très difficilement agir seules sur la qualité d’une économie, tant le travail productif est une catégorie qui interroge d’abord l’individu et sa propension à appréhender cet acte dans une phénoménologie de la globalité faisant de l’expérience individuelle vécue, le lieu d’éveil le plus efficient de l’esprit. Au contraire de ce que nous vécûmes précédemment, février 2019 affirme la prise de conscience anthropologique (relative à l’individu et non plus à la collectivité), condition impérative de la rupture de notre rapport au travail marqué par la rente différentielle. C’est ce qui nous porte à croire à la tentative de démocratisation en cours, pourvu que les sens des réformes économiques et fiscales agissent contre la rente et donc contre les… rentiers.

Il y a comme un «hiatus» pour un ancien Chef du gouvernement (Mouloud Hamrouche) après avoir lamentablement échoué à la mise en place de la démocratisation de l’Algérie post-octobre 1988, à vouloir venir dans des tribunes complaisantes (toujours les mêmes, en prolongements de guerres idéologiques mondialisées – voir El Watan du 24/09/2020), se poser en donneur de leçons de dérives qu’il croit «autoritaires» au moment même où le Hirak du 22 février 2019 sonne la phase historique irrévocable de la démocratisation irréversible de la société algérienne, à ne pas confondre avec la nature de l’étape de reconstruction institutionnelle délicate que nous traversons. «La méprise» est d’autant plus ironique qu’elle provient d’un homme politique, qui a agi alors qu’il était en charge des affaires du pays, dans le sens de réformes économiques libérales dont on voit aujourd’hui la production désastreuse défiler devant le tribunal d’El Harrach. C’est en s’appuyant sur la réforme de la loi sur la Monnaie et le Crédit, inspirée de cette période, que les flibustiers du pays ont mis à sac le Trésor public.
Cela n’empêche pas, Mouloud Hamrouche de jouer les oiseaux de mauvais «augures» en prédisant à l’authentique expérience démocratique qui a cours dans notre pays, la reproduction de «fragilités» et de «retards dans la réflexion sur les grandes questions nationales». Pourtant, nous pouvons témoigner de l’orientation résolument anti-rentière de l’action publique (le développement en gestation d’une véritable industrie du phosphate en étant l’une des nombreuses illustrations), comme cela ne fut jamais le cas auparavant et encore moins sous le régime de Mouloud Hamrouche. Auréolé du qualificatif de «démocrate» ou de «réformateur» par les parties intéressées de voir l’Algérie rester un marché de déversements pour les marchandises de nos partenaires commerciaux, ce que craint cet ex-politicien et ses alliés sociaux-démocrates, c’est de voir «une démocratie à contenu populaire» et des «réformes structurelles anti-rentières» sortir le pays de l’ornière des impasses des régimes précédents dont il fut partie intégrante au plus haut niveau.
Et nous restons stupéfaits de le voir énoncer des généralités de nature insipide se perdant dans une théorisation douteuse de ce qui devrait être selon lui des principes nécessaires à l’établissement d’une Constitution – dont on comprend parfaitement le penchant pour un régime parlementaire qu’il n’ose pas énoncer clairement pour ne pas être accusé de collusion avec des partis d’opposition trop marqués par leur parrainage idéologique d’avec l’internationale Socialiste – en complète déconnexion de la réalité sociologique et de la maturation culturelle des luttes populaires foncièrement anti-rentières et profondément anti-impérialistes.

La rente, le cœur d’un système en basculement progressif
Si on devait interroger les Algériens sur la définition qu’ils donnent à ce qu’ils qualifient de «système», beaucoup répondraient par «pouvoir», d’autres par «Etat bureaucratique», certains par «généraux» mais tous s’accorderaient à lier l’ensemble de ces vocables aux intérêts qui s’expriment dans la captation à des fins égoïstes des immenses revenus générés par la rente pétrolière. Le régime unique duquel nous n’arrivons pas à nous défaire – n’est pas tant symbolisé par l’orientation supposée libérale ou sociale de l’action publique ou sur les avantages et les faiblesses d’un système politique à parti unique versus une configuration institutionnelle favorisant le multipartisme, ou encore par une organisation de contrôle du pouvoir exécutif se voulant exigeante et tatillonne comme si la réalisation d’un tel dispositif était en soi un gage de succès – que de comprendre le cadre dans lequel ces «différentes options» sont discutées.
En réalité, il s’agit malgré leurs diversités apparentes de propositions identiques, toutes estampillées «régime économique singulier de la dictature de la rente». Là où l’on croit décrypter des choix alternatifs n’existe en réalité que la soumission à l’ordre rentier impérial qui n’a plus les moyens d’intégrer localement (en Algérie) les besoins de tous ordres d’une population atteignant désormais les 45 millions d’habitants et dont on prédit pour l’avenir une vigoureuse croissance démographique. Alors que la Chine démontre la supériorité de son modèle autoritaire, que la Russie prospère sous la direction ferme d’une direction sécuritaire fortement arc-boutée sur ses intérêts nationaux, que partout s’énonce protectionnisme des marchés et des intérêts dans le cadre de démocraties parlementaires fermées, recroquevillées sur la domination des riches sur les pauvres, certains sont encore à se poser à partir de leurs retraites dorées la question de l’effet démocratique sur le développement d’une nation, comme si le paradigme démocratique échappait aux forces socio-économiques et culturelles dominantes qui imposent leur condominium aux peuples de la Planète.
De ce que nous pouvons comprendre de la marche de ce siècle nouveau, les progrès populaires ne peuvent absolument pas s’articuler sur la question démocratique comme voie méthodologique d’un chemin critique, mais s’exprimeront comme la résultante d’affirmations nationales anti-impérialistes faisant la promotion de développements maîtrisés, certes en interactions avec des dynamiques mondialisées, mais prenant appui sur des synergies populaires internes autonomes et souveraines. La difficulté de la phase historique que nous traversons se trouve dans la juste articulation entre des aspirations démocratiques induites par les progrès liés à la massification de la culture grâce aux TIC (Technologies de l’Information et de la Communication) et le développement continu des facteurs d’autonomie dans tous les domaines et d’abord dans ceux de la science et de la technologie, qui fondent la construction d’Etats solides en prospérité partagée des populations qui s’y abritent.
Dans notre cas, l’exercice est rendu bien plus complexe par les illusions qu’ont constituées pendant très longtemps les facilités de progressions offertes par la rente pétrolière. Février 2019 est venu sonner le rappel de la réalité, d’avancées non durables tant qu’elles seront corrélées à la décroissance de nos gisements en hydrocarbures. La démocratie n’offre pas en elle-même d’alternative crédible à l’après-pétrole car elle n’a jamais nulle part nourri les hommes.

Les valeurs de Novembre en programme du redressement national
Seule la mobilisation de notre force de travail immense, de nos progrès intellectuels et pratiques dans tous les secteurs en veille attentive des opportunités offertes par la mondialisation des échanges matériels et culturels peut nous permettre un développement à la hauteur de nos espérances. C’est le sens même de l’expérience chinoise. La démocratie offre dans le meilleur des cas un cadre de construction d’un consensus plus élaboré (ou plus sophistiqué) aux fins d’exercer les motivations psycho- sociales nécessaires à un tel effort collectif. Cependant, le ressort essentiel reste la volonté farouche de vivre souverainement et indépendamment de contraintes qui, s’y on n’y prend garde, soumettent les traditions démocratiques les plus anciennes – le cas de la Grèce est un exemple édifiant, ayant perdu la maîtrise de son destin désormais confié pour une partie aux banques et pour l’autre partie à l’Organisation de l’Atlantique Nord – aux régressions les plus terribles.
Il n’est donc pas fortuit que celui qui fut longtemps l’espoir de l’aile atlantiste en Europe, présenté en modèle de la nécessaire «modernisation» de la politique en Algérie, au même titre qu’une autre «icône» de la planète des «démocrates» Ali Ghediri, intervienne dans un débat qui a vu s’épuiser en vaines manœuvres tous ceux qui furent les thuriféraires des généraux laïques et francophiles aux agendas douteux mais aux éradications sanglantes de sinistre mémoire qui avaient cours sous le gouvernement de Mouloud Hamrouche. Nous pouvons en tirer deux conclusions. Premièrement, cette opposition n’a rien d’autre à présenter qu’un programme vieux comme le libéralisme exploiteur et antipopulaire. Deuxièmement, elle n’a aucun candidat crédible pour défendre des programmes qui se trompent d’époque et de ruptures (le «Hirak béni» n’est pas prêt de se transformer en révolution de couleur), à tel point que le parti de la réaction fait appel à des dinosaures politiques d’un âge dont la jeunesse d’aujourd’hui n’entend même plus parler. L’intervention de Mouloud Hamrouche, en réfutation de la proposition constitutionnelle de redressement national proposée par le président de la République, signe la défaite d’une tendance francophile qui s’exprimait au plus haut niveau de l’Etat pendant des décennies.
Elle perdit le Pouvoir dans le bras de fer qui oppose depuis le 22 février 2019 la jeunesse anti-rentière du pays aux barons de l’or noir et aux Princes d’un commerce extérieur réservé sans même parler de prêts jamais remboursés remplissant systématiquement les mêmes poches d’Alger-sur-Seine. De nouvelles offensives médiatiques, d’agitations de tous poils, de mises en scènes désespérées se superposeront aux explications patientes réalisées autour du texte constitutionnel qui porte pourtant des compromis avec ceux qui promettent de boycotter les élections au lieu de participer à la reconstruction nationale. Cette attitude suicidaire n’a pas d’échos dans le pays profond qui n’entend rien de ces roulements de tambour de l’impuissance infantile, sinon que de promettre à ces professionnels des incendies de forêts et spécialistes des lancers de cocktails Molotov médiatiques, la défaite promise dans les urnes par le Premier Novembre éternel.
Brazi